mercredi 24 mai 2023

Eoliennes et climat : un remède pire que le mal

 

Éoliennes et climat : un remède pire que le mal

Jean Pierre Riou 

Publié dans Économie Matin 

https://www.economiematin.fr/eoliennes-et-climat-un-remede-pire-que-le-mal

 

« Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ».

 

Le fameux effet papillon, ainsi exprimé par K. Lorenz, [1] ne devrait pas manquer d’interpeller tout observateur du climat sur les conséquences de la turbulence de sillage des quelques 900 GW éoliens

 qui affecterait aujourd’hui « toute la structure de la couche limite planétaire »[2]. Et dont il reste à démontrer que les effets bénéfiques sur le climat seraient supérieurs au réchauffement qui leur est aujourd’hui imputé.

 

Un sujet polémique qui détourne la controverse

De nombreuses études ont évoqué l’impact négatif des éoliennes sur le climat. Récemment, un article allemand [3] montrait la corrélation entre l’assèchement des sols et l’emplacement des 30 000 éoliennes d’Outre-Rhin.

Cet article s’appuyait notamment sur l’étude de Gang Wang & al publiée en janvier 2023 sur ELSEVIER ScienceDirect “Wind farms dry surface soil in temporal and spatial variation”.[4]

Mais sa communication sur les réseaux sociaux relayée par « NoTricksZone » [5] ne fut à l’origine, comme c’est souvent le cas, que de considérations sur le caractère sulfureux du site qui la relayait [6] et non sur le fond de son contenu. Climato négationniste, conspirationniste, pro-nucléaire, d’extrême droite.

La messe était dite.

Pourtant, en 2012, déjà, la NASA avait diffusé une étude de Zhou & al [7] qui avait attribué aux éoliennes un réchauffement de 0,72° en 9 ans, selon les observations de ses satellites, sur une région du Texas.

 

Malgré l’abondance de la littérature sur le sujet,  il reste bien difficile à des non spécialistes de se forger, seuls, un avis éclairé dans ce domaine éminemment sensible du développement éolien.

 

L’avis du CNRS

C’est la raison pour laquelle il peut être opportun de revenir sur l’avis scientifique, politiquement correct et rassurant, publiée par le CNRS en 2014 [8], ainsi que sur les sources qui lui avaient alors paru dignes d’attention. En effet, les auteurs de cette étude, publiée sur Nature Communications [2]  appartiennent majoritairement au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, à l’Institut Pierre-Simon Laplace des Sciences et du Climat, au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ainsi qu’au CNRS.

 

Cette étude portant sur l’impact climatique des éoliennes européennes s’appuie sur des essais en soufflerie et sur la modélisation de l’évolution du climat selon 3 scénarios :

-          Sans éoliennes (CTL),

-          Avec les 101 GW installés en 2012 (CUR)

-           Et un 3ème scénario (SCEN) avec les 220 GW qui étaient prévus en 2020, afin d’en dégager les effets prévisibles au niveau de notre continent.

 

L’étude illustre notamment la différence entre les résultats de la modélisation du scénario de contrôle (CTL sans éolienne), avec le scénario SCEN (220 GW). Avec la moyenne hivernale, dans la colonne de gauche, et estivale, à droite, pour les températures (ci-dessous).

 



Mais aussi pour les précipitations journalières en mm, (c et d) et la pression atmosphérique au niveau de la mer (e et f) ci-dessous.

 


L’étude se veut rassurante et conclut à des effets certains mais « limités » avec un réchauffement maximum de 0,3° dans certaines régions à échéance 2020. Soit des valeurs « très faibles par rapport à la variabilité naturelle du climat ». Elle compare les conclusions de ses simulations à celles d’autres études qui avaient relevé un réchauffement de 0,7° par décennie dans les zones fortement implantées d’éoliennes, (études 9 10 11) et une réduction des précipitations dépassant 10% (12) .

 

Pour rassurante qu’elle soit, cette étude du CNRS relève cependant que « l'effet atmosphérique le plus direct des éoliennes est une traînée supplémentaire et la génération de turbulence de sillage. » Et qu’en fait « toute la structure de la couche limite planétaire est affectée par la turbulence de sillage des turbines ». Et signale une extraction de la ressource potentielle du vent de l’ordre de 1W/m2 (étude 13 14).

