Sécurité énergétique et CO2 : les grands oubliés de la PPE3
Jean Pierre Riou
Projet de PPE n°3 soumis à la concertation– Novembre 2024
Depuis 1990, la France a été 26 fois sur 33, 1er exportateur mondial d’électricité et dans le trio de tête chaque fois qu’elle ne l’était pas.
A l’exception de l’année 2022, où son solde fut même
importateur. Le 4 avril 2022, elle a notamment frôlé la rupture d’approvisionnement
pour n’avoir tiré aucun enseignement de son pic de consommation du 8 février
2012, malgré l’avertissement
de l’ASN qui l’exhortait depuis 2007 à renouveler son parc pilotable. A l'époque, son parc pilotable était pourtant de 117,7 GW contre 106,1 aujourd'hui, selon RTE.
En regard des nouvelles capacités nucléaires prévues dans le projet de PPE3 et dont il a été jugé qu’on ne pourra pas se passer malgré leur sous-emploi programmé, se posent désormais les questions du coût, du risque et de l’intérêt de l'objectif décliné p 125 : « Faire évoluer le réseau électrique pour intégrer une part grandissante de production non pilotable »
Sécurité du réseau
Car aucune mention n’y est faite de la façon d’éviter l’écroulement du réseau en raison de la diminution de l’inertie liée à la part grandissante de ces énergies non pilotables. Le rapport se contente d’une allusion, en bas de page 105, au rapport de RTE sur le sujet.
Dans celui-ci, les compensateurs synchrones représentent l’alternative la mieux maitrisée à la nécessité incontournable de répondre à la diminution de l’inertie conférée par la rotation synchrone des turboalternateurs des centrales conventionnelles. Le document RTE prévoit (figure 7.57 p 347) un coût annuel pouvant atteindre 900 millions d’euros pour l’éventualité de leur installation sur le réseau, même en cas de forte proportion nucléaire, en prévision des épisodes où les réacteurs devraient s’effacer devant les énergies renouvelables intermittentes (EnRi). Ce rapport RTE prévoit la nécessité de 150 GWs à horizon 2060.
Or ce chiffre doit être comparé avec celui réclamé par le gestionnaire du réseau Européen ENTSO-E dans son avertissement de 2021, dans lequel il préconisait un besoin croissant d’une telle inertie cinétique additionnelle s’élevant à 2500 GWs en 2040 pour éviter le risque d’un blackout à l’échelle du continent.
En 2023, La France a produit 494,7 TWh sur les 2697 TWh consommés en Europe, soit 18,3% de la totalité. Ce qui semble correspondre davantage à un besoin de 450 GWs en 2040 que les 150 GWs de RTE en 2060, pour éviter l’écroulement du réseau en cas de fortes productions d’EnRi lors desquelles le nucléaire devra s’effacer. La Grande Bretagne en a fait l’amère expérience lors de son record éolien de 2019 où le réseau s’est écroulé au moment précis où son gestionnaire National Grid ESO annonçait fièrement « It’s wind o’clock ».
Mutualisation des risques par les importations
Selon le rapport p 107, les conditions récentes ont été favorables en raison de la baisse de la consommation à partir de la fin 2022, de bonnes conditions météorologiques et l’apport des interconnexions ont permis d’éviter le recours à des mesures de délestage.
Dix ans de retour d’expérience auraient dû montrer que la disponibilité de ces interconnexions est inversement proportionnelle aux surplus de production non pilotable et qu’elle tend à diminuer malgré les investissements destinés à les renforcer.
En effet, la France a connu 2 alertes majeures en 10 ans pour répondre aux pointes de sa consommation : le 8 février 2012 à 19 h et le 4 avril 2022 à 8 h. Or, malgré de lourds investissements dans ces interconnexions, la disponibilité de la capacité d’importation aura été inférieure le 8 avril 2022 à 8 heures, avec 3597 MW de capacité d’import disponible depuis la Belgique et l’Allemagne, pour une capacité totale de 15 720 MW, que les 4352 GW du 8 février 2012 à 19 heures où la France établissait son record de consommation, jamais battu depuis, avec 102 098 MW.
(Source RTE https://www.rte-france.com/eco2mix/les-echanges-commerciaux-aux-frontieres# )
Risque d’effondrement des EnRi
Lors de cette pointe du 8 février, toute production solaire avait disparu, et l’éolien ne contribuait que de façon anecdotique avec 1762 MW.
