L’Arlésienne*
Jean Pierre Riou
Et
si les éoliennes augmentaient les émissions de CO2 en France ?
Les liens de cause à effet entre développement éolien en France et émissions de CO2 font l'objet d'hypothèses controversées.
Une synthèse à la fois chiffrée et prospective de l'état des lieux semble nécessaire pour juger la validité des annonces. C'est l'objet des 3 parties du présent article.
Les annonces
RTE a publié une « NOTE : PRÉCISIONS SUR LES BILANS CO2 » qui chiffre à 22
millions de tonnes la quantité de CO2 évitée par les éoliennes et panneaux
solaires dans le bilan du mix électrique français 2019.
Avec une production de 45,7 TWh en 2019, cela signifierait que chaque kWh éolien ou
solaire produit aurait évité 481 g de
CO2.
Ce qui ne manque pas de surprendre puisque avec une
production nette de 537,7 TWh, RTE chiffre à 19,2 millions de tonnes de CO2(eq)
les émissions du parc électrique français, soit une moyenne de 35,7 grammes par kWh.
Même en admettant que l’éolien ne se substitue pas
forcément aux moyens les moins émetteurs, ces chiffres appellent un regard sur
l’évolution de la production de notre parc électrique depuis le début du
développement de l’éolien en 2001.
L’état des lieux
Depuis plus d’¼ de siècle, la production thermique du parc
électrique représente moins de 10%, le reste étant assuré par l’hydraulique et
le nucléaire qui sont décarbonés .
Le graphique ci-dessous permet de visualiser l’évolution de sa
production grâce à la ligne rouge horizontale, indiquée par la flèche
« CO2 », qui sépare les productions thermiques, en bas, des
productions décarbonées, hydraulique en bleu, nucléaire en rouge et éolien/PV
en vert et jaune, tout en haut.
Les thermiques comprennent les centrales conventionnelles, gaz,
charbon et fioul, ainsi qu’à partir de 2001 les bioénergies indiquées en plus
clair, toujours sous la ligne rouge, dans la mesure où leur facteur d’émissions
est de 0,494 t CO2 eq /MWh pour RTE, soit plus que les centrales à
gaz.
Cette ligne rouge, placée juste au dessus de la
production thermique de 2019, fait apparaître le fait que, malgré quelques aléas ponctuels, la
production électrique d’origine thermique n’a pas diminué d’un seul kWh en
France depuis les débuts de l’éolien en 2001, et même bien avant, où la
décarbonation du mix était déjà
supérieure à 90%.
Infographie
J.P.Riou d’après les bilans annuels RTE
Pour autant, les
émissions de cette production thermique ont évolué de 2 façons : l’une,
mesurable, à la baisse, et l'autre, occultée, à la hausse.
Les raisons d’une
baisse visible
La substitution du charbon par le gaz et les progrès
technologiques de chaque filière, notamment avec les centrales à cycle combiné
à gaz (CCGT) ont permis une réduction des émissions, chiffrées ainsi par RTE dans ses bilans :
0,986 t CO2 eq/MWh
pour les groupes charbon
0,777 t CO2 eq /MWh
pour les groupes fioul,
0,486 t CO2 eq /MWh
pour les groupes « turbine à combustion » gaz,
0,352 t CO2 eq /MWh
pour les groupes « co-génération » et « cycle combiné » gaz,
0,583 t CO2 eq /MWh
pour les autres groupes gaz,
0,494 t CO2 eq /MWh
pour les déchets ménagers.
Cette baisse
visible est illustrée par la réduction des émissions en 2019 malgré une augmentation
de la production thermique fossile, de 42,6 TWh contre 39,4 TWh en 2018.
Mais avec 1,6 TWh de charbon (et 38,6 de gaz en
2019) contre 5,8 TWh de charbon (et
31,4 TWh de gaz en 2018).
