vendredi 26 février 2021

Le retour de la belle Arlésienne

 Le retour de la belle Arlésienne *

Jean Pierre Riou 

* Arlésienne : Personne ou chose dont on parle beaucoup mais qui ne se montre jamais

Exemple : le CO2 évité en France par les éoliennes

Un précédent article, intitulé « l’Arlésienne », s’était efforcé de montrer, chiffres en mains, que l’évolution des émissions de CO2 du secteur de production d’électricité en France avait conservé STRICTEMENT la même proportion d’origine thermique depuis 1990. Et que l’évolution des émissions de CO2 était liée, à la baisse, à celle des technologies employée, et, à la hausse, au manque d’optimisation des régimes de ces technologies, sans que ce second facteur ne soit d’ailleurs jamais pris en compte.

Ce qui peut sembler contradictoire avec certains bilans et projections de ces émissions.

En effet :

Dans la procédure judiciaire qui leur ont permis de faire condamner l’État français pour inaction climatique, les requérants viennent de produire un rapport complémentaire établissant que la France ne suit pas la trajectoire qui lui permettrait de respecter ses engagements.

Ce rapport de Carbone4 montre notamment la trajectoire des émissions du secteur de production d’énergie.

Selon les chiffres du ministère, le secteur de l'énergie aurait émis 45,8 MtCO2eq en 2019 (dont 44,2 Mt de CO2) sur un total de 440,6 Mt. 

Soit 10,39% des émissions totales (hors importations).

La production d’électricité ne représente que 46% de ces émissions

Le rapport rappelle, en effet, que les émissions de la production d’énergie comprennent celles qui relèvent de sa transformation, c'est-à-dire les émissions des raffineries, cokeries, et de la production de chaleur par le chauffage urbain ou l’incinération des déchets.

Expliquant en même temps la raison pour laquelle ces émissions représentent le double de celles annoncées chaque année par RTE pour la production d’électricité, notamment 23,1Mt de CO2 en 2015 et non les 47 Mt du graphique. 


Or les raffineries françaises connaissent un « inexorable déclin » accompagné de fermetures successives de sites. Et, sans surprise, d’une réduction sensible de leurs émissions.

(Source Statista)

Les fermetures ont continué depuis, avec celle du site de Grandpuits en octobre 2020, qui fut accompagnée, comme chaque fois, de plan social et de manifestations. 

Comble d’ironie, l’abandon du pétrole et sa reconversion, prévue par Total, en production d’agrocarburants a été vigoureusement dénoncée par des militants écologistes des Amis de la Terre et des adhérents Europe Écologie-Les Verts (EELV).

Les investissements imposés pour réduire les émissions réduisent également les besoins en coke, ainsi que l’a annoncé ArcelorMittal en envisageant la fermeture de la cokerie de Florange dès 2022 au lieu de 2032. 

Le rapport Carbone4 attribue ainsi 46% des émissions de l'industrie de l'énergie à la production d'électricité et en illustre, ci dessous, l'évolution depuis 1990.

(Source Carbone4)


En tout état de cause, il apparaît que ce n’est pas en se focalisant sur la production d’électricité qu’on peut comprendre les raisons de cette évolution depuis 1990, malgré l’achèvement jusqu’alors encore incomplet du parc nucléaire français.

C'est pourquoi une corrélation trompeuse entre la réduction des émissions du secteur de l’énergie et le développement des énergies renouvelables reste de nature à donner corps à notre belle Arlésienne, celle dont tout le monde parle mais qu’on ne voit jamais : 

la quantité de CO2 réputée évitée par le développement à marche forcée des éoliennes françaises.

 

 

dimanche 21 février 2021

Quand le froid est là

Quand le froid est là

Jean Pierre Riou

Une vague de froid historique vient d'affecter les États-Unis mi-février.

Le Financial Times en a illustré la rigueur.


Des millions d’Américains ont alors souffert de coupures de courant dans de nombreux États. Le système électrique texan a été le plus affecté, en raison de son manque d’interconnexions et d’adaptation à de telles températures.

Alors que ce froid polaire entraînait un record de consommation, la production de gaz s’est effondrée à cause du gel et des incidents affectaient les centrales à charbon.

