vendredi 29 janvier 2021

La terrible loi de Brandolini et le mythe du 100% renouvelable


La loi de Brandolini énonce l’asymétrie entre l’énergie nécessaire à la formulation d’une proposition et celle, infiniment supérieure, qui est nécessaire pour la réfuter. Les proportions de cette asymétrie ont le second inconvénient de rendre toute réfutation point par point considérablement moins médiatique que la proposition initiale, surtout lorsque celle-ci flatte un dogme dans l’air du temps. Et le seul titre d’un rapport conservera naturellement un impact médiatique bien supérieur à celui d’un examen critique de ses conclusions.

Le modèle renouvelable existe, une ministre l’a rencontré

Le titre accrocheur de son fameux ouvrage « Dieu existe, je l’ai rencontré » a imprimé le nom d’André Frossard jusque dans les mémoires de ceux qui n’en ont rien lu. 

C’est dans le sens d’une telle accroche qu’il faut attendre la publication du rapport conjoint de l’AIE et RTE supposé affirmer la viabilité d’un mix électrique basé sur une grande part d’énergies renouvelables (EnR) et dont le média « Contexte » a pu se procurer la synthèse.

Il convient, en premier lieu, de remercier Contexte d’avoir exceptionnellement laissé cet important article [1] en accès libre.

Selon ses informations, ce rapport serait en lien avec la volonté de la ministre de « leur montrer que nous décidons » en réaction aux projets présidentiels de nouveaux réacteurs nucléaires.

Car l’Europe peine toujours autant à réduire la puissance de ses centrales pilotables conventionnelles, en raison du risque de période prolongée de vague de froid sans vent ni soleil, qui correspond malheureusement aux plus forts besoins en énergie. Or le nucléaire est, avec l’hydraulique, la seule filière pilotable exempte d’émissions de CO2.

Selon Contexte, la synthèse prévient « Le rapport n’examine pas la question de savoir si ces scénarios sont socialement souhaitables ou attrayants ni celle de leur coût et de leur viabilité financière. » Et ce mix décarboné et renouvelable serait conditionné à la réalisation de certaines conditions technologiques encore hors de portée, notamment :

  • Parvenir à compenser la stabilité dynamique du réseau
  • Parvenir à stocker l’énergie à grande échelle et à piloter la flexibilité de la demande
  • Parvenir à dimensionner des réserves suffisantes pour compenser les aléas de production
  • Parvenir à étendre et renforcer une restructuration en profondeur du réseau pour permettre de transporter les flux spécifiques aux énergies renouvelables.

Selon la lecture de la note par Contexte, il s’agirait là de « quatre ensembles de conditions strictes » indispensables à l’intégration d’une grande part d’énergies renouvelables.

Quoi qu’il en coûte

En d’autres termes, il s’agit de montrer la viabilité d’un modèle de transition énergétique « quoi qu’il en coûte » et sans en maîtriser encore les conditions pourtant strictement nécessaires à son fonctionnement.

Or, par delà les interrogations sur sa viabilité financière, la maîtrise des « quatre ensembles de conditions strictes » est nécessaire pour éviter le risque d’incidents majeurs.

De la difficulté de dimensionner les réserves 

Serge Zaka, docteur-chercheur en agroclimatologie, a relevé les données de RTE sur la production d’électricité [2] et celles de l’indicateur thermique journalier [3] pour illustrer la corrélation entre la production éolienne et les températures sur la période hivernale la plus récente : du  1er décembre au 19 janvier.

Le graphique obtenu, que nous reproduisons ci-dessous avec son autorisation est éloquent, et montre que plus on a besoin de courant et moins les éoliennes en fournissent.


En effet, les pics de consommation ont toujours lieu dans les périodes les plus froides, la thermo sensibilité de cette consommation étant évalué par RTE à 2400MW supplémentaires par degré de température en moins.

Le photovoltaïque, quant à lui, est systématiquement absent lors de ces pointes qui ont lieu vers 19 heures, soit bien après le coucher du soleil.

