Retour à Fukushima
Jean Pierre Riou
S’il devait s’appliquer à lui-même, le principe de
précaution s’interdirait tout seul tant il est dangereux.
Et il importe de ne
pas ignorer les risques, plus grands encore, que peuvent faire courir les
marchands de peur aux moutons qu’ils affolent en agitant leurs épouvantails.
La gestion des risques est un métier, celui-ci ne doit
pas céder à l’émotion mais s'en tenir à la mesure des faits.
Ce qui rend regrettable qu’une certaine presse puisse privilégier
le titre racoleur à l’objectivité du contenu, l'article à sensation aux
conclusions scientifiques.
Et semble préférer se faire l’écho des rapports officiels quand ils sont alarmants que lorsqu'ils sont de nature à rassurer.
Les leçons de
Fukushima
Le tsunami qui a submergé Fukushima en mars 2011 en est devenu le symbole, et l’analyse de ses répercussions est riche
d’enseignements :
La première leçon en est qu’après les 20 000 morts
emportés par les flots, aucun des décès qui ont suivi l’explosion d’hydrogène
dans la centrale de Fukushima Daiichi n’est imputable à l’accident ni à
ses émissions radioactives.
Tous ont été provoqués par le déplacement des
populations et le
stress qui s’en est suivi.
Depuis, de nombreuses études ont mis en évidence les pathologies
entraînées par le déplacement des populations et considèrent désormais que cette
évacuation a été excessive.
Une campagne d'un suivi sanitaire de 30 ans a été aussitôt
entreprise et concerne 2 millions d’habitants de la préfecture de Fukushima et
spécifiquement 360 000 thyroïdes d’enfants.
Cette campagne est pilotée par l’Université médicale de
Fukushima en collaboration avec d’autres centres médicaux. L’Organisation
mondiale de la santé (OMS) a publié un rapport en 2013, le Comité scientifique
de l’ONU sur les conséquences des émissions radioactives (UNSCEAR) a publié le sien en 2014. En France, l’IRSN publie
régulièrement les résultats de ce suivi.
Toutes leurs conclusions s’accordent à considérer que les
doses reçues ont été faibles, même sur les travailleurs de la centrale, qu’à ce
jour, aucune modification statistique des pathologies n’a été décelé, et qu’aucun
élément ne permet encore de savoir si des effets ultérieurs seront, ou non,
susceptibles de se manifester.
De la nécessité de
l’information scientifique
En décembre 2015,
l’Assemblée Générale des Nations Unies adoptait la résolution A/RES/70/81
concernant les effets des rayonnements ionisant qui déclarait :
« Consciente de l’importance croissante des travaux
scientifiques du Comité et sachant que des activités supplémentaires imprévues
peuvent être nécessaires, comme ce fut le cas après l’accident survenu à la
centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, considérant qu’il importe de maintenir la haute qualité et la
rigueur scientifique des travaux du Comité (…)
Demande au Programme des Nations Unies pour l’environnement de
continuer, dans la limite des ressources existantes, à fournir un appui énergique au Comité afin de lui permettre de
poursuivre efficacement ses travaux et d’assurer la diffusion de ses
conclusions auprès d’elle-même, de la communauté scientifique et du
public »
Le propos du présent article n’est pas de chercher à
minimiser le drame japonais, mais de s’interroger sur les raisons qui ont
occulté cette volonté de l’ONU de faire connaître, notamment au public, les conclusions rassurantes de ses
travaux, tandis qu’en même temps, celles des experts du GIEC concernant le climat, sont surmédiatisées.
Des effets pervers de l’information partisane
Au prétexte de dénoncer un risque, l’information
partisane a véhiculé 2 effets pervers :
1° Le premier est le fait que s’il est légitime de s’inquiéter
des conséquences à long terme de l’exposition japonaise aux émissions
radioactives, celles de l’exposition au charbon sont avérées, et notamment
supposées provoquer 1850 décès chaque année en Allemagne … et 2490
hors de ses frontières.
Leur pérennité se trouvant pourtant implicitement cautionnée par l’effort allemand de réduire
son parc nucléaire.
2° Le second est que les marchands de peur, en incitant
les populations à fuir, les exposent à des dangers plus grands encore dans leur
fuite.
De même qu’en dissuadant
les populations déplacées de respecter les consignes de retour, ils augmentent, le
cas échéant, les conséquences d’un
déracinement prolongé, comme celles de l’accroissement du stress lors de leur retour.
Pour Philip Thomas, professeur en « Risk
Management » à l’Université de Bristol, l’évacuation des populations à la
suite d’une catastrophe nucléaire représenterait même purement et simplement
une grave erreur en raison des dégâts
pires encore qu’elle entraîne. Sans préjudice des sommes colossales inutilement perdues.
Car si la vie humaine n'a pas de prix, en matière de gestion des risques elle a malheureusement un coût qui implique une gestion rationnelle des moyens disponibles.
Fukushima aujourd’hui
Une mission française s’est rendue
à Fukushima en 2017 et a mesuré les débits de dose journaliers moyens dans
les principales villes impactées.
Ces mesures se sont révélées inférieures à celles
enregistrées à Cherbourg la même semaine.
Les mesures correspondant aux 15 minutes à 40 m du
réacteur accidenté restant même d’ailleurs inférieures à celles des 11h du vol Tokyo-Paris.