Le réacteur South Texas1 a arrêté sa production à cause d’un problème d’alimentation en eau. Selon le Washington Examiner, la raison en est que l’alimentation de cette centrale n’avait pas été prévue pour affronter de telles températures. Après son arrêt automatique du 15 février, le réacteur n’est revenu sur le réseau que le 17, tandis que South Texas 2 avait conservé 100% de taux de charge durant la période, ainsi que les 2 autres réacteurs de la Région.

Quatre millions de Texans ont subi de longues coupures tournantes de courant et notamment d’eau potable, par manque d’alimentation électrique des installations de désinfection.

La situation s’est prolongée du 15 au 18 février, où les températures se sont enfin adoucies.

La production des 25 GW éoliens s’est effondrée à 2,6% de leur puissance installée au pire moment de la crise, en raison de l’absence de vent aggravée par le givre qui a paralysé de nombreuses éoliennes pour lesquelles on n’avait pas mieux anticipé ces températures glaciales.

D’après l’AIE, leur défaillance n’a pas été déterminante dans la faillite du système électrique pour la raison … qu’on ne comptait que sur 6 GW sur les 25 installés, même si la moyenne de 3 GW effectifs du 15 février est tombée à 0,65 GW au moment fatidique.

La gravité de la situation texane durant ces 3 jours doit interpeller les pouvoirs publics afin qu’ils nous en mettent à l’abri.Chacun n’en tirera, bien sûr, que les enseignements qui conforteront ses convictions.

Mais du moins le retour d’expérience doit amener à se poser les bonnes questions.

Quelles températures ?

Le premier enseignement est que le réchauffement global ne doit pas conduire à imaginer qu’un froid polaire ne peut définitivement plus s’abattre sur la France. Les différentes oscillations de l’Atlantique Nord doivent nous le confirmer. Ce froid n’entraîne pas seulement une augmentation de la consommation, mais risque d’affecter certains moyens de production. La baisse de la production éolienne semble notamment corrélée avec celle des températures


 

(Source S. Zaka)
 

Quelles interconnexions ?

Si le Texas ne disposait pas d’interconnexions suffisantes avec les régions voisines, celles-ci ont majoritairement connu le même déficit au même moment et auraient été dans l’incapacité de lui venir en aide. L’AIE mentionne en effet des coupures similaires sur le Southwest Power Pool (SPP), (parties del’Oklahoma, de l'Arkansas, du Missouri, du Kansas, du Nebraska et du Dakota du Sud,) et le Midcontinent ISO (MISO), (touchant la Louisiane, le Missouri, l'Illinois, l'Indiana, le Michigan, le Wisconsin, le Minnesota, l'Iowa et le Dakota du Nord). Le nord du Mexique ayant également procédé à des coupures pour 5 millions de clients.

Quelle sécurité ?

Si le propos de notre Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) est de ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier pour raison de sécurité, il apparaît clairement que le panier des EnR est trop largement percé pour prétendre participer à toute sécurisation de ce type.

Car si la sécurisation de l’alimentation en eau du réacteur South Texas 1 aurait pu être anticipée, rien ne saurait empêcher l’absence de vent de se reproduire. Et les 5 GW nucléaires ont assuré bien davantage de courant que les 25 GW éoliens, malgré l’arrêt de South Texas 1 le soir du 15 février, quand le vent est tombé et que le soleil était couché.


(Source New York Times)

 Quelles technologies ?

La faillite de l’approvisionnement en gaz aurait pu être anticipée et évitée. Car le froid ne pose pas de problème en Russie qui l’affronte régulièrement. Ce qui ne remet pas en question le projet allemand de sortir du charbon et du nucléaire grâce à lui et au projet Nord Stream 2 qui divise l’Europe.

La seule question qui se pose à la France est celle du remplacement à long terme de ses réacteurs nucléaires. Car c’est en termes de puissance PILOTABLE installée que la question se pose aujourd’hui, et non en quantité d’éoliennes intermittentes, d’autant que celles que nous avons financées jusqu’alors seront hors d’usage d’ici là.

