vendredi 8 janvier 2021

Le TURPE nouveau est arrivé

 Le TURPE nouveau est arrivé

102 milliards pour permettre au réseau de marcher sur la tête

Jean Pierre Riou 

L’intermittence des énergies renouvelables réclame la restructuration du réseau électrique pour lui permettre de marcher sur la tête, c'est-à-dire de fonctionner dans l’autre sens que celui pour lequel il avait été conçu.

En effet, la quasi-totalité des éoliennes et des panneaux photovoltaïques sont raccordés sur le réseau de distribution de Enedis qui doit en refouler la majeure partie sur le réseau de transport de RTE [1] qui doit lui-même multiplier les interconnexions pour maintenir la stabilité du réseau malgré l’intermittence croissante de la production.

Dans son document de cadrage [2] RTE illustre parfaitement cette situation en montrant la valeur et le sens des flux (négatifs en rose jusqu’à 2012 dans le graphique ci-dessous) destinés à alimenter les consommateurs, et les pics de production éolienne, 5 fois plus important qui doivent être acheminés dans l’autre sens (positif, en bleu) depuis 2017 et la mise en service des éoliennes.

Source RTE [2]

La restructuration du réseau pour refouler ce courant localement indésirable a un coût. Il y a tout juste 1 an, Jean François Carenco, président  de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), lançait un pavé dans la mare [3] en déclarant à la presse : “RTE m’annonce 33 milliards sur 15 ans. Dit comme ça, c’est non !”

La CRE vient de publier son projet de décision [4] sur l’augmentation des taxes liées au réseau, et notamment à cette restructuration

Et ce ne sera pas 33 milliards d’euros, mais 102 milliards pour les réseaux, puisque Enedis doit aussi restructurer le sien, soit 33 milliards sur 15 ans pour RTE et 69 milliards pour Enedis. 

Grosso modo [5] la production représente le tiers du prix du kWh, un tiers représentant les taxes et le dernier tiers représente les coûts d’acheminement. L'acheminement est financé par le Tarif d'Utilisation des Réseaux Publics d'Électricité (TURPE).

Le TURPE (6) entrera en vigueur pour 4 ans dans nos factures le 1er août 2021.

Mise à jour du 09 janvier

Pour comparaison, le TURPE 3, retenu en 2009 et qui présentait déjà une augmentation moyenne de 40% par rapport au précédent, ne retenait que 11,9 Md€ pour ERDF (aujourd'hui Enedis) et 4,7 Md€ pour RTE, dont seulement 1,4 Md€ pour le renouvellement du réseau.

Un budget de 1,7 Md€ y est également mentionné pour un programme à long terme de sécurisation du réseau de transport à la suite de la tempête de 1999. Ce programme devant s'achever en 2017 en ayant fini par coûter 2,8 Md€, l'enveloppe du TURPE étant réévaluée chaque année.

Ce rappel n'ayant pour objet que de montrer le changement d'échelle avec les investissements devenus nécessaires pour l'intégration des EnR. 

Mise à jour du 23 février 2024 

En attendant TURPE 7

Dans ses éléments de prospective à 2050, Enedis a chiffré les coûts de raccordement des énergies renouvelables selon les scénarios. Ils vont de 1,5 à 2 milliards d'euros par an dans un scénario de continuité à 6-8 milliards d'euros par an sur la période 2020-2050 en cas de fort développement des EnR.

Tandis que RTE évoque 100 milliards d'euros d'ici 2040

https://actuenergie.fr/flash-actus/rte-prevoit-un-investissement-de-100-milliards-deuros-dici-2040-pour-assurer-le-transport-delectricite/

A ces 102 milliards de notre nouveau TURPE 6, on peut accoler les 121 milliards de surcoût estimés par la Cour des Comptes pour les tarifs d’achat et compléments de rémunération des seuls contrats d’EnR passés avant 2018. Depuis le 1er janvier 2021 leur financement sera plus discrètement affecté au budget général de l'Etat dans un unique programme composé de ces charges, le programme 345 « Service public de l’énergie » dans son nouveau périmètre [6].

