vendredi 31 décembre 2021

Le maillon faible du monde occidental

Le maillon faible du monde occidental

En forme d’épilogue à un précédent article : « La guerre du gaz ne fait que commencer » [1]

Soixante quinze années de paix, puis d’une abondance impulsée par les 30 glorieuses, ont nourri une forme d’angélisme dans la pensée française dominante, qui semble avoir perdu de vue à quel point l’essentiel même n’est jamais acquis, et se bat d’autant moins pour transmettre son héritage à la génération suivante que la décroissance est désormais érigée en valeur suprême au nom de la planète Gaïa.

Cet angélisme a contaminé le système électrique en fragilisant la seule alternative connue au gaz et au pétrole qu’il représente et dont on sait pourtant qu’il va falloir se sevrer.

Bruit de bottes dans l’Est

Les combats dans le Dombass entre séparatistes pro-russes et forces ukrainiennes ont ravivé les tensions entre Kiev et Moscou, et rendu inacceptables pour le Kremlin les manœuvres de l’OTAN aux frontières de son territoire. Notamment les exercices non planifiés de vols de bombardiers à 20km de la frontière russe [2].

Cette situation est décrite comme une menace majeure par la diplomatie russe qui promet des représailles « Si l’Occident n’est pas capable de dissuader l’Ukraine [3], mais s’il essaye au contraire de l’encourager ». C’est ainsi que Vladimir Poutine a directement mis en cause l’Union Européenne dans la détérioration progressive d’une situation qui a forcé la Russie à répondre à chacune de ses étapes, et menace aujourd’hui les Occidentaux de réponses « militaires et techniques » s’ils ne mettent pas fin à leur politique jugée hostile.

De son côté, l’Ukraine se prépare à l’affrontement, en accusant Moscou de soutenir les séparatistes et redoute une invasion [4], dont les conséquences attendues sont envisagées bien au delà son propre territoire, depuis que les troupes russes se massent à sa frontière [5].

A l’occasion de sa rencontre avec son homologue danoise, le ministre de la Défense ukrainien, Oleksiy Reznikov, a évoqué un « ultimatum » du Kremlin aux pays de l’Otan [6] et décrit la guerre que la Russie mène à l’Ukraine depuis 7,5 années. Depuis l’annexion de la Crimée. Le ministre en appelle à une position ferme des Alliés et de l’UE pour lui fournir une aide concrète en matière d’armes et de technologies « pas seulement protectrices, mais aussi offensives » précisant même : « en besoins de guerre de renseignement électronique, de systèmes de missiles, de cyberdéfense, nous devons renforcer notre flotte. Nous appelons tous ces besoins publiquement, nous ne nous cachons pas, et alors l'agresseur n'ira pas plus loin ».

Nord Stream saison 2

Le 22 novembre 2021, le département d’État américain proposait au Congrès de nouvelles sanctions [7] contre le gazoduc Nord Stream 2 qui permet d’approvisionner l’Europe en gaz directement par l’Allemagne en contournant l’Ukraine.

L’interminable histoire [8] de ce gazoduc qui divise l’Europe semblait pourtant terminée avec l’accord germano-américain de juillet 2021 et la levée des sanctions américaines [9] contre son opérateur, Nord Stream 2 AG. Le dernier tronçon étant désormais posé et le remplissage de gaz achevé, Gazprom n’attendait plus que la certification définitive du gazoduc pour livrer l’Allemagne.

Mais la nouvelle coalition d’Olaf Scholz doit composer avec les écologistes qui y sont farouchement opposés [10]. Et, dans l’attente d’un accord, la procédure de certification a été interrompue [11] pour la raison d’une absence de filiale allemande de la société Nord Stream 2.

La tension avec la Russie est montée d’un cran le 8 décembre avec l’interception d’un mirage 2000D et un Rafale français [12] au dessus de la mer Noire par des SU-27 de la chasse russes.

Pour autant, les pressions russes ne parvenaient pas à entamer la volonté de l’Ukraine d’intégrer l’OTAN [13]. Cette intégration étant jugée casus belli par Moscou [14].

La détérioration des relations

Lire la suite dans Économie Matin 

http://www.economiematin.fr/news-energie-analyse-geopolitique-russie-france-nucleaire-riou

 

mercredi 29 décembre 2021

Et si on regardait sous le tapis ?

Et si on regardait sous le tapis ?

