dimanche 17 mars 2024

It’s wind o’clock !

 

It’s wind o’clock !

Jean Pierre Riou

La sécurité du système électrique à l’épreuve de l’éolien



Au moment précis où le gestionnaire du réseau britannique National Grid ESO annonçait un nouveau record éolien en titrant fièrement « It’s wind o’clock ! » le 9 aout 2019, la Grande Bretagne connaissait la pire panne électrique de son histoire pour un incident qui mettait en cause sa production éolienne. Cette désastreuse conjoncture est l’occasion de se pencher sur les conséquences à long terme du développement de l’éolien sur le réseau électrique européen.

Une précision d’horlogerie suisse

Au risque d’un écroulement en cascade de tout le système électrique, la fréquence du réseau européen doit être maintenue à tout instant à 50 Hz. Elle est observable notamment sur le site du réseau suisse Swissgrid qui fait état en temps réel des écarts de l’ordre de 0,01 Hz entre les principaux pays d’Europe, à partir de données horodatées à la microseconde près.

Cet équilibre résulte de la stricte adéquation entre la production et le soutirage de la consommation. Quand la production est inférieure à la consommation, les turboalternateurs des groupes de production ralentissent et la fréquence du réseau baisse. Ceux-ci  accélèrent, et la fréquence du réseau augmente dès que la production excède la consommation. Tous les appareils électriques de mesure du temps, hors GPS, fonctionnent grâce à la parfaite régularité de ces oscillations. Toute déviation prolongée de la fréquence de 50 Hz entraîne le déréglage de toutes les horloges européennes. Ce même site Swissgrid rend compte en temps réel de cet écart avec le temps universel (UTC), et de la consigne de fréquence donnée au réseau pour le compenser.

C’est ainsi qu’en mars 2018, la consigne européenne est restée plusieurs semaines à 50,01 Hz pour rattraper un décalage de 6 minutes sur le temps réel. Cette déviation provenait notamment du Kosovo, malgré les menaces répétées de l’UE qui l’enjoignait de régler ce problème. Le gestionnaire du réseau européen Entsoe mit ensuite en place une procédure permettant de compenser cette déviation dès qu’elle atteint 60 secondes, ou 6 secondes pendant plus de 4 heures.

Stabilité dynamique du réseau

Les groupes turbo-alternateurs, notamment ceux des centrales nucléaires qui pèsent plusieurs centaines de tonnes, tournent tous de façon synchrone à 50 Hz, c'est-à-dire, pour 1 paire de pôles, à 3000 tours/minute. L’inertie considérable créée par cette énorme masse en mouvement assure au réseau une stabilité dynamique par son réglage automatique et décentralisé de la fréquence, par sa résistance aux accélérations et la restitution de cette énergie lors des  ralentissements qu’elle contrecarre ainsi.

Par contre, ainsi que le note RTE dans « Futurs énergétiques 2050 », au chapitre7 sur la sécurité d’approvisionnement : « le développement des productions renouvelables connectées par de l’électronique de puissance conduit à une baisse de l’inertie du système électrique européen, rendant les déviations de fréquence plus rapides quand surviennent des aléas temps réel sur l’équilibre entre la production et la consommation. Pour maintenir le même niveau de stabilité de la fréquence qu’aujourd’hui les exigences sur la vitesse de réponse lors de l’activation devront être rehaussées ».

Selon RTE, cette difficulté soulève une question nouvelle qui devra être résolue pour permettre d’injecter une forte part d’énergies renouvelables. Ce défi représente un des 4 « prérequis » indispensables pour y parvenir. Les 3 autres étant la reconfiguration des réseaux de transport et de distribution, la mise en place de la flexibilité de la consommation  et l’augmentation des réserves opérationnelles. ( Figure 7.53 page 82).

En effet la réduction de cette inertie augmente la vitesse et l’amplitude des variations de cette fréquence à chaque aléa, avec le risque de déconnexions en cascade des unités de production par effet domino.  Le gestionnaire du réseau européen Entsoe étudie l’évolution de ce taux de changement de fréquence ou « Rate of Change of Frequency » (RoCoF).

RoCoF >1 Hs/s : le scénario noir

En mai 2017, l’Entsoe soulevait cette problématique du RoCoF qui était, selon lui, traditionnellement d’une importance mineure grâce à l’inertie dynamique des turboalternateurs des centrales conventionnelle, mais menace aujourd’hui la stabilité du réseau européen en raison de la diminution de cette inertie liée à leur remplacement par les énergies renouvelables.

