Énergie : vers un effort de clarification
Ce n’est qu’en parfaite connaissance des
caractéristiques des objectifs et des moyens supposés les atteindre que l’on
peut se forger une opinion sur la pertinence d’une politique énergétique.
Cet article propose de montrer les limites
des notions « intermittent / pilotable », et l’intérêt de la
distinction « dimensionnant / interactif ».
Jean Pierre Riou
Introduction
Le débat sur l’énergie est pollué par un rideau de fumée
qui masque les données du problème derrière des notions racoleuses,
approximatives et trompeuses.
Aussi fastidieuse que puisse être la définition des
termes exacts, l’effort d’y parvenir est indispensable à la compréhension de
ses enjeux, ainsi qu’à l’énoncé de toute proposition.
« Faut-il
augmenter la part des énergies renouvelables afin de diversifier le mix
énergétique ? » Comment répondre par la négative à une question
aussi mal posée ?
Pour permettre un
avis éclairé, il est nécessaire de revenir sur plusieurs notions.
La notion de « renouvelable fera l’objet d’un
prochain article.
Mise à jour : cet article a été publié depuis sous le titre "Science sans conscience"
Pilotable ou
intermittent
La production électrique des éoliennes et des panneaux
photovoltaïques présente la caractéristique fondamentale de varier en fonction
des conditions météorologiques et non des besoins.
Celle différence majeure de service rendu par rapport aux
productions disponibles à la demande interdit qu’on en compare les compétitivités
respectives. On distingue ainsi traditionnellement les énergies dites
« pilotables » de celles considérées « intermittentes ».
La précision des termes est nécessaire pour toute
analyse.
Or cette
distinction n’est ni satisfaisante ni explicite.
Car tout moyen de production est intermittent, ne serait
ce que pour cause d’incident ou de maintenance, de même qu’il est possible de
piloter un moyen intermittent, en réduisant ou en interrompant sa production.
De l’intérêt du
pilotable
D’autre part, il n’est pas nécessaire que l’ensemble des
moyens de production soit « pilotable », une partie seulement en est
suffisante pour assurer l’adéquation production-consommation. Parmi ces moyens
pilotables, certains doivent être extrêmement flexibles pour répondre immédiatement
à l’évolution du besoin.
C’est notamment le cas de l’hydraulique de barrage, dont il suffit
d’actionner la vanne.
Mais ce n’est pas pour autant qu’une plus grande inertie
des autres moyens de production soit un handicap pour le système.
Certains moyens « de pointe » ou d’« extrême
pointe » permettent de gérer les pics de consommation et peuvent ainsi
être amenés à fonctionner très peu d’heures chaque année. Il faut comprendre ce
besoin pour en accepter les coûts de fonctionnement.
Tous ces moyens sont complémentaires dans le
dimensionnement d’un parc de production en regard de l’objectif qui lui est
assigné.
Moyens programmables
et moyens libres
C’est la raison pour laquelle une distinction s’impose :
celle qui sépare les moyens programmables qui sont ainsi « nécessaires et
suffisants » pour répondre à cet objectif, de ceux dont la liberté de
production risque de ne leur permettre que d’interférer sur le fonctionnement des
premiers, sans assurer par eux-mêmes la réponse au besoin. Car ce besoin n’est
pas forcément susceptible de se plier au rythme de leur production.
Moyens libres et
cycliques
Mis à part les incidents fortuits, qui sont le propre de
tous les moyens de production, tous ces moyens sont prévisibles.
L’éolien et le solaire sont considérés libres car leur
production n’est pas programmable en fonction d’un besoin.
L’énergie solaire présente la caractéristique
supplémentaire d’être cyclique.
Moyens
dimensionnants et moyens interactifs
Le fait qu’un moyen soit « nécessaire et
suffisant » pour satisfaire un besoin donné lui confère un caractère
« dimensionnant » pour le système électrique. Dans le cas contraire,
le moyen considéré ne peut être qu’« interactif », car sa liberté de
production, caractérisée par une absence de toute garantie au moment du besoin,
ne lui permet que d’interagir avec un autre moyen que le dimensionnement du
système aura rendu nécessaire.
Les capacités de stockage et d’effacement de la
consommation sont programmables et font partie des moyens dimensionnants de
tout système électrique.
Tandis que la plus grande prudence doit accompagner
l’acception des capacités d’interconnexion dans cette catégorie pour la raison
que ces capacités n’impliquent pas la faculté des États à se venir en aide en
cas de situation tendue.
Pire, la fin
de la solidarité entre États a déjà été évoquée en pareil cas.
Exigences du
système électrique
Selon les besoins du système, un moyen libre peut être
dimensionnant ou simplement interactif.
C’est ainsi que son caractère cyclique permet à la
puissance photovoltaïque du Nord Chili d’être dimensionnante pour un système qui
vise à répondre aux besoins de l’intense activité minière, gourmande en énergie
diurne, devant le désert toujours ensoleillé d’Atacama.
Mais ce même moyen « libre », bien que cyclique,
ne saurait être dimensionnant pour le système français tant que ses plus gros
besoins de production électrique auront
lieu l’hiver à 19 heures, soit après le coucher du soleil.
C’est ainsi que l’Allemagne, qui a privilégié le soutien
financier aux moyens de production programmables pour assurer l’adéquation
entre les exigences de son système et la garantie de leurs satisfactions, en a conservé
l’intégralité de la puissance installée malgré le développement d’un doublon
intégral de moyens libres, interactifs avec celui-ci.
Source de l'infographie Energy Charts
De l’intérêt des
moyens libres
La distinction dimensionnant / interactif permet de
mettre en évidence aussi bien l’intérêt que les limites des moyens interactifs.
