dimanche 17 mars 2024

Politiques climatiques : état des lieux

 

Politiques climatiques : état des lieux

 

Jean Pierre Riou

GES et CO2

Les différents gaz à effet de serre (GES) sont exprimés en équivalent CO2 (CO2e) en fonction de leur pouvoir de réchauffement global (PRG), issu des analyses du GIEC. Ils sont officiellement comptabilisés en France par le CITEPA (Centre Interprofessionnel Technique d'Études de la Pollution Atmosphérique) qui tient également l’inventaire des émissions des principaux polluants. https://www.citepa.org/fr/2024_02_a02/

 Sept gaz sont comptabilisés, le CO2 en est l’unité, le méthane a un pouvoir de réchauffement 28 fois supérieur, le dioxyde d’azote 265 fois, l’hexafluorure de souffre 23500 fois. Quand on parle de diminuer les émissions de CO2, on parle en fait de tous ces gaz.

La vapeur d’eau est également un puissant GES, mais n’est pas comptabilisée car, contrairement au CO2, elle retombe en pluie lorsque sa concentration augmente.

Émissions et empreinte carbone

L’empreinte carbone ajoute les importations à l’inventaire précédent. Le CITEPA a publié une analyse de sa relation à l’inventaire des émissions et considère qu’en France l’empreinte est 30% supérieure aux émissions propres. Cette analyse fait apparaître le fait que de 1995 à 2010, le différence s’est accrue, l’empreinte augmentant tandis que les émissions nationales diminuaient.

Zéro émission nette et neutralité carbone

L’Union européenne s’est engagée à la neutralité carbone d’ici 2050, c'est-à-dire à séquestrer autant de CO2 qu’elle n’en émet sur son sol. Les puits de carbone sont comptabilisés dans le secteur UTCATF (Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie). Contrairement à une idée répandue, la combustion de la biomasse n’est pas neutre en carbone, mais ses émissions sont comptabilisées dans ce secteur et non celui de l’énergie. Cette idée fausse provient du fait que les forêts séquestrent du carbone avant de le relâcher lors de sa combustion.

https://www.citepa.org/fr/politique-ges/

La France respecte ses engagements

L’objectif du 1er Budget carbone 2015-2018 n’avait pas été atteint, (voir Affaire du siècle et Tribunal de Paris) avec 456 Mt CO2e/an lieu des 442 Mt CO2e/an prévus, et la France a été sommée par le Tribunal de Paris à mettre en œuvre les moyens permettant de rattraper le trajectoire. Ce qu’elle a fait en revenant sous les émissions prévues en 2019, 2020, 2021 et 2022, avec une estimation 2022 de 408 Mt CO2e pour les 410 prévus. 

https://www.citepa.org/fr/politique-ges/
 

Pendant ce temps, l’Allemagne était condamnée à revoir sa copie le 30 novembre 2023 par le Tribunal supérieur de Berlin Brandebourg pour avoir dépassé les émissions sectorielles du bâtiment et des transports en 2021 et 2022. Mais contrairement à la France, le 5 mars 2024, le Gouvernement fédéral faisait appel de ces jugements.


Nouvelles ambitions européennes

19 avril 2023 l’UE imposait un nouveau règlement « relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 » durcissant les règles en imposant une diminution globale des émissions de 40% au niveau de l’UE, par rapport au niveau de 2005. En 2030, la France devra ainsi rattraper la trajectoire permettant de réduire ses émissions de 47,5 % d’ici 2030.

En octobre 2023, la France transmettait la mise à jour du « Plan national intégré énergie-climat », avec un objectif de 211 MtCO2e en 2030, pour lequel son plan d’action prévoit « un léger excédent en fin de période» (avec 215 Mt).

La Commission remarque que l’objectif fixé ne serait alors pas entièrement atteint, mais surtout que la France ne donne aucun objectif fixé en termes de part d’énergies renouvelables de la consommation, tandis que l’UE s’était engagée à parvenir collectivement à une part de 42,5% minimum.

Les différents secteurs sont, transport s, bâtiments (résidentiel tertiaire), industrie, agriculture, production d’énergie et déchets. La production d’électricité ne représente que 43% du secteur de l’énergie, soit 16,1 MtCO2 en 2023 selon RTE. On se focalise sur l’éolien et le solaire qui exigent des centrales conventionnelles pour lisser les aléas de leur production alors qu’intrinsèquement, avec 5gCO2/kWh sur l’ensemble de son cycle de vie démantèlement compris, le nucléaire émet 2 fois moins que l’éolien et 8 fois moins que le solaire. Ces valeurs restant d’ailleurs anecdotiques en regard des 900g du charbon .

