Où il apparaît qu’éoliennes et panneaux solaires augmentent les émissions de CO2.
Jean Pierre Riou
Complété par l'article "Deux biais à connaître".
Chaque kWh solaire produit, dont l’empreinte carbone est de 43,9gCO2/kWh (source ADEME), est réputé éviter l’émission de plusieurs centaines de gCO2 au mix français dont l’empreinte moyenne est de 30,44gCO2/kWh grâce à sa forte composante nucléaire (3,7gCO2/kWh) et hydraulique (6gCO2/kWh)
Cette estimation est de nature à surprendre. Elle repose en effet sur 2 postulats erronés.
Préambule
Comme tous les moyens de production d’électricité, éoliennes et panneaux solaires entraînent l’émission de grandes quantités de CO2 lors de la mise en œuvre de milliers de tonnes de béton et d’acier ou du minage des minéraux qui entrent dans leur composition. Il faut un certain temps avant que le bilan de ces énergies renouvelables intermittentes (EnRi) redevienne positif.
Dans sa base empreinte, l’ADEME donne les valeurs de l’empreinte carbone de chaque filière, en distinguant la phase production dite « Combustion », de la phase construction (et démantèlement) qui est dite « Amont » pour rendre compte de l’impact total ou empreinte carbone.
Les valeurs en sont reproduites ci-dessous.
Nota bene : Pour éviter toute confusion, ces valeurs sont exprimées ici en g/kWh (ou kg/MWh), sachant que l’ADEME les exprime en kg/kWh, le nucléaire devant alors notamment être libellé avec un exposant négatif sous la forme « 3,70E-03 kg éq. CO2/kWh » pour 0,0037 kg eq. CO2/kWh.
Les 43,9gCO2/kWh correspondent à des panneaux solaires fabriqués en Chine et sont retenus par défaut par l’AdEME pour la production française. Pour la biomasse, qui ne figure pas dans le tableau ADEME, nous avons retenu les 230gCO2/kWh du site de référence Electricity Maps, qui parvient à 33gCO2/kWh pour le mix français 2024 en raison de valeurs légèrement supérieures à celles de l’ADEME, notamment 512gCO2/kWh pour le gaz, à partir d’une source moins spécifique à la France (IPCC 2014).
Pour déterminer l’empreinte environnementale du développement des EnRi, il est nécessaire, non seulement de prendre en compte la totalité de l’empreinte carbone, mais aussi de tenter d’évaluer la plus value apportée par leur production aléatoire.
Car il n’est pas acceptable de considérer que les EnRi n’ont aucune empreinte carbone, ni de cautionner le postulat simpliste que plus elles produisent et plus elles évitent d’émissions de CO2 à un parc déjà décarboné par sa dominante nucléaire/hydraulique. En appliquant les valeurs de l’ADEME au Bilan 2024 de RTE, il apparaît même que c’est l’inverse.
Étude de cas : bilan RTE 2024
En appliquant les valeurs d’empreinte carbone de l’ADEME à la production de chaque filière, on parvient à un total de 16,41 millions de tonnes (Mt) de CO2, soit une empreinte carbone moyenne de 30,44gCO2 pour chacun des 539 milliards de kWh produits en 2024. Cette empreinte est plus de 10 fois inférieure à celle de l’Allemagne 2024 (334gCO2/kWh selon Electricity Maps ) mais aussi, et de façon contre-intuitive, elle est également inférieure à celle du photovoltaïque (43,9gCO2/kWh).
D’autre part, ce bilan RTE 2024 nous apprend que la production 2024 des seuls moyens pilotables (467,4 TWh) aurait suffit à couvrir les besoins de sa consommation (449,2 TWh). Les 18,2 TWh de marge auraient même suffit pour placer la France au rang de 2ème plus gros exportateur mondial d’électricité derrière la Suède (33TWh) et devant la Norvège (18TWh), sans le recours à la moindre éolienne ni au moindre panneau photovoltaïque. Tandis qu’avec elles la France est 1er mondial avec un solde export de 89TWh.
Selon la base empreinte de l’ADEME, pour parvenir à ce record, l’apport des EnRi a entraîné l’émission supplémentaire de 1,75 millions de tonnes (Mt) de CO2 pour produire les 71,6 TWh annoncés par RTE, soit une moyenne de 24,5gCO2/kWh.