En tout état de cause, la violence de l’expérience texane doit rappeler aux décideurs leur responsabilité dans la sécurisation de notre système électrique.

mercredi 10 février 2021

Financement de l'énergie éolienne

 Le financement de l'énergie éolienne

Jean Pierre Riou

L’obligation d’achat

La version actuellement en vigueur (février 2021) de l’Article L314-1 du code de l’énergie fait obligation à Électricité de France (EDF) – ainsi qu’aux entreprises locales de distribution chargées de la fourniture (ELD) si les installations de production sont raccordées aux réseaux publics de distribution dans leur zone de desserte – de conclure, lorsque les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l'achat de l'électricité produite sur le territoire national par les installations dont la liste et les caractéristiques sont précisées par décret et notamment par les énergies renouvelables (EnR). 

Errata : mise à jour du 17/02/2021

Depuis sa première version (juin 2011) cet article du code de l'énergie renvoie son application concernant l'éolien industriel à l'Article D314-15

Qui précise : en application de l'article L. 314-1, les producteurs qui en font la demande bénéficient de l'obligation d'achat d'électricité pour les installations de production d'électricité suivantes :  

2° Les installations utilisant l'énergie mécanique du vent implantées à terre, à l'exception de celles implantées en Corse. 

Mais cette disposition a été abrogée par le décret du 28 avril 2017 qui ne la maintient que pour :  

11° Les installations utilisant l'énergie mécanique du vent situées dans des zones particulièrement exposées au risque cyclonique et disposant d'un dispositif de prévision et de lissage de la production 

Les charges induites

Le tarif privilégié de ces contrats entraîne des charges supplémentaires à EDF (et aux ELD) dont le montant est évalué chaque année par la Commission de régulation de l’énergie.

Pour évaluer ces charges, la CRE publie ses analyses de la valeur du coût évité par l’énergie ainsi achetée et la déduit du montant total engagé par EDF.

La CRE publie en juillet de chaque année une délibération dans laquelle elle évalue le total de ces charges pour l’année précédente ainsi que leur prévision pour l’année suivante.

L’annexe 1 de cette délibération rend compte de la quantité d’électricité achetée "sous obligation d’achat" en GWh et son coût constaté l’année précédente, en M€ pour chaque filière, et sa prévision concernant l’année suivante. 

Son tableau récapitule également  le coût d’achat unitaire en €/MWh de chaque filière, à la fois constaté l’année précédente et prévu pour l’année suivante.

Le tableau le plus récent (juillet 2020) est reproduit ci-dessous.

 

Et montre que la CRE a constaté un coût d’achat unitaire moyen de 92,7 €/MWh pour l’éolien en 2022, et en chiffre la prévision 2024 à 100,8 €/MWh. (Et 187,9 €/MWh pour l'éolien en mer)

Cette moyenne concerne la totalité des contrats d’EDF OA (obligation d’achat) qui assume notamment le suivi de pas moins de 6 types de contrats éoliens, selon la date de leur signature, et de 3 types de contrats d’appels d’offre

 
Le législateur rappelait, notamment en 2014 (article 6) que "chaque contrat d'achat comporte les dispositions relatives à l'indexation des tarifs qui lui sont applicables" cette indexation s'effectue chaque année en fonction de l'indice du coût horaire du travail et de l'indice de prix de production de l'industrie française. Cette indexation explique que la moyenne du coût d'achat unitaire du MWh éolien soit supérieure aux 82€/MWh qui représentait la rémunération maximum des tarifs antérieurs aux compléments de rémunération.

Actualisation de la rémunération

Le guichet ouvert : 74€/MWh (+ 2,8€)

L’arrêté du 6 mai 2017 encadre le complément de rémunération des installations de 6 aérogénérateurs maximum. Son tarifs de base est de 74€/MWh pour des rotors de 80 m maximum de diamètre et 72€/MWh à partir de 100 m, avec interpolation linéaire entre ces 2 valeurs.

Pour éviter une rentabilité excessive aux sites les mieux situés, l’arrêté prévoit un plafond annuel, au dessus duquel la rémunération tombe à 40€/MWh.

Pour autant, dans son avis sur le projet d’arrêté, la CRE considère : « Le plafonnement n’a par ailleurs que des effets limités. Il écrête la rentabilité de 0,2 points en moyenne et ne permet pas d’éviter les rentabilités excessives sur l’échantillon considéré ».

Une rémunération excessive

Dans ce même avis, la CRE mentionne le revenu supplémentaire d’une prime de gestion de 2,8€/MWh.

