La prophétie de Monsieur Lacoste
Jean Pierre Riou
Article également publié dans "Le Monde de l’Énergie"
https://www.lemondedelenergie.com/la-prophetie-de-monsieur-lacoste/2021/12/30/
Le 22 juin 2007, le Président de l’Autorité
de sûreté nucléaire (ASN) A.C. Lacoste adressait au Gouvernement un
avertissement reproduit en fin de cet article.
Le rapport de décembre du gestionnaire du
réseau européen Entsoe et l’avis de l’ASN de ce même mois montrent la
clairvoyance de la prophétie de Monsieur Lacoste et laissent comprendre que le temps est venu où nous
allons devoir choisir entre la sûreté nucléaire et la sécurité d’approvisionnement.
Au risque d’ailleurs de devoir nous passer
de l’une comme de l’autre.
Deux documents majeurs ont été publiés cette
semaine :
-
L’analyse,
par la Cour des Comptes [1] sur les coûts du système électrique en France
-
L’analyse, par l’Entsoe [2] de
l’adéquation des moyens de chaque pays entre production et consommation
d’électricité pour affronter l’hiver 2021-2022
Une bonne illustration valant mieux qu’un long discours, la
carte d’Europe des risques résumera cette dernière analyse
Sur ces cartes d'Europe, l’Irlande et Malte sont les seuls à partager le
risque d'approvisionnement observé pour la France cet hiver, les capacités d’interconnexion ne permettant pas
à la France de permettre au mécanisme hors marché de diminuer sensiblement ce
risque, qui reste identique sur la carte de droite, contrairement à Malte, où ces ressources hors marché permettent de le supprimer.
Le risque français d’une énergie nécessaire non distribuée, ou Expected
Energy Not Served (EENS) est décrit comme proportionnel aux températures, chaque
degré en moins entrainant un besoin de 2400MW
de puissance électrique supplémentaire [3] en hiver.
Le risque apparaît limité en Irlande mais plus
important à Malte et en France.
(Risks
appear to be marginal in Ireland, whereas risks in France and Malta appear to
be higher)
C’est à dire
essentiellement en France en raison de sa limitation du mécanisme hors marché.
L’analyse détaillée par pays relève que si le risque français est faible en novembre et décembre, en raison des
conditions favorables de température et de vent, janvier-février seront les plus
sensibles en cas de vague de froid, surtout combinée avec des indisponibilités
nucléaires fortuites.
Et note que l’hiver 2021-2022
français est marqué par une probabilité de recours plus élevée que d’habitude à
des mécanismes post marché tels que l’interruptibilité d’industriels rémunérés
à cet effet, à la réduction de la tension, à l'appel aux gestes citoyens et, en dernier
ressort, à des délestages ciblés.
Rappelons que le
recours à chacun de ces
moyens, mécanismes transfrontaliers hors marché inclus, sont strictement encadrés par le code de l’énergie [4] et limités à 3 heures par an dans la mission
donnée à RTE.
L’incident fortuit, prophétisé par A.C. Lacoste et redouté par l’Entsoe, n’a pas manqué de se produire juste après la publication du rapport sous la
forme d’une corrosion anormale détectée sur les circuits de sécurité de la
centrale de Civaux, lors de sa visite décennales. Et l’ASN
informe [5] que « Au regard de
l’origine inattendue des fissurations constatées, EDF a pris la décision de
mettre à l’arrêt, dans les meilleurs délais, les réacteurs de conception
similaire. »
Comment mieux illustrer l’avertissement de l’ASN qui écrivait en
2007 [6] « Il importe donc que le renouvellement des moyens de
production électrique, quel que soit le mode de production, soit
convenablement préparé afin d’éviter l’apparition d’une situation où
les impératifs de sûreté nucléaire et d’approvisionnement énergétique seraient
en concurrence. »
Les prix du système électrique
La Cour des Comptes vient de publier, ce 13 décembre, ses observations
définitives sur les coûts du système électrique en France.
Là encore, une illustration permettra, d’un regard, de comparer les coûts de chaque filière, afin d'éclairer le choix sur les
moyens supplémentaires qu’il aurait fallu mettre en œuvre.
La Cour mentionne
notamment : « Un exercice périodique conjoint de l’AIE et l’AEN faisant
référence ». Lequel mentionne « Les
coûts des nouvelles centrales nucléaires ont baissé en 5 ans, le nucléaire est le mode de production
décarboné et pilotable avec les coûts prévisionnels les plus faibles à l’horizon 2025 et l’électricité produite à
partir de la prolongation des centrales nucléaires existantes constitue le mode
de production de l’électricité le plus compétitif ».
