dimanche 29 septembre 2019

Fessenheim : le sacrifice expiatoire d'un serviteur fidèle


Fessenheim : 
Le sacrifice expiatoire d’un serviteur dans la force de l’âge

Jean Pierre Riou
 
Ce 26 septembre, le couperet vient de tomber sur la doyenne des centrales nucléaires françaises.
C’est désormais décidé, un premier réacteur de la centrale de Fessenheim s’arrêtera en février 2020, et le second en juin.

Pourtant, l’Autorité de sûreté nucléaire considérait encore en 2018 [1] que ses performances en matière de sûreté nucléaire, la « distinguent de manière favorable par rapport à la moyenne du parc ».
Mais son grand âge est évoqué dans les médias.

Un regard Outre Atlantique remet en perspective les 40 ans de Fessenheim.

Quarante ans, la force de l’âge des réacteurs américains.
Aux États-Unis, l’exploitation commerciale des réacteurs nucléaires est régie par l’attribution de licences délivrées pour une période initiale de 40 ans.

Si l’installation satisfait aux normes de sécurité de l’U.S.N.R.C (United States Nuclear Regulatory Commission), le propriétaire peut solliciter une prolongation de 20 ans d’exploitation supplémentaire.
A l’issue des 60 ans d’activité ainsi cumulés, une nouvelle licence de 20 ans (subsequent license renewal) [3] peut prolonger son exploitation à 80 ans.

C’est l’exploitant qui décide de déposer, ou non, la demande de prolongation.

Au 1er septembre 2019, 89 des 97 réacteurs en activité aux États-Unis avaient déjà obtenu leur licence de 20 ans supplémentaires, [4] tandis que 5 réacteurs, dont la licence avait été renouvelée,  avaient cessé leur activité pour cause économique.
La carte ci-dessous illustre cette situation.


(Illustration U.S.N.R.C.)

Une exploitation commerciale de 80 ans
D’autre part, six demandes de prolongation d’exploitation à 80 ans ont déjà été déposées :
Celles de Turkey Point 3 et 4, de Peach Bottom 2 et 3 et de Surry Units 1 et 2 [3]
Le 5 décembre 2019, l'U.S.N.R.C. délivrait à Turkey Point 3 et 4 la "subsequent licence" autorisant leur exploitation jusqu'à leurs 80 années de fonctionnement **.
Un gâchis industriel
Les investissements initiaux sont largement amortis après 40 ans d’activité et le prix du combustible représente une part infime du MWh produit. La fermeture de Fessenheim prive ainsi EDF de revenus conséquents.
Mais après avoir été une promesse de campagne du candidat Hollande, cette fermeture était devenue hautement symbolique. Et son exécution conditionne le paysage électoral, à l’instar de la fermeture de Superphénix, en son temps.

Un serviteur fidèle et pilotable
En aout 2018, un rapport de la Fédération allemande de l’énergie [5] alertait sur la dangereuse érosion des moyens de production électrique en Europe et en octobre, les 10 principaux acteurs européens de l’énergie signaient un appel commun [6] sur la sécurité d’approvisionnement qui envisageait la fin de la solidarité européenne en cas de pénurie.

Les moyens pilotables sont en effet indispensables à la sécurité d'approvisionnement en cas de période prolongée de grand froid sans soleil et sans vent. 
De telles périodes, qui représentent une épée de Damoclès sur le réseau européen, et que l’Allemagne nomme « Dunkelflaute », donnent à celle-ci des sueurs froides, telles que celles du 24 janvier 2017.[7]

Un non sens écologique
Alors que la réduction des émissions de CO2 est érigée en priorité nationale, on ne peut que déplorer la fermeture d’une centrale nucléaire en parfait état de fonctionnement, parallèlement à la construction de la nouvelle centrale à gaz de Landivisiau.[8]
En effet, selon RTE, chaque MWh produit par de telles centrales (CCG) émet 359 kg de CO2 [9], tandis que c'est grâce au nucléaire, qui n'en émet pas *, que le mix électrique français est décarboné à plus de 90% depuis un quart de siècle [10].

C’est ainsi que le véritable sacrifice de la centrale de Fessenheim, pour une raison sans lien avec sa sécurité d’exploitation, est déplorable tant sur le plan économique et environnemental que sur celui de la sécurité européenne d’approvisionnement électrique.


* Dans les calculs d'émissions, le nucléaire, comme l'éolien ou le solaire, sont considéré sans  émission de différents gaz à effet de serre, dont la valeur conventionnelle est exprimée en équivalent CO2 ou "CO2eq".
L'étude de leur cycle complet, comprenant les émissions liées à la construction, l'extraction et l'enrichissement d'uranium notamment, trouve cependant la trace d'émissions qui leur sont imputables.
D'après les données du GIEC,[11] la valeur médiane des émissions du cycle complet de l'éolien est de 12gCO2eq/kWh, celle du solaire de 41-48g/CO2eq/kWh, et celle du nucléaire de 12gCO2eq/kWh.
Cependant, ce cycle complet du nucléaire est particulièrement bas en France, grâce au procédé d’enrichissement par centrifugation et au peu d’émissions de l’électricité française.
Il a été chiffré à 5,45gCO2eq/kWh par l’étude de Poinssot et al 2014.[12]
Cette étude mentionne l'économie permise par le procédé de centrifugation, trop récent (2013) pour avoir pu être pris en compte.
En 2020, les émissions du cycle complet du nucléaire français ont été chiffrées à 4gCO2eq/kWh. [13]

 En juin 2022, EDF publiait une
étude de 88 pages (14)faisant état de 3,7 gCO2/kWh pour un fonctionnement de 40 ans, et 3,4 gCO2/kWh en cas de prolongation à 60 ans. 
 
Notons que ces 3,7 grammes pour le nucléaire français sont repris par l'ADEME dans sa "base empreinte". (Sous la formule 3,7e-3 gCO2/kWh.)  



1 commentaire:

  1. Un exemple emblématique de cette écologie plus rouge que verte et que nous subissons

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