En effet, l’article R 314-41 du code de l’énergie assure l’octroi de cette prime unitaire destinée notamment à compenser les « coûts forfaitaires des écarts liés à la différence entre l'électricité réellement produite et la prévision de production ». Et prévoit qu’elle soit versée mensuellement.

L’arrêté du 6 mai 2017 a été modifié par celui du 30 mars 2020, notamment au sujet des renouvellements de parcs existants. Et ajoute par ailleurs une condition supplémentaire à l’article 5 : « 9° Un engagement sur l'honneur à ce que l'installation ne reçoive pas de soutien provenant d'autres régimes locaux, régionaux, nationaux ou de l'Union. »

Il était d’autant plus temps, 20 ans après l’arrêté du 8 juin 2001, de prendre ainsi ce recul nécessaire à l’affectation de l’argent public que selon le Ministère, la règlementation européenne précise : « si un État entend cumuler plusieurs aides différentes en faveur d’une seule dépense éligible, l’intensité maximale admissible est appliquée à l’égard du montant cumulé des aides. » Et que ces aides « doivent être transparentes(…) c’est-à-dire être accordées soit sous forme de subventions ou de bonifications d’intérêts, soit sous forme de prêts, de régimes de garanties et de mesures fiscales respectant certaines conditions. »

Tandis que dans son avis du 24 juillet 2019, la CRE réitérait ses inquiétudes quant au niveau de la rémunération en écrivant : « De tels niveaux de rentabilité ne semblent pas conformes aux dispositions du code de l’énergie, qui prévoient que « le niveau [du] complément de rémunération ne peut conduire à ce que la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les recettes de l'installation et des aides financières ou fiscales, excède une rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à ces activités ». La CRE recommande donc de revoir à la baisse le niveau de tarif ».

L’art. 11 de l’arrêté du 6 mai 2017 garantit la rémunération pour 20 ans

Rémunération lors de prix négatifs

L’annexe de l’arrêté du 6 mai 2017 (téléchargée sur le texte de l'arrêté en vigueur mis à la date du 1er juin 2021) précise en 7° : 

Au-delà des 20 premières heures, consécutives ou non, de prix spots strictement négatifs pour livraison le lendemain constatés sur la bourse de l’électricité EPEX Spot SE pour la zone France, une installation qui ne produit pas pendant les heures de prix négatifs reçoit une prime égale à Primeprix négatifs, définie ci-dessous :

Primeprix négatifs = 0,35.Pmax. T . nprix négatifs

Formule dans laquelle : - T est le tarif de référence (Te) défini au II de cette annexe, exprimé en €/MWh ; - nprix négatifs est le nombre d’heures pendant lesquelles les prix spots pour livraison le lendemain sur la plateforme de marché organisé français de l’électricité ont été strictement négatifs au delà des 20 premières heures de prix négatifs de l’année civile et pendant lesquelles l'installation n'a pas injecté d'énergie.

Ce qui signifie qu’une éolienne qui ne produit pas est alors rémunérée sur la base d’un facteur de charge de 35%.

Éolien en mer

Le cahier des charges des TOA éolien en mer validé par la DELIBERATION N°2023-74 de la CRE prévoit notamment pour les éoliennes flottantes bretonnes que :
Le producteur ne reçoit pas de complément de rémunération lorsque les prix spot sont strictement
négatifs. Au-delà des 40 premières heures de prix négatifs, le cahier des charges prévoit toutefois le
versement d’une prime, sous réserve que l’installation ne produise pas durant les heures de prix
négatifs. Cette prime est calculée de la manière suivante :
Prime prix négatifs = 0,7 x Pmax x T x n prix négatifs
Au sein de cette formule, Pmax correspond à la puissance de l’installation et T au tarif de référence
susmentionné.
Le nombre d’heures de prix négatifs, nprix négatifs, est comptabilisé à partir de la 40 ème heure
présentant un prix spot négatif.
Soit sur la base d'un facteur de charge de 70%

Les données ministérielles font état de 11 heures de prix négatifs en 2018, 27 heures en 2019 et 102 heures en 2020, et 149 heures en 2023 soit plus de 100 heures pendant lesquelles les éoliennes ont été rémunérées sur la base d'un facteur de charge de 35% ou 70% pour ne pas produire

Les appels d’offres de l’éolien terrestre 59,5€/MWh (+2,8€ + 1 à 3€)

Les installations de plus de 6 mâts ou comprenant au moins 1 aérogénérateur de plus de 3 MW ou encore, selon la CRE« pouvant justifier d’un rejet, adressé par EDF, d’une demande de contrat de complément de rémunération au titre de l’article 3 de l’arrêté du 6 mai 2017 », dépendent du régime des appels d’offre. Le Ministère donne la liste des lauréats ainsi que le prix d’achat retenu lors du dernier d’entre eux, qui est de 59,5€/MWh.