Dans ses modélisations, l’Entsoe considère que tout écart supérieur à 1 Hz/s est ingérable et rapidement soldé par l’effondrement du réseau. Dans son rapport de décembre 2020 l’Entsoe avait montré que tous les événements transitoires avec RoCoF supérieur à 1 Hz/s  se sont terminés rapidement par l’effondrement du réseau, du fait de l’incapacité des régulations et des systèmes de protection à se déclencher à temps.

Dans une étude prospective du 6 décembre 2021 sur la stabilité de la fréquence des scénarios de long terme envisagés pour intégrer les énergies renouvelables ,l’Entsoe constate qu’en passant du scénario 2025 à 2040, on observe une augmentation du RoCoF attendu pour les sous-systèmes de toutes tailles, et que la valeur critique de 1 Hz/s sera dépassée dans un nombre significatif de cas. Une telle situation entraînant un risque « hautement vraisemblable» de blackout  sur la totalité de l’Europe continentale. Dans le cas d’un blackout de cette ampleur, l’absence, selon l’Entsoe, de tout réseau voisin « vivant » capable de restaurer le système compliquerait alors la tâche. Raison pour laquelle l’Entsoe conclut que des mesures urgentes doivent être prises.

Parmi ces mesures, L’Entsoe préconise la mise en service additionnelle d’un minimum de 500 GW seconde (GWs) d’énergie cinétique en 2025 et de plus de 2500 GWs en 2040. Ces valeurs d’inertie pouvant, selon lui,  être traduites en termes d’hypothétiques centrales conventionnelles par 100 GW supplémentaires avant 2025 et 500 GW en 2040, correspondant par exemple à 2000 unités de 250 MW supposées disposer chacune d’une constante d’inertie de 5 secondes. Pour comparaison, ces 500 GW supplémentaires représentent la moitié de la puissance de production  électrique installée dans l’Union européenne en 2017, renouvelables compris.

It’s wind o ‘clock !

Le 9 août 2019, RenewableUK annonçait un nouveau record éolien sur Twitter [1] avec 47,6% de la production britannique. Notons d’ailleurs que les données consolidées font même état de 49,9% à ce moment. A 17 heures, le gestionnaire du réseau, National Grid ESO, relayait fièrement cette information en titrant « It’s wind o’clock ! » [1]  au moment précis où la foudre provoquait sur le système national de transport d'électricité une « panne de routine », immédiatement corrigée.

Mais l’effet domino qui s’en est suivi a entraîné un blackout affectant plus d’1 million de Britanniques, ainsi que l’aéroport, les trains, la distribution d’eau et les hôpitaux, notamment celui d’Ipswich dont les générateurs de secours sont tombés en panne.


L’Office gouvernemental britannique pour le marché de l’électricité et du gaz (Ofgem) a publié un rapport en janvier 2020, décrivant les causes de cette panne géante. Il souligne l’importance de l’inertie (qui faisait donc historiquement défaut ce jour là) en rappelant : « L'inertie est une forme de réponse en fréquence qui est intrinsèquement fournie par une grande installation rotative, synchronisée avec le système. Lorsque la fréquence du système chute, ces générateurs ralentissent. Leur énergie de rotation stockée est automatiquement transférée au système électrique. L’inertie totale du système  aide à contrecarrer les changements de fréquence du système. » Et précise : «  Nous considérons que l'ESO devrait garantir une inertie du système suffisante pour gérer les variations de fréquence conformément à ses obligations, et éviter un effet domino de pertes de production distribuées ». Et le rapport précise la chronologie des ruptures en cascade qui ont suivi. Tandis que le problème lié au coup de foudre lui-même a été corrigé en 80 millisecondes, 150 MW de petits générateurs locaux ont été immédiatement déconnectés par leurs mécanismes de protection. Le système de contrôle de tension du parc éolien offshore Hornsea 1 est alors devenu instable réduisant sa production d’électricité de 799 MW à 62 MW, aussitôt suivi par la déconnexion de l'unité vapeur de la petite centrale électrique de Little Barford dans le Bedfordshire (244 MW) en raison d’un écart relevé par son capteur de vitesse. Ces 3 événements ont entraîné une perte de puissance cumulée de plus de 1 130 MW de production environ 1 seconde après la foudre. ​

Puis ce niveau de perte de puissance a fait chuter le réseau à un taux de changement de fréquence (RoCoF) supérieur à 0,125 Hz/s, et l’Ogem estime qu’alors environ 350 à 430 MW de petites unités de production se sont arrêtés en raison de leurs mécanismes de protection fixés à ce taux. Hornsea 1 et Little Barford ont reconnu leur responsabilité de ce manque avéré de stabilité et ont versé un dédommagement.

