ENR et CO2 évité, entre théorie et pratique (Première partie)
(Aller à la deuxième partie.)
Première partie de l’analyse de Jean-Pierre Riou et Jean Fluchère. Aller à la deuxième partie.
Depuis 2009, la Directive européenne 2009/28/CE [1] impose à la France une part contraignante (23%) d’énergies renouvelables (EnR) dans sa consommation finale d’énergie. La justification de cette part, appelée à croitre, repose sur le postulat que chaque MWh renouvelable produit permet d’éviter les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’une quantité équivalente à celle produite par des énergies fossiles.
Ce postulat, qu’aucune étude d’impact chiffrée ne semble jamais avoir cherché à vérifier, s’avère fondamentalement inexact en raison de paramètres essentiels qu’aucun inventaire officiel ne prend en compte.
Il apparaît en effet que le caractère erratique des productions renouvelables a pour effet de dégrader le rendement des centrales thermiques de soutien et que l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre liée à cette dégradation est occultée par les « facteurs d’émission par défaut » employés par le gestionnaire de réseau RTE, ainsi que par le CITEPA, officiellement chargé d’en transmettre l’inventaire aux différentes instances internationales.
La longueur de cet article a réclamé une publication en 2 parties :
– 1. Entre théorie et pratique.
– 2. La nécessité d’une étude d’impact.
Sa compréhension demande le rappel préalable des éléments suivants :
Note technique
Les centrales électriques thermiques transforment une partie de l’énergie consommée en chaleur, ce qui implique des pertes de rendement. Ce rendement est typiquement de 35% pour une turbine à gaz et peut dépasser 60% pour les centrales à cycle combiné à gaz (CCG).
Le facteur de charge indique le rapport entre la production effectivement délivrée sur une période donnée et celle qui aurait été produite sur cette même période si l’unité concernée avait fonctionné à sa puissance maximale, qu’on nomme puissance nominale.
Les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont généralement exprimées en équivalent CO2 (CO2eq) en fonction du potentiel de réchauffement global (PRG) des gaz concernés.
Les facteurs d’émissions indiquent la quantité de CO2eq émise lors de la combustion d’un combustible donné, pour une unité d’énergie et un rendement donné.
Le Ministère de la Transition écologique le chiffre pour le gaz à 0,37t CO2eq /MWh en précisant pour un rendement de 55%. [2]
Toute baisse de puissance d’une centrale thermique affecte son rendement et, par là, augmente ses facteurs d’émissions, ou quantité de CO2eq /MWh.
Cette corrélation avait été notée en 2012 dans un rapport d’Enea Consulting, partenaire de l’ADEME. ([3] p 15)
Une même quantité d’électricité produite, ou de combustible consommé ne correspond pas toujours à une même quantité de CO2eq émise, selon le régime de fonctionnement de la centrale concernée.
En pratique
EDF fait état de 65% de rendement pour ses CCG contre 38% pour ses centrales classiques. [4]
L’unité CCG de Bouchain a détenu le record du monde de rendement avec
62,2% en 2018 avec notamment une température du mélange gazeux
dépassant 1300°. [5]
Ces valeurs de température, de rendement et d’émissions concernent un
fonctionnement à puissance nominale. Les régimes partiels affectent
chacune d’elles.
ACV et RTE.
L’analyse du cycle de vie (ACV) du gaz, chiffre la moyenne européenne de son facteur d’émission à 0,244kg CO2eq /kWh. Celle-ci comprend 0,205 kg CO2eq / kWh pour la combustion proprement dite et les émissions liées à l’amont (c’est-à-dire la production et le transport du gaz) qui est de 0,0389 kg CO2eq / kWh. Avec une incertitude de 5%. [6]
L’ADEME retient 201g et 38g pour l’amont. [7]
Pour la production d’électricité, ce facteur d’émission est supérieur en raison des pertes importantes liées au rendement.
Dans ses bilans d’émissions, RTE comptabilise uniquement les émissions liées à la combustion et considère notamment nucléaire, éolien, photovoltaïque et hydraulique à 0g CO2eq /kWh.
Mais sur la totalité des cycles de vie, démantèlement compris, la dernière étude répondant aux normes ISO en vigueur fait apparaitre le nucléaire français à 3,7g CO2eq /kWh [8].
Soit exactement la valeur minimale retenue par le GIEC [9], qui retient une moyenne de 11gCO2eq/kWh pour l’éolien terrestre, 48gCO2eq/kWh pour le photovoltaïque et 24gCO2eq/kWh pour l’hydraulique, dans ce même document (p1335).