La CRE mentionne « qu’une majoration allant de 1 à 3€/MWh du prix de référence proposé est accordée si le candidat s’engage dans son offre à recourir au financement participatif ou à l’investissement participatif »

Dans sa délibération du 13 février 2020 « portant décision relative à l’instruction des dossiers relatifs à la 5ème période d’appel d’offres », la CRE établit à 2,8 €/MWh le montant de la prime de gestion concernant ces appels d’offre.

 

La cannibalisation du système

Entre promesses …

Ces aides d’État, réputées se réduire et permettre à des technologies nouvelles de devenir compétitives dans un marché concurrentiel tout en respectant des Directives européennes, tardent malheureusement à tenir leurs promesses.

En 2007, le représentant du Syndicat des énergies renouvelables (SER) annonçait devant le Sénat [7] :

« En tablant sur une augmentation régulière des prix de 5 %, la contribution à la CSPE s'avère positive jusqu'en 2015. Les consommateurs seront donc obligés de payer plus cher pour le développement de l'éolien. Ensuite, la contribution devient négative. Les producteurs éoliens génèrent alors une rente pour la collectivité ».

… et réalité

L’étude conjointe IEA/NEA sur les coûts de production de l’électricité constate malheureusement que « Les valeurs énergétiques simulées saisissent également l'ampleur des effets de cannibalisation à mesure que la part des énergies renouvelables variables augmente, l'expansion des énergies renouvelables variables réduisant leur propre valeur marchande ». Elle explique ainsi l’effondrement du cours du MWh qui a amené la France, 25 fois 1er exportateur mondial sur ces 30 dernières, à avoir exporté ses flux physiques d’électricité au prix moyen de 30,05€/MWh en 2020, d’après les douanes françaises.

En d’autres termes, le développement des EnR, parallèlement à la baisse apparente de leur tarif d’achat, entraîne une baisse de la valeur de leur production, qui augmente d’autant le montant du complément de rémunération destiné à leur garantir le revenu convenu.

Cette cannibalisation compromet toute concurrence non subventionnée dans un marché supposé ouvert et non biaisé. Ce qui est particulièrement préjudiciable à la filière nucléaire qui exige une vision et des investissements de long terme et tend à son remplacement par des moyens thermique

La priorité d’accès

L’article 16 de la Directive européenne 2009/28/CE stipule :

b) les États membres prévoient, en outre, soit un accès prioritaire, soit un accès garanti au réseau pour l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables

En décembre 2019, l’Office franco allemand pour la transition énergétique produisait une note de synthèse sur les cadres réglementaires du statut prioritaire accordé aux énergies renouvelables aux niveaux européen, et notamment Le nouveau règlement de l’UE sur le marché de l’électricité qui limite la priorité accordée aux nouvelles installations de moins de 400 kW.

Dans la mesure où cet Office tient ses bureaux dans les locaux du Ministère dont il reçoit des subventions, on peut regretter pour l’éclairage du débat public que cette note de synthèse soit réservée à ses adhérents.

Pour autant, la refonte de la Directive à travers la Directive 2018/2001 ne mentionne plus cette priorité d'accès des EnR sur le réseau en laisse la réglementation au choix des États.

Le merit order effect

La CRE décrit ainsi le phénomène : « La baisse des LCOE des ENR jusqu’à des niveaux inférieurs à la production thermique et au prix de marché moyen ne signifie pas que les subventions et mécanismes de soutien deviennent superflus. Cela s’explique par le « Merit Order Effect » : les ENR étant des moyens de production à coût marginal nul, les périodes de forte production ENR connaissent des prix sur le marché de gros en moyenne inférieurs au prix spot moyen, et qui peuvent devenir nuls ou négatifs avec une fréquence qui croit avec la proportion de production ENR fatale ».