Elle  mentionne également dans les résultats de ses simulations que « Les précipitations hivernales ont une structure plus inégale, mais une réduction significative a été constatée sur l'Europe occidentale atteignant 0,15 mm par jour, soit ~ 5 % des précipitations moyennes. La pression au niveau de la mer subit une variation maximale de 0,5 hPa, reflétant une augmentation du temps anticyclonique à travers l'Europe en hiver. (…) Elle induit de légers changements de circulation moyenne, avec des flux plus au sud sur la partie ouest du domaine et des flux au nord sur la partie est, modifiant ainsi l'advection de chaleur et d'humidité ». Mais relativise en continuant « Les réponses hivernales de la température et des précipitations restent cependant faibles par rapport à leur variabilité interannuelle respective, atteignant ~10% pour la température et 20% pour les précipitations dans certaines zones ».

 

Pour autant, il est troublant de constater la similitude globale entre les modélisations de ces « changements de circulation moyenne »,  « modifiant ainsi l'advection de chaleur et d'humidité » et les récents épisodes locaux de sécheresse, de canicule ou de douceur hivernale dans les régions précisément anticipées sur les illustrations reproduites ci-dessus.

Notamment un déficit de précipitations  dans le sud est de la France, [15] (figure d), des canicules estivales dans la péninsule ibérique et le Maroc [16] (figure b),  ainsi qu’une douceur hivernale peu commune dans le nord de l’Europe, [17] (figure a) tandis que l’est européen bat des records de froid.

Le propos n’étant pas d’en imputer quelque responsabilité que ce soit aux éoliennes, sans autre rigueur scientifique.

D’autres études concluent que les parcs éoliens réduisent la puissance du vent, notamment « ont le potentiel de modifier substantiellement la dynamique atmosphérique et de conduire à des réductions locales de la vitesse moyenne du vent s'étendant jusqu'à plus de 40 km sous le vent du parc» (étude 18) ou observent l’impact des éoliennes sur la croissance de la végétation. (étude 19)

 

Un remède pire que le mal

Mais, aussi faibles que soient les effets des éoliennes sur le réchauffement et la sécheresse, la raison impose de les comparer avec les bénéfices de leur réduction des émissions fossiles.

 

Une étude de 2018 de l’Université d’Harvard [20] s’est chargée de modéliser les variations journalières et saisonnières des températures liées aux éoliennes sur l’ensemble des États-Unis. Cette modélisation s’appuie notamment sur la quantité d’énergie extraite par les éoliennes, leurs effets sur le brassage entre les masses d’air de différentes altitudes ainsi que sur le gradient vertical du vent, c'est-à-dire ses différentes vitesses selon la hauteur.

La valeur obtenue par simulation, d’un réchauffement de 0.24°, correspond aux valeurs observées. L’étude considère que cet « effet de réchauffement est :

-          faible par rapport aux projections du réchauffement du 21e siècle,

-          approximativement équivalent à la réduction obtenue en décarbonant toute la production mondiale d'électricité,

-          et important par rapport à la réduction du réchauffement obtenue en décarbonant l'électricité américaine avec l’éolien ». 

 

L’étude n’ignore rien, en fin de publication [21], des nombreux paramètres qui n’ont pas été traités par ses seuls effets des températures au niveau du sol, comme du fait qu’il s’agit d’un réchauffement instantané qui disparaîtrait avec la suppression des machines, contrairement à l’accumulation du CO2 évité ou de l’éventuel refroidissement de l’Arctique que montrent la plupart des modélisations des effets des éoliennes.

 

Mais à l’inverse, il convient de mentionner qu’un fossé semble séparer les émissions théoriquement évitées par les productions des éoliennes de celles qui le sont réellement [22], en raison de la dégradation des facteurs d’émission des centrales thermiques chargées de compenser leur intermittence, liée à leurs régimes partiels et à-coups de fonctionnement.

La sénatrice Loisier s’est inquiétée de cette différence entre théorie et pratique, liée à la dégradation des facteurs d’émission des centrales thermiques chargées du suivi de charge de leur intermittence, qu’aucun organisme ne semble en charge d’évaluer. [23]

 

Pour conclure

Eu égard à l’évolution spatiale des sécheresses actuelles et aux événements climatiques soudains,

laissons les auteurs de notre étude du CNRS conclure eux-mêmes en reprenant la fin de leur communiqué de 2014 : « Dans ce contexte, il est nécessaire de produire de nouvelles études utilisant d’autres modèles et différents scénarios de développement de production d’énergie éolienne pour déterminer précisément quelles seront les conséquences d’un déploiement encore plus massif de l’éolien à l’horizon 2050. Une question essentielle sera d’évaluer les effets d’un doublement voire d’un triplement des puissances étudiées ici, s’agissant de l’ordre de grandeur envisageable dans les quarante prochaines années. »

 

Ces études devront être comparées avec celles des effets climatiques bénéfiques réels du développement éolien sur le climat, selon chaque contexte local. A long terme car les éoliennes peuvent éviter l’accumulation de CO2, mais aussi à court terme, car les effets de l’évolution des précipitations revêtent déjà un caractère d’urgence, à l’instar de ceux des températures.