 Jean Pierre Riou

L’autoconsommation, y compris des sites industriels est importante en Allemagne.

Selon l’Office franco-allemand pour la Transition énergétique (OFATE) « la consommation d’électricité en autoconsommation dans les entreprises industrielles en Allemagne s’est élevée à environ 16 % de la consommation d’électricité totale pour ces mêmes entreprises, qui était de 246 TWh. »

Les données de l’excellent site du Fraunhofer Institut indique notamment dans ses informations « Sauf indication contraire, seule la production nette de toutes les centrales électriques destinées à l'approvisionnement public est indiquée. »

Les informations du Fraunhofer précisent également « La production des centrales électriques des "entreprises de l'industrie manufacturière ainsi que des mines et carrières" n'est pas indiquée, car aucune valeur horaire n'est disponible à cet effet.»

Si on s’en tient à la définition d’ « industries manufacturières » c’est un secteur considérable qui est concerné.

Mais le Fraunhofer Institut permet, dans certains graphiques de visualiser la production totale d’électricité, et non la seule production du réseau public qui est donnée par défaut, comme le montre l’illustration ci-dessous, qui a sélectionné la production nette totale de 2021.

 



 

La part de renouvelables y est de 41,8%, tandis que celle du seul réseau public est de 45,6%.

Comme les conditions de la météo ont été moins généreuses en vent et en soleil qu’en 2020, avec notamment 115,5TWh éoliens contre 129,6TWh en 2020, malgré 1610MW de puissance éolienne supplémentaires, la réalité des 41,8% renouvelables de 2021 fait piètre figure à côté des annonces de 2020, de plus de 50% d’énergies renouvelables atteints pour la première fois, en oubliant de préciser "hors production fossile de l’autoconsommation industrielle".

C’est ainsi que se termine l’année 2021 avec une production allemande fossile de 254,8TWh qui représente 46,3% de la production TOTALE, contre 41,8% pour les énergies renouvelables, avec une baisse considérable de la production éolienne.

Tandis que le charbon/lignite reprennent leur 1ère place, avec 149,5TWh, contre 115,5TWh pour l’éolien.

Brokdorf, Grohnde, Gundremmingen : 3 des 6 réacteurs du parc nucléaire allemand doivent se retirer du réseau au 31 décembre prochain.

Bien mauvaise nouvelle climatique pour aborder 2022.

samedi 18 décembre 2021

La prophétie de Monsieur Lacoste

 La prophétie de Monsieur Lacoste

 Jean Pierre Riou

Article également publié dans "Le Monde de l’Énergie" 

https://www.lemondedelenergie.com/la-prophetie-de-monsieur-lacoste/2021/12/30/ 

 

Le 22 juin 2007, le Président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) A.C. Lacoste adressait au Gouvernement un avertissement reproduit en fin de cet article.

Le rapport de décembre du gestionnaire du réseau européen Entsoe et l’avis de l’ASN de ce même mois montrent la clairvoyance de la prophétie de Monsieur Lacoste et laissent comprendre que le temps est venu où nous allons devoir choisir entre la sûreté nucléaire et la sécurité d’approvisionnement.

Au risque d’ailleurs de devoir nous passer de l’une comme de l’autre.

 

Deux documents majeurs ont été publiés cette semaine :

-          L’analyse, par la Cour des Comptes [1] sur les coûts du système électrique en France

-          L’analyse, par l’Entsoe [2] de l’adéquation des moyens de chaque pays entre production et consommation d’électricité pour affronter l’hiver 2021-2022

Une bonne illustration valant mieux qu’un long discours, la carte d’Europe des risques résumera cette dernière analyse


Sur ces cartes d'Europe, l’Irlande et Malte sont les seuls à partager le risque d'approvisionnement observé pour la France cet hiver, les capacités d’interconnexion ne permettant pas à la France de permettre au mécanisme hors marché de diminuer sensiblement ce risque, qui reste identique sur la carte de droite, contrairement à Malte, où ces ressources hors marché permettent de le supprimer.

Le risque français d’une énergie nécessaire non distribuée, ou Expected Energy Not Served (EENS) est décrit comme proportionnel aux températures, chaque degré en moins entrainant un besoin de 2400MW de puissance électrique supplémentaire [3] en hiver.

Le risque apparaît limité en Irlande mais plus important à Malte et en France.

