Le dessous des cartes
Jean Pierre Riou
Les débats autour de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) viennent de s'inviter à l'Assemblée Nationale.
L'objectif en est de détailler les trajectoires de chaque filière de notre mix énergétique, afin de garantir notre sécurité d'approvisionnement, tout en respectant les engagements politiques, climatiques et la maîtrise des coûts.
Notre système électrique fait l'objet de toutes les controverses.
Sa gestion ne peut s'affranchir d'en connaître les points clés.
Au risque de jeter nos œufs dans un panier percé au seul prétexte de diversification.
Maîtrise de la consommation
Ses enjeux :
Pour réduire la part de la production du parc nucléaire à 50%, au lieu des 75% actuels, de la consommation, plusieurs scénarios, plus ou moins crédibles, tablent sur une réduction drastique de cette consommation. Ce qui est louable.
Mais, de même qu'il ne convient pas de vendre la peau d'un ours encore vivant, il importe de maîtriser cette consommation avant de décider toute réduction du parc de production.
Ses paramètres :
Son évolution
RTE publie chaque année les chiffres de la consommation brute, mais aussi, des chiffres corrigés de l'aléa climatique, du 29 février et du soutirage du secteur de l'énergie, afin de mettre en évidence la tendance générale, et d'en comprendre les enjeux.
Le graphique ci dessous en compare les données, une ligne rouge horizontale marque la consommation corrigée de 2017.
Infographie J.P.Riou selon chiffres bilans annuels RTE
* Les graphiques de cet article ont été insérés en grand format pour plus de lisibilité, et visibles intégralement grâce à la barre de défilement inférieure de l'écran
La consommation corrigée apparait en rouge, (les 4 premières, en vert, correspondent au graphique non chiffré du bilan RTE 2016).
Elle fait apparaître une stabilité relative depuis 2008 avec un creux en 2009 que RTE attribue à la baisse de l'activité économique et industrielle.
Et la souligne dans les termes suivants : "Cette évolution résulte essentiellement de la diminution de la consommation des clients raccordés au réseau de RTE (la grande industrie). S’agissant des clients desservis par les réseaux de distribution, la croissance constatée chez les clients particuliers et professionnels compense presque totalement la baisse de la consommation des PMI/PME."
La consommation brute, en bleu, s'écarte plus ou moins de cette consommation corrigée en fonction de la présence ou non d'une année bissextile et de 2 paramètres :
Les températures :
Pour rendre compte de l'évolution de la consommation, RTE corrige les données brutes pour effacer les variations provoquées par les températures.
Et estime à 2 400 MW la puissance supplémentaire nécessaire pour répondre à une baisse de température d'1 degré lors des périodes de chauffage.
RTE explique notamment, dans son bilan 2011, que la diminution importante de la consommation brute provient largement du fait que c'était l'année la plus chaude depuis 1900.
Parallèlement, le cap historique des 500 TWh a été passé en 2010 que RTE décrit, dans son rapport 2011, comme la plus froide des 2 décennies.
Ces différences radicales de température, notamment à nouveau plus froides en 2013 (voir bilan RTE) masquent l'importance de l'impact du remplacement progressif, sur la même période, de l'usine d'enrichissement Georges Besse 1 d'Eurodif en mai 2012 par Georges Besse 2, 50 fois moins gourmande en énergie et qui avait déjà atteint plus d'1,5 millions d'UTS en 2012.
Georges Besse 2
La consommation électrique de G.Besse 1 était en effet de 3000MW, c'est à dire la puissance des 3 réacteurs du Tricastin qui avaient été installés à cet effet et lui étaient dédiés.
Elle avait atteint en 1982 sa capacité nominale de plus de 10 millions d'Unités de Travail de Séparation (UTS/an), avec une consommation de 2,5 MW par UTS, soit 25 TWh par an.
La baisse d'activité liée au stock de sécurité prévu pour cette période charnière et l'arrêt, en 2011, de tous les réacteurs japonais, dont le combustible était enrichi en France, ont contribué à masquer cet apport de 3 nouveaux réacteurs au service de la consommation nationale.
Georges Besse 2 ne consomme en effet que 60 MW au lieu des 3000 MW de G.B.1 et sa mise en service a permis une réduction considérable de la consommation, ainsi que l'évoque RTE dans son bilan 2016 :
"A noter: l’étude de la consommation corrigée nécessite d’exclure du périmètre le secteur de l’énergie, ce dernier étant fortement impacté en 2012 par le changement de procédé d’enrichissement de l’uranium, entrainant une forte réduction de consommation."
La mesure de cette "forte réduction de consommation" est donc supérieure à une graduation complète de notre graphique. Elle n'apparaît pourtant dans aucun bilan.
Une lecture non avertie des chiffres est sujette à méprise.
En toute logique, ces trois réacteurs disponibles pour la consommation "hors soutirage du secteur de l'énergie" qui ont permis de réduire la production fossile, ont également entraîné une brusque réduction des émissions de CO2 au sein d'une tendance globalement à la hausse, comme le montre le graphique de RTE, ci dessous:
Source Bilan RTE 2017
Les émissions n'étant clairement pas "variables au cours du temps" mais en hausse régulière, à l'exception de la réduction significative liée aux économies permises par Georges Besse 2.
Il serait lourd de conséquences d'imaginer que la politique actuelle aurait déjà obtenu des résultats, tant sur la consommation, que sur la disponibilité des énergies intermittentes, ainsi que nous allons le voir dans le chapitre suivant.