Ce blackout illustre à la fois l’importance de l’inertie du réseau et de la disponibilité d’une puissance de réserve.

D’autant que l’inertie est au plus bas au moment des fortes productions éoliennes et que se serait précisément le moment où la sécurité du réseau est la plus menacée, selon une étude de 2023 [2] qui a mis en évidence une corrélation directe entre la survenue de blackout et la vitesse du vent.

Quinze millions de foyers dans le noir en 2006

La responsabilité des éoliennes dans la panne géante du 4 novembre 2006 qui a affecté 15 millions de ménages est clairement montrée dans le rapport final de l’UCTE. Celui-ci dénonce l’incapacité du réseau européen, prévu dans un simple but d’assistance mutuelle, de remplir un rôle pour lequel il n’avait pas été conçu, celui de transporter de plus en plus loin des productions aléatoires, indésirables localement, en raison du succès rapide du développement des énergies renouvelables (1.4. Changing function of the transmission grid). Cette situation a amené ses gestionnaires (TSOs) à exploiter ce réseau au plus près de ses limites de sécurité. Ce fut le cas le 4 novembre. Et c’est ainsi qu’une opération habituelle et programmée consistant à couper la ligne Conneforde-Diele pour laisser passer le bateau “Norwegian Pearl” a provoqué la séparation en 3 parties du réseau européen. La soirée du 4 novembre était caractérisée par un flux élevé de l'Allemagne vers les Pays-Bas et la Pologne en raison d’une forte production éolienne en Allemagne. Et la difficulté de contrôler des petites unités de production dispersées, principalement éoliennes, a compliqué la situation. A la suite de surcharges et déclenchements en cascade, le réseau a été séparé en 3 parties à 22h20. Juste après la séparation, la plupart des éoliennes se sont déconnectées dans chaque zone, au Nord-Est pour raison de surfréquence, à cause de vents forts ce soir là sur les éoliennes du Nord, et pour raison de sous fréquence à l’Ouest, leur sécurité se déclenchant dès 49,5 Hz alors que la fréquence est tombée à 49 Hz. Mais le facteur le plus critique a été l'augmentation de la production (action opposée aux actions menées) observée dans la partie allemande de la zone Nord-Est  causée par la reconnexion incontrôlée des parcs éoliens qui s’étaient précédemment déclenchés, dès que la fréquence, qui était montée à 51,4 Hz a pu être ramenée à 50,3 Hz.

Un déclin de la résilience malgré de lourds investissements

L’augmentation des énergies renouvelables pose de nouveaux défis à mesure que des sommes considérables sont engagées pour les résoudre. Le seul réseau de distribution français Enedis prévoit des investissements associés aux raccordements de nouvelles installations compris entre 6 et 8 milliards d’euros par an sur la période 2020-2050, dans le scenario à plus forte composante renouvelable, contre 4 fois moins dans un scénario de continuité.

En novembre 2023, l’Entsoe a publié une mise à jour de son étude de 2021 à la lumière notamment des 5 incidents majeurs ayant amené la séparation du système en 2 ou 3 parties, dont les incidents des Balkans et de la péninsule ibérique de 2021. Dans sa conclusion, il confirme le déclin progressif de la résilience du système face aux incidents si aucune action n'est initiée.  L’Entsoe ne prétend d’ailleurs pas que ses préconisations sont les seules remédiations  possibles à ce problème critique, ni même d’ailleurs forcément les meilleures, mais en termes d’inertie, elles sont la réponse nécessaire.

Le retard croissant du réseau

La Cour des Comptes allemande vient de tirer la sonnette d’alarme sur le retard pris par l’Energiewende notamment sur le nécessaire développement du réseau. Elle illustre ci-dessous le dérapage considérable du retard pris ces 7 dernières années sur le programme prévu (en bleu clair), avec un manque de quasiment 6000 km de réseau.