Et ces mesures ne faisaient que confirmer celles du Pr
R. Hayano, de l’Université de Tokyo, qui concernaient 8 étudiants et quatre
professeurs, à l’occasion d’un voyage depuis la France en 2015.
Toutes ces mesures rappellent également l’importance de l’exposition aux rayonnements liée
aux transports aériens, aux portiques de sécurité, ou d’ailleurs à l’imagerie
médicale
Elles faisaient
suite à 2 semaines d'enregistrement de l’exposition de 206 de ses étudiants, en
Europe, au Japon, ainsi qu’à Fukushima même.
Qui ont mis en évidence la plus forte exposition en France, à Bastia, et l’absence de la
moindre anomalie à Fukushima.
Ces conclusions, ainsi que le simple fait que l’Université
de Fukushima soit remplie de ses étudiants, contrastent avec les images médiatisées
de techniciens
en combinaisons intégrales qui donnent à l’européen moyen l’impression que toute trace de vie sociale a disparu de la préfecture de Fukushima depuis 2011.
La part des choses
L’accident de la centrale de Fukushima Daiichi n’en reste
pas moins une catastrophe majeure.
Mais la raison exige de le mettre en regard avec chaque paramètre
de la problématique.
Et impose de garder présent à l’esprit le fait que la
filière nucléaire reste
la moins dangereuse par unité d’électricité produite.
D’une énergie à l’autre
Les rupture de barrages hydrauliques ont déjà entrainé la
mort de plus de 100 000 personnes à Banqiao, dans la province du Henan, et
bien d’autres encore depuis, dont 4 disparus lors de l’effondrement de celui de
Fujinuma en mars 2011 à la suite du séisme du Tokohu, origine du Tsunami.
Les nombreux accidents
dans les mines de charbon viennent grossir le lourd bilan des 300 000 morts
provoqués chaque année en Chine par sa combustion, ou des plus des 20 000
décès rien qu’en Europe.
Et bien que la biomasse soit renouvelable, ses émissions
n’en sont pas
moins nocives.
Et à tout le reste
Trente ans après les milliers de morts de la catastrophe
de Bhopal, les sols restent contaminés sans qu’on entende de slogans demandant
la sortie du chimique, ni celui de la sortie de l’aviation à chaque crash
aérien, qui menace pourtant même les grandes capitales.
Sans compter les catastrophes naturelles ou autres incendies, semblables à celui qui frappe actuellement la Californie et dont l’évacuation des
populations est d’une plus
grande ampleur encore que celles de Fukushima, pourtant jugées excessives
depuis.
La gestion des
risques
Dans une tribune
publiée par « Le Monde de l’énergie », Bertrand Barré, ancien
Directeur des réacteurs nucléaires au CEA et Directeur de la Recherche et
Développement à Cogema posait la question :
" Nucléaire : spécialiste ou militant, deux éthiques incompatibles ?"
Et concluait par le constat :
« Le militant antinucléaire est convaincu qu’il faut
arrêter le nucléaire par tous les moyens quelles qu’en soient les conséquences,
et que le meilleur moyen est d’empêcher cette gestion pour la prétendre
impossible… »
La politique de l'énergie
sous tend toutes les autres et les choix qu’elle implique sont lourds de conséquences.
Quand l’opinion publique est appelée à se prononcer, on ne peut que redouter les effets d’une information militante. Il en va de la responsabilité des médias.
Car les conséquences économiques,
écologiques
ou géostratégiques
d’une décision militante sont étrangères à tout principe de précaution.
Je vous remercie pour cet article qui remet en perspective les différents risques à partir d’approches scientifiques. L’aveuglement des anti-nucléaires leur fait privilégier la sortie du nucléaire à la lutte contre le réchauffement climatique et à la nécessaire sortie des énergies fossiles, à commencer par le charbon. Ils refusent obstinément de considérer les conséquences concrètes, quotidiennes et dramatiques de l’utilisation des énergies fossiles au nom de leur phobie du nucléaire. Il n’y a qu’à voir le flot de critiques qui ont été adressées à Nicolas HULOT suite à sa prise de décision pragmatique et courageuse.
RépondreSupprimerPour fermer nos centrales thermiques, à commencer par celles au charbon et au fioul, il n’y a aujourd’hui qu’une voie efficace : réduire notre consommation d’énergie électrique.
Pour ne pas oublier la part importante du chauffage et des transports dans notre consommation d’énergies fossiles j’appelle de mes vœux une grande politique nationale et cohérente de réduction de nos dépenses énergétiques.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
SupprimerMerci pour votre commentaire! Contrairement à des énergies intermittentes, les économies d'énergie sont effectivement en mesure de remplacer réellement des capacités "pilotables" installées, quelles qu'elles soient.
SupprimerJ.P.Riou
Non, il y a une meilleure alternative : développer le nucléaire Génération IV : centrales à surgénération 238U et/ou 232 Th. C'est ce que font les Chinois, les Russes, les Indiens et les Américains. Nous, on a un petit projet, Astrid, avec des financements modestes.
RépondreSupprimerAbsolument!
SupprimerJ'avais d'ailleurs publié un article évoquant notre Superphénix renaissant de ses cendres sous la forme du BN 8OO russe, lauréat du prix de la meilleure centrale au monde de la part de la presse américaine.
http://www.economiematin.fr/news-superphenix-reacteur-nucleaire-fermeture-ecologie-france-riou
Des arrangements électoralistes auront participé à la perte de l'avance de la France dans ce domaine de la 4° génération.
J.P.Riou