S. Zaka explique par ailleurs, que les points les plus écartés de cette corrélation éolienne avec les températures correspondent à des changements de régimes de vent en cours de journée, le flux glacial d’est étant toujours beaucoup moins venteux que les flux d’ouest qui amènent la douceur.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle des scénarios allemands de l’Institut Fraunhofer [4], qui envisagent de multiplier au moins par 4 la puissance intermittente éolien/photovoltaïque, pour la porter à plus de 600 GW  en 2050 – contre 27,6 GW actuellement [5] en France – n’en augmentent pas moins la puissance pilotable en même temps, pour résister aux pointes de consommation en cas de période prolongée sans vent ni soleil, malgré un important développement du stockage par batteries. 

De la restructuration du réseau

Lire la suite dans European Scientist ............ 

https://www.europeanscientist.com/fr/energie/la-terrible-loi-de-brandolini-et-le-mythe-du-100-renouvelable/ 


dimanche 17 janvier 2021

Le véritable coût de la production d'électricité

 

Le véritable coût de la production d’électricité

Jean Pierre Riou

Une première mondiale par l’AIE

Conjointement avec la Nuclear Energy Agency (NEA), l ’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) vient de publier la neuvième d’une série d’études sur le coût de production d’électricité, dont le tableau récapitulatif est reproduit ci-dessous.

Pour la première fois, cette étude contient des informations sur les coûts des technologies de stockage, des piles à combustible et l'exploitation à long terme des centrales nucléaires.

Pour la première fois également, elle est accompagnée d'un calculateur en ligne [1] du coût actualisé du courant produit (LCOE). Ce calculateur permet de télécharger facilement tous les tableaux de données du rapport et permet à l'utilisateur d'examiner l'impact de la modification de certaines variables, telles que le taux d'actualisation, les prix du combustible ou le coût du carbone.

Cette étude [2] comporte également les données détaillées sur les coûts de constructions de 243 centrales électriques de technologies différentes devant être mises en service à horizon 2025 dans 24 pays, à la fois de l'OCDE et non-OCDE, établis selon les contributions des gouvernements participants et traités selon une méthodologie commune afin de fournir des résultats transparents et comparables. L’impact du taux de charge des installations y est détaillé.

 

C’est à la fois le traitement homogène d’une telle quantité de données et le caractère interactif de leurs réponses grâce à la possibilité de modifier les paramètres d’entrée du simulateur en ligne qui a suscité le titre de « première mondiale », puisque l’AIE est une référence mondiale et que ces éléments constituent une première.

Car cette étude est de nature à fournir un éclairage précieux au débat public et aux arbitrages gouvernementaux auxquels il aura récemment fait défaut.

 

Un regard sévère sur le débat public français

L’AIE consacre tout un chapitre sur le débat public qui s’est déroulé en France de mars à juin 2018 au sujet de la révision de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

L’Agence relève l’aspect essentiellement politique du débat nucléaire/renouvelable autour duquel s’est cristallisée une question dont le cadre n’a pas intégré la dimension européenne du système électrique.

Elle y déplore l’absence d’analyses économiques détaillées notamment l’absence de prise en compte d’études existantes pour modéliser avec précision les scénarios soumis au débat, interdisant au public d’appréhender les avantages et inconvénients des différentes options proposées.

Elle relève le fait que même s’il est largement admis que le LCOE des énergies renouvelables est inférieur à celui du nucléaire de nouvelle génération, cela n'apporte aucune indication sur la meilleure solution du point de vue économique, car leur caractère non pilotable entraîne un besoin croissant de flexibilités ou de renforcement du réseau qui ont un coût.

Pour l’AIE, en se focalisant sur le secteur de l’électricité, qui est déjà décarboné à 93%, le débat public français n’a pas permis d’éclairer la problématique des émissions de CO2.