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Loop flow

Chaque gestionnaire de réseau calcule et valide pour chaque frontière les programmes d’échanges commerciaux nominés. Les lois de Kirchhoff font suivre à ces flux non pas le trajet le plus court mais tous les trajets possibles en fonction de leur résistance,liée noramment à leur engorgement. Et les flux « de boucle » (loop flow) qui reviennent dans leur zone d’enchère après avoir traversé les réseaux voisins sont imprévus et non nominés. Ils diminuent d’autant les capacités des interconnexions et pèsent notamment de plus en plus sur le réseau suisse, comme l’illustre Swissgrid, mais également le réseau français, polonais et tchèque qu’ils fragilisent, d’ailleurs gratuitement.



L’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) dénonçait en novembre 2023 cette difficulté en ces termes : « Le manque généralisé de potentiel de mesures correctives pour faire face à ces flux de boucles, particulièrement visible dans des délais plus proches du temps réel, met en danger le respect des exigences minimales de capacité entre zones, essentielles à la finalisation du marché intérieur européen »

Cible privilégiée de la guerre hybride

A ces menaces sur la sécurité du réseau, il convient d’ajouter le fait que le caractère disséminé des énergies renouvelables en font des cibles privilégies pour des cyber attaques devenues un « véritable cauchemar pour les responsables européens de l'énergie ». Nombre d’entre elles ont été clairement identifiées, leur vulnérabilité au piratage clairement exposé.

Dans la guerre hybride désormais déclarée depuis l’invasion de l’Ukraine cette menace est clairement identifiée par la Défense nationale. Tandis que le chiffon rouge de la fragilité nucléaire a été démenti par la résistance de la centrale de Zaporijia à la multiplication de tirs de missiles.

La responsabilité politique

Concernant le risque identifié de blackout, L’Entsoe rappelait en 2023 « qu’une définition claire du « risque acceptable », lié à une scission du système et à ses conséquences, est toujours en attente ». Son rôle n’étant pas de proposer une telle définition car il s’agit d’une « décision à la fois politique et technique ». Cette définition d’un « risque acceptable » semble effectivement davantage du ressort parlementaire après consultation des parties prenantes, qu’à l’organisme chargé d’en gérer les conséquences. On peut regretter que les objectifs contraignant d’énergies renouvelables donnent l’impression de regarder ailleurs.

Pourtant, les conséquences potentielles d’une panne géante doivent être mesurées à l’aune du blackout du 13 juillet 1977 à New-York qui a provoqué des émeutes, pillages durant 25 heures, et 4000 arrestations faute d’un délestage suffisamment rapide, à la suite d’un impact de foudre sur une station électrique.

 

Le propos n’est pas de suggérer que de nouvelles technologies ne sauront pas contrecarrer la fragilisation liée à la place croissante des EnR, pour un coût acceptable par la collectivité. Mais, dans la mesure où les sommes exponentielles engagées depuis 15 ans pour y remédier, via la restructuration du réseau, correspondent à une dégradation croissante de sa sécurité, ce propos vise à éclairer le fait que l’hypothèse d’une fuite en avant dont nul ne saurait encore garantir l’issue doit être de nature à faire reconsidérer drastiquement à la baisse, du moins provisoirement, la part optimum d’énergies renouvelables dans le mix électrique.

Car une électricité propre, fiable et bon marché est la condition incontournable de la décarbonation de l’économie.

Recopier dans le navigateur :   

1 https://x.com/NationalGridESO/status/1159846211878154248?s=20

2 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2542435123003665?dgcid=rss_sd_all

https://www.theguardian.com/media/2022/oct/18/bbc-prepares-secret-scripts-for-possible-use-in-winter-blackouts

Politiques climatiques : état des lieux

 

Politiques climatiques : état des lieux

 

Jean Pierre Riou

GES et CO2

Les différents gaz à effet de serre (GES) sont exprimés en équivalent CO2 (CO2e) en fonction de leur pouvoir de réchauffement global (PRG), issu des analyses du GIEC. Ils sont officiellement comptabilisés en France par le CITEPA (Centre Interprofessionnel Technique d'Études de la Pollution Atmosphérique) qui tient également l’inventaire des émissions des principaux polluants. https://www.citepa.org/fr/2024_02_a02/

 Sept gaz sont comptabilisés, le CO2 en est l’unité, le méthane a un pouvoir de réchauffement 28 fois supérieur, le dioxyde d’azote 265 fois, l’hexafluorure de souffre 23500 fois. Quand on parle de diminuer les émissions de CO2, on parle en fait de tous ces gaz.