Et ajoute : « La comparaison
des LCOE (Levelized cost of energy) des différentes technologies, calculés sans
tenir compte des coûts de réseaux ou des externalités, est résumée dans le
graphique ci-dessous. »
Nuclear LTO représentant ici la prolongation du nucléaire existant (Long Term Operation) et les extrêmes de prix, en fonction notamment des conditions locales, étant représentés par les 2 tirets qui encadrent le trait vertical noir.
Concernant les coûts du réseau et les externalités, le rapport AIE-AEN [7] cité mentionne effectivement
que le LCOE du tableau ainsi reproduit, indique un coût de MWh « sorti de la centrale de
production » mais reste insuffisant pour comparer les coûts réels
entraînés par chaque filière pour la raison que certaines entraînent des
externalités sur le réseau et une nécessité de stockage qui demanderaient une
approche plus complète d’ajustement de la valeur réelle de la production, ou
« value-adjusted LCOE (VALCOE) ».
La sécurité en question
En effet, malgré les indisponibilités nucléaires historiquement hautes,
avec notamment 16,8GW [8] sur les 61 GW du
parc nucléaire, arrêtés pour maintenance programmée ou incident fortuit au 4/12/2021,
la production des réacteurs disponibles montre un profil de production d’une
autre valeur pour la sécurité d’approvisionnement, dans l’illustration
ci-dessous, que celle des filières éolienne et photovoltaïque, reproduite dans
l’illustration qui suit, toutes 2 étant tirées des données de RTE « Eco2mix »
pour la production d’électricité depuis début novembre.
Avertissement : ces 2 illustrations ont été publiées dans une communication sur Twitter sans que leur auteur ait été mentionné. Dans
un souci de rigueur, une plus grande transparence de la sour[9]ce les complètera
dès que possible.
Il ressort de cette comparaison que ce n’est pas
la faiblesse du facteur de charge moyen de l’éolien et du PV qui représentent
la plus grosse difficulté, mais l’effondrement aléatoire de leur production, telle qu'entre le 7 et le 12 novembre, alors qu’on ne sait toujours pas
stocker l’électricité en quantité suffisante pour supporter un tel manque.
Attributions ministérielles
En vertu du décret 2020-869 du 15 juillet
2020
[10], et au titre de l'énergie et du climat, le ministre de la transition écologique « élabore et met en œuvre la politique de l'énergie, afin, notamment,
d'assurer la sécurité d’approvisionnement. » C'est-à-dire, en l’occurrence,
de respecter les critères de défaillance électrique fixés sous sa propre
responsabilité, en vertu de l’article L141-7
du code de l’énergie [11].
C’est la raison pour laquelle la ministre B. Pompili
déclare avoir reçu J.B. Levy [12]afin de « demander à EDF de prendre des mesures
pour renforcer la sécurité d'approvisionnement électrique cet hiver ».
L’ombre de Fessenheim devait
planer sur cet entretien, ainsi que la liste
des 14 réacteurs [13] dont EDF avait eu la mission de proposer la
fermeture pour respecter la Programmation pluriannuelle de l’énergie.
Que les responsables se rassurent, la météo
agricole à long terme [14] prévoit des températures clémentes cet hiver, avec
une fiabilité de prévision estimée à 60%.
Mais tant de gens chérissent les causes
dont ils déplorent les effets [15] qu’on peut déjà prévoir qu’en cas d’absence
de rupture d’approvisionnement, ce sera officiellement grâce à la générosité de
la production éolienne, et malgré les indisponibilités du nucléaire.
C’était en 2007.
Qu’on se le dise !
1 https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lanalyse-des-couts-du-systeme-electrique-en-france
2 https://www.entsoe.eu/outlooks/seasonal/
3 https://bilan-electrique-2019.rte-france.com/sensibilite-a-la-temperature-et-aux-usages/#
4 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000023983208/LEGISCTA000033313570/
5 https://www.asn.fr/l-asn-informe/actualites/corrosion-detectee-sur-le-circuit-ris-du-reacteur-1-de-la-centrale-de-civaux
6 http://www.senat.fr/rap/r06-357-2/r06-357-24.html
7 https://www.iea.org/reports/projected-costs-of-generating-electricity-2020
8 http://lemontchampot.blogspot.com/2021/12/quand-le-nucleaire-foisonnera.html
9 https://twitter.com/TristanKamin/status/1471538237739085839?s=20
10 https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000042121148/
11 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043215173/
12 https://twitter.com/barbarapompili/status/1471904550814683143
13 https://www.capital.fr/economie-politique/voici-la-liste-des-14-reacteurs-nucleaires-qui-devraient-fermer-dici-2035-1360260
14 https://www.terre-net.fr/meteo-agricole/article/quel-temps-pour-debut-2022-et-pour-les-premiers-semis-de-printemps-2179-204093.html
15 https://citation-celebre.leparisien.fr/citations/198138