Rendement et CO2eq
Pour établir les émissions du parc électrique français, RTE fonde son calcul sur la quantité d’électricité produite par chaque combustible et chaque type de centrale, en lui appliquant un « coefficient moyen » calculé à partir de deux éléments [10]:
- 1. La base carbone de l’ADEME pour obtenir le facteur d’émission des combustibles (gaz, charbon et fioul)
- 2. Les guidelines de l’ENTSO-E pour définir le rendement type des centrales.
Les indicateurs retenus correspondent globalement au facteur d’émission de la combustion du gaz (205g CO2eq /kWh) appliqué aux rendements des différents types de centrales en fonctionnement à puissance nominale.
En l’occurrence la moyenne des 486g et 583g (= 534g) retenus par RTE pour les groupes gaz autres que cogénération et CCG correspond à un rendement type de 38%, tandis que la valeur de 352g CO2eq /kWh retenue pour les groupes CCG correspond exactement aux 205g CO2eq /kWh de facteur d’émission pour le gaz appliqués à un rendement de 58,2%. Soit le rendement type des CCG d’EDF (58%) légèrement relevé par le concours récent (2016) du record du monde de Bouchain (62,2%). [11]
Rappelons que pour la production électrique, le ministère avait indiqué un facteur d’émission du gaz de 0,37tCO2/MWh, en précisant « pour un rendement de 55% » [2], soit à nouveau 205g CO2eq /kWh appliqués au rendement de 55%.
En forme de confirmation le bilan RTE 2022 des émissions [12] fait état de 1,7Mt de CO2 pour le groupe fioul dont la production 2022 [13] est de 2,2 TWh et le coefficient retenu de 0,777 t CO2 eq /MWh, et de 2,8 Mt de de CO2 pour les 2,9 TWh de charbon dont le coefficient est de 0,986 t CO2 eq/MWh correspondent aux déclarés. Soit exactement la production multipliée par les coefficients respectifs sans que la moindre variation de régime ait été prise en compte.
Le CITEPA
Le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) est chargé de dresser l’inventaire officiel des émissions françaises et de le transmettre aux différentes instances internationales. Ses données diffèrent sensiblement de celles de RTE. Il fonde son calcul sur l’énergie fossile consommée par chaque centrale, et non sur l’énergie électrique produite, et des « facteurs d’émissions par défaut » propres à chaque combustible et chaque technologie. Le CITEPA fait état d’une marge d’incertitude entre ± 1 % et ± 300 %) » pour les facteurs d’émission (Rapport 2022 p 33 [14]).
Entre théorie et pratique
Modulation de la puissance et rendement
Si une centrale module sa puissance, notamment pour suivre la production des EnR intermittentes, elle réduit du même coup la température de combustion de ses gaz et son rendement, augmentant ainsi un facteur d’émission que ni RTE ni le CITEPA ne semblent en mesure de prendre en compte à travers leurs indicateurs de facteurs d’émissions moyens ou par défaut.
Or cette baisse de rendement entraîne une dégradation des facteurs d’émissions, voire une augmentation d’émissions, là où la comptabilité fondée sur une émission standard des MWh produits, ou même consommés, chiffrera une baisse indue globale de ces émissions.
General Electric avait publié une étude sur le sujet montrant le lien entre les régimes partiels, la température de la flamme et la quantité d’émissions dans les centrales à gaz.
Ce lien est illustré notamment ci-dessous par les rejets de monoxyde de carbone (CO), par l’étude de General Electric [15] (p 6) qui donne une image fidèle du rendement.
L‘étude indique que cette croissance exponentielle du CO intervient dès que la température descend en dessous de 816°C, correspondant au facteur de charge de 50% sur le graphique.
Ces émissions proviennent à la fois du gaz lui-même et du système de lubrification (distillate oil). Ce système pouvant comporter 40 000 litres d’huile [16].
L’étude précise enfin que cette courbe – d’une turbine à gaz MS7001EA – est caractéristique de toutes les machines à usage intensif.
Notons qu’au contact de l’atmosphère, le CO s’oxyde en CO2. (Rapport CITEPA [11] p 27).
Mais notons surtout que la diminution de puissance de cette turbine ne diminue pas ses émissions globales de CO et qu’en dessous de la ½ charge, elle les augmente même considérablement.
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