mardi 3 octobre 2023

Vitesse et précipitation

Vitesse et précipitation

Quand les EnR intermittentes compromettent la durabilité du nucléaire 

Jean Pierre Riou 

l’ASN a demandé qu’EDF "justifie d’ici fin 2024 l’hypothèse d’une poursuite du fonctionnement des réacteurs actuels jusqu’à 60 ans et au-delà, pour permettre une instruction approfondie débouchant sur une prise de position de l’ASN fin 2026."

On ne peut que déplorer que l'opposition au nucléaire ait empêché qu'on se pose la question avant, quand la France était quasiment chaque année 1er exportateur MONDIAL d'électricité depuis 1990, et notamment jusqu'en 2019, avant de croire qu'elle pouvait fermer Fessenheim et autres moyens pilotables grâce à son parc intermittent, ou de mystérieuses économies d'énergie. 

Mais soudain, l'urgence climatique impose la nécessité de multiplier les énergies intermittentes pour répondre aux enjeux de 2035-2050, sans même attendre ces conclusions de l'ASN, alors que ces EnR seront assurément obsolètes d'ici là. Or leur développement compromet sérieusement la viabilité de notre modèle électrique.

Étude de cas

Dimanche 16 juillet à 3 heures du matin, le cours du marché spot français passait sous la barre des 0€ et devenait négatif avec un prix de -0,02€/MWh, en raison d’un contexte de faible consommation et de production éolienne généreuse d’une puissance de 9646MW à 2h30. A 3h15, soit 15 minutes après le passage négatif, cette puissance éolienne s’était effondrée à 6322MW, soir 3,4GW de moins comme l’illustre le site de RTE ci-dessous.


Plus du tiers (35,2%) de la puissance éolienne s’était en fait déconnectée dès le passage des cours négatifs. Une proportion un peu moindre (24,3%) s’est immédiatement reconnectée à 18h précises lors du retour à des prix positifs.

Ce décrochage brutal de 3 heures du matin ne semblait d'ailleurs pas anticipé par RTE dans sa prévision de référence, en bleu, et de façon plus étonnante, placé plus de 5 heures trop tard dans les 2 prévisions du jour, en gris, alors que les prix spot pour livraison du lendemain sont disponibles depuis la veille sur le site Epex spot

https://www.epexspot.com/en/market-data

 

(Source prévisions RTE)

En effet, L’annexe de l’arrêté du 6 mai 2017 (téléchargée sur le texte de l'arrêté en vigueur) précise en 7° : Au-delà des 20 premières heures, consécutives ou non, de prix spots strictement négatifs pour livraison le lendemain constatés sur la bourse de l’électricité EPEX Spot SE pour la zone France, une installation qui ne produit pas pendant les heures de prix négatifs reçoit une prime égale à Primeprix négatifs, définie ci-dessous :

Primeprix négatifs = 0,35.Pmax. T . nprix négatifs

Formule dans laquelle : - T est le tarif de référence (Te) défini au II de cette annexe, exprimé en €/MWh ; - nprix négatifs est le nombre d’heures pendant lesquelles les prix spots pour livraison le lendemain sur la plateforme de marché organisé français de l’électricité ont été strictement négatifs au delà des 20 premières heures de prix négatifs de l’année civile et pendant lesquelles l'installation n'a pas injecté d'énergie.

Ce qui signifie qu’une éolienne qui ne produit pas est alors rémunérée au prix de référence sur la base d’un facteur de charge de 35%.