Par cette production, elles ont permis une baisse de l’empreinte carbone moyenne du mix français (30,44gCO2/kWh) qui aurait été de 31,35gCO2/kWh sans elles. Pour cette raison, ce n’est pas 1,75 MtCO2 mais 2,24Mt qui auraient été émis par les 31,35gCO2/kWh d’un mix français sans EnRi pour produire ces 71,6TWh. Ces 71,6TWh d’EnRi ayant ainsi évité l’émission de 490,6 milliers de tonnes de CO2 en se substituant au mix pilotable, c'est-à-dire 6,85gCO2 évité par kWh d’EnRi, mais, en tout état de cause, pas 600gCO2/kWh. A la condition de considérer que cette production était nécessaire, sachant que, selon les chiffres des douanes françaises, les 102,6 TWh que la France a exportés en 2024 l’ont été au prix moyen de 57,61€/MWh, soit infiniment moins que ce que coûtent les EnRi dont EDF (OA) a l’obligation d’acheter la production.
Deux biais méthodologiques à connaître
Il importe, enfin, de prendre la mesure de la dégradation des facteurs de pollution liés aux régimes partiels, à coups de fonctionnement et augmentation du nombre de centrales en préchauffe nécessaires au lissage des sautes de vent, plus importantes et plus rapides que les variations de la consommation, ainsi que de la modulation à la baisse du nucléaire pour raison économique quand les EnRi font écrouler le marché. Ces 2 points sont analysés dans « Deux biais à connaître » .
Deux postulats erronés
Avec 17,4TWh, la production de gaz n’a représenté que 3,2% de la production 2024. Et sa présence est incontournable pour équilibrer le réseau grâce à sa grande flexibilité. Avec 2,6TWh, la production des autres thermiques non renouvelables (charbon, fioul et autres) n’est qu’anecdotique. On ne peut continuer à prétendre que la construction de nouveaux parcs éoliens ou solaires leur permettrait d’éviter les émissions des centrales thermiques en ajoutant leur production intermittente aux 71,6TWh déjà produits par les EnRi.
Il est important de dénoncer les 2 postulats erronés sur lesquels reposent différentes estimations du CO2 évité par les EnRi, qui considèrent,
- Que celles-ci ne sont responsables d’aucune émission de CO2
- Que tout ce qu’elles produisent, indépendamment des besoins, améliore nécessairement le bilan carbone de notre mix électrique.
Alors que leurs surplus, bien au contraire, réclament une énergie supplémentaire considérable pour tenter de les stocker et restructurer les réseaux, afin de les refouler toujours plus loin au risque d’entraîner un blackout. C’est ainsi que, bien qu’elles fassent très légèrement baisser la moyenne du mix français, les EnRi augmentent la production totale de CO2 pour une électricité qui pose plus de problèmes qu’elle n’en résout.
La stagnation de la consommation, une opportunité à saisir
RTE vient de revoir à la baisse ses prévisions de consommation. Et l’abondance de la production actuelle entraîne non seulement la multiplication des prix négatifs sur le marché spot français (512 heures depuis janvier 2025) mais aussi l’écroulement des contrats à terme (49,72€/MWh le 12/12/2025 pour les contrats 2026). Ce qui pose un problème évident de rentabilité aux moyens pilotables d’EDF. Mais cette situation est aussi une chance pour la France en lui donnant le temps d’une vision à long terme pour le renouvellement de son parc de production. Situation objectivement bien différente de l’urgence prétendue pour faire face à une électrification des usages supposée cautionner le développement de la plus grande quantité d’EnRi le plus vite possible.
Selon RTE, enfin, plus des ¾ des émissions évitées (17Mt sur les 22Mt 2019) le seraient hors de nos frontières grâce à nos exportations. Quand bien même davantage d’EnRi seraient favorables au mix allemand, ce n’est pas au consommateur français de payer pour décarboner le mix de ses voisins. En aucun cas ce service rendu ne peut être pris en compte dans le respect des objectifs contraignants pour lesquels la France est menacée de sanctions financières.



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