Cette
substitution a permis une réduction visible de 1,2Mt de CO2, grâce à 4,1 MtCO2 de moins
pour le charbon, malgré 2,8 MtCO2 de plus pour le gaz, bien moins émetteur.
Les émissions du fioul ayant augmenté
de 0,1MtCO2 en 2019.
Il est évident que les éoliennes n’ont
aucun rapport avec cette substitution du charbon par le gaz.
Les raisons d’une
hausse occulte
Le suivi de charge de l’éolien et du solaire par les
centrales pilotables entraîne une augmentation de leurs facteurs de pollution,
en raison des régimes partiels et à coups de fonctionnement qui leur sont ainsi
imposés.
En 2012, Enea Consulting,
partenaire de l’Ademe, écrivait à propos de ce suivi de charge des énergies
renouvelables (p 15 du rapport) :
« le fonctionnement des turbines en
régime partiel affecte leur rendement et accroît les facteurs d’émission de gaz
à effet de serre ; par ailleurs, des démarrages et arrêts trop fréquents
impactent leur durée de vie ». Tandis que les bilans de RTE ne
prennent en compte que la quantité de MWh produits par chaque filière.
Or une étude
a chiffré l’augmentation incrémentielle des émissions du backup de l’éolien
pour chaque moyen pilotable selon les régimes de fonctionnement qui lui sont
ainsi imposés.
Ses résultats, ci-dessous chiffrent cette augmentation en
fonction de chaque niveau de baisse de rendement.
Et montre qu’au-delà de 15% de cette baisse, même les
centrales les plus performantes (CCGT à cycle combiné) accusent une
augmentation des facteurs d’émission supérieure à la réduction de leur facteur
de charge. Et que cette dégradation est supérieure encore pour les centrales à
cycle ouvert (OCGT).
EDF rappelle que ses centrales à gaz permettent
une « plage de fonctionnement
(en puissance) très large, permettant des compensations rapides des « creux »
de vent ou de soleil, qui font chuter la production éolienne ou solaire ».
Si les émissions des centrales nécessaires au lissage des
productions intermittentes doivent être imputées à ces dernières, il ne
convient pas d’occulter les conditions dégradées de leur fonctionnement.
Éolien et export
La France est le 1er exportateur MONDIAL d’électricité en 2019 ainsi que
25 fois sur les 30 années depuis 1990.
C'est pourquoi RTE précise, dans sa même NOTE : PRÉCISIONS SUR LES BILANS CO2 , que sur les 22
millions de tonnes réputées évitées par le parc éolien et PV français en 2019, 17 Mt l’auraient été dans les pays voisins
auxquels la France exporte son courant, et seulement
5 Mt évités au parc électrique français, précision malheureusement oubliée dans certaines
déclarations.
C'est ainsi que la France exporte régulièrement davantage de courant que ses
éoliennes n’en peuvent produire.
Le graphique ci-dessous montre d’ailleurs qu’une corrélation peut même advenir
entre cette production éolienne (en vert au dessus) et les exportations (en
quasi miroir au dessous).
Ici sur la période est comprise entre le 1er
septembre et le 25 octobre 2020.
En tout état de cause, le développement coûteux des
interconnexions européennes est destiné à renforcer la sécurité d’approvisionnement
de chaque État membre. C’est ainsi qu’il faut comprendre le fait que la
capacité pilotable européenne ne s’est pas
réduite d’un seul MW malgré le développement exponentiel des capacités
intermittentes, les capacités pilotable d'un pays permettant, grâce aux interconnexions, la réduction de celles d'un autre.
Mais l’engorgement de ces interconnexions par des surplus aléatoires
inutiles au mix électrique qui les produit, car déjà décarboné sans eux, semble
contreproductif.
Car ce n’est pas avec les éoliennes des pays voisins qu’il
est rationnel de sortir du charbon mais, bien évidemment avec le secours de
leurs capacités pilotables et décarbonées.