Il est d’autant plus regrettable que la programmation française de l’énergie ait ainsi perdu de vue ce qui était présenté comme au cœur de ses préoccupations, que la justice s’apprête aujourd’hui à condamner l’État pour inaction climatique [3].

 

La prolongation des réacteurs, production la plus économique 

Lire la suite dans Le Monde de l'Energie .......

https://www.lemondedelenergie.com/cout-production-electricite-tribune/2021/01/19/

vendredi 8 janvier 2021

Le TURPE nouveau est arrivé

 Le TURPE nouveau est arrivé

102 milliards pour permettre au réseau de marcher sur la tête

Jean Pierre Riou 

L’intermittence des énergies renouvelables réclame la restructuration du réseau électrique pour lui permettre de marcher sur la tête, c'est-à-dire de fonctionner dans l’autre sens que celui pour lequel il avait été conçu.

En effet, la quasi-totalité des éoliennes et des panneaux photovoltaïques sont raccordés sur le réseau de distribution de Enedis qui doit en refouler la majeure partie sur le réseau de transport de RTE [1] qui doit lui-même multiplier les interconnexions pour maintenir la stabilité du réseau malgré l’intermittence croissante de la production.

Dans son document de cadrage [2] RTE illustre parfaitement cette situation en montrant la valeur et le sens des flux (négatifs en rose jusqu’à 2012 dans le graphique ci-dessous) destinés à alimenter les consommateurs, et les pics de production éolienne, 5 fois plus important qui doivent être acheminés dans l’autre sens (positif, en bleu) depuis 2017 et la mise en service des éoliennes.

Source RTE [2]

La restructuration du réseau pour refouler ce courant localement indésirable a un coût. Il y a tout juste 1 an, Jean François Carenco, président  de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), lançait un pavé dans la mare [3] en déclarant à la presse : “RTE m’annonce 33 milliards sur 15 ans. Dit comme ça, c’est non !”

La CRE vient de publier son projet de décision [4] sur l’augmentation des taxes liées au réseau, et notamment à cette restructuration

Et ce ne sera pas 33 milliards d’euros, mais 102 milliards pour les réseaux, puisque Enedis doit aussi restructurer le sien, soit 33 milliards sur 15 ans pour RTE et 69 milliards pour Enedis. 

Grosso modo [5] la production représente le tiers du prix du kWh, un tiers représentant les taxes et le dernier tiers représente les coûts d’acheminement. L'acheminement est financé par le Tarif d'Utilisation des Réseaux Publics d'Électricité (TURPE).

Le TURPE (6) entrera en vigueur pour 4 ans dans nos factures le 1er août 2021.

Mise à jour du 09 janvier

Pour comparaison, le TURPE 3, retenu en 2009 et qui présentait déjà une augmentation moyenne de 40% par rapport au précédent, ne retenait que 11,9 Md€ pour ERDF (aujourd'hui Enedis) et 4,7 Md€ pour RTE, dont seulement 1,4 Md€ pour le renouvellement du réseau.

Un budget de 1,7 Md€ y est également mentionné pour un programme à long terme de sécurisation du réseau de transport à la suite de la tempête de 1999. Ce programme devant s'achever en 2017 en ayant fini par coûter 2,8 Md€, l'enveloppe du TURPE étant réévaluée chaque année.

Ce rappel n'ayant pour objet que de montrer le changement d'échelle avec les investissements devenus nécessaires pour l'intégration des EnR. 

Mise à jour du 23 février 2024 

En attendant TURPE 7

Dans ses éléments de prospective à 2050, Enedis a chiffré les coûts de raccordement des énergies renouvelables selon les scénarios. Ils vont de 1,5 à 2 milliards d'euros par an dans un scénario de continuité à 6-8 milliards d'euros par an sur la période 2020-2050 en cas de fort développement des EnR.