 

1 https://en.wikipedia.org/wiki/Wind_power_by_country

2 https://www.nature.com/articles/ncomms4196

3 https://sciencefiles.org/2023/05/01/klimawandel-windparks-verursachen-trockenheit-und-duerre-die-belege-werden-immer-zahlreicher-neue-studie/

4 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2215016123000055

5 https://notrickszone.com/2023/05/07/manmade-studies-suggest-that-wind-parks-cause-climate-change-even-regional-drought/

6 https://twitter.com/rioujeanpierre/status/1657324631123013634

7 https://climate.nasa.gov/news/728/texas-wind-farm-affects-land-temperature/

8 https://www.insu.cnrs.fr/fr/les-eoliennes-modifient-elles-le-climat-europeen

9 https://www.nature.com/articles/nclimate1505

10 https://link.springer.com/article/10.1007/s00382-012-1485-y

11 https://journals.ametsoc.org/view/journals/bams/94/5/bams-d-11-00240.1.xml 

12 https://acp.copernicus.org/articles/10/2053/2010/

13 https://acp.copernicus.org/articles/10/769/2010/

14 https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/8/1/015021

15 https://emi.imageau.eu/

16 https://actualite.lachainemeteo.com/actualite-meteo/2023-04-27/temperatures-caniculaires-l-espagne-et-le-maroc-en-surchauffe-des-records-de-chaleur-pulverises-66691

17 https://www.bfmtv.com/meteo/montagnes-vertes-arbres-en-fleur-les-consequences-en-images-de-la-grande-douceur-hivernale-en-europe_AN-202301050377.html

18 https://www.nature.com/articles/s41598-021-91283-3

19 https://www.mdpi.com/2072-4292/9/4/332

20 https://keith.seas.harvard.edu/publications/climatic-impacts-wind-power

21 https://keith.seas.harvard.edu/sites/hwpi.harvard.edu/files/tkg/files/climatic_impacts_of_wind_power.pdf?m=1538752648

22 https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/enr-et-co2-evite-entre-theorie-et-pratique-premiere-partie/

23 https://www.senat.fr/questions/base/2023/qSEQ230506667.html

lundi 22 mai 2023

ENR et CO2 évité, entre théorie et pratique

 

ENR et CO2 évité, entre théorie et pratique (Première partie) 

(Aller à la deuxième partie.)

ENR et CO2 évité, entre théorie et pratique (Première partie)

Première partie de l’analyse de Jean-Pierre Riou et Jean Fluchère. Aller à la deuxième partie.

Depuis 2009, la Directive européenne 2009/28/CE [1] impose à la France une part contraignante (23%) d’énergies renouvelables (EnR) dans sa consommation finale d’énergie. La justification de cette part, appelée à croitre, repose sur le postulat que chaque MWh renouvelable produit permet d’éviter les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’une quantité équivalente à celle produite par des énergies fossiles.

Ce postulat, qu’aucune étude d’impact chiffrée ne semble jamais avoir cherché à vérifier, s’avère fondamentalement inexact en raison de paramètres essentiels qu’aucun inventaire officiel ne prend en compte.

Il apparaît en effet que le caractère erratique des productions renouvelables a pour effet de dégrader le rendement des centrales thermiques de soutien et que l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre liée à cette dégradation est occultée par les « facteurs d’émission par défaut » employés par le gestionnaire de réseau RTE, ainsi que par le CITEPA, officiellement chargé d’en transmettre l’inventaire aux différentes instances internationales.

La longueur de cet article a réclamé une publication en 2 parties :

–  1. Entre théorie et pratique.

–  2. La nécessité d’une étude d’impact.

Sa compréhension demande le rappel préalable des éléments suivants :

Note technique

Les centrales électriques thermiques transforment une partie de l’énergie consommée en chaleur, ce qui implique des pertes de rendement. Ce rendement est typiquement de 35% pour une turbine à gaz et peut dépasser 60% pour les centrales à cycle combiné à gaz (CCG).

Le facteur de charge indique le rapport entre la production effectivement délivrée sur une période donnée et celle qui aurait été produite sur cette même période si l’unité concernée avait fonctionné à sa puissance maximale, qu’on nomme puissance nominale.

Les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont généralement exprimées en équivalent CO2 (CO2eq) en fonction du potentiel de réchauffement global (PRG) des gaz concernés.