Précisément pour faire face aux périodes sans vent.
Avec « seulement » 5Mt de CO2 évitées au mix français
et le reste des 22Mt évitées à nos voisins, chaque kWh éolien serait donc
réputé éviter 109g de CO2 en France et non 481g
Pour autant une étude
2017 de l’Ademe évaluait (p 173) ces émissions évitées en France, entre 500
et 600g pour chaque kWh éolien.
CO2 évité selon
EDF
La plupart des bilans, dont les bilans annuels de RTE, ne
comptabilisent pas l’analyse du cycle de vie (ACV) de chaque filière, de la
construction au démantèlement. Ils tiennent pour complètement décarbonés le
nucléaire, l’hydraulique ainsi que l’éolien et le solaire.
Cette ACV est d’ailleurs en faveur du nucléaire avec
6gCO2/kWh contre 11g pour l’éolien.
En 2017, le groupe EDF a publié une note REFERENCE : EDF-GRP-DDD-16-01** évoquant
ci-dessous son estimation des émissions
évitées par l’éolien comptabilisant l’ACV, ainsi que l’avait d’ailleurs fait l’Ademe
dans l’étude ci-dessus.
Nous reproduisons ci-dessous la méthode d’EDF.
Selon laquelle l’éolien n’éviterait déjà plus que 52gCO2/kWh.
Sans tenir
compte des émissions liées à la production d’énergie nécessaire pour compenser
l’intermittence, comme le souligne EDF.
Et les éléments qui précèdent en montrent la portée.
Mais sans tenir
compte de la part liée aux exportations dont on a vu l’ampleur.
La prospective
Le graphique ci-dessous montre l’impact potentiel de la
production éolienne (ligne bleue en bas) sur la production nucléaire (ligne
jaune au dessus) entre le 1er mars et le 25 avril. Cette corrélation
est d’autant plus visible à partir du mardi 17 mars, 2ème jour de la
semaine 12 sur le graphique, qui a marqué une baisse générale de la
consommation, avec le début du confinement, et, en toute logique, une part
relative accrue des énergies renouvelablees, prioritaires sur le réseau.
La production de l’éolien, hélas très importante chaque
week-end, (avant chaque barre de changement de semaine) est manifestement
corrélé avec une baisse significative du nucléaire.
Le repère vert signale les productions du lundi de Pâques,
contemporaine à un cours négatif de moins 75,82€/MWh, tandis que chaque
week-end connaissait ces prix négatifs, même en France, visibles ci-dessous juste
avant chaque barre de nouvelle semaine.
Source RTE données de
marché
Le Directeur de l’AIE, Fatih Birol s’est
inquiété des conséquences de cette part accrue d’intermittence pour des raisons
sanitaires en tant qu’elle préfigure le système électrique vers lequel tend l’Europe.
Cette situation inédite a corroboré l’analyse du rapport
Agora-Iddri « L‘Energiewende
et la transition énergétique à l’horizon 2030 » qui expose
clairement le fait que le développement des énergies intermittentes amènera le
nucléaire français à opérer de plus en plus en suivi de charge et que son
modèle économique appellera une réduction de sa capacité installée. Dans les
termes suivants :
« En France, le développement visé des
énergies renouvelables et le réinvestissement dans le parc nucléaire au-delà de
50 GW comporterait un risque important de coûts échoués dans le secteur
électrique. » Et en indique la raison : « En 2030, un parc
nucléaire maintenu à des niveaux élevés devra opérer plus fréquemment en suivi
de charge, contribuant à la flexibilité du système électrique »
On comprend bien qu’une centrale nucléaire n’a pas
vocation à opérer avec des facteurs de charges aussi ridicules que ceux imposés aujourd’hui
aux centrales à gaz allemandes.
Et que le développement de l’éolien rend nécessaire le
remplacement d’une vingtaine de réacteurs par des centrales à gaz pour des
raisons économiques liées à l’effondrement des cours du MWh à chaque coup de
vent sur l’Europe.