(Risks appear to be marginal in Ireland, whereas risks in France and Malta appear to be higher)

C’est à dire essentiellement en France en raison de sa limitation du mécanisme hors marché.

L’analyse détaillée par pays relève que si le risque français est faible en novembre et décembre, en raison des conditions favorables de température et de vent, janvier-février seront les plus sensibles en cas de vague de froid, surtout combinée avec des indisponibilités nucléaires fortuites.

Et note que l’hiver 2021-2022 français est marqué par une probabilité de recours plus élevée que d’habitude à des mécanismes post marché tels que l’interruptibilité d’industriels rémunérés à cet effet, à la réduction de la tension, à l'appel aux gestes citoyens et, en dernier ressort, à des délestages ciblés.

Rappelons que le recours à chacun de ces moyens, mécanismes transfrontaliers hors marché inclus, sont strictement encadrés par le code de l’énergie [4] et limités à 3 heures par an dans la mission donnée à RTE.

L’incident fortuit, prophétisé par A.C. Lacoste et redouté par l’Entsoe, n’a pas manqué de se produire juste après la publication du rapport sous la forme d’une corrosion anormale détectée sur les circuits de sécurité de la centrale de Civaux, lors de sa visite décennales. Et l’ASN informe [5] que « Au regard de l’origine inattendue des fissurations constatées, EDF a pris la décision de mettre à l’arrêt, dans les meilleurs délais, les réacteurs de conception similaire. »

Comment mieux illustrer l’avertissement de l’ASN qui écrivait en 2007 [6] « Il importe donc que le renouvellement des moyens de production électrique, quel que soit le mode de production, soit convenablement préparé afin d’éviter l’apparition d’une situation où les impératifs de sûreté nucléaire et d’approvisionnement énergétique seraient en concurrence. »

 

Les prix du système électrique

La Cour des Comptes vient de publier, ce 13 décembre, ses observations définitives sur les coûts du système électrique en France.

Là encore, une illustration permettra, d’un regard, de comparer les coûts de chaque filière, afin d'éclairer le choix sur les moyens supplémentaires qu’il aurait fallu mettre en œuvre. 

La Cour mentionne notamment : « Un exercice périodique conjoint de l’AIE et l’AEN faisant référence ». Lequel mentionne « Les coûts des nouvelles centrales nucléaires ont baissé en 5 ans, le nucléaire est le mode de production décarboné et pilotable avec les coûts prévisionnels les plus faibles à l’horizon 2025 et l’électricité produite à partir de la prolongation des centrales nucléaires existantes constitue le mode de production de l’électricité le plus compétitif ».

Et ajoute : « La comparaison des LCOE (Levelized cost of energy) des différentes technologies, calculés sans tenir compte des coûts de réseaux ou des externalités, est résumée dans le graphique ci-dessous. »

Nuclear LTO représentant ici la prolongation du nucléaire existant (Long Term Operation) et les extrêmes de prix, en fonction notamment des conditions locales, étant représentés par les 2 tirets qui encadrent le trait vertical noir.
 

Concernant les coûts du réseau et les externalités, le rapport AIE-AEN [7] cité mentionne effectivement que le LCOE du tableau ainsi reproduit, indique un coût de MWh « sorti de la centrale de production » mais reste insuffisant pour comparer les coûts réels entraînés par chaque filière pour la raison que certaines entraînent des externalités sur le réseau et une nécessité de stockage qui demanderaient une approche plus complète d’ajustement de la valeur réelle de la production, ou « value-adjusted LCOE (VALCOE) ». 

La sécurité en question

En effet, malgré les indisponibilités nucléaires historiquement hautes, avec notamment 16,8GW [8] sur les 61 GW du parc nucléaire, arrêtés pour maintenance programmée ou incident fortuit au 4/12/2021, la production des réacteurs disponibles montre un profil de production d’une autre valeur pour la sécurité d’approvisionnement, dans l’illustration ci-dessous, que celle des filières éolienne et photovoltaïque, reproduite dans l’illustration qui suit, toutes 2 étant tirées des données de RTE « Eco2mix » pour la production d’électricité depuis début novembre.

 

Avertissement : ces 2 illustrations ont été publiées dans une communication sur Twitter sans que leur auteur ait été mentionné. Dans un souci de rigueur, une plus grande transparence de la sour[9]ce les complètera dès que possible.