Les facteurs d’émissions indiquent la quantité de CO2eq émise lors de la combustion d’un combustible donné, pour une unité d’énergie et un rendement donné.

Le Ministère de la Transition écologique le chiffre pour le gaz à 0,37t CO2eq /MWh en précisant pour un rendement de 55%. [2]

Toute baisse de puissance d’une centrale thermique affecte son rendement et, par là, augmente ses facteurs d’émissions, ou quantité de CO2eq /MWh.

Cette corrélation avait été notée en 2012 dans un rapport d’Enea Consulting, partenaire de l’ADEME. ([3] p 15)

Une même quantité d’électricité produite, ou de combustible consommé ne correspond pas toujours à une même quantité de CO2eq émise, selon le régime de fonctionnement de la centrale concernée.

En pratique

EDF fait état de 65% de rendement pour ses CCG contre 38% pour ses centrales classiques. [4]
L’unité CCG de Bouchain a détenu le record du monde de rendement avec 62,2% en 2018 avec notamment une température du mélange gazeux dépassant 1300°. [5]
Ces valeurs de température, de rendement et d’émissions concernent un fonctionnement à puissance nominale. Les régimes partiels affectent chacune d’elles.

ACV et RTE.

L’analyse du cycle de vie (ACV) du gaz, chiffre la moyenne européenne de son facteur d’émission à 0,244kg CO2eq /kWh. Celle-ci comprend 0,205 kg CO2eq / kWh pour la combustion proprement dite et les émissions liées à l’amont (c’est-à-dire la production et le transport du gaz) qui est de 0,0389 kg CO2eq / kWh. Avec une incertitude de 5%. [6]

L’ADEME retient 201g et 38g pour l’amont. [7]

Pour la production d’électricité, ce facteur d’émission est supérieur en raison des pertes importantes liées au rendement.

Dans ses bilans d’émissions, RTE comptabilise uniquement les émissions liées à la combustion et considère notamment nucléaire, éolien, photovoltaïque et hydraulique à 0g CO2eq /kWh.

Mais sur la totalité des cycles de vie, démantèlement compris, la dernière étude répondant aux normes ISO en vigueur fait apparaitre le nucléaire français à 3,7g CO2eq /kWh [8].

Soit exactement la valeur minimale retenue par le GIEC [9], qui retient une moyenne de 11gCO2eq/kWh pour l’éolien terrestre, 48gCO2eq/kWh pour le photovoltaïque et 24gCO2eq/kWh pour l’hydraulique, dans ce même document (p1335).

Rendement et CO2eq

Pour établir les émissions du parc électrique français, RTE fonde son calcul sur la quantité d’électricité produite par chaque combustible et chaque type de centrale, en lui appliquant un « coefficient moyen » calculé à partir de deux éléments [10]:

  • 1. La base carbone de l’ADEME pour obtenir le facteur d’émission des combustibles (gaz, charbon et fioul)
  • 2. Les guidelines de l’ENTSO-E pour définir le rendement type des centrales.

Les indicateurs retenus correspondent globalement au facteur d’émission de la combustion du gaz (205g CO2eq /kWh) appliqué aux rendements des différents types de centrales en fonctionnement à puissance nominale.

En l’occurrence la moyenne des 486g et 583g (= 534g) retenus par RTE pour les groupes gaz autres que cogénération et CCG correspond à un rendement type de 38%, tandis que la valeur de 352g CO2eq /kWh retenue pour les groupes CCG correspond exactement aux 205g CO2eq /kWh de facteur d’émission pour le gaz appliqués à un rendement de 58,2%. Soit le rendement type des CCG d’EDF (58%) légèrement relevé par le concours récent (2016) du record du monde de Bouchain (62,2%). [11]

Rappelons que pour la production électrique, le ministère avait indiqué un facteur d’émission du gaz de 0,37tCO2/MWh, en précisant « pour un rendement de 55% » [2], soit à nouveau 205g CO2eq /kWh appliqués au rendement de 55%.

En forme de confirmation le bilan RTE 2022 des émissions [12] fait état de 1,7Mt de CO2 pour le groupe fioul dont la production 2022 [13] est de 2,2 TWh et le coefficient retenu de 0,777 t CO2 eq /MWh, et de 2,8 Mt de de CO2 pour les 2,9 TWh de charbon dont le coefficient est de 0,986 t CO2 eq/MWh correspondent aux déclarés. Soit exactement la production multipliée par les coefficients respectifs sans que la moindre variation de régime ait été prise en compte.

