samedi 16 mai 2020

Intermittence et charbon

Évolution des capacités électriques installées en Europe


Où il apparaît que le backup de l’intermittence remplace un charbon par un autre

Jean Pierre Riou et Bernard Durand
Selon les statistiques  Enerdata, la consommation électrique européenne est relativement stable depuis une dizaine d’année, avec 1,7% d’écart entre notamment  3386 TWh en 2008 et 3396 TWh et 2017,.
Cette consommation a peu augmenté depuis 2000 où elle n’était que de 2952 TWh.

La stabilité des incontournables moyens pilotables
Entre 2000 et 2012, les capacités pilotables installées ont progressé de 13%, c'est-à-dire strictement dans la même proportion que cette évolution de la consommation.
Le tableau ci-dessous récapitule les données Eurostat sur l’évolution de ces capacités et montre que non seulement  le formidable développement des énergies intermittentes n’a pas permis la fermeture de la moindre capacité pilotable installée depuis 2000, mais s’est accompagné d’une augmentation de 53,6 GW de celle-ci.
Source https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=File:Maximum_electrical_capacity,_EU-28,_2000-2017_(MW).png

Pour autant, depuis 2012, on assiste à une légère érosion de ces moyens pilotables, avec une réduction de 38,6 GW.
Cette érosion, pour faible qu’elle soit, a été dénoncée le 10 octobre 2018, par les 10 principaux électriciens européens en raison de la menace qu’elle fait peser sur la sécurité de l’alimentation électrique. Leur communiqué de presse mentionnait le risque de la fin de la solidarité européenne en cas de difficulté d’approvisionnement.
En effet, le gestionnaire du réseau européen ENTSO-E prévoyait, dans son Winter Outlook 2019/2020, que l’équilibre ne serait pas assuré en cas de période de froid rigoureux. Et montrait dans l’illustration de la situation que presque la moitié des pays membres (19 sur 43) risquerait alors de dépendre des importations au même moment, notamment en semaine 2 et 3 de janvier, où la France et l’Allemagne connaîtraient en même temps un déficit, importations comprises.

Le charbon caché de l’Union européenne
Cette érosion des moyens pilotables européens et l’augmentation de la part d’intermittence ont amené l’UE à renforcer la puissance de son réseau et développer notamment des interconnexions toujours plus lointaines pour évacuer ses surplus, mais aussi pour sécuriser son approvisionnement.

Le discret retour du charbon
Le système d’échange de quotas d’émissions de l’Union européenne (SEQU-UE) a pour objectif de favoriser la compétitivité des énergies non carbonées. Il concerne les 28 pays de l’UE plus Islande, Lichtenstein et Norvège.
Or l’UE renforce également ses interconnexions hors de ses frontières, vers des pays qui ne payent pas de taxe sur le carbone et où c’est le charbon le plus compétitif.
Selon le rapport Sandbag “Comment le charbon s’infiltre dans l’UE”, plus de 57 GW de centrales à charbon ont été récemment construites ou sont planifiées dans des pays connectés à l’Entsoe ou en passe de l’être, notamment 34 GW en Turquie. Une augmentation de 31% de ces capacités d’interconnexion est programmée avec des pays hors UE.
D’ici 2025, 5 nouveaux pays devraient être connectés à l’Entsoe : Égypte, Tunisie, Libye, Israël et Moldavie, aucun ne paye de taxe carbone.
Une taxe aux frontières semblerait nécessaire pour éviter d’inciter ces pays à produire plus de charbon pour alimenter l’UE, mais surtout, ces échanges doivent éclairer les maigres progrès de l’UE sur sa réduction de moyens pilotables, puisqu’elle se ménage ainsi une réserve de backup pour l’intermittence de sa production, tout en incitant ses voisins à construire de nouvelles centrales à charbon.