La vapeur d’eau est également un puissant GES, mais n’est pas comptabilisée car, contrairement au CO2, elle retombe en pluie lorsque sa concentration augmente.

Émissions et empreinte carbone

L’empreinte carbone ajoute les importations à l’inventaire précédent. Le CITEPA a publié une analyse de sa relation à l’inventaire des émissions et considère qu’en France l’empreinte est 30% supérieure aux émissions propres. Cette analyse fait apparaître le fait que de 1995 à 2010, le différence s’est accrue, l’empreinte augmentant tandis que les émissions nationales diminuaient.

Zéro émission nette et neutralité carbone

L’Union européenne s’est engagée à la neutralité carbone d’ici 2050, c'est-à-dire à séquestrer autant de CO2 qu’elle n’en émet sur son sol. Les puits de carbone sont comptabilisés dans le secteur UTCATF (Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie). Contrairement à une idée répandue, la combustion de la biomasse n’est pas neutre en carbone, mais ses émissions sont comptabilisées dans ce secteur et non celui de l’énergie. Cette idée fausse provient du fait que les forêts séquestrent du carbone avant de le relâcher lors de sa combustion.

https://www.citepa.org/fr/politique-ges/

La France respecte ses engagements

L’objectif du 1er Budget carbone 2015-2018 n’avait pas été atteint, (voir Affaire du siècle et Tribunal de Paris) avec 456 Mt CO2e/an lieu des 442 Mt CO2e/an prévus, et la France a été sommée par le Tribunal de Paris à mettre en œuvre les moyens permettant de rattraper le trajectoire. Ce qu’elle a fait en revenant sous les émissions prévues en 2019, 2020, 2021 et 2022, avec une estimation 2022 de 408 Mt CO2e pour les 410 prévus.

Pendant ce temps, l’Allemagne était condamnée à revoir sa copie le 30 novembre 2023 par le Tribunal supérieur de Berlin Brandebourg pour avoir dépassé les émissions sectorielles du bâtiment et des transports en 2021 et 2022. Mais contrairement à la France, le 5 mars 2024, le Gouvernement fédéral faisait appel de ces jugements.


Nouvelles ambitions européennes

19 avril 2023 l’UE imposait un nouveau règlement « relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 » durcissant les règles en imposant une diminution globale des émissions de 40% au niveau de l’UE, par rapport au niveau de 2005. En 2030, la France devra ainsi rattraper la trajectoire permettant de réduire ses émissions de 47,5 % d’ici 2030.

En octobre 2023, la France transmettait la mise à jour du « Plan national intégré énergie-climat », avec un objectif de 211 MtCO2e en 2030, pour lequel son plan d’action prévoit « un léger excédent en fin de période» (avec 215 Mt).

La Commission remarque que l’objectif fixé ne serait alors pas entièrement atteint, mais surtout que la France ne donne aucun objectif fixé en termes de part d’énergies renouvelables de la consommation, tandis que l’UE s’était engagée à parvenir collectivement à une part de 42,5% minimum.

Les différents secteurs sont, transport s, bâtiments (résidentiel tertiaire), industrie, agriculture, production d’énergie et déchets. La production d’électricité ne représente que 43% du secteur de l’énergie, soit 16,1 MtCO2 en 2023 selon RTE. On se focalise sur l’éolien et le solaire qui exigent des centrales conventionnelles pour lisser les aléas de leur production alors qu’intrinsèquement, avec 5gCO2/kWh sur l’ensemble de son cycle de vie démantèlement compris, le nucléaire émet 2 fois moins que l’éolien et 8 fois moins que le solaire. Ces valeurs restant d’ailleurs anecdotiques en regard des 900g du charbon .

Moyens d’action

Le budget consacré à la Stratégie nationale bas carbone vise à développer différents leviers de décarbonation de chaque secteur. Isolation des bâtiments, efficacité énergétique, recours aux énergies décarbonées, développement des infrastructures de la mobilité électrique, encouragement du télétravail et covoiturage, réduction du gaspillage, développement des puits de carbone et limitation de l’artificialisation des sols.