Le CITEPA

Le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) est chargé de dresser l’inventaire officiel des émissions françaises et de le transmettre aux différentes instances internationales. Ses données diffèrent sensiblement de celles de RTE. Il fonde son calcul sur l’énergie fossile consommée par chaque centrale, et non sur l’énergie électrique produite, et des « facteurs d’émissions par défaut » propres à chaque combustible et chaque technologie. Le CITEPA fait état d’une marge d’incertitude entre ± 1 % et ± 300 %) » pour les facteurs d’émission (Rapport 2022 p 33 [14]).

Entre théorie et pratique

Modulation de la puissance et rendement

Si une centrale module sa puissance, notamment pour suivre la production des EnR intermittentes, elle réduit du même coup la température de combustion de ses gaz et son rendement, augmentant ainsi un facteur d’émission que ni RTE ni le CITEPA ne semblent en mesure de prendre en compte à travers leurs indicateurs de facteurs d’émissions moyens ou par défaut.

Or cette baisse de rendement entraîne une dégradation des facteurs d’émissions, voire une augmentation d’émissions, là où la comptabilité fondée sur une émission standard des MWh produits, ou même consommés, chiffrera une baisse indue globale de ces émissions.

General Electric avait publié une étude sur le sujet montrant le lien entre les régimes partiels, la température de la flamme et la quantité d’émissions dans les centrales à gaz.

Ce lien est illustré notamment ci-dessous par les rejets de monoxyde de carbone (CO), par l’étude de General Electric [15] (p 6) qui donne une image fidèle du rendement.

L‘étude indique que cette croissance exponentielle du CO intervient dès que la température descend en dessous de 816°C, correspondant au facteur de charge de 50% sur le graphique.

Ces émissions proviennent à la fois du gaz lui-même et du système de lubrification (distillate oil). Ce système pouvant comporter 40 000 litres d’huile [16].

L’étude précise enfin que cette courbe – d’une turbine à gaz MS7001EA – est caractéristique de toutes les machines à usage intensif.

Notons qu’au contact de l’atmosphère, le CO s’oxyde en CO2. (Rapport CITEPA [11] p 27).

Mais notons surtout que la diminution de puissance de cette turbine ne diminue pas ses émissions globales de CO et qu’en dessous de la ½ charge, elle les augmente même considérablement.

 

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Directives européennes vs la France d'en bas

 

Directives européennes vs la France d’en bas

Directives européennes vs la France d’en bas

Après que le charbon allemand aura contribué à faire condamner l’État français pour dépassement du seuil de particules fines PM10, le chauffage individuel au bois, première source d’énergies renouvelables en France, ne sera plus autorisé que sous certaines conditions dans 167 communes du Rhône de l’Isère et de l’Ain dès le premier avril prochain. La lutte contre les émissions polluantes de cette énergie renouvelable vient s’ajouter aux différentes mesures qui pénaliseront surtout les plus modestes.

Un seuil dépassé malgré des émissions réglementaires

Le 4 août 2021, le Conseil d’État condamnait la France [1] à verser 10 millions d’€ à l’association « Les Amis de la Terre », qui l’avait initialement saisi, pour n’avoir pas respecté les seuils limites de qualité de l’air, notamment ceux des particules fines PM10.

Un an plus tard, la France était condamnée par la Cour de justice européenne (CJUE) [2] pour n’avoir pas respecté les valeurs limites de concentration (VLC) de ces PM10 fixées par la Directive 2008/50/CE, qui sont de 40 µg/m3 en moyenne annuelle, et 50 µg/m3 en moyenne journalière à ne pas dépasser plus de 35 fois par année civile.

Dans son arrêt [3], la CJUE condamne la France pour « dépassement de manière systématique et persistante la VLC journalière pour les PM10 depuis le 1er janvier 2005 dans l’agglomération et la zone de qualité Paris », ainsi que celle de Martinique/Fort de France.

Plafond d’émissions et seuil réglementaire : 2 notions bien distinctes

Selon les données statistiques du Gouvernement [4], « La législation européenne impose, pour certains polluants atmosphériques, des plafonds d’émission par État membre, ainsi que des seuils réglementaires communs de concentration dans l’air ambiant pour la protection de la santé humaine. En 2020, treize pays dont la France respectent l’ensemble de leurs plafonds d’émission pour les cinq polluants concernés. En revanche, les seuils réglementaires de qualité de l’air pour la protection de la santé fixés pour les PM10, les PM2,5, le NO2 et l’O3 ne sont totalement respectés que par sept pays de l’Union européenne. Quatre États membres, dont la France, sont concernés par des dépassements pour les PM10, le NO2 et l’O3».

Le Programme de l’Union Européenne « Copernicus» [5] permet le suivi de la concentration des principaux polluants ainsi que leur origine, en fonction des données sur les émissions et celles de la météo. C’est ainsi qu’elle permet notamment de visualiser le dépassement des seuils, ainsi que la contribution de chaque pays dans les concentrations locales.

