Les débuts menaçants de Nord Stream 2
La guerre du
gaz ne fait que commencer
Par Jean Pierre Riou
Alors que les stocks français de gaz sont pleins à plus de 95% [1], ceux de l’Allemagne, remplis à 70,9% sont déjà en phase décroissante (-0,13% au 23/20) sur fond de pénurie au niveau européen, avec seulement 77,3% de remplissage à l’entrée de l’hiver.
En Europe, Gazprom utilise des capacités de stockage en sous-sol [2] (UGS ou Underground gas storage), notamment en Allemagne à Etzel, Jemgum, Katharina, et Rehden, mais aussi en Autriche, Serbie, République Tchèque, ainsi que de récentes capacités en Hongrie et Slovaquie.
Selon Reuters [3], alors que les stocks de Gazprom sont pleins à plus de 97% en Russie, sur les 14 milliards de mètres cubes de gaz qui font actuellement défaut à l’Europe, 8 milliards de mètres cubes manqueraient dans les installations liées à Gazprom, « en partie à cause du fait que ce dernier n'a réservé qu'une fraction de sa capacité d'exportation via l'Ukraine et la Pologne ».
Ces 8 milliards de mètres cubes représentent, en effet, la plus large part des capacités de Gazprom en Europe, évaluées par celui-ci à 11 ,7 milliards de m3 [3] au 31 décembre 2019.
C'est ainsi que la compagnie Astora, du Groupe Gazprom [4], ne détient actuellement en stocks que 4,1TWh de gaz [1], pour une capacité de 43,6 TWh sur son site de Rehden.
L’Ukraine est particulièrement impactée par cette restriction, avec des stocks remplis seulement à 44,6%.
Toujours selon Reuters, pour Marina Tsygankova, analyste chez Refinitiv, la question est de savoir si Gazprom est disposé à remplir les stocks européens avant que Nord Stream 2 ne soit certifié.
Ce gazoduc qui a divisé l’Europe est en effet une dangereuse arme géopolitique qui devrait priver l’Ukraine d’au moins 1,5 milliard de dollars [5] de revenus annuels pour le transit du gaz par son territoire, et conforter le poids de la diplomatie russe en Europe.
Et Nord Stream 2, désormais terminé et
rempli de gaz, n’attendrait plus que le feu vert de l'Allemagne pour pouvoir
commencer ses approvisionnements.
Ce qui représente une sérieuse épine dans le pied de la nouvelle coalition qui devra succéder à A. Merkel, en raison de sa nécessaire alliance avec les verts, farouchement opposés à la mainmise de Gazprom [6] sur l'énergie du pays.
Par la voie de leur leader, Annalena Baerbock, les verts allemands dénoncent l'existence d'un chantage russe [7] et se refusent d'accorder la certification nécessaire au gazoduc pour commencer ses livraisons.
Le 27 octobre, Euractiv révélait que le Ministère de l’économie et de l’énergie, par la voix de P. Altmaier, avait statué favorablement pour la certification de Nord Stream 2, considérant que celui-ci ne compromet pas la sécurité d'approvisionnement de l'Allemagne ni de l'UE. Les Etats voisins :
Estonie, Italie, Lituanie, Lettonie, Autriche, Pologne, Slovaquie, Tchéquie et Hongrie se sont vu offrir la possibilité de consulter le ministère, dans ce processus dont la certification définitive doit durer 4 mois à compter du 8 septembre.
Le même jour, la presse annonçait la décision de V. Poutine d'entreprendre le remplissage des réservoirs européens dès que ceux de la Russie seraient pleins, au plus tard le 8 novembre.
Selon le media belge LibreECO, V. Poutine aurait publiquement demandé au PDG de Gazprom Alexeï Miller, de commencer, d'ici le 8 novembre un "travail graduel et planifié pour augmenter les volumes de gaz dans vos réservoirs souterrains en Europe".
La France, aujourd'hui et demain
Avec une forte dépendance du gaz norvégien [8], la France tire, cette fois-ci, son épingle du jeu.
Pour autant, les « réserves
prouvées » de gaz norvégien qui étaient de 2000
milliards de mètres cubes fin 2010 [9] ne sont plus que de 1400 milliards
en 2020. Ce qui ne veut pas dire que l’exploration ne peut pas permettre d’en
découvrir de nouvelles, mais doit alerter sur les risques à court terme de toute
dépendance au gaz naturel pour les pays qui n’en disposent pas eux-mêmes.
Si les ordres de grandeurs des ressources en énergie primaire [10] sont souvent négligés dans les débats sur l'énergie, les conséquences géostratégiques de l’approvisionnement ne sauraient en être absentes sans dommage.
Addenda
Selon la Direction générale de l'énergie et du climat [11], les stockages de gaz ont représenté 29% de la consommation 2018-2019, et dépassent régulièrement 50% les jours de grand froid..
Le document faisant état d'une moyenne journalière de 2500 GWh durant les mois froids, les 123 TWh stockés actuellement sur notre territoire permettraient 49 jours de consommation.Ce même document prévoit une accélération du déclin de la production européenne (Norvège et Pays-Bas), qui devra être compensée dans les importations françaises, par davantage d'importations de gaz russe ou de régions plus lointaines, par méthaniers.
Sources
1 État de remplissage des stocks de gaz européens : https://agsi.gie.eu/#/
2 Capacités de stockage de Gazprom https://www.gazprom.com/about/production/underground-storage/
3 Analyse Reuters https://www.reuters.com/business/energy/abandoned-fields-salt-caves-gazproms-gas-storage-is-almost-full-2021-10-20/
4 Astora:Gazprom https://www.astora.de/en/company
7 https://www.politico.eu/article/baerbock-against-operating-permit-for-nord-stream-2/
8 Parlement européen https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/economy/20170911STO83502/infographie-l-approvisionnement-en-gaz-de-l-union-europeenne
9 BP Statistics https://www.bp.com/en/global/corporate/energy-economics/statistical-review-of-world-energy/natural-gas.html
10 J.P. Riou European Scientist https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/independance-energetique-des-ordres-de-grandeur-pour-eclairer-une-voie-etroite/
Quelle est la durée d'approvisionnement qui est assurée par ces stockages (en satisfaisant la demande actuelle)?
RépondreSupprimerMerci pour votre intéressante question qui demande effectivement d'éclairer le rôle du stockage.
RépondreSupprimerJ'ai tenté d'y répondre pour le mieux par un addenda dans le texte