 

Il ressort de cette comparaison que ce n’est pas la faiblesse du facteur de charge moyen de l’éolien et du PV qui représentent la plus grosse difficulté, mais l’effondrement aléatoire de leur production, telle qu'entre le 7 et le 12 novembre, alors qu’on ne sait toujours pas stocker l’électricité en quantité suffisante pour supporter un tel manque.

Attributions ministérielles

En vertu du décret 2020-869 du 15 juillet 2020 [10], et au titre de l'énergie et du climat, le ministre de la transition écologique « élabore et met en œuvre la politique de l'énergie, afin, notamment, d'assurer la sécurité d’approvisionnement. » C'est-à-dire, en l’occurrence, de respecter les critères de défaillance électrique fixés sous sa propre responsabilité, en vertu de l’article L141-7 du code de l’énergie [11].

C’est la raison pour laquelle la ministre B. Pompili déclare avoir reçu J.B. Levy [12]afin de « demander à EDF de prendre des mesures pour renforcer la sécurité d'approvisionnement électrique cet hiver ».

L’ombre de Fessenheim devait planer sur cet entretien, ainsi que la liste des 14 réacteurs [13] dont EDF avait eu la mission de proposer la fermeture pour respecter la Programmation pluriannuelle de l’énergie.

 

Que les responsables se rassurent, la météo agricole à long terme [14] prévoit des températures clémentes cet hiver, avec une fiabilité de prévision estimée à 60%.

Mais tant de gens chérissent les causes dont ils déplorent les effets [15] qu’on peut déjà prévoir qu’en cas d’absence de rupture d’approvisionnement, ce sera officiellement grâce à la générosité de la production éolienne, et malgré les indisponibilités du nucléaire.

 



 

C’était en 2007.

Qu’on se le dise !

 

1 https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lanalyse-des-couts-du-systeme-electrique-en-france

2 https://www.entsoe.eu/outlooks/seasonal/

3 https://bilan-electrique-2019.rte-france.com/sensibilite-a-la-temperature-et-aux-usages/#

4 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000023983208/LEGISCTA000033313570/

5 https://www.asn.fr/l-asn-informe/actualites/corrosion-detectee-sur-le-circuit-ris-du-reacteur-1-de-la-centrale-de-civaux

6 http://www.senat.fr/rap/r06-357-2/r06-357-24.html

7 https://www.iea.org/reports/projected-costs-of-generating-electricity-2020

8 http://lemontchampot.blogspot.com/2021/12/quand-le-nucleaire-foisonnera.html

9 https://twitter.com/TristanKamin/status/1471538237739085839?s=20

10 https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000042121148/

11 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043215173/

12 https://twitter.com/barbarapompili/status/1471904550814683143

13 https://www.capital.fr/economie-politique/voici-la-liste-des-14-reacteurs-nucleaires-qui-devraient-fermer-dici-2035-1360260

14 https://www.terre-net.fr/meteo-agricole/article/quel-temps-pour-debut-2022-et-pour-les-premiers-semis-de-printemps-2179-204093.html

15 https://citation-celebre.leparisien.fr/citations/198138

 

 

 

lundi 13 décembre 2021

Stabilité dynamique et blackout en Europe continentale

 Stabilité dynamique et blackout en Europe continentale

Jean Pierre Riou 

Responsabilité politique de la transparence du risque

 

L’injection croissante d’énergies renouvelables dans le système de transmission interconnecté d'Europe continentale (CE) pose le double défi d’équilibrer ce système avec une production de moins en moins corrélée aux besoins de la consommation, mais surtout de la réduction progressive de la stabilité dynamique du réseau qui était permise par l’inertie des turbo alternateurs des centrales conventionnelles tournant de façon synchrone à la fréquence de 50Hz.

Le gestionnaire du réseau européen Entsoe vient de publier « Entsoe assesses the impact of reduction of inertia on frequency stability in long-term scenarios »[1] qui en caractérise le risque et les causes, à l’adresse de politiques dont on aimerait définir la responsabilité.

Dans le document d’orientation de 2018 « Rate of Change of Frequency (ROCOF) withstand capability »[2] l’Entsoe s’inquiétait des conséquences de cette réduction d’inertie en notant : « Le taux de changement de fréquence RoCoF (rate of change of frequency Ndlr) est la dérivée temporelle de la fréquence du réseau électrique (df ​​/ dt). Cette quantité était traditionnellement d'importance mineure pour les systèmes avec génération principalement basé sur des génératrices synchrones, en raison de l'inertie de ces génératrices, qui contrecarre intrinsèquement les déséquilibres de charge et limite ainsi le RoCoF dans ces cas ».

