Le pari risqué d'un doublon intermittent
Jean Pierre Riou
Après 1/4 de siècle de développement, les énergies renouvelables intermittentes (EnRi) n'ont toujours pas remplacé 1 seul MW électrique pilotable installé en Europe, pour une consommation pourtant équivalente.
Si leur modèle n'est pas dénué d'intérêt au sein de mix électriques fortement carbonés, il importe de se poser la question des conséquences à long terme de leur doublon sur un parc électrique fortement nucléarisé.
Quand bien même on en accepterait le prix et le risque qu'elles induisent sur le système électrique.
Les EnRI ne remplacent rien,
Selon Eurostat, avec 2824 TWh en 2022, la production brute d’électricité de l’Union européenne est inférieure à celle de 2004 qui était de 2908 TWh. Cette baisse est observable quels que soient les repères choisis. Dans son bilan de 2023, RTE observe d’ailleurs une baisse plus forte encore, avec la consommation la plus basse enregistrée depuis 2004, montrant que les économies d’énergie ont plus que compensé la croissance de la consommation liée à l’électrification des usages prévue, même en termes de consommation corrigée qui occulte la part de réduction liée au réchauffement des températures.
Sur la même période, les chiffres de Eurostat montrent que pas 1 MW de puissance pilotable installée n’a pu être retirée, avec 609 GW en 2003 (puissance totale moins éolien/PV) et 638,5 GW « pilotables » en 2021 malgré les 324,7 GW éolien-solaire ajoutés à ce parc.
Les EnRi forcent la modulation à la baisse des centrales pilotables
La combinaison de ces 2 paramètres donne la mesure de l’impact des EnRi sur les centrales pilotables. Si la baisse ainsi avérée de leur facteur de charge a permis de brûler moins de combustible fossile en Allemagne, leur effet sur le parc nucléaire français demande à être observé attentivement.
C’était prévu
En 2018 un rapport franco allemand « L’Energiewende et la transition énergétique à l’horizon 2030 » publié conjointement par AGORA et IDDRI analysait les implications croisées du développement visé en matière d’énergies renouvelables sur les parcs électriques des 2 pays. Quel que soit le réalisme de l’ambition de cette analyse en matière d’EnR, les conclusions étaient sans appel pour le nucléaire français. Le rapport notait : « En France, le développement visé des énergies renouvelables et le réinvestissement dans le parc nucléaire au-delà de 50 GW comporterait un risque important de coûts échoués dans le secteur électrique. » Et, considérant que « En 2030, un parc nucléaire maintenu à des niveaux élevés devra opérer plus fréquemment en suivi de charge, contribuant à la flexibilité du système électrique » et concluait : « Avec un parc nucléaire élevé, la production d’électricité est en hausse, mais les coûts du parc augmentent en raison d’une plus faible production ramenée à la capacité de production. De plus, ces productions supplémentaires sont vendues à des niveaux inférieurs car le maintien d’une capacité de production nucléaire plus importante a un effet dépressif sur les prix de marché de l’électricité. » Le rapport chiffre ces coûts selon la puissance installée en évaluant qu'avec 63 GW, le facteur de charge ne serait que de 71% (contre 79% à 40 GW), mais surtout que le nucléaire ne serait marginal que 27% du temps contre 74% avec 40 GW. (figure 30)
Le rapport dresse, page 86, le tableau économique, ci-dessous, de son exploitation selon les scénarios avec un prix de vente moyen de 52 €/MWh avec 40 GW contre 23 €/MWh avec 63 GW, avec, en ce cas, un bilan de moins 9 Md€ par an contre un bénéfice de 3 Md€/an avec 40 GW.
Un effet déjà visible
Ce scénario prévu pour 2030 est déjà largement observable aujourd’hui, notamment sur le site de l’institut Fraunhofer dans la mesure où le nucléaire (en rouge) se trouve en bas laissant mieux apparaitre ses modulations à la baisse à chaque pic quotidien de production solaire (en jaune), 2 fois plus importantes que les baisses nocturnes liées à celle de la consommation. Cette modulation apparaît amplifiée par la production éolienne (en gris).
Le contre emploi du nucléaire
Par delà sa perte de rentabilité, le nucléaire doit s’adapter aux aléas de la météo, au lieu de programmer sereinement son calendrier de maintenance/rechargement en fonction des besoins, et profiter de la flexibilité du système pour rechercher les régimes optimums de chaque réacteur.
Par ailleurs, les à-coups de fonctionnement qui lui sont imposés, y compris par des arrêts complets, augmente la fatigue des différents composants du circuit secondaire (turbine, alternateur, condenseur, poste d’eau) par leurs variations de pression et de températures.
Un récent rapport du cabinet Kpler a dénoncé le risque accru de coûts de maintenance plus élevés et de pannes imprévues en raison de ces modulations.
Les liens incestueux entre EnRi et gaz
Le parc nucléaire d’EDF a permis à la France d’être 1er exportateur mondial, quasiment chaque année depuis 1990, d’une électricité parmi les moins chères et les moins carbonées d’Europe. La prolongation à 60 ans et plus, désormais envisagée pour ses réacteurs, et les EPR2 prévus permettent d’envisager d’autant mieux la prolongation de ce modèle que le monde nous envie, que l’augmentation de la consommation par l’électrification des usages semble contenue jusqu’alors par les économies d’énergie. Les énergies intermittentes sont incapables d’apporter la moindre garantie lors des prochains pics de consommation qui sont les soirs d’hiver de grands froids anticycloniques, généralement sans vent ni soleil. L’Allemagne en a fait la cruelle expérience le 6 novembre 2024, où les 71 720 MW éoliens n’ont quasiment rien produit de la journée, tombant même à 44,2 MW à 14 h, soit un facteur de charge de 0,06%.
Par contre ces EnRi sont parfaitement capables de ruiner le modèle économique du nucléaire en obligeant la France à privilégier un backup fossile, ainsi que le prévoit l’Allemagne dans le scénario de référence de l’institut Fraunhofer, reproduit ci-dessous, qui prévoit 152 GW conventionnels de secours en 2045 contre 82 GW aujourd’hui.
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