Haro sur le baudet nucléaire
Jean Pierre Riou
Quand les chiffres réhabilitent le bouc émissaire
Cet
hiver, les coupures de courant dépendront des températures. Comme on
pouvait s'y attendre, c'est le nucléaire qui est montré du doigt pendant
que les énergies renouvelables sont supposées voler à notre secours.
Pas assez vite cependant pour éviter un recours accru au charbon.
Pour se forger une opinion, un rappel et quelques chiffres ne seront pas inutiles
Perseverare diabolicum
Malgré l’avertissement de l’ASN en 2007, la volonté politique de réduire la part du nucléaire a privé le parc de production électrique français du renouvellement de ses réacteurs et d’une politique de long terme d’investissement dans la prolongation des réacteurs existants.
Au lieu de quoi, la trésorerie dégagée par la production des réacteurs d’EDF, déjà amortis financièrement et paresseusement nommée « rente nucléaire », a été détournée vers le financement de concurrents d’EDF, via l’ARENH, ou celui de la transition énergétique.
Réalisant la « Prophétie de Monsieur Lacoste » nous devrions choisir aujourd’hui entre sûreté nucléaire et sécurité d’approvisionnement, en cédant à des concessions sur le programme de maintenance afin d’éviter des coupures de courant, ainsi que semble le laisser entendre la demande qui aurait été faite à EDF, de «" remettre en marche" des réacteurs nucléaires arrêtés pour maintenance ».
En tout état de cause, un décret ministériel doit autoriser les centrales à charbon françaises à fonctionner davantage que ne le prévoyait la loi.
Nous reproduisons en épilogue le commentaire personnellement
déposé le 4 janvier lors de la consultation du public à son sujet.
La fiabilité nucléaire en question
Aux arrêts de tranche programmés de façon à aborder l’hiver dans les meilleures conditions, s’est greffée, lors de sa visite décennale, la découverte fortuite d’une corrosion anormale sur les circuits de refroidissement du réacteur n°1 de la centrale de Civaux. EDF a pris alors la décision d’arrêter également le réacteur n° 2 ainsi que les 2 réacteurs de conception similaire de la centrale de Chooz.
Soit 5990MW supplémentaires dont il faudra se passer cet
hiver.
C’est ainsi que 13 377MW font défaut au 9 janvier. Les 1100MW de Flammanville2 devant revenir sur le réseau le 10 au matin, et 3200MW courant janvier pour aborder la période la plus critique qu’est, chaque année, celle de début février.
Mais en attendant, seuls 47 993 MW nucléaires sont donc opérationnels.
Ils n’en fournissent pas moins actuellement (9 janvier 14h15), une puissance effective de production de 47 417 MW, soit un facteur de charge de 98,79% des réacteurs opérationnels, et de 77,26% de des 61370MW de l’ensemble du parc nucléaire, au moment de la journée où nous devons à nouveau importer.
Il est important de remarquer que ce facteur de charge de 77,26%, au pire de la situation et au cœur des plus vives critiques, reste supérieur à son facteur de charge moyen de 2020, qui est de 62,38% pour une production de 335,4TWh selon le dernier rapport de RTE.
Rappelons que ce n’est pas la puissance installée du
nucléaire qui est visée par le projet de réduction à 50% du mix électrique,
puisque celle-ci est déjà de 45,1%
de la puissance totale du parc, mais bien sa part de la production totale, qui,
de 67,1% en 2020 est jugée excessive.
C’est la faiblesse de ces 77,26% de facteur de charge qui fait aujourd’hui accuser le nucléaire d’être aléatoire, voire intermittent, en raison des incidents qui ont affecté son facteur de disponibilité.
Ces indisponibilités, largement programmables, sont critiques aujourd’hui pour n’avoir pas été prévue depuis plus de 15 ans.
Nous ignorons d’ailleurs tout du facteur de disponibilité des moyens de production alimentés par des flux et non des stocks de combustible.
Notre parc nucléaire a montré aujourd’hui que même en exploitation dégradée les 99% de facteur de charge de sa puissance opérationnelle permettent, lorsque c’est nécessaire, d’assurer une production bien supérieure à sa moyenne annuelle.