Moyens d’action

Le budget consacré à la Stratégie nationale bas carbone vise à développer différents leviers de décarbonation de chaque secteur. Isolation des bâtiments, efficacité énergétique, recours aux énergies décarbonées, développement des infrastructures de la mobilité électrique, encouragement du télétravail et covoiturage, réduction du gaspillage, développement des puits de carbone et limitation de l’artificialisation des sols.

Les couleurs de l’hydrogène

Depuis des décennies, l’hydrogène est utilisé par l’industrie. Il provient généralement du « vaporeformage » du méthane par de la vapeur haute température (900°), et produit du CO2. C’est l’hydrogène gris, ou noir s’il provient du charbon, ou même bleu si le CO2 émis est stocké. Il est beaucoup plus coûteux de le produire par électrolyse, mais alors la réaction de H2O ne donne pas de carbone, c’est l’hydrogène jaune. Seule l’électricité ayant permis cette réaction peut être carbonée. Si c’est de l’électricité d’origine renouvelable, alors c’est de l’hydrogène vert. La France a prévu d’investir 7 milliards d’euros dans l’hydrogène d’ici 2030. Les réacteurs nucléaires pourraient y voir un débouché par cogénération. Des gisements d’hydrogène blanc ou natif, viennent d’être découverts en France. Un premier permis d’exploration vient d’être délivré dans les Pyrénées-Atlantiques. Plusieurs autres sont à l’étude. Mais il serait encore largement prématuré d’y voir une réponse à l’échelle des besoins.

La taxation du carbone …

La taxation du carbone est un levier efficace pour guider la transition vers des énergies décarbonées. Le système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE) a instauré une taxation du carbone émis par les entreprises les plus polluantes en 2005. Le plafond d’émissions s’abaisse à chaque période, les quotas disponibles sont mis aux enchères. Leur prix est resté autour de 5€ jusqu’en 2017, il est monté à 100 € en 2022 avant de revenir progressivement à 60 € la tonne avec la baisse d’activité liée à la crise ukrainienne.

La France lui a ajouté en 2014 une taxe carbone devenue la 4ème plus forte au monde en 2018 et concernait tous les citoyens par le contenu carbone de chaque achat, avant que l’effet gilets jaunes n’en gèle l’évolution. On peut lui reprocher d’avoir servi à développer des EnR plutôt que respecter l’intégrale redistribution qui est généralement préconisée.

… et ses effets pervers, sans taxe aux frontières

L’effet pervers pour l’économie a été la délocalisation des entreprises vers des régions non assujettis à cette taxe, avant que l’UE ne vienne enfin de mettre en place une taxe carbone à ses frontières dont la mise en œuvre débute dans une première période 1 octobre 2023-31 décembre 2025. Comprenant enfin que « la mise en œuvre de mesures climatiques contraignantes, visant à réduire les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES), dans une seule région du monde (ex : le marché carbone dans l'Union Européenne) entraîne une augmentation des émissions de GES dans le reste du monde ».

Cette taxe aux frontières est une bonne nouvelle pour notre économie, comme pour les émissions mondiales.

Carbone et Kaya

Pour comprendre la comparaison entre pays, il faut connaître les paramètres de l’équation de Kaya, car les émissions sont corrélées au PIB, mais aussi à la population, à l’efficacité énergétique, ainsi qu’au contenu carbone de l’énergie primaire utilisée. C’est ainsi que, contrairement à une idée répandue, entre 1977 et 2017, parallèlement au développement de notre parc nucléaire, les émissions de CO2 françaises ont diminué malgré un accroissement de la population et du PIB/habitant, grâce à l’efficacité énergétique et la décarbonation de l’énergie primaire ainsi permise. 


 

Des comportements plus sobres restent souhaitables, mais unecrise économique liée à une récession issue d’une décroissance non maîtrisée ne permettrait pas les lourds investissements nécessaires à une transition vers une économie plus propre ni les mesures sociales indispensables pour l’accompagner.

Renouvelable, un concept qui dévoile ses errances

Il n’apparaît pas que le concept même de renouvelable soit pertinent en termes de décarbonation, ni d’environnement, tandis que le nucléaire vient enfin d’être admis parmi les technologies « souhaitables pour produire 40% des besoins annuels de déploiement en technologies net-zéro d'ici 2030 », par le Parlement européen.

Après que des organismes de santé ont alerté le Parlement européen sur le scandale sanitaire et environnemental de la combustion du bois la Commission elle-même vient de revenir sur le bien fondé de la biomasse ligneuse, pourtant principale EnR, mais dont le recours est désormais jugé moins pertinent dès lors que d’autres valorisations du bois sont possibles.