Les couleurs de l’hydrogène

Depuis des décennies, l’hydrogène est utilisé par l’industrie. Il provient généralement du « vaporeformage » du méthane par de la vapeur haute température (900°), et produit du CO2. C’est l’hydrogène gris, ou noir s’il provient du charbon, ou même bleu si le CO2 émis est stocké. Il est beaucoup plus coûteux de le produire par électrolyse, mais alors la réaction de H2O ne donne pas de carbone, c’est l’hydrogène jaune. Seule l’électricité ayant permis cette réaction peut être carbonée. Si c’est de l’électricité d’origine renouvelable, alors c’est de l’hydrogène vert. La France a prévu d’investir 7 milliards d’euros dans l’hydrogène d’ici 2030. Les réacteurs nucléaires pourraient y voir un débouché par cogénération. Des gisements d’hydrogène blanc ou natif, viennent d’être découverts en France. Un premier permis d’exploration vient d’être délivré dans les Pyrénées-Atlantiques. Plusieurs autres sont à l’étude. Mais il serait encore largement prématuré d’y voir une réponse à l’échelle des besoins.

La taxation du carbone …

La taxation du carbone est un levier efficace pour guider la transition vers des énergies décarbonées. Le système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE) a instauré une taxation du carbone émis par les entreprises les plus polluantes en 2005. Le plafond d’émissions s’abaisse à chaque période, les quotas disponibles sont mis aux enchères. Leur prix est resté autour de 5€ jusqu’en 2017, il est monté à 100 € en 2022 avant de revenir progressivement à 60 € la tonne avec la baisse d’activité liée à la crise ukrainienne.

La France lui a ajouté en 2014 une taxe carbone devenue la 4ème plus forte au monde en 2018 et concernait tous les citoyens par le contenu carbone de chaque achat, avant que l’effet gilets jaunes n’en gèle l’évolution. On peut lui reprocher d’avoir servi à développer des EnR plutôt que respecter l’intégrale redistribution qui est généralement préconisée.

… et ses effets pervers, sans taxe aux frontières

L’effet pervers pour l’économie a été la délocalisation des entreprises vers des régions non assujettis à cette taxe, avant que l’UE ne vienne enfin de mettre en place une taxe carbone à ses frontières dont la mise en œuvre débute dans une première période 1 octobre 2023-31 décembre 2025. Comprenant enfin que « la mise en œuvre de mesures climatiques contraignantes, visant à réduire les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES), dans une seule région du monde (ex : le marché carbone dans l'Union Européenne) entraîne une augmentation des émissions de GES dans le reste du monde ».

Cette taxe aux frontières est une bonne nouvelle pour notre économie, comme pour les émissions mondiales.

Carbone et Kaya

Pour comprendre la comparaison entre pays, il faut connaître les paramètres de l’équation de Kaya, car les émissions sont corrélées au PIB, mais aussi à la population, à l’efficacité énergétique, ainsi qu’au contenu carbone de l’énergie primaire utilisée. C’est ainsi que, contrairement à une idée répandue, entre 1977 et 2017, parallèlement au développement de notre parc nucléaire, les émissions de CO2 françaises ont diminué malgré un accroissement de la population et du PIB/habitant, grâce à l’efficacité énergétique et la décarbonation de l’énergie primaire ainsi permise. 


 

Des comportements plus sobres restent souhaitables, mais unecrise économique liée à une récession issue d’une décroissance non maîtrisée ne permettrait pas les lourds investissements nécessaires à une transition vers une économie plus propre ni les mesures sociales indispensables pour l’accompagner.

Renouvelable, un concept qui dévoile ses errances

Il n’apparaît pas que le concept même de renouvelable soit pertinent en termes de décarbonation, ni d’environnement, tandis que le nucléaire vient enfin d’être admis parmi les technologies « souhaitables pour produire 40% des besoins annuels de déploiement en technologies net-zéro d'ici 2030 », par le Parlement européen.

Après que des organismes de santé ont alerté le Parlement européen sur le scandale sanitaire et environnemental de la combustion du bois la Commission elle-même vient de revenir sur le bien fondé de la biomasse ligneuse, pourtant principale EnR, mais dont le recours est désormais jugé moins pertinent dès lors que d’autres valorisations du bois sont possibles.

Des mouvements écologistes s’opposent à toute forme d’artificialisation du cycle de l’eau, et particulièrement aux retenues des barrages hydrauliques, à fortiori les inondations des vallées qu’ils impliquent, dénonçant l’impact environnemental de la 2ème source renouvelable. La pertinence du concept même de « renouvelable » doit être remise en cause au bénéfice du seul objectif pour lequel il est promu.