Demain on rase gratis

En 2007, le représentant du Syndicat des énergies renouvelables (SER) annonçait devant le Sénat [7] :

« En tablant sur une augmentation régulière des prix de 5 %, la contribution à la CSPE s'avère positive jusqu'en 2015. Les consommateurs seront donc obligés de payer plus cher pour le développement de l'éolien. Ensuite, la contribution devient négative. Les producteurs éoliens génèrent alors une rente pour la collectivité ».

Tout se passe comme si la quantité d’énergie renouvelable imposée au réseau avait un statut sacré, quel qu’en soit le prix à payer, quelles qu’en soient les conséquences pour le réseau, quels qu’en soient les risques pour le système électrique.

La fuite en avant

Chaque maillon de la chaine a mission de montrer qu’il est faisable d’en injecter toujours plus. Sans qu’à aucun moment il ne paraisse envisageable de juger de la pertinence d’un dogme du siècle dernier et dont plus personne en France ne semble se souvenir de ce qu’on en attendait au juste.

Épilogue : mise à jour du 8 janvier à 19h30

A l'heure où cet article venait d'être publié, le gestionnaire européen Entsoe informait d'un incident sur le système électrique européen qui a amené la coupure du réseau en 2 zones distinctes pour éviter un blackout généralisé et préserver la stabilité de "la plupart des pays européens".

RTE a participé aux efforts en déconnectant les "industriels interruptibles".

L'enquête est en cours sur les causes de l'incident.

En tout état de cause celui-ci doit évoquer l'inconvénient de l'extension du réseau vers des zones instables tout en se privant de l'inertie des grosses machines tournantes des centrales conventionnelles qui en fait les seules à permettre une stabilité dynamique au réseau. 

(Source Georges SAPY et Patrick MICHAILLE)

L'équilibre du réseau est fragile, et dans son excellente vidéo, RTE confesse que « Plus la part d’EnR est grande, plus cet équilibre est fragile. Leur introduction est un vrai challenge que RTE devra relever » Notamment via le projet européen MIGRATE, encore au stade expérimental.

Dans cette vidéo, RTE ne cache pas la difficulté de cette intégration.


Celle-ci a vocation à refouler toujours plus loin un courant toujours plus indésirable localement vers des zones toujours moins stables.

Sans présumer des risques de cette fuite en avant, gageons qu'elle ne sera pas gratuite.

1 http://lemontchampot.blogspot.com/2020/11/leolien-une-energie-locale.html

2 https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwi2ssXOj6PtAhUjyYUKHRJODC0QFjABegQIBBAC&url=https%3A%2F%2Fwww.concerte.fr%2Fsystem%2Ffiles%2Fdocument_travail%2F2020-04-28-GT8-Fonctionnement-du-systeme-electrique-Document-de-cadrage.pdf&usg=AOvVaw3yeqRjN2xerj_HrQdRjemR

3 https://lenergeek.com/2020/01/24/cre-plan-modernisation-rte-reseau-electrique/

4 https://www.cre.fr/Actualites/la-cre-publie-ses-projets-de-decisions-sur-le-futur-tarif-d-utilisation-des-reseaux-d-electricite-turpe-6

5 https://prix-elec.com/energie/comprendre/turpe

6 http://lemontchampot.blogspot.com/2019/04/la-cspe-ou-les-3-cspe.html

7 https://www.senat.fr/rap/r06-357-2/r06-357-212.html

2 commentaires:

  1. Heureusement qu'il y a des personnes compétentes comme Jean-Pierre qui comprennent ces informations et nous les expliquent. Mais l'électricité est une technique complexe à comprendre et les politiques n'écoutent pas les avertissements. De vrais blackouts, peut-être, les impressionneront! Ce dernier évènement où il a fallu isoler une partie de l'Europe où on a laissé la fréquence baisser d'un quart de hertz, ne suffit pas? - n'est-ce pas déjà trop pour certaines activités industrielles?

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    1. Merci pour votre attention !
      Et attendons le rapport de l'Entsoe sur l'incident. L'analyse de l'instabilité du Sud-Est européen mise en cause ne manquera pas d'intérêt en regard du dogme qui semble vouloir refouler toujours plus loin une production toujours plus indésirable localement

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