L’illustration ci-dessous représente la journée du 2 mars à Paris. Sur ce dépassement de seuil correspondant à 54,99 µg/m3, (en rouge) 6,15 µg/m3 provenaient de Paris même, 4,34 µg/m3 du reste de la France, soit un total de 10,49 µg/m3 pour toute la France … et 17,27 µg/m3 en provenance d’Allemagne. 

Source Copernicus
Source Copernicus

Ces situations ne sont pas rares dès qu’un épisode de froid anticyclonique affecte l’Europe, dont le vent d’Est nous ramène les émissions des centrales charbon/lignite d’Outre Rhin.

Le site Energy Charts tient à jour notamment les émissions annuelles de ces PM10 des centrales au lignite allemandes, et les chiffre à 1117,20 tonnes pour 2021 [6].

Une amélioration constante dans un contexte d’allongement de l’espérance de vie

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jeudi 16 mars 2023

L’Australie, colosse des énergies renouvelables

 

L’Australie, colosse des énergies renouvelables

Avec 73,3% d'électricité d'origine fossile

 Jean Pierre Riou

L’Australie, nouveau géant des énergies renouvelables selon l’État français, est fréquemment citée en exemple en tant que modèle de transition en matière de mix électrique.


 

Et l’État d’Australie-Méridionale en est le fer de lance avec ponctuellement 100% de sa production électrique d’origine renouvelable.

 

Pour sa sécurité, l’Australie-Méridionale est interconnectée avec les États voisins et ne représente que 6,2% de la consommation totale australienne.

Celle-ci est figurée ci-dessous en jaune sur le site du régulateur australien AER.

(NEM = National Electricity Market)



 L’Australie, grande comme 15 fois la France pour 25,6 millions d’habitants, dont 60% dans les 5 principales métropoles, a misé sur le développement de l’éolien, mais aussi de parcs solaires géants qui bénéficient de vastes étendues non peuplées et d’un fort ensoleillement.

 

Des projets hors norme.

La société Sun Câble avait levé un fonds de 138 millions d’euros pour une liaison sous-marine de 4000 km avec Singapour, fort importateur d’électricité. Ce projet pharaonique privé, du plus grand parc solaire au monde, a pris l’eau financièrement et ses administrateurs ont annoncé leur intention de recapitaliser ou de vendre cette société. Infrastructure Australia, organisme chargé de conseiller le Gouvernement sur les infrastructures nationales, considère toujours en 2023 que ce projet « Power Link » reste un investissement valable pour l’Australie.

 

Un colosse aux pieds d’argile

Parallèlement, le producteur APR Energy décrit le challenge d’une « Stabilité du réseau à risque en raison de la forte dépendance à l’énergie éolienne intermittente », rappelant que « une chute soudaine et significative du vent – qui génère entre 49 et 100% d’électricité en Australie du Sud un jour donné – a déstabilisé le réseau électrique de l’Australie-Méridionale, plongeant tout l’État dans l’obscurité » le 16 juillet 2016.

C’est en effet cette occurrence ponctuelle de 100% d’énergie renouvelable qui fait également citer spécifiquement l’Australie-Méridionale parmi les modèles à suivre. Et pour lequel APR Energy s’est vu confier en 2017 l’installation de neuf turbines à gaz mobiles GE TM2500 Gen 8 d’une capacité de production de 276 MW à capacité de démarrage rapide afin de « soutenir la forte dépendance de l’Australie du Sud à l’égard des énergies renouvelables intermittentes ».

D’autre part, le gestionnaire de réseau d’Australie-Méridionale Electranet développe le projet Energyconnect pour augmenter la capacité d’interconnexion avec les États voisins de Victoria et de Nouvelle-Galles du Sud, actuellement de 820MW pour l’import et 700MW export.

En juin dernier, le régulateur de l’énergie australien a pris le contrôle du réseau électrique national, et suspendu un système de marché en proie à la flambée des prix et à la menace de coupures généralisées.

 

73,3% de production fossile

Il est en effet plus facile de se débarrasser de productions intermittentes aléatoires en les exportant que de les utiliser pour réduire la production fossile.

Or depuis l’année 2013-2014, où la consommation était sensiblement égale à celle de 2021, la production fossile a été réduite de 212,4 TWh à 194,7 TWh, soit - 8,3% en 7 ans, ce qui n’est pas négligeable mais bien insuffisant, le site du Gouvernement australien indiquant encore 73,3% de production électrique d’origine fossile pour l’année fiscale 2020-2021, dont 52,8% de charbon (& lignite) avec 140,311 TWh sur une production totale de 265,554 TWh.