La réduction progressive de cette stabilité dynamique du réseau, en raison d’une part croissante d’injection d’énergies renouvelables, a amené l’Entsoe à publier, ce 6 décembre, un avertissement [1] dans lequel il se concentre sur un risque « hautement vraisemblabl e» de blackout  sur la totalité de l’Europe continentale si des mesures urgentes n’étaient pas prises.

En préambule, il est important de noter 2 points :

-          L’Entsoe ne se juge pas compétent pour définir ce qu’est un risque acceptable, considérant qu’il s’agit d'une décision politique autant que technique.

-          L’Entsoe ne prétend pas que l’inertie additionnelle qu’il préconise représente la seule solution au problème, ni même d’ailleurs forcément la meilleure.

Et, à l’instar de RTE en France, se contente de faire pour le mieux avec les scénarios de production décidés au niveau des politiques nationales et inscrites dans les lois.

En écrivant : “ It is important to highlight that a clear definition of ‘acceptable risk’, related to a system split and its consequences, is still pending. This report does not aim to propose such a definition because this would be a political as well as a technical decision – the sort of decision that should incorporate the input of all industrial and institutional stakeholders. However, this report may guide decision-making by providing technical indications for the relevant parameters associated with the phenomena of system splits, and how they may be reasonably quantified*”, l’Enstsoe semble s’adresser à une cabine de pilotage dont on aimerait en savoir plus sur la présence effective d’un commandant de bord.

Dans son excellente vidéo [3], RTE confesse que « Plus la part d’EnR est grande, plus cet équilibre est fragile » et que « leur introduction est un vrai challenge que RTE devra relever » Notamment via le projet européen MIGRATE, encore seulement au stade expérimental.

Dans cette vidéo, l’équilibriste choisi par RTE pour symboliser ce challenge, en caractérise parfaitement les enjeux.

 


L’inertie en question

L’ensemble formé par les turbines et l’alternateur des centrales conventionnelles est appelé groupe turboalternateur et peut mesurer jusqu’à 74 m de long [4]. Le rotor seul des tranches nucléaires de 1300MW peut peser jusqu’à 250 tonnes. L’inertie de toutes ces machines tournantes de façon synchrone à 50 Hz, soit 25 tours/seconde pour 2 paires de pôles, confèrent au réseau européen une grande stabilité dynamique en amortissant les variations de cette fréquence. En effet, « Quand la production est inférieure à la consommation, les groupes de production ralentissent et la fréquence du réseau baisse par rapport à sa valeur de référence de 50 Hz. Quand la production est supérieure à la consommation, les groupes de production accélèrent et la fréquence augmente »                               (Source CRE Services système et mécanisme d'ajustement [5]).

Dans le rapport « Inertie et taux de variation de fréquence (RoCoF [6]»de décembre 2020, l’Enstoe avait montré que des valeurs de RoCoF supérieures à 1 Hz/s peuvent compromettre l'efficacité des actions de résilience et/ou du plan de défense destinées à stabiliser le réseau et que ces valeurs RoCoF étaient actuellement considérées comme non gérables. 

L'amplitude de ce RoCoF est freinée par l'inertie des énormes turboalternateurs synchronisés sur le réseau européen à la fréquence de 50Hz qui entraîne une action corrective automatique, ainsi que l'explique l'Afis dont l'illustration est reprise ci-dessous.



Les actions d'équilibrage n’étant alors pas assez rapides pour rétablir la puissance active avant d'atteindre un seuil de fréquence à partir duquel la majeure partie de la génération commence à se déconnecter. Ce qui conduit au blackout.

C’est pourquoi la présente étude se concentre sur l'identification des cas de RoCoF dépassant 1 Hz / s, et conclut qu'un nombre important de tels cas peut être observés dans tous les scénarios étudiés.

En se concentrant sur des scénarios de division en 2 sous-systèmes, avec un RoCoF dépassant 1 Hz / s dans les deux sous-systèmes nés de la division du réseau, la situation des deux sous-systèmes résultants entraîne le risque hautement probable (highly possible risk) d'un blackout de l'ensemble du système de transmission interconnecté d'Europe continentale (CE). Car dans ce cas, il n'y aura pas de réseau voisin « vivant » pour restaurer rapidement le sous-système défaillant (blacked-out).

