Le contentieux climatique devant le juge administratif
Le CO2, et aprĂšs ?
Jean Pierre Riou
La jurisprudence Urgenda est Ă l’origine d’innombrables condamnations de l’insuffisance des politiques Ă rĂ©duire les Ă©missions de gaz Ă effet de serre.
S’il est logique de s’attaquer ainsi Ă la source du problĂšme, l’impossibilitĂ© de ces politiques Ă en supprimer les consĂ©quences pose la question de l’insuffisance des mesures destinĂ©es Ă y faire face.
La jurisprudence Urgenda
Le 12 novembre 2012, la fondation Urgenda ouvrait la voie Ă la jurisprudence climatique [1] en demandant Ă l’Ătat nĂ©erlandais de s’engager Ă rĂ©duire de 40 % les Ă©missions de CO2 d’ici Ă 2020 par rapport Ă 1990. Et, jugeant insuffisante sa rĂ©ponse, dĂ©cidait de « saisir le tribunal de premiĂšre instance de La Haye le 24 juin 2015 [1] en invoquant plusieurs principes de droit international, dont le droit international du climat, qui font peser sur l’Ătat une obligation de diligence due. »
C’est ainsi que le 20 dĂ©cembre 2019, la Cour SuprĂȘme nĂ©erlandaise clĂŽturait ce premier contentieux climatique en rejetant le pourvoi en cassation, et condamnait dĂ©finitivement l’Ătat, crĂ©ant ainsi la « jurisprudence Urgenda » qui consacrait, pour la premiĂšre fois, l’obligation d’un Ătat Ă respecter les objectifs mondiaux en matiĂšre climatique, notamment en raison de son lien avec la Convention europĂ©enne des droits de l’homme.
Le 29 avril 2021, Ă la suite d’une action d’associations Ă©cologistes, la plus haute juridiction allemande enjoignait le Gouvernement Ă revoir Ă la hausse ses ambitions climatiques avant fin 2022,[2] notamment pour n’avoir pas prĂ©vu "d'exigences suffisantes pour la rĂ©duction ultĂ©rieure des Ă©missions Ă partir de l'annĂ©e 2031".
Tandis que le Tribunal civil de Bruxelles condamnait Ă©galement la Belgique le 17 juin 2021 dans le « ProcĂšs climat » qui oppose Ă l’association l’ASBL Klimaatzaak Ă l’Ătat belge, permettant en toute logique Ă la presse de titrer « La Belgique viole les droits humains »[3] pour les raisons dĂ©jĂ admises par la jurisprudence Urgenda.
Les plaidoiries en appel [4] sont fixĂ©es Ă l’automne 2023.
Selon le rapport de l’ONU de janvier 2021[5], pas moins de 1550 recours ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©s dans le monde en 2020 dans ce cadre du contentieux climatique.
La condamnation française
Ce n’est que dans ce contexte qu’on peut apprĂ©hender les circonstances de la condamnation de l’Ătat français pour inaction climatique.
A la suite d’un recours de la commune de la Grande-Synthe et diverses associations, le 19 novembre 2020, le Conseil d’Ătat enjoignait le Gouvernement [6] de justifier sous 3 mois que ses engagements de l’Accord de Paris pour 2030 pourront ĂȘtre respectĂ©s, malgrĂ© une trajectoire encore insuffisante.
Ce jugement d’une politique climatique par la plus haute juridiction reprĂ©sentait une premiĂšre en France.
Par un jugement du 14 octobre 2021 [7], le Tribunal Administratif de Paris a, pour la premiĂšre fois, enjoint l’Ătat Ă rĂ©parer les consĂ©quences du dĂ©passement de 62 millions de tonnes d’Ă©quivalent CO2 (CO2eq) du premier budget carbone (2015-2018).
Le Tribunal relĂšve une rĂ©duction « substantielle » en 2020, constatant cependant « que le prĂ©judice perdure Ă hauteur de 15 Mt CO2eq ». En effet, le CITEPA, centre technique de rĂ©fĂ©rence retenu pour l’Ă©valuation des Ă©missions de chaque gaz Ă effet de serre (Ges) françaises et leur Ă©quivalent CO2 (CO2eq), avait alors Ă©valuĂ© celles-ci Ă 395,717 MtCO2 en 2020 [8], hors UTCATF, c'est-Ă -dire Ă©missions nĂ©gatives liĂ©es Ă « l’utilisation des terres et changement d’affectation des terres et forĂȘts »[9].
Soit un bilan annuel inférieur de78,5 MtCO2eq à celui de 2019, illustré par le graphique ci-dessous.