De la perversion
de 2 outils majeurs
L’effacement de la consommation et le stockage de
l’électricité représentent 2 opportunités majeures d’optimiser le parc de
production.
L’effacement
permettant de répondre aux pics de consommation en les rabotant, et le stockage
permettant aux moyens de production de fonctionner en régime optimum, quelle
que soit la période de la journée, voire de la semaine. Le caractère saisonnier
de la consommation étant naturellement géré par la programmation des arrêts
pour maintenance.
Le stock hydraulique
permettant dès aujourd’hui un suivi zéro carbone de cette consommation en
ajustant, en temps réel, la production d’un parc nucléaire, déjà flexible.
Mais le suivi de charge lié aux énergies renouvelables
augmente ce besoin de flexibilité avec leur développement, tandis que notre
parc hydraulique sature malheureusement déjà les capacités acceptables en
France, notamment d’ailleurs au
nom de l’écologie.
Et le modèle économique des réacteurs nucléaires
s’accommode mal des facteurs de charge aussi faibles que ceux demandés
aux centrales à gaz allemandes à cet effet.
C’est assurément
au gaz que reviendra ce rôle. Un rôle appelé à croître parallèlement à la
puissance intermittente qui réclame son backup.
La belle
Arlésienne
Le développement des EnR ne pourra plus être justifié bien
longtemps en France au nom de nouvelles émissions de CO2 réputées évitées à un
parc électrique qui ne l’a pas attendu pour en être quasiment exempt.
Pourtant, la majorité de la population croit encore à l’existence
de cette véritable Arlésienne.
Au colloque national éolien 2019, la crainte a été clairement
soulevée, par la Rapporteure de la Commission d’enquête sur les énergies
renouvelables, de la réaction de cette population quand elle va comprendre,
qu’en fait, on lui aurait menti.
* Arlésienne : Personne ou chose dont on parle beaucoup mais qui ne se montre jamais
Exemple : le CO2 évité en France par les éoliennes
**https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwiO-Nbz0IvtAhWQ3oUKHXrwCJAQFjAEegQIEBAC&url=https%3A%2F%2Fwww.edf.fr%2Fsites%2Fdefault%2Ffiles%2Fcontrib%2Fgroupe-edf%2Fresponsable-et-engage%2Frapports-et-indicateurs%2Femissions-mensuelles-de-co-sub-2-sub%2Fedfgroup_emissions-co2_evite_20170730_vf.pdf&usg=AOvVaw12RlvFI59g9lKIqQWCgRbE
Mise à jour du 29/03/2023
L'américain Brian Gitt a enrichi la documentation en diffusant plusieurs études sur Twitter :
https://twitter.com/BrianGitt/status/1634709233060167682?s=20
Celle de Wärtsilä https://www.wartsila.com/energy/learn-more/technical-comparisons/combustion-engine-vs-gas-turbine-part-load-efficiency-and-flexibility
Celle de General Electric
https://www.ge.com/content/dam/gepower-new/global/en_US/downloads/gas-new-site/resources/reference/ger-4211-gas-turbine-emissions-and-control.pdf
Ainsi qu'un article du North State Journal de Caroline du Nord dans lequel l'énergéticien Duke Energy demande un aménagement de la réglementation sur la qualité de l'air en raison de l'augmentation de ses émissions, notamment de d'oxyde d'azote (NOx) due aux régimes partiels et à coups de fonctionnement provoqués par l'augmentation de production solaire et éolienne.
Ces articles ne laissent aucun doute d'une part sur le fait que les énergies intermittentes entraînent des régimes de fonctionnement dégradés aux centrales thermiques et que la comptabilité des émissions de celles-ci à partir de leur seule quantité d'énergie produite est indigne d'une démarche rigoureuse et même susceptible d'inverser la réalité des choses.