Car c’est grâce à ceux-ci que l’Allemagne a réussi à
réduire ses émissions de CO2 en même temps que la puissance installée de son
parc nucléaire, d’une part en diminuant le taux de charge de ses moyens
programmables fortement émetteurs de CO2 grâce à la production de moyens libres qui
n’en émettent pas. Et d’autre part grâce à leur interaction sur les moyens
dimensionnants de stockage, fussent ils à l’étranger.
Dans cette interaction avec le stockage, un moyen libre
peut devenir dimensionnant si, et
seulement si, les moyens dimensionnants sont insuffisants pour cette tâche.
A l'inverse, une capacité de stockage ne permet de réduire les dimensions d'un système qu’à la
condition que des moyens de production soient suffisants pour l’alimenter.
Si
ces moyens sont disponibles, toute capacité de production « libre »
supplémentaire n’aura pour effet que d’interagir sur une autre capacité de
production déjà présente.
Les leçons du 10
janvier
Les tensions sur le système électrique européen de ce 10 janvier, offrent une illustration à cette analyse.
Effacement
Car, pour la première fois, RTE
a mis en œuvre les 1500MW interruptibles à l’occasion d’une baisse de
fréquence qui menaçait l'équilibre du réseau européen. Cet effacement de la
consommation a rendu le même service que l’appel d’une puissance de production
équivalente. C’est la raison pour laquelle cette puissance d’effacement a été
considérée dimensionnante pour le système.
Stockage
Sur les 5023 MW de stockage en STEP, de nombreuses unités
étaient alors indisponibles pour arrêt planifié, rappelant au passage que même des moyens de stockage peuvent être intermittents. Cependant l’énergie nécessaire
à la totalité du pompage avait été largement suffisante pour remplir les
réservoirs la nuit précédente, ainsi que chacune des nuits qui avaient précédé. Et le turbinage de cette capacité de
stockage a permis de grossir la production hydraulique de la journée.
Mais le
besoin vital de 21 heures n’ayant pas été planifié, il semble bien que l’essentiel
des réservoirs ait été vidé
auparavant.
Ce qui doit attirer l’attention sur le fait que
l’indication de la puissance de stockage n’est pas suffisante pour déterminer une capacité équivalente à dimensionner un système. La quantité de MWh stockés est également déterminante.
Et le stockage d’une
quantité d’énergie suffisante pour faire face à une absence de production prolongée
est hors d’échelle avec toute perspective à moyen terme.
Tandis que l’alimentation des capacités de stockage pose peu de
difficultés en raison de la grande amplitude des variations de consommation, notamment lors des cycles journaliers.
Interconnexions
L’événement du 10 janvier confirme les limites d’un
système où chacun compte sur l’autre pour compenser l’instabilité de sa propre
production en multipliant des interconnexions de plus en plus lointaines.
La France, plus gros exportateur mondial presque chaque
année depuis 1990 d’une électricité disponible et régulière, joue le rôle de
principal régulateur du réseau européen, dont l’Allemagne est le principal
perturbateur.
Les risques et les enjeux de l’équilibre de ce réseau ont
été évoqués dans l’article « l’Europe sous tension ». Il semble que
ce soit bien son déséquilibre qui a failli entraîner le pays ce 10 janvier.
C’est la raison des limites du caractère dimensionnant
des interconnexions.
Économie d’énergie
Le système électrique est dimensionné par ses besoins.
Toute réduction de ceux-ci permet une réduction équivalente des moyens de
production.
La France a notamment fait l’économie de 3 réacteurs
nucléaires en 2013 avec la mise en service de Georges Besse 2 dont la
consommation est de 60 MW au lieu des 3000MW de Georges Besse 1 auquel 3
réacteurs nucléaires du Tricastin étaient affectés.
Flexibilité
La limite des interconnexions et, dans une moindre mesure, des possibilités du stockage rendent la gestion des pics de consommation déterminants dans le dimensionnement du parc de production.
C'est dans ce domaine que la flexibilité du système permet de diminuer les contraintes par des reports de consommation grâce notamment aux compteurs intelligents.
Et, par là même, de déterminer une réduction de la puissance programmable de production.
Évolution du parc
électrique français.
Au 31 décembre 2017, la capacité programmable* du parc
électrique français était de 109,5 GW, soit 4,2 GW de moins en 10 ans que les 113,7 GW du 31 décembre 2007.
La libération pour la consommation nationale des 3
réacteurs du Tricastin qui étaient affectés à Georges Besse 1 et les seuls 1500
MW interruptibles compensent déjà strictement cette réduction de la puissance
installée, grâce à leur caractère dimensionnant, nécessaire et suffisant pour cette tâche.
Programmation
Pluriannuelle de l’énergie
Depuis l’abandon du soutien à l’énergie nucléaire,
cristallisé par la France elle même dans les négociations sur le climat en
2000, et dans les conditions évoquées en conclusion d'un article d'Atlantico, le parc nucléaire français a interrompu tout développement.
Et la politique énergétique porte désormais ses efforts
sur son remplacement.
Les éléments qui
précèdent sont nécessaires à la compréhension de son dimensionnement ainsi qu’au
rôle assigné aux moyens libres que sont éolien et photovoltaïque
*Nota :
c’est par souci de simplification que la capacité hydraulique a été assimilée
aux moyens programmables.
Ce qui est justifié
pour les 5 GW de stockage par pompage/turbinage (STEP) et pour les 8,5 GW d’hydraulique
de barrage, mais plus contestable pour les 11,2 GW de fil de l’eau / éclusée,
dont, en tout état de cause, la stabilité de la puissance installée d’une année
sur l’autre évite tout biaisdans les comparaisons.
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