Tandis que le facteur de charge de l’éolien peut être inférieur à 1%, même au plus vif des besoins, et que celui du photovoltaïque est toujours de 0% quand on aurait le plus besoin de lui, c'est-à-dire lors des pics hivernaux de consommation.
Mais c’est le baudet qui assure notre sécurité qui est choisi comme bouc émissaire.
Mise à jour du 10 janvier
Comme annoncé hier, ci-dessus, Flamanville 2 a retrouvé l'intégralité de sa puissance à l'heure prévue.
(Source RTE https://www.services-rte.com/fr/visualisez-les-donnees-publiees-par-rte/production-realisee-par-groupe.html)
et permet au parc nucléaire d'aborder la semaine en développant une puissance de 48691MW, soit plus de 79% de facteur de charge, tandis que l'éolien, avec 1318MW, s'écroulait à 7,1% de sa puissance installée, soit le 1/10 de la puissance qu'il fournissait la veille, dimanche à 1 heure du matin quand on n'en avait pas besoin.
Moins de nucléaire, c’est plus de thermique
En l’occurrence, la baisse de production nucléaire vient donc de s’accompagner d’un recours accru au charbon.
Et que cette baisse ait été fortuite, ou non, ne change rien à l’affaire.
La fermeture de 14 réacteurs inscrite dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie est une bien mauvaise nouvelle pour le climat, mais aussi pour notre sécurité électrique.
Épilogue
La disparition des marges dont disposait RTE, notamment en raison de la fermeture de Fessenheim ne saurait être étranger au décret du 26 décembre 2021 qui permet de remettre en question les critères de défaillance de la sécurité électrique dont est responsable la ministre de l'écologie.
Un projet de décret doit donc permettre une plus grande utilisation du charbon, le commentaire ci-dessous a été déposé
Bonjour Riou
vous avez déposé un commentaire sur le site des
consultations publiques
du Ministère de la Transition écologique
http://www.consultations-publi
au sujet de la consultation Projet de décret modifiant le plafond
d’émission de gaz à effet de serre pour les installations de production
d’électricité à partir de combustibles fossiles
Date et heure du dépôt : le 04/01/2022 à 16:39
Titre de votre commentaire : La prophétie de Monsieur Lacoste
Votre commentaire :
Le 22 juin 2007, André-Claude Lacoste Président de l’Autorité de
sûreté nucléaire (ASN) mettait en garde le Gouvernement sur la
nécessité de disposer de capacités de production électrique suffisantes
pour gérer sereinement les réexamens de sûreté des réacteurs
nucléaires. Et concluait « Il importe donc que le renouvellement des
moyens de production électrique, quel que soit le mode de production, soit
convenablement préparé afin d’éviter l’apparition d’une situation
où les impératifs de sûreté nucléaire et d’approvisionnement
énergétique seraient en concurrence. »
Non seulement son avertissement a été ignoré dans le développement des
moyens pilotables permettant de garantir la sécurité électrique, mais on
incrimine aujourd’hui la faible disponibilité de notre parc nucléaire,
que la Programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit de réduire
encore.
On ne semble réaliser qu’aujourd’hui que la production éolienne, qui
était supposée renforcer notre sécurité électrique, est susceptible de
s’effondrer à moins de 5% de sa puissance installée au moment où on
aurait le plus besoin d’elle.
Le gestionnaire du réseau RTE vient aujourd'hui de faire état d'une
exploitation en situation dégradée qui entraîne un risque de
défaillance (recours aux moyens post-marché) qui « serait probable en
cas de vague de froid (de l’ordre de 4°C en dessous des normales) ou de
situation de très faible production éolienne sur la plaque européenne,
et quasi-certain si ces deux facteurs se combinent ».
On sait pourtant que le dimensionnement du parc de production électrique
est directement corrélé à la puissance appelée par les pics de
consommation et qu’une vague de froid anticyclonique, et donc sans vent,
représente la plus grande menace sur l’ensemble de cette plaque
européenne.
Le code de l’énergie limite à 3 heures par an le recours à chacun des
moyens envisagés par RTE, sous la responsabilité du ministre de
l’écologie qui « élabore et met en œuvre la politique de l'énergie,
afin, notamment, d'assurer la sécurité d'approvisionnement »
En matière climatique, force est aujourd’hui d’en déplorer les
effets.
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