Pire, cette production fossile est sensiblement la même qu’en 2000 où elle était de 192,062 TWh.

 

Et ce n’est qu’au sein de l’ensemble du marché électrique australien (NEM) qu’il faut comprendre les « prouesses » de l’Australie du Sud, qui produit cependant encore 5,5 TWh de gaz, soit 37,6% des 14,6 TWh de production totale.

Ou 47% des 11,7TWh de sa consommation. Et 48,8% fossile si on ajoute les 126 GWh de produits pétroliers.

 

Des publicités trompeuses

Les Green PPA (Power Purchase Agreement) sont des contrats d’électricité renouvelable à long terme. La production peut, bien sûr avoir lieu hors du site du consommateur et définir la quantité d’énergie achetée à un site précis, ou même être « hors site virtuel » c'est-à-dire achetée sur le marché de gros de l’énergie verte. Les électrons vendus étant mélangés avec ceux des autres productions sur le réseau, bien entendu.

C’est ainsi que des entreprises ou des villes entières peuvent se déclarer alimentées par 100% d’énergies renouvelables, comme les villes de Sydney ou Melbourne, ou le port de Newcastle, donnant l’impression trompeuse que si une ville peut le faire, un pays le peut aussi.Mais vendre

 

Mais l’électricité du « nouveau géant des énergies renouvelables » n’en carbure pas moins encore à 73% d’énergies fossiles.

 

Ukraine : le nucléaire meilleure arme contre la guerre

 

Ukraine : le nucléaire meilleure arme contre la guerre

Ukraine : le nucléaire meilleure arme contre la guerre

De façon contre-intuitive, la guerre en Ukraine a mis en lumière la formidable résilience que peut conférer l’énergie nucléaire, aussi bien civile que militaire.  Son analyse doit faire comprendre les conséquences potentiellement dévastatrices de leur abandon et, par delà les exigences climatiques, la nécessité impérieuse de conserver une économie forte et souveraine, tant l’Histoire est peu clémente pour les vaincus. 

La Commission d’enquête en cours sur ce sujet montre un peu plus chaque jour que notre politique énergétique visant à réduire notre production nucléaire menait à une impasse que nul n’ignorait.

L’Ukraine et le nucléaire

Trois ans après que l’indépendance ukrainienne avait été actée et reconnue par la Russie, lors des accords de Minsk, l’Ukraine, affaiblie économiquement, acceptait de se débarrasser de son arsenal militaire nucléaire [1] en échange d’une aide financière des États-Unis et de la reconnaissance de son intégrité territoriale. Les quelques 1500 ogives nucléaires de cet arsenal, aujourd’hui braquées sur les États-Unis selon Le Monde de l’époque [1], dotaient alors l’armée ukrainienne de la 3ème puissance nucléaire au monde.

S’il est stérile de vouloir réécrire l’Histoire, il n’en apparaît pas moins que la dissuasion d’une riposte aura fait défaut, il y a tout juste un an, quelle qu’ait pu être l’erreur d’appréciation du Kremlin sur la résistance ukrainienne à une invasion. 

Les traités de démilitarisation ne sont crédibles que lorsqu’ils ne livrent aucun de leurs signataires dans la gueule du loup. Raison pour laquelle la Corée du Nord risque de se faire attendre aux tables de négociations, tandis que l’accès à cette dissuasion nucléaire est un atout convoité par des pays tels que l’Iran. 

Et force est de constater que les promesses du Memorandum de Budapest No. 52241 [2] qui engageait la Fédération de Russie, le Royaume Uni, l’Irlande du Nord et les États-Unis d’Amérique à garantir l’intégrité territoriale de l’Ukraine, se sont révélées insuffisantes pour empêcher un conflit dont on connaît le caractère dévastateur.

Mais une hyperinflation, chute de production et l’asphyxie économique liée à l’achat de son gaz en devises fortes à Moscou, ainsi que l’analysait un reportage de l’époque [1], avait paralysé le pays, et amené le Président Kravtchouk à accepter de troquer son arsenal militaire contre une aide financière.

Le nucléaire sous les bombes

Le nucléaire civil a mis en évidence sa capacité à résister à des tirs de missiles, à des coupures totales de courant [3], et même à l’occupation de la centrale de Zaporijia par une armée ennemie en tout lieu décidée à martyriser le pays. 

Pour la première fois, une centrale nucléaire, la plus grande d’Europe, a été une cible militaire, notamment touchée par 12 missiles dans le seul weekend du 19 et 20 novembre [4], sans que la moindre contamination radioactive ait pu être détectée, notamment par les experts de l’AIEA dépêchés sur place [5].