La fuite en avant
Dans le cadre de la coopération UE / Méditerranée l’Union européenne étudie une extension des interconnexions afin de permettre des échanges avec 15 voisins de l’UE, au Moyen Orient, Afrique du Nord et Balkans.
Les surplus indésirables des énergies intermittentes trouveront assurément d’autant plus de débouchés que leur valeur s’effondre jusque des taux négatifs dès que le vent souffle, ainsi que l’a dénoncé France Stratégie. Et l’U.E sécurisera, du même coup sa capacité à répondre aux besoins de sa consommation en feignant d’ignorer l’essor du charbon qu’elle suscitera.
La focalisation sur la quantité d’énergie renouvelable produite dans l’Union européenne, ou la part de celle-ci dans le mix électrique occultera assurément la simple délocalisation du problème.

L'excellent site Coal Tracker permet de visualiser un certain nombre de ces centrales à charbon actuellement en fonctionnement, en construction ou en projet.

La fragilisation
Cette mutualisation des problèmes laisse craindre une fuite en avant toujours plus lointaine vers des systèmes de moins en moins stables.
En effet, le système européen subit des déviations de fréquence auxquelles il doit remédier constamment, et qui sont provoquées par les réseaux serbe et kosovar, malgré les injonctions permanentes de l’Union Européenne et de l’Entsoe, qui menaçait déjà de sanctions en 2018 s’il apparaissait que tous les efforts n’étaient pas faits pour résoudre ce problème.
Après la chute de fréquence du réseau européen du 10 janvier 2020 qui a déclenché la procédure automatique de coupure d’alimentation des industriels « interruptibles » RTE a relevé parmi les causes cette déviation en provenance de la Serbie et du Kosovo.
 

Mise à jour du 16/09/2022

A la suite du Brexit, les statistiques européennes « Eurostat » n’ont plus inclus les données du Royaume-Uni dans celles de l’Union européenne. Elles précisent ne plus diffuser de nouvelles données pour le Royaume-Uni, ni par le biais de sa base de données ni dans d'autres produits de diffusion. Ajoutant que les outils et produits existants, produits avant le 1er janvier 2021, sont progressivement adaptés au fur et à mesure que de nouvelles éditions sont publiées.

 

C’est pourquoi les tableaux plus récents de l’évolution des capacités électriques installées dans l’UE démarrent désormais avec une puissance totale de 613 221MW en 2000 au lieu de 691 626MW dans sa version 2000-2017, la différence correspondant exactement à la puissance installée du Royaume Uni.

 

Le plus récent tableau Eurostat est reproduit ci-dessous :

(Pour une meilleure lecture, cliquer sur l’image)

La période 2017-2020 montre que la puissance totale a continué à augmenter, passant de 907,2 GW à 962,6 GW, mais marque une légère érosion des moyens pilotables.

Soit moins 15 GW pilotables de moins (fossile hydraulique géothermie et nucléaire) et 70,2 GW supplémentaires éolien et photovoltaïque.


Malgré une baisse de consommation attendue en raison de la crise sanitaire, le gestionnaire du réseau européen Entsoe annonçait alors une situation tendue dans plusieurs pays, avec un risque accru en France, malgré la reprogrammation des maintenances du parc nucléaire destinée à affronter l’hiver 2020-2021 dans les meilleures conditions.

Ainsi qu’il le décrit en préambule

Cette vulnérabilité française s'explique notamment par l'érosion particulière de la puissance de son parc pilotable, principalement par une réduction du fioul et du charbon, puis du nucléaire en 2020, avec la fermeture de Fessenheim.

En effet, celle-ci est passée de 117,716 MW installés en 2012 à 107,232 MW aujourd’hui, comme l'illustre l'infographie ci dessous reprise des bilans annuels de RTE


 Le grand écart franco-allemand
 
L'infographie ci-dessous montre l'évolution du parc de production allemand, selon les chiffres du Fraunhofer Institute.

 
Et illustre le fait qu'en 20 ans, l'Allemagne a réduit sa puissance pilotable installée de 6,89 GW en augmentant sa puissance intermittente de 116,56GW. 
Équivalent à une confiance de production garantie par l'intermittence de 5,9 %
Tandis que les 10,48 GW pilotables français supprimés depuis 2012 n'ont été compensés que par 20,92 GW intermittents.  
Tablant ainsi sur une garantie de disponibilité de 50 % !