La chasse au Gaspi date d'ailleurs des années 1970 et les politiques d'économies d'énergie n'ont pas cessé depuis. On ne peut que leur souhaiter la réussite.
Mais force est d'en constater la difficulté.
Maîtrise de la production
La production garantie
Pour assurer les besoins de la consommation dans les périodes les plus critiques, il est indispensable de prévoir une puissance de production qui sera garantie.
Certaines énergies renouvelables sont intermittentes (éolien, photovoltaïque) et risquent, à ce titre, d'être peu disponibles à ces moments. C'était le cas du solaire lors du pic historique de 102 GW le 8 février 2012 puisqu'il était 19h, c'est la roulette russe pour l'éolien, dont la production garantie est insignifiante, quelle que soit la puissance installée, comme le rappellent ses bilans, chaque mois, la valeur minimale garantie de son taux de couverture de la consommation restant désespérément aussi proche de 0 qu'il l'était en 2012.
Source RTE
L'évolution du parc pilotable
Cette absence de toute production garantie par les énergies intermittentes est la raison qui a amené l'Allemagne à conserver intégralement les 100 000 MW de son parc pilotable (charbon gaz fioul nucléaire ...) malgré le développement parallèle d'un doublon intermittent, éolien/solaire de presque 100 000 MW.
Source Energy Charts
Ce qui lui garantit l'approvisionnement.
Même les soirs sans vent.
Le malentendu français
L'état des lieux
Le graphique ci dessous montre l'évolution du parc électrique français depuis 1990
Une ligne rouge horizontale indique le niveau 2008 des moyens pilotables, année pour laquelle la consommation était comparable à celle de 2017 et sous laquelle le parc "pilotable" 2017 a été "pastellisé" sur le graphique.
Éolien, en bleu, et solaire, tout en haut, se sont développés depuis.
Mais contrairement à l'Allemagne, après une augmentation des moyens pilotables jusqu'en 2012, qui a anticipé une tendance à la hausse de la consommation, on observe une diminution régulière ensuite, jusqu'à un niveau inférieur à celui de 2008. (113,4 GW en 2008, 117,7 GW en 2012 et 112,3 GW en 2016).
De cette réduction de 5,2 GW, 3 GW sont donc compensés par le remplacement de l'usine G.Besse et par 0,9 GW supplémentaires de bioénergies (depuis 2008, et 0,5 depuis 2012).
La marge disponible
Cette réduction de la marge disponible doit être mise en parallèle avec l'alerte du 8 février 2012 à 19h, où le pic de consommation de 102 GW avait déjà été passé dans la plus grande peine, en raison d'un parc photovoltaïque déjà à l'arrêt et des éoliennes à guère plus de 10% de leur puissance nominale.
Les valeurs du froid anticyclonique qui touchait l'Europe étaient pourtant banales.
Depuis, le régulateur du réseau européen (EntsoE) a alerté sur la fragilité du système français en cas de nouvelle période de froid sans vent. Indiquant clairement le risque de rupture d'approvisionnement en cas de combinaison d'une température simplement inférieure à moins 2 degrés avec un facteur de charge éolien inférieur à 20%. Capacités d'importations comprises ! Les points rouges indiquant clairement "Imports needs that cannot be covered"
(Source https://www.entsoe.eu/Documents/SDC%20documents/MAF/MAF2016_Slides.pdf)
Et c'est sans surprise que le Comité central d'Entreprise d'EDF a annoncé le 2 mars dernier, que le pays avait frôlé, avec une marge de moins de 1%, une rupture d'approvisionnement.
RTE dispose, bien entendu, de dispositifs de crise tels que les délestages ou la baisse de tension sur le réseau.
Mais il ne faudrait pas ignorer que les nombreuses productions décentralisées, telles que les éoliennes, ne demandent, dans de tels cas, qu'à se déconnecter automatiquement en aggravant la situation et se reconnecter de la même manière de façon incontrôlée en entraînant le problème inverse lors de la remontée de cette tension. Et qu'en cas de dépassement des normes de sécurité, c'est l'effet domino sur l'ensemble du réseau qui est à craindre. Ainsi que cela s'est produit lors de la panne géante qui a affecté l'Europe en novembre 2006.
Mutualisation des problèmes
La multiplication des interconnexions vise à écouler les surplus intermittents et compter sur les voisins en cas de pénurie. L'Allemagne dont les exportations sont clairement corrélées à sa production éolienne, en est le prototype.
Le graphique ci dessous indique la production éolienne de janvier 2018 en vert clair au dessus de l'horizontale, les exportations sont en dessous. L'image en quasi miroir permet de s'en convaincre.
Source Energy Charts
Par delà le fait que lorsque nous n'avons pas de vent l'Allemagne n'en a pas non plus et n'exporte pas, il ne semble pas nécessaire de développer les raisons pour lesquelles ce modèle n'est pas généralisable.
La sécurité d'approvisionnement, un enjeu stratégique
Un tout récent rapport de l'US Department of Energy (DOE) évalue à 150 milliards de dollars par an le cout des coupures de courant liées à l'instabilité du réseau électrique.
Il propose d'ailleurs de développer les nouveaux petits réacteurs nucléaires modulables (SMRs) pour y remédier.
Les scènes d'émeute et de pillage qui accompagnent les coupures de grande envergure aident d'ailleurs à prendre la mesure des enjeux.
Une juste lecture de l'évolution de la consommation et de la production électrique est nécessaire pour anticiper la situation de demain.
Et gouverner c'est prévoir.
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