L’Allemagne vient de montrer que cette contribution peut être bien inférieure en cas de besoin le 6 novembre 2024, où toute sa production éolienne s’est brutalement effondrée en fournissant moins de 1 GW pendant plus de 30 heures, tombant même à 78,5 MW à 17h30, soit 0,1% des 71920 MW éoliens installés.
Sécurité d’approvisionnement,
Pour passer les pointes de consommation, lors desquelles quasiment aucune puissance d’EnRi n’est garantie, la PPE3 évoque la flexibilité pour éluder la question sans même chiffrer la pointe attendue avec notamment un dispositif qui permet de réduire autoritairement la puissance délivrée en pareil cas.
Le rapport rappelle, p 106, le critère de sécurité d’approvisionnement imposé par le code de l’énergie. Ce critère limite à 3 heures la durée permise de défaillance du système. Par « défaillance » la loi entend aussi bien la nécessité de délestage que de l’appel aux gestes citoyens. Le rapport PPE3 en conclut la nécessité d’une remise en cause de ce critère qu’il propose d’ « enrichir » (sic) pour permettre le développement de réductions autoritaires de puissance « via le compteur Linky sur les périodes de pointes de la consommation d’un jour ouvré (6h30-13h30 et 17h30-20h30), durant un laps de temps restreint pour chaque client (2h maximum), par roulement. »
Ce qui revient à supprimer les fusibles de peur du court circuit annoncé.
Coûts réseau
Le rapport évoque les 580 milliards d’euros d’investissements supplémentaires dans les réseaux européens d’ici à 2030 permettant d’introduire cette part grandissante de production non pilotable, et montre leur caractère exponentiel. Il se réfère aux « Éléments de prospective à 2050 », dans lesquels Enedis expose clairement le fait que « Le coût d’adaptation du réseau à ces transformations dépend du taux de pénétration des énergies renouvelables dans le mix de production », notamment « entre 1,5 et 2 milliards par an pour le raccordement de nouvelles installations selon le scénario de « continuité ». Le rapport chiffre les investissements d’Enedis à 4,4 Md€/an en 2022 (p 123) et 100 Md€ pour RTE à horizon 2040 sur cette même page.
RTE prévoit en effet dans son schéma directeur 2024 (SDDR2024), l’explosion de ces coûts sur le réseau de transport pour l’intégration des EnRi, selon la trajectoire prévue, comme l’illustre la reproduction de la figure ci-dessous, dans laquelle le renouvellement des lignes représente une portion congrue.
Soit plus de 1 Md€ pour le réseau de transport en 2024
hors renouvellement
Source RTE https://assets.rte-france.com/prod/public/2024-03/SDDR2024-Consultation-Publique-doc-A.pdf.
Dès aujourd’hui, l’ensemble de ces coûts consacrés à l’intégration des EnRi dépasse ainsi largement 2,5 Md€ annuels. Rapporté aux 72 TWh éolien-solaire produits en 2023, ces coûts annuels correspondent ainsi à 34,5 €/MWh produit. Sans même évoquer le coût des compensateurs synchrones décrits plus haut.
Notons que cette charge que chaque MWh intermittent fait ainsi peser sur les réseaux électrique n’apparait pour autant ni dans les coûts complets, ni dans les coûts marginaux des EnRi, pour la raison que la société a décidé de les payer pour elle. Notamment dans le cadre de la renégociation des appels d’offre d’éolien en mer, où la loi ESOC a même fait porter à RTE le coût d’un raccordement initialement prévu à la charge des exploitants. D’ici 2035, RTE chiffre à 7 Md€ le coût de raccordement de l’éolien en mer prévu.
Et le CO2 dans tout ça ?
Cette PPE prévoit, p 77, une production thermique fossile de 31,5 TWh en 2030 … contre 32,6 TWh en 2023 selon le dernier bilan RTE. Et ce n’est assurément pas l’effacement programmé du nucléaire (3,7 gCO2/kWh) devant l’éolien (14,1 gCO2/kWh) ou le solaire (43,9 gCO2/kWh) qui pourrait conférer une vertu climatique à cette PPE.
Notons pour finir que les fiches thématiques de Cette PPE3 mentionnent (p 33) les émissions de CO2 du nucléaire en se référant au GIEC qui donne une fourchette comprise entre 3,7 g et 110 g, avec une valeur médiane de 12 g CO2/kWh, et précisent que la PPE2 avait retenu ces 12 grammes. La fiche PPE3 se contentant d’évoquer le fait que « certaines études à l’échelle de la France conduisent à des niveaux inférieurs à 12 grammes ». Alors que les 3,7 grammes sont officiellement reconnus par la base empreinte de l’ADEME.