lundi 30 novembre 2020

L'éolien : une énergie locale ?

L’éolien : une énergie locale ?

Tribulations d'un MWh éolien

Jean Pierre Riou 

La dissémination des éoliennes dans le paysage français est présentée comme un bienfait, au nom d’une production "locale" et "décentralisée".

Or, loin d’être un avantage, leur décentralisation entraîne un casse tête pour la gestion du réseau, auquel elle impose une restructuration coûteuse pour en refouler toujours plus loin la production.

En effet, ce modèle "local" s’est accompagné du raccordement des machines sur le réseau de distribution, et c’est là que commence le problème. 

Non seulement en ne résolvant rien des besoins en capacité d’alimentation, l'absence totale de garantie de production des énergies intermittentes implique la nécessité de rester raccordé à une même puissance du parc conventionnel pour les périodes sans vent, mais surtout, demande au réseau de fonctionner à contre-sens, et d’accepter des pics de refoulement bien supérieurs à la puissance qui était jusqu’alors injectée dans le sens pour lequel il avait été conçu.

Le gestionnaire du réseau de transport RTE confirme ce raccordement des éoliennes dans son dernier bilan annuel :

 « Au 31 décembre 2019, (…) 1 106 MW sont raccordés sur le réseau RTE et 15 388 MW sur les réseaux d’Enedis, des ELD et d’EDF-SEI pour la Corse »

Soit 93% des éoliennes sur le réseau local de distribution contre 7% sur le réseau de transport.

Le gestionnaire du réseau de distribution, Enedis, indique la quantité d’électricité injectée sur son réseau. La régularité d’un ruban d’injection d’électricité d’origine hydraulique et de biogaz apparaît notamment dans ses bilans mensuels,  l’essentiel de l’injection étant constitué par le photovoltaïque, dont les cycles journaliers restent réguliers et surtout par l’éolien, beaucoup plus aléatoire, ainsi que le montre le bilan de septembre 2020. « Autres » représentant donc hydraulique et biogaz. 


Le début de l'errance

La comparaison, du bilan Enedis ci-dessous, entre la puissance injectée sur son réseau et celle qui est refoulée sur le réseau RTE interroge même sur la réalité d’une part quelconque consommée localement, si on retranche de la production le ruban hydraulique/biogaz, plus facile à gérer par anticipation.


 



Cette comparaison, la plus récente sur 1 an (13/11/2019 au 13/11/2020), reste aussi éloquente quelle que soit la période retenue.

La remontée sur le réseau de répartition

Avant de parvenir sur le réseau de grand transport de RTE, ces flux de refoulement transitent par le réseau régional de répartition dont la fonction était jusqu’alors d’acheminer un courant régulier vers le réseau de distribution et non de le remonter dans l’autre sens.

RTE publie régulièrement les synthèses de son travail prospectif visant à intégrer les énergies renouvelables. Le « document de cadrage » [1] du groupe 8 ne manque pas d’intérêt concernant les défis qu’il lui reste à relever.

Il montre notamment les conséquences de ce refoulement sur le  réseau régional de répartition.

L’exemple choisi de la ligne Airaines-Argoeves de ce réseau (90 kV) fait apparaître, ci-dessous, des pics de refoulement éolien de plus de 100 MW (flux positif sur le graphique) sur une ligne qui transportait jusqu'alors une puissance inférieure à 20 MW (flux négatif) avant le raccordement des éoliennes.

 

 Le grand transport

Ces pics de cette production à refouler ont amenés RTE à entreprendre, avec les Hauts de France, une carte des congestions permettant d’identifier les points « où la production peut, de façon temporaire, être supérieure aux capacités de transport »

Cette carte, reproduite ci-dessous, établit le bilan des puissances à compenser pour permettre de prendre en charge les énergies renouvelables et prend notamment acte de l'apparition d'énergie non évacuée (3580 MWh) en raison des contraintes évoquées.


 
Concernant ces congestions, le modèle repose en France « sur une gestion décentralisée des moyens de production par chaque producteur et une gestion de la congestion par le gestionnaire de réseau via les mécanismes de redispatching après le fixing du marché day-ahead. Les coûts de ces actions sont répercutés vers les utilisateurs via le tarif. [2]»  

Ce « redispatching » consiste à rémunérer l’exploitant auquel on demande d’interrompre sa production et à en trouver l’équivalent en aval du point de congestion, si nécessaire.