Source CITEPA
Par la suite, le CITEPA a chiffré définitivement ces émissions de 2020 à 383 MtCO2eq.
Pour comparaison,
les émissions allemandes, reparties à la hausse de quasiment 5% en 2021, sont de
762
MtCO2 [10], tandis que la
reprise économique portait celles de la France à 407
MtCO2 cette mĂȘme annĂ©e.
Bilan et prospectives mondiales
ParallĂšlement, les Ă©missions mondiales n’ont cessĂ© d’augmenter, essentiellement Ă cause de la Chine et de l’Inde, tandis que charbon, pĂ©trole et gaz continuent de reprĂ©senter l’essentiel de la consommation croissante d’Ă©nergie dans le monde, comme le rappelle l’illustration ci-dessous.
(Source MinistÚre de la Transition écologique 2021)
Et les effets du rĂ©chauffement global sont dĂ©jĂ mis en cause lors d’Ă©pisodes de sĂšcheresse, d’incendies ou de rĂ©coltes catastrophiques.
Tandis que les rapports successifs du GIEC
[11] prĂ©cisent l’un aprĂšs l’autre l’aggravation imminente de cette situation.
La nécessaire résilience
Si la SibĂ©rie semble en passe de devenir la plus fertile des terres d’accueil [12], certaines rĂ©gions devront lutter contre la dĂ©sertification, d’autres se protĂ©ger de la montĂ©e des eaux.
Et quels que soient les efforts destinés à contenir le
rĂ©chauffement global, quantitĂ© d’Ătats auront ainsi Ă gĂ©rer les consĂ©quences de
l’Ă©volution du climat, tant sur le niveau de ses tempĂ©ratures que pour ses
consĂ©quences sur l’eau. Une montĂ©e du niveau des mers n’ayant rien Ă envier Ă
la pĂ©nurie d’eau, aux famines, dĂ©sertification et incendies qui lui sont liĂ©s.
Quand la mer monte
Avec plus de 20 000km de digues, les Pays-Bas, dont
26% du territoire se trouveraient déjà sous le niveau de la mer [13],
luttent depuis des siÚcles contre la submersion et se préparent à la montée des
eaux. Cohabitant mĂȘme avec elle grĂące notamment Ă une centaine
de maisons flottantes [13] amĂ©nagĂ©es dans l’est d’Amsterdam.
L’accĂšs Ă l’eau
Depuis des années, des pays comme la Jordanie sont
confrontés aux difficultés de la gestion
de la raretĂ© de l’eau [14]. ConfrontĂ© Ă la sĂšcheresse, le Chili vient,
« pour la premiĂšre fois de son histoire » de mettre en place un plan
de rationnement de l’eau [15].
La France concernée
Le ministĂšre de la Transition Ă©cologique a publiĂ© une intĂ©ressante « Origine et gestion de la sĂšcheresse »[16] qui prend acte en ces termes de l’aggravation attendue des sĂšcheresses : « A cause de la hausse des tempĂ©ratures, l’Ă©vaporation augmentera, renforçant l’intensitĂ© et la durĂ©e des sĂ©cheresses ».
Et recense notamment l’Ă©ventail des mesures prĂ©fectorales
de restriction d’eau, qui vont de la situation de vigilance Ă celle de crise.
Ces mesures prĂ©voient des rĂ©ductions progressives d’activitĂ© Ă l’industrie et
vont jusqu’Ă l’interdiction totale d’irrigation Ă l’agriculture.
DĂ©jĂ , des villages doivent ĂȘtre alimentĂ©s
en eau par camions citernes [17]et des mesures de restriction et de
coupures sont envisagĂ©es, tandis que les « bassines » agricoles sont
devenues le symbole
Ă dĂ©truire [18] d’une Ă©cologie qui lutte contre toute industrialisation,
lui prĂ©fĂ©rant un retour aux techniques ancestrales. Une Ă©cologie d’oĂč l’Homme semble
devoir s’effacer pour libĂ©rer la planĂšte de son empreinte, pourtant insĂ©parable
de sa seule existence.
La sobriété en question
Lors de toute pĂ©nurie, la sobriĂ©tĂ© doit ĂȘtre privilĂ©giĂ©e, chaque technologie destinĂ©e Ă sa remĂ©diation portant en elle des impacts nĂ©fastes sur la biodiversitĂ©. Notamment le dessalement de l’eau de mer, largement employĂ© dans le monde entier, qui rejette chaque jour 141 millions de tonnes d’une saumure qui menace la biodiversitĂ© marine.
La carte ci-dessous est extraite de l’Ă©tude de 2018 de E. Jones & al : The state of desalination and brine production: A global outlook [19] en illustre la rĂ©partition mondiale.