La dette

C’est pourquoi, au lieu de la « rente » espérée, la Cour des Comptes a chiffré à 121 milliards d’€ les charges relatives aux seuls contrats des EnR électriques (+ biométhane injecté) engagés avant 2018, sans préjudice des sommes déjà affectées à ces charges auparavant pour le soutien des contrats en question.

Le remboursement de ces charges à EDF, affecté à l’origine à la taxe CSPE (Contribution au service public de l’énergie), et dont l’augmentation rapide était visible sur les factures d’électricité sera désormais enfoui dans le budget général de l’État, ainsi que l’article La CSPE ou les 3 CSPE rappelle l’historique de son affectation.

Les coûts annexes

Le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité(Turpe) représente le tiers des factures.

Le Turpe 6 entrera en vigueur, pour 4 ans, le 1er aout 2021. Il intégrera les sommes nécessaires à la restructuration du réseau pour lui permettre d’accueillir l’augmentation des EnR. La CRE a entériné les 33 milliards d’€ pour RTE et les 69 milliards pour Enedis prévus sur 15 ans à cet effet, ainsi que c’est développé dans « Le Turpe nouveau est arrivé ».

Pour éclairer le débat public

En premier lieu, le ministère justifie son soutien financier aux EnR « compte tenu du coût encore supérieur au prix de marché des énergies renouvelables, leur déploiement ne pourrait pas se faire sur le seul critère de compétitivité dans un fonctionnement de marché »

Parmi ces aides, le ministère mentionne les dispositifs fiscaux.

D’autre part, à la lecture du jugement du Tribunal administratif de Paris, condamnant pour inaction climatique l’État français, auquel les requérants reprochaient une part insuffisante d’EnR à cet effet, nous apprenons que dans un mémoire destiné à rester confidentiel, la Ministre de l’écologie aurait fait valoir qu’« en ce qui concerne l’objectif d’augmentation des énergies renouvelables, celui-ci est indépendant de celle des gaz à effet de serre ».

En tout état de cause, le lien de cause à effet entre développement des EnR et les objectifs climatiques de la France par la décarbonation d’un parc électrique qui l’est déjà depuis ¼ de siècle est, en effet, pour le moins controversé.

En toute logique, des raisons électorales amènent les élus à laisser une large place au débat public dans l’avenir énergétique du pays.

Pour permettre un débat éclairé, la totalité des avantages financiers accordés aux EnR, quelle qu’en soit la forme, doit pouvoir être aussi clairement que possible mise en regard des avantages et inconvénients objectivement attendus pour le système électrique national.

Le reste n’est que publicité trompeuse.


vendredi 5 février 2021

Nord Stream 2 : La véritable histoire d'un rapport de force


Le doublement du gazoduc qui relie la Russie à l’Allemagne a divisé durablement l’Europe. Le rappel de son histoire est nécessaire pour envisager l’avenir, et réfléchir à 2 fois avant de miser trop gros sur le gaz.

La crise ukrainienne

En mars 2014, la Commission européenne décidait l’adoption de mesures restrictives vis-à-vis de la Russie en réponse à ses menaces sur l’intégrité de l’Ukraine. Ces restrictions ont été prolongées par rien moins que 64 décisions successives concernant leur renforcement et l’évolution des sanctions.

Malgré les postures indignées, aucune sanction européenne n’a encore visé la construction du gazoduc Nord Stream 2 qui menace pourtant de spolier l’Ukraine des revenus de son droit de transit par Nord Stream 1, et de diviser l’Europe, au point d’amener Kiev à solliciter des sanctions américaines contre ce projet qui dresse également contre lui les Pays Baltes et la Pologne.

Sanctions européennes et ambigüité allemande

L’affaire Navalny vient d’envenimer la situation, et amener Paris et Berlin à réclamer de nouvelles sanctions contre la Russie, qui évitent toutefois de viser le gazoduc. Leur appel sera suivi par de nouvelles mesures ciblées de la Commission, le 15 octobre.

