samedi 9 décembre 2017

Retour à Fukushima



Retour à Fukushima
Jean Pierre Riou

S’il devait s’appliquer à lui-même, le principe de précaution s’interdirait tout seul tant il est dangereux.
Et il importe de ne pas ignorer les risques, plus grands encore, que peuvent faire courir les marchands de peur aux moutons qu’ils affolent en agitant leurs épouvantails.
La gestion des risques est un métier, celui-ci ne doit pas céder à l’émotion mais s'en tenir à la mesure des faits.

Ce qui rend regrettable qu’une certaine presse puisse privilégier le titre racoleur à l’objectivité du contenu, l'article à sensation aux conclusions scientifiques.
Et semble préférer se faire l’écho des rapports officiels quand ils sont alarmants que lorsqu'ils sont de nature à rassurer.

Les leçons de Fukushima
Le tsunami qui a submergé Fukushima  en mars 2011 en est devenu le symbole, et l’analyse de ses répercussions est riche d’enseignements :

La première leçon en est qu’après les 20 000 morts emportés par les flots, aucun des décès qui ont suivi l’explosion d’hydrogène dans la centrale de Fukushima Daiichi n’est imputable à l’accident ni à ses émissions radioactives.
Tous ont été provoqués par le déplacement des populations et le stress qui s’en est suivi.
Depuis, de nombreuses études ont mis en évidence les pathologies entraînées par le déplacement des populations et considèrent désormais que cette évacuation a été excessive.

Une campagne d'un suivi sanitaire de 30 ans a été aussitôt entreprise et concerne 2 millions d’habitants de la préfecture de Fukushima et spécifiquement 360 000 thyroïdes d’enfants.
Cette campagne est pilotée par l’Université médicale de Fukushima en collaboration avec d’autres centres médicaux. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié un rapport en 2013, le Comité scientifique de l’ONU sur les conséquences des émissions radioactives (UNSCEAR) a publié le sien en 2014. En France, l’IRSN publie régulièrement les résultats de ce suivi.

Toutes leurs conclusions s’accordent à considérer que les doses reçues ont été faibles, même sur les travailleurs de la centrale, qu’à ce jour, aucune modification statistique des pathologies n’a été décelé, et qu’aucun élément ne permet encore de savoir si des effets ultérieurs seront, ou non, susceptibles de se manifester.

De la nécessité de l’information scientifique
En décembre 2015, l’Assemblée Générale des Nations Unies adoptait la résolution A/RES/70/81 concernant les effets des rayonnements ionisant qui déclarait :


« Consciente de l’importance croissante des travaux scientifiques du Comité et sachant que des activités supplémentaires imprévues peuvent être nécessaires, comme ce fut le cas après l’accident survenu à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, considérant qu’il importe de maintenir la haute qualité et la rigueur scientifique des travaux du Comité (…)

Demande au Programme des Nations Unies pour l’environnement de continuer, dans la limite des ressources existantes, à fournir un appui énergique au Comité afin de lui permettre de poursuivre efficacement ses travaux et d’assurer la diffusion de ses conclusions auprès d’elle-même, de la communauté scientifique et du public »

Le propos du présent article n’est pas de chercher à minimiser le drame japonais, mais de s’interroger sur les raisons qui ont occulté cette volonté de l’ONU de faire connaître, notamment au public, les conclusions rassurantes de ses travaux, tandis qu’en même temps, celles des experts du GIEC  concernant le climat,  sont surmédiatisées.

Des effets pervers de l’information partisane
Au prétexte de dénoncer un risque, l’information partisane a véhiculé 2 effets pervers :
1° Le premier est le fait que s’il est légitime de s’inquiéter des conséquences à long terme de l’exposition japonaise aux émissions radioactives, celles de l’exposition au charbon sont avérées, et notamment supposées provoquer 1850 décès chaque année en Allemagne … et 2490 hors de ses frontières.  
Leur pérennité se trouvant pourtant implicitement  cautionnée par l’effort allemand de réduire son parc nucléaire.

2° Le second est que les marchands de peur, en incitant les populations à fuir, les exposent à des dangers plus grands encore dans leur fuite.
De même qu’en dissuadant les populations déplacées de respecter  les consignes de retour, ils augmentent, le cas échéant,  les conséquences d’un déracinement prolongé, comme celles de l’accroissement du stress lors de leur retour.
Pour Philip Thomas, professeur en « Risk Management » à l’Université de Bristol, l’évacuation des populations à la suite d’une catastrophe nucléaire représenterait même purement et simplement une grave erreur en raison des dégâts pires encore qu’elle entraîne. Sans préjudice des sommes colossales inutilement perdues. 
Car si la vie humaine n'a pas de prix, en matière de gestion des risques elle a malheureusement un coût qui implique une gestion rationnelle des moyens disponibles.

Fukushima aujourd’hui
Une mission française s’est rendue à Fukushima en 2017 et a mesuré les débits de dose journaliers moyens dans les principales villes impactées.
Ces mesures se sont révélées inférieures à celles enregistrées à Cherbourg la même semaine.
Les mesures correspondant aux 15 minutes à 40 m du réacteur accidenté restant même d’ailleurs inférieures  à celles des 11h du vol Tokyo-Paris.