Renouvelable et pollution

Le chauffage individuel au bois représente la première source d’énergie renouvelable en France,  devant l’hydraulique et l’éolien. La combustion de la biomasse plus de la moitié des EnR en Europe. Le seul chauffage individuel au bois représente la principale source d’émission de particules fines, PM2,5 et PM10, devant l’industrie ou les transports. Il émet également divers polluants tels que noir de carbone, benzène, benzo(a)pyrène, monoxyde de carbone ou oxydes d'azote, responsables d’un grave problème sanitaire.

 

Renouvelable et électricité

La France a achevé la décarbonation  de son mix électrique il y a ¼ de siècle, depuis que son parc nucléaire en produit l’essentiel, celui-ci a émis 45gCO2/kWh en 2023 contre 423gCO2/kWh pour l’Allemagne, malgré le cap des 50% d’EnR dépassés cette année là (55,2%) pour produire l’électricité allemande. Ce qui ne veut d’ailleurs pas dire que la part d’EnR de la consommation finale d’énergie est supérieure à celle de la France, puisqu’elle était strictement la même en 2021, avec 19,3%.

Renouvelable et réseau européen

Pour intégrer une plus large part d’énergies renouvelables sur le réseau électrique européen, 4 prérequis sont considérés indispensables : maintenir la stabilité dynamique du réseau malgré la diminution de l’inertie permise par les énormes turbo-alternateurs des centrales conventionnelles tournant de façon synchrone à 3000 tours/minute, reconfigurer les réseaux de transport et de distribution pour leur permettre de remonter les productions dispersées sur le territoire, mettre en place la flexibilité de la consommation  et l’augmenter les réserves opérationnelles de centrales disponibles en cas de besoin.

Si les 2 derniers points sont encore problématiques, les 2 premiers font état d’un grave constat de carence

L’Allemagne vient de se faire épingler par la Cour des Comptes pour avoir accru le retard du développement de son réseau (6000 km manquants), et le gestionnaire du réseau européen a identifié un risque croissant de blackout sur la totalité de l’Europe continentale, sur une analyse en termes de déficit d’inertie dynamique, des scénarios prévus.

Renouvelable et obligations

Les objectifs en termes de décarbonation sont contraignants au niveau des États. Ils sont définis des règlements du Parlement et du Conseil et en tant que tels sont directement applicables dès leur entrée en vigueur. De nombreux États, dont la France, sont régulièrement condamnés à payer des amendes pour non respect de leurs obligations notamment concernant la qualité de l’air ou de l’eau. 

Les objectifs en termes de renouvelables sont définis par des directives et non des règlements, celles-ci définissent des objectifs communs et doivent être transcrites en droit national pour entrer en vigueur. Les directives concernant les EnR rappellent leur caractère contraignant au niveau des États même si les engagements pris par chacun d’eux sont rappelés en annexe. Pour respecter son engagement de 23% d’EnR en 2020, la France pouvait acheter des Garanties d’origine comme l’ont fait le Luxembourg, Malte ou les Pays-Bas, mais elle s’y est refusée. Tandis que l’Allemagne, qui n’a pas fait mieux que nos 19,1%, n’était engagée qu’à hauteur de 18%. La France se refuse même, pour le moment, à fixer dans sa feuille de route 2030 (PNEC) le moindre objectif de part de renouvelable dans la consommation, malgré les injonctions de Bruxelles.

Souveraineté et injonctions de Bruxelles

Les traités de l’UE (art 194 traité de Lisbonne) garantissent aux États la souveraineté sur le choix de leur mix énergétique. Mais la Commission peut prendre des « mesures affectant sensiblement le choix d’un État membre entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique », en vue de réaliser les objectifs environnementaux  qui visent à protéger la santé des personnes et améliorer la qualité de l’environnement.

Celles-ci doivent respecter les principes de proportionnalité et de subsidiarité, c'est-à-dire être adaptées et nécessaires pour atteindre un but commun, et justifier en permanence que la décision prise au plus haut niveau est plus efficace qu’au niveau des États.

En tout état de cause, des productions intermittentes fragilisent le système électrique sans être en mesure de décarboner davantage le mix électrique français. Or l’électricité est la principale alternative sérieuse aux énergies fossiles