En Allemagne, ces coûts de redispatching ont notamment représenté 703 millions d’ € en 2019 pour le seul gestionnaire de réseau Tennet. Trois autres gestionnaires partagent ce rôle : Amprion, 50 Hertz et Transnet.

En France, les Schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR) font actuellement le point des renforcements de lignes, des renforcements et créations de postes de transformation qui nécessaires à la prise en charge des énergies renouvelables par le réseau de transport RTE. On se doute que ce n'est pas pour relier les riverains avec leurs éoliennes.

Au delà des frontières

RTE a publié une note dans laquelle il estime que sur les 22 millions de tonnes de CO2 réputées évitées par les énergies renouvelables françaises, seulement 5Mt l’auraient été en France et 17Mt à travers les exportations dans les pays voisins. Dans l’Arlésienne, nous avions d’ailleurs réfuté, chiffres à l’appui, la réalité du CO2 ainsi réputé évité en France.

En tout état de cause, la comparaison entre la production éolienne et ces exportations évoque la distance qui peut séparer une éolienne du lieu de consommation de sa production.

Le graphique ci-dessous montre, en vert, la production éolienne du 1er septembre au 26 octobre 2020 et, en quasi miroir, les exportations qui en évoquent la corrélation.


(Source RTE Eco2Mix)

Il ne semble pas qu’il revienne à la France de payer pour décarboner le mix électrique de ses voisins, dans la mesure où l’intermittence de ses éoliennes fragilise son propre réseau.

Mais surtout, de grâce, qu’on cesse de nous parler d’énergie « locale ».

 

[1] https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwi2ssXOj6PtAhUjyYUKHRJODC0QFjABegQIBBAC&url=https%3A%2F%2Fwww.concerte.fr%2Fsystem%2Ffiles%2Fdocument_travail%2F2020-04-28-GT8-Fonctionnement-du-systeme-electrique-Document-de-cadrage.pdf&usg=AOvVaw3yeqRjN2xerj_HrQdRjemR

[2] https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwiz2riI4KXtAhWk4YUKHTCHC2IQFjACegQIAhAC&url=https%3A%2F%2Fwww.economie.gouv.fr%2Ffiles%2Ffiles%2Fdirections_services%2Fcge%2Ftarifs-electricite-gaz.pdf&usg=AOvVaw3qxkFoffkeQ6TBnNFmIzwM

2 commentaires:

  1. Je ne savais pas que d'aucun prétendait que l'énergie éolienne produite était sensée être consommée localement! Cette prétention ne pouvait qu'être un mensonge à cause de l'intermittence si la règle ne consistait pas à mettre les éoliennes en drapeau quand la consommation locale est trop faible et à mettre des centrales thermiques locales en route si la production locale est trop faibles face à la consommation locale. Visiblement le choix européen a consisté à créer un vaste réseau unique sans avoir définit les règles de dédommagements correctement, sans avoir au préalable modifié les lignes et leurs équipements et en faisant fi des surcoûts pour le consommateur français qui est le dindon de la farce!

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  2. Votre article montre bien qu’en France et ailleurs (les mêmes causes….), on s’est d’abord préoccupé de multiplier les sources, avant de considérer l’évacuation des productions et l’exercice devient de plus en plus périlleux au fur et à mesure des nouvelles connexions.
    C’est effectivement un casse tête, à réseaux donnés, qu’on est donc contraints de faire évoluer (raccordements, renforcements, et même stockages temporaires,..), mais de manière coûteuse et sans schéma d’ensemble cohérent.

    La localité n’est que financière, puisque la production rapporte effectivement à son émetteur local, qui peut aussi se prévaloir de sa contribution à l’effort national de développement des EnRs….au prix de la destruction de son environnement (effet Dalton…qui se vendirent eux-mêmes pour toucher la prime !) et « quoi qu’il en coûte » au reste de la société, à qui on ne demande guère son avis.

    Une autre facette sombre de la lumineuse transition.

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