Et ces mesures ne faisaient que confirmer celles du Pr R. Hayano, de l’Université de Tokyo, qui concernaient 8 étudiants et quatre professeurs, à l’occasion d’un voyage depuis la France en 2015.


Toutes ces mesures rappellent également l’importance de l’exposition aux rayonnements liée aux transports aériens, aux portiques de sécurité, ou d’ailleurs à l’imagerie médicale

Elles faisaient suite à 2 semaines d'enregistrement de l’exposition de 206 de ses étudiants, en Europe, au Japon, ainsi qu’à Fukushima même.
Qui ont mis en évidence la plus forte exposition en France, à Bastia, et l’absence de la moindre anomalie à Fukushima.


Ces conclusions, ainsi que le simple fait que l’Université de Fukushima soit remplie de ses étudiants, contrastent avec les images médiatisées de techniciens en combinaisons intégrales qui donnent à l’européen moyen  l’impression que toute trace de vie sociale a disparu de la préfecture de Fukushima depuis 2011.

La part des choses
L’accident de la centrale de Fukushima Daiichi n’en reste pas moins une catastrophe majeure.
Mais la raison exige de le mettre en regard avec chaque paramètre de la problématique.
Et impose de garder présent à l’esprit le fait que la filière nucléaire reste la moins dangereuse par unité d’électricité produite.

D’une énergie à l’autre
Les rupture de barrages hydrauliques ont déjà entrainé la mort de plus de 100 000 personnes à Banqiao, dans la province du Henan, et bien d’autres encore depuis, dont 4 disparus lors de l’effondrement de celui de Fujinuma en mars 2011 à la suite du séisme du Tokohu, origine du Tsunami.
Les nombreux accidents dans les mines de charbon viennent grossir le lourd bilan des 300 000 morts provoqués chaque année en Chine par sa combustion, ou des plus des 20 000 décès rien qu’en Europe.
Et bien que la biomasse soit renouvelable, ses émissions n’en sont pas moins nocives.

Et à tout le reste
Trente ans après les milliers de morts de la catastrophe de Bhopal, les sols restent contaminés sans qu’on entende de slogans demandant la sortie du chimique, ni celui de la sortie de l’aviation à chaque crash aérien, qui menace pourtant même les grandes capitales.
Sans compter les catastrophes naturelles ou autres incendies, semblables à celui qui frappe actuellement la Californie et dont l’évacuation des populations est d’une plus grande ampleur encore que celles de Fukushima, pourtant jugées excessives depuis.



La gestion des risques
Dans une tribune publiée par « Le Monde de l’énergie », Bertrand Barré, ancien Directeur des réacteurs nucléaires au CEA et Directeur de la Recherche et Développement à Cogema posait la question :
" Nucléaire : spécialiste ou militant, deux éthiques incompatibles ?"
 
Et concluait par le constat : 
« Le militant antinucléaire est convaincu qu’il faut arrêter le nucléaire par tous les moyens quelles qu’en soient les conséquences, et que le meilleur moyen est d’empêcher cette gestion pour la prétendre impossible… »

La politique de l'énergie sous tend toutes les autres et les choix qu’elle implique sont lourds de conséquences.
Quand l’opinion publique est appelée à se prononcer, on ne peut que redouter les effets d’une information militante. Il en va de la responsabilité des médias.

Car les conséquences économiques, écologiques ou géostratégiques d’une décision militante sont étrangères à tout principe de précaution.






5 commentaires:

  1. Je vous remercie pour cet article qui remet en perspective les différents risques à partir d’approches scientifiques. L’aveuglement des anti-nucléaires leur fait privilégier la sortie du nucléaire à la lutte contre le réchauffement climatique et à la nécessaire sortie des énergies fossiles, à commencer par le charbon. Ils refusent obstinément de considérer les conséquences concrètes, quotidiennes et dramatiques de l’utilisation des énergies fossiles au nom de leur phobie du nucléaire. Il n’y a qu’à voir le flot de critiques qui ont été adressées à Nicolas HULOT suite à sa prise de décision pragmatique et courageuse.
    Pour fermer nos centrales thermiques, à commencer par celles au charbon et au fioul, il n’y a aujourd’hui qu’une voie efficace : réduire notre consommation d’énergie électrique.
    Pour ne pas oublier la part importante du chauffage et des transports dans notre consommation d’énergies fossiles j’appelle de mes vœux une grande politique nationale et cohérente de réduction de nos dépenses énergétiques.

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    1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    2. Merci pour votre commentaire! Contrairement à des énergies intermittentes, les économies d'énergie sont effectivement en mesure de remplacer réellement des capacités "pilotables" installées, quelles qu'elles soient.
      J.P.Riou

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  2. Non, il y a une meilleure alternative : développer le nucléaire Génération IV : centrales à surgénération 238U et/ou 232 Th. C'est ce que font les Chinois, les Russes, les Indiens et les Américains. Nous, on a un petit projet, Astrid, avec des financements modestes.

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    1. Absolument!
      J'avais d'ailleurs publié un article évoquant notre Superphénix renaissant de ses cendres sous la forme du BN 8OO russe, lauréat du prix de la meilleure centrale au monde de la part de la presse américaine.
      http://www.economiematin.fr/news-superphenix-reacteur-nucleaire-fermeture-ecologie-france-riou
      Des arrangements électoralistes auront participé à la perte de l'avance de la France dans ce domaine de la 4° génération.
      J.P.Riou

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