Des mouvements écologistes s’opposent à toute forme d’artificialisation du cycle de l’eau, et particulièrement aux retenues des barrages hydrauliques, à fortiori les inondations des vallées qu’ils impliquent, dénonçant l’impact environnemental de la 2ème source renouvelable. La pertinence du concept même de « renouvelable » doit être remise en cause au bénéfice du seul objectif pour lequel il est promu.

Renouvelable et pollution

Le chauffage individuel au bois représente la première source d’énergie renouvelable en France,  devant l’hydraulique et l’éolien. La combustion de la biomasse plus de la moitié des EnR en Europe. Le seul chauffage individuel au bois représente la principale source d’émission de particules fines, PM2,5 et PM10, devant l’industrie ou les transports. Il émet également divers polluants tels que noir de carbone, benzène, benzo(a)pyrène, monoxyde de carbone ou oxydes d'azote, responsables d’un grave problème sanitaire.

 

Renouvelable et électricité

La France a achevé la décarbonation  de son mix électrique il y a ¼ de siècle, depuis que son parc nucléaire en produit l’essentiel, celui-ci a émis 45gCO2/kWh en 2023 contre 423gCO2/kWh pour l’Allemagne, malgré le cap des 50% d’EnR dépassés cette année là (55,2%) pour produire l’électricité allemande. Ce qui ne veut d’ailleurs pas dire que la part d’EnR de la consommation finale d’énergie est supérieure à celle de la France, puisqu’elle était strictement la même en 2021, avec 19,3%.

Renouvelable et réseau européen

Pour intégrer une plus large part d’énergies renouvelables sur le réseau électrique européen, 4 prérequis sont considérés indispensables : maintenir la stabilité dynamique du réseau malgré la diminution de l’inertie permise par les énormes turbo-alternateurs des centrales conventionnelles tournant de façon synchrone à 3000 tours/minute, reconfigurer les réseaux de transport et de distribution pour leur permettre de remonter les productions dispersées sur le territoire, mettre en place la flexibilité de la consommation  et l’augmenter les réserves opérationnelles de centrales disponibles en cas de besoin.

Si les 2 derniers points sont encore problématiques, les 2 premiers font état d’un grave constat de carence

L’Allemagne vient de se faire épingler par la Cour des Comptes pour avoir accru le retard du développement de son réseau (6000 km manquants), et le gestionnaire du réseau européen a identifié un risque croissant de blackout sur la totalité de l’Europe continentale, sur une analyse en termes de déficit d’inertie dynamique, des scénarios prévus.

Renouvelable et obligations

Les objectifs en termes de décarbonation sont contraignants au niveau des États. Ils sont définis des règlements du Parlement et du Conseil et en tant que tels sont directement applicables dès leur entrée en vigueur. De nombreux États, dont la France, sont régulièrement condamnés à payer des amendes pour non respect de leurs obligations notamment concernant la qualité de l’air ou de l’eau. 

Les objectifs en termes de renouvelables sont définis par des directives et non des règlements, celles-ci définissent des objectifs communs et doivent être transcrites en droit national pour entrer en vigueur. Les directives concernant les EnR rappellent leur caractère contraignant au niveau des États même si les engagements pris par chacun d’eux sont rappelés en annexe. Pour respecter son engagement de 23% d’EnR en 2020, la France pouvait acheter des Garanties d’origine comme l’ont fait le Luxembourg, Malte ou les Pays-Bas, mais elle s’y est refusée. Tandis que l’Allemagne, qui n’a pas fait mieux que nos 19,1%, n’était engagée qu’à hauteur de 18%. La France se refuse même, pour le moment, à fixer dans sa feuille de route 2030 (PNEC) le moindre objectif de part de renouvelable dans la consommation, malgré les injonctions de Bruxelles.

Souveraineté et injonctions de Bruxelles

Les traités de l’UE (art 194 traité de Lisbonne) garantissent aux États la souveraineté sur le choix de leur mix énergétique. Mais la Commission peut prendre des « mesures affectant sensiblement le choix d’un État membre entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique », en vue de réaliser les objectifs environnementaux  qui visent à protéger la santé des personnes et améliorer la qualité de l’environnement.

Celles-ci doivent respecter les principes de proportionnalité et de subsidiarité, c'est-à-dire être adaptées et nécessaires pour atteindre un but commun, et justifier en permanence que la décision prise au plus haut niveau est plus efficace qu’au niveau des États.

En tout état de cause, des productions intermittentes fragilisent le système électrique sans être en mesure de décarboner davantage le mix électrique français. Or l’électricité est la principale alternative sérieuse aux énergies fossiles

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