Tandis que RTE évoque 100 milliards d'euros d'ici 2040

https://actuenergie.fr/flash-actus/rte-prevoit-un-investissement-de-100-milliards-deuros-dici-2040-pour-assurer-le-transport-delectricite/

A ces 102 milliards de notre nouveau TURPE 6, on peut accoler les 121 milliards de surcoût estimés par la Cour des Comptes pour les tarifs d’achat et compléments de rémunération des seuls contrats d’EnR passés avant 2018. Depuis le 1er janvier 2021 leur financement sera plus discrètement affecté au budget général de l'Etat dans un unique programme composé de ces charges, le programme 345 « Service public de l’énergie » dans son nouveau périmètre [6].

Demain on rase gratis

En 2007, le représentant du Syndicat des énergies renouvelables (SER) annonçait devant le Sénat [7] :

« En tablant sur une augmentation régulière des prix de 5 %, la contribution à la CSPE s'avère positive jusqu'en 2015. Les consommateurs seront donc obligés de payer plus cher pour le développement de l'éolien. Ensuite, la contribution devient négative. Les producteurs éoliens génèrent alors une rente pour la collectivité ».

Tout se passe comme si la quantité d’énergie renouvelable imposée au réseau avait un statut sacré, quel qu’en soit le prix à payer, quelles qu’en soient les conséquences pour le réseau, quels qu’en soient les risques pour le système électrique.

La fuite en avant

Chaque maillon de la chaine a mission de montrer qu’il est faisable d’en injecter toujours plus. Sans qu’à aucun moment il ne paraisse envisageable de juger de la pertinence d’un dogme du siècle dernier et dont plus personne en France ne semble se souvenir de ce qu’on en attendait au juste.

Épilogue : mise à jour du 8 janvier à 19h30

A l'heure où cet article venait d'être publié, le gestionnaire européen Entsoe informait d'un incident sur le système électrique européen qui a amené la coupure du réseau en 2 zones distinctes pour éviter un blackout généralisé et préserver la stabilité de "la plupart des pays européens".

RTE a participé aux efforts en déconnectant les "industriels interruptibles".

L'enquête est en cours sur les causes de l'incident.

En tout état de cause celui-ci doit évoquer l'inconvénient de l'extension du réseau vers des zones instables tout en se privant de l'inertie des grosses machines tournantes des centrales conventionnelles qui en fait les seules à permettre une stabilité dynamique au réseau. 

(Source Georges SAPY et Patrick MICHAILLE)

L'équilibre du réseau est fragile, et dans son excellente vidéo, RTE confesse que « Plus la part d’EnR est grande, plus cet équilibre est fragile. Leur introduction est un vrai challenge que RTE devra relever » Notamment via le projet européen MIGRATE, encore au stade expérimental.

Dans cette vidéo, RTE ne cache pas la difficulté de cette intégration.


Celle-ci a vocation à refouler toujours plus loin un courant toujours plus indésirable localement vers des zones toujours moins stables.

Sans présumer des risques de cette fuite en avant, gageons qu'elle ne sera pas gratuite.

1 http://lemontchampot.blogspot.com/2020/11/leolien-une-energie-locale.html

2 https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwi2ssXOj6PtAhUjyYUKHRJODC0QFjABegQIBBAC&url=https%3A%2F%2Fwww.concerte.fr%2Fsystem%2Ffiles%2Fdocument_travail%2F2020-04-28-GT8-Fonctionnement-du-systeme-electrique-Document-de-cadrage.pdf&usg=AOvVaw3yeqRjN2xerj_HrQdRjemR

3 https://lenergeek.com/2020/01/24/cre-plan-modernisation-rte-reseau-electrique/

4 https://www.cre.fr/Actualites/la-cre-publie-ses-projets-de-decisions-sur-le-futur-tarif-d-utilisation-des-reseaux-d-electricite-turpe-6

5 https://prix-elec.com/energie/comprendre/turpe

6 http://lemontchampot.blogspot.com/2019/04/la-cspe-ou-les-3-cspe.html

7 https://www.senat.fr/rap/r06-357-2/r06-357-212.html