Ce qui confirme la robustesse des enceintes en béton, que le spectaculaire crash test d’un F4 américain propulsé à 800km/h [6] n’avait pas réussi à percer, contrairement aux missiles qui ont frappé le barrage du réservoir de Karatchpuniv [7], entraînant l’inondation de 112 maisons et jardins ukrainiens.

L’ironie de Poutine

Lors d’un forum économique à Berlin, le 26 novembre 2010, Vladimir Poutine aurait cyniquement déclaré [8] : « Les Allemands, on ne sait pourquoi, n’aiment pas l’énergie nucléaire … je ne comprends pas comment vous allez vous réchauffer. Vous ne voulez pas de gaz, vous ne développez pas l’énergie nucléaire. Vous allez brûler du bois ? Mais pour ça aussi, il va vous falloir vous approvisionner en Sibérie, puisque vous n’avez pas de bois non plus. »

 Lire la suite dans European Scientist ....

https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/ukraine-le-nucleaire-meilleure-arme-contre-la-guerre/

lundi 6 mars 2023

Mix énergétique : la charrue devant les boeufs

 

Mix énergétique français : La charrue devant les bœufs

Mix énergétique français : La charrue devant les bœufs

Jamais la production d’énergie n’aura fait l’objet d’une telle remise en question devant le double défi planétaire qui s’impose aujourd’hui : celui de l’accès aux ressources et celui de son impact sur l’environnement. Jamais l’indispensable vision à long terme n’aura été aussi difficile à percevoir.

« Mettoyt la charrette devant les bœufz » ordonnait Gargantua en 1534, attestant l’ancienneté d’une erreur récurrente.

Confondant  vitesse et précipitation, la politique énergétique européenne multiplie en effet des objectifs ambitieux avant d’en évaluer la pertinence et les moyens de les atteindre. C’est ainsi que les prérogatives accordées aux productions électriques intermittentes au détriment de la rentabilité d’autres moyens décarbonés compromettent l’équilibre du système électrique sur lequel repose notre unique  alternative, sans même qu’on sache si on saura un jour stocker l’électricité à grande échelle pour un coût acceptable par la collectivité.

Faute d’une évaluation rigoureuse,  cette politique perd de vue la voie objective du moindre impact comme celle du moindre risque.

Le réacteur le plus sûr est celui qu’on ne construit pas

Appliqué à lui-même, le principe de précaution s’interdirait tout seul tant il est dangereux, car les risques inhérents aux nouvelles technologies permettent bien souvent à celles-ci d’en éviter de plus grands encore.  Pourtant ce principe, énoncé dans l’article 5 de la Charte de l’environnement, a pris valeur constitutionnelle en 2005. Amplifiée par les marchands de peur et tout une constellation d’opposants à l’atome [1], cette défiance de l’innovation est en passe de ruiner la production française d’électricité, qui menace dans sa chute la pérennité du système électrique européen.

D. Finon et D. Grenêche en ont montré les conséquences sur la spécificité de la conception française de la sûreté nucléaire, qui diffère du principe international ALARA (as low as reasonably achievable), soit « raisonnablement possible », bien que l’article L110-1 du code de l’environnement évoque des mesure « proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable ».

Dans leur analyse[2], les auteurs décrivent l’escalade de normes de sûreté redondantes et injustifiée imposées par une Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui n’a de comptes à rendre à personne sur le gain apporté par chaque nouvelle exigence en termes du sûreté, tandis que leurs coûts et l’indisponibilité du parc  qui en résulte sont de nature à paralyser définitivement la filière.

En octobre 2019, Jean-Martin Folz remettait son rapport sur la construction de l’EPR de Flamanville [3]. Le chapitre « Un contexte réglementaire en évolution continue » mérite le détour pour prendre conscience des conditions kafkaïennes générées par l’évolution des critères à respecter, au fur et à mesure de l’avancée des travaux. Notamment l’arrêté de décembre 2005 sur la réglementation des Équipements Sous Pression Nucléaire (ESPN), dont la doctrine d’application « ne sera que progressivement publiée , le très attendu « guide 8 » pour l’évaluation de la conformité des ESPN est publié en 2009 et révisé en 2012 , et l’arrêté lui-même est révisé en 2015 puis codifié en 2018 tandis que les fabrications des équipements sous pression se poursuivent et que les industriels comme les organismes de contrôle s’efforcent de s’adapter aux nouvelles règles. »

La face cachée du risque 0

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https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/mixe-energetique-francais-la-charrue-devant-les-boeufs/