Le rapport conclut notamment que « Les tendances montrées dans cette étude soulignent également le besoin urgent de rechercher des actions « sans regret » permettant d’améliorer les mesures du plan de défense face au RoCoF croissant, qui seront de toute façon nécessaires quel que soit le niveau défini de résilience contre la division du système. »

La division du système

Par « division du système », il faut comprendre l’action de défense contre des sur ou sous tensions en cascade qui permet d’isoler le réseau en 2 parties. Une telle division avait eu lieu le 8 janvier 2021 à la suite d’une surtension sur le réseau croate. Le système européen avait alors été séparé en 2 parties durant une heure : Nord-Ouest et Sud-Est, entraînant une sous tension dans sa partie occidentale, illustrée sur le graphique ci-dessous provenant du rapport de l’Entsoe sur l’événement [7].

 



A cette occasion, RTE avait actionné le dispositif d’interruptibilité des industriels rémunérés à cet effet et participait ainsi activement au rétablissement de la fréquence de la partie Nord-Ouest.

Dans son avertissement de décembre [1], l’Entsoe fait le bilan de l’énergie cinétique additionnelle nécessaire pour faire face aux incidents sévères, selon les différents scénarios prévus de 2025 à 2040. Ces besoins sont illustrés ci-dessous.


 Ces besoins s’élèvent à un « minimum théorique additionnel » de 500GWs pour BE 2025 (Best Estimate 2025) et plus de 2500GWs d’ici 2040, même pour le scénario GCA (Global Climate Action)

Le rapport précise, à titre indicatif, que ce besoin complémentaire d’inertie de 2500GWs en 2040 correspond notamment à 2000 unités de production de 250MW chacune (500GW), avec une constante d’inertie de 5 secondes.

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Une fois encore, le propos n’est pas ici de quantifier le risque d’un blackout sur la totalité du système de transmission interconnecté d’Europe continentale, ni les critères de son acceptabilité, encore moins de juger de la pertinence des expérimentations en cours destinées à s’en protéger, sans passer par la case « inertie de centrales conventionnelles ».

Mais de s’interroger sur la façon dont ce risque est pris en compte parallèlement à une décision politique européenne de développement des énergies renouvelables, et sur l’acceptabilité de ce risque dans un contexte climatique dans lequel ce système électrique apparaît comme la seule alternative possible à son dérèglement.

Et, par-dessus tout, de poser la question de l’instance qui serait supposée juger si ce risque serait acceptable, ou non.

En d’autres termes : de la présence effective d’un pilote chargé d’amener à bon port notre avion.

 

* « Il est important de souligner qu'une définition claire du « risque acceptable », lié à une scission du système et à ses conséquences, est toujours en attente. Ce rapport ne vise pas à proposer une telle définition car il s'agirait d'une décision politique autant que technique - le type de décision qui devrait intégrer la contribution de tous les acteurs industriels et institutionnels. Cependant, ce rapport peut guider la prise de décision en fournissant des indications techniques sur les paramètres pertinents associés aux phénomènes de division du système, et comment ils peuvent être raisonnablement quantifiés »

 

1 https://www.entsoe.eu/news/2021/12/06/entso-e-assesses-the-impact-of-reduction-of-inertia-on-frequency-stability-in-long-term-scenarios/

2 https://www.entsoe.eu/news/2017/08/10/igd-update/

3 https://www.youtube.com/watch?v=i_QhVNMZIjI

4 https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwj6iMDN49z0AhXRy4UKHUolAg4QFnoECAYQAw&url=https%3A%2F%2Fwww.jeumontelectric.com%2Fwp-content%2Fuploads%2F2020%2F05%2FDOSSIER-de-PRESSE.pdf&usg=AOvVaw2Ex5RkyLevuv2SJOrlSO47

5 https://www.cre.fr/Electricite/Reseaux-d-electricite/services-systeme-et-mecanisme-d-ajustement

6 https://eepublicdownloads.azureedge.net/clean-documents/SOC%20documents/Inertia%20and%20RoCoF_v17_clean.pdf

7 https://www.entsoe.eu/news/2021/07/15/final-report-on-the-separation-of-the-continental-europe-power-system-on-8-january-2021/