Cette annexe ne semble pas avoir été remise en cause dans l'arrêté du 29 décembre 2022 "modifiant l'arrêté du 6 mai 2017 fixant les conditions du complément de rémunération de l'électricité produite par les installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, de 6 aérogénérateurs au maximum" 

Pour autant, en mars 2023, la CRE a validé le cahier des charges de l'appel d'offre de l'éolien flottant en Bretagne prévoyant une Prime prix négatifs = 0,7 x Pmax x T x n prix négatifs au delà de la des 40 premières heures

Tarifs d'achat et compléments de rémunération

Sur les 38,1 TWh éoliens produits en 2022 selon le bilan RTE, 21,7 TWh ont été rémunérés par le tarif obligatoire d’achat, selon l’annexe 1 de la délibération du 13 juillet 2023 de la CRE. Les 16,4 TWh restant, soit 43% pouvant donc être rémunérés sur la base de 35% de facteur de charge sils arrêtent leurs machines dès que les cours deviennent négatifs.

En 2023, 102 heures de prix négatifs sont déjà apparues au 31 aout, contre 64 heures de 2021, et 4 heures en 2022, en forte régression en raison de la dangereuse érosion des moyens pilotables européens.

Cette comptabilité des heures négatives est tenue par la CRE.

Cette situation est identique pour le solaire, en orange, en bas, et visible la plupart des weekends ensoleillés, comme le dimanche 1 octobre où 2 GW solaires se sont déconnectés dès le passage du cours négatif à 13 heures, pour revenir sur le réseau dès le retour en positif, à 14 heures.

Effacement nucléaire

Il importe de préciser que le nucléaire, au service du réseau entre 36,5GW et 37,5 GW jusqu’alors, est immédiatement descendu à 31,5GW, et moins de 30GW une heure plus tard.

Il en était de même le 16 juillet, avec plus de 30GW à 0h15  et 23,5GW à 13h. Montrant qu'en tout état de cause, les EnR ne se substituent pas uniquement aux énergies fossiles.

Notons que la baisse des exportations correspond à l’anticipation des besoins satisfaits par le solaire en Europe, et des prix plus bas encore chez nos voisins. 

Mécanisme d'ajustement

Selon RTE, le nucléaire a dû réduire sa production de 2,2 TWh en 2020 pour l’ajustement à la baisse des besoins du réseau.


Soit 0,65% de sa production de 335,4 TWh en 2020. Ces précisions ne semblant pas disponibles depuis.

Modulation et rentabilité du nucléaire

Mais par delà ces déconnexions contractuelles de réacteurs à la demande du gestionnaire de réseau, la modulation de la production nucléaire pour « raison d’optimisation de la gestion du combustible » prend une ampleur inédite, jusqu’à 10 réacteurs parfaitement opérationnels arrêtés en janvier dernier.

Et ce parc nucléaire est amené à moduler de plus en plus en raison de l’objectif d’EnR visé, ne serait-ce que pour ne pas devoir payer pour produire..

Le rapport franco-allemand AGORA IDDRI :  « L‘Energiewende et la transition énergétique à l’horizon 2030 » annonçait dès 2018 : « En France, le développement visé des énergies renouvelables et le réinvestissement dans le parc nucléaire au-delà de 50 GW comporterait un risque important de coûts échoués dans le secteur électrique. » et chiffrait ces coûts dans le tableau ci-dessous


C'est-à-dire 9 milliards d’€ de pertes pour un simple statut quo (63GW) contre 3 milliards d’€ de bénéfice en réduisant sa puissance à 40 GW.

Quand la précipitation condamne le long terme

Ce qui montre la difficulté de vouloir tout à la fois le beurre et l’argent du beurre. C’est à dire vouloir un parc nucléaire plus puissant dont il n’est plus contesté désormais qu’il est urgent d’y attirer des investissements, tout en organisant, sous prétexte d’urgence climatique, la volatilité d’un marché intermittent qui ruine sa durabilité économique.

En outre, cette modification substantielle de puissance au passage des heures rondes malmène l'équilibre du réseau européen déjà affecté par ce phénomène.

("Le phénomène d’écarts de fréquence aux heures rondes, caractérisé par des chutes de fréquence de
plus de 100 mHz sur de courtes durées au moment de la modification des programmes de production
synchronisés au pas horaire en Europe, est toujours présent (160 écarts de plus de 100 mHz cette année)"
Selon RTE)

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