Ce 21 janvier, le Parlement européen a mis les pieds dans le plat en exigeant l’arrêt immédiat des travaux du gazoduc Nord Stream 2. Faisant immédiatement réagir la ministre allemande de l’environnement Svenja Schulze qui s’est inquiétée de l’augmentation des besoins de gaz de l’Allemagne pour réussir sa sortie du charbon et du nucléaire, et la nécessité de doubler sa liaison avec la Russie du gazoduc Nord Stream, par le projet si controversé Nord Stream 2. Elle volait au secours du projet dont la suppression menacerait, selon elle, la solidité du processus constitutionnel de sa décision et exposerait l’Allemagne à des poursuites judiciaires.

Les sanctions américaines

Il y a tout juste un an, les sanctions américaines visant les entreprises impliquées dans la construction du gazoduc avaient amené la société Allseas, chargée de poser les tubes, à se retirer immédiatement du projet, gelant ainsi l’avancée des travaux pourtant presque terminés. La reprise du chantier par des bateaux russes, en décembre dernier s’est accompagnée d’un durcissement des sanctions américaines à l’égard de tout participant au projet. Celles-ci ont été intégrées au titre du « Protecting Europe’s energy security act (PEESA) » dans le budget de la défense 2021 (National Defense Authorization Act for Fiscal Year 2021), qui a été adopté avec une large majorité le 1er janvier 2021, malgré le véto, alors systémique de D. Trump.

Par sa section 6231 “Clarification and expansion of sanctions relating to construction of Nord Stream 2 or TurkStream pipeline projects”, ses dispositions prolongent et renforcent les sanctions existantes.

Ces sanctions ont amené de nombreuses entreprises à quitter précipitamment le projet sitôt son redémarrage, notamment le groupe d’assurance Zurich AG.

L’opposition polonaise

En octobre 2020, la Pologne, opposée au projet, avait infligé une amende de 6,5 milliards d’euros à Gazprom pour ce projet qu’elle voit comme une menace pour la sécurité énergétique européenne. Un an plus tôt, elle avait déjà condamné le français Engie à 40 millions d’euros d’amende pour avoir “refusé, de manière répétée et sans fondement légal”, de lui communiquer les documents nécessaires à l’instruction de ce contentieux, qui pourrait aboutir à une nouvelle condamnation, puisque Engie participe au financement du gazoduc avec 4 autres énergéticiens européens (Uniper, Wintershall, OMV, et Shell).

Le rouleau compresseur russe

Lire la suite dans Économie Matin ....... 

http://www.economiematin.fr/news-nord-stream2-gaz-geopolitique-allemagne-russie-france-pouvoir-energie-riou

mercredi 3 février 2021

Dont acte

Dont acte

Jean Pierre Riou

Ce mercredi 3 février, le Tribunal administratif de Paris vient de condamner l’État français à verser aux 4 associations :  Oxfam France, Notre Affaire À Tous, Fondation pour la Nature et l’Homme et Greenpeace France, la somme d’un euro chacune en réparation de leur préjudice moral.

Dans son jugement, le Tribunal laisse un supplément d’instruction de 2 mois  "afin de soumettre les observations non communiquées des ministres compétents à l’ensemble des parties, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement" avant de statuer sur son injonction à "prendre toutes les mesures permettant d’atteindre les objectifs que la France s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre".

On notera que les associations avaient soutenu "que l’objectif d’augmentation des énergies renouvelables est l’un des principaux leviers pour réduire les gaz à effet de serre, or le retard accumulé ne permettra pas d’atteindre l’objectif contraignant de 23% en 2020", mais que le Tribunal s'est contenté de statuer sur les résultats mais à aucun moment sur cette carence concernant les énergies renouvelables.

Il faut dire que "par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2020, la ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête en soutenant notamment que ... en ce qui concerne l’objectif d’augmentation des énergies renouvelables, celui-ci est indépendant de celle des gaz à effet de serre ... »

Cela allait sans dire [2] mais ça va tellement mieux en le disant ! 

Selon une source proche du dossier [3], l’État aurait choisi de ne pas rendre ce mémoire public. Ce qui se conçoit parfaitement.



paris.tribunal-administratif.fr/content/download/179360/1759761/version/1/file/1904967190496819049721904976.pdf

2 http://lemontchampot.blogspot.com/2020/11/larlesienne.html  

3 https://www.oxfamfrance.org/wp-content/uploads/2020/06/ADS-DP-25-juin-2020.pdf