Sûreté du système électrique
Quand les problèmes de l’intermittence prospèrent plus vite que les (coûteuses) solutions destinées à les résoudre
Jean Pierre Riou
En 2015 déjà, explorant les besoins d’extension de réseau de l’ambitieux scénario renouvelable allemand « Länder », le rapport Derdevet prévenait : « On constate que les besoins en extension croissent plus rapidement que le développement des énergies renouvelables en raison d’effets de seuil. »
Cette impression de fuite en avant se dégage aujourd'hui du dernier bilan de sûreté de RTE.
Plus propre, plus durable et moins cher, un scénario fortement nucléarisé est également plus sûr
Dans son volumineux rapport « Futurs énergétiques 2050 », RTE vient de montrer que le scénario le plus nucléarisé (N03) serait le moins émetteur de gaz à effet de serre, le plus durable, mais également le moins cher.
Le rapport envisage en effet les coûts complets de chaque scénario, c'est-à-dire qu’il chiffre également celui des infrastructures nécessaires à l’intégration de chaque type de production.
L’intermittence des énergies renouvelables est notamment à l’origine d’une large part des 102 milliards d’€ du nouveau TURPE6 destiné à moderniser le réseau électrique français.
Dans son bilan
sûreté 2020, RTE décrit les différents aspects des conséquences de l’intermittence sur le
réseau, quand bien même le risque en serait encore parfaitement maîtrisé.
Équilibre offre demande
Selon ce rapport, la faible disponibilité du parc de production et le « manque croissant de moyens pilotables et flexibles (part croissante des EnR ne participant pas encore au mécanisme d’ajustement) » ont entraîné, en 2020, une ampleur inédite des situations où les marges de l’équilibre offre et demande (EOD) ont été insuffisantes. Cette évolution est illustrée ci-dessous.
Notons que le pire est évité grâce au mécanisme d’effacement de consommation, qui rémunère des clients industriels ou tertiaires pour être privés d’alimentation lorsque ces marges sont insuffisantes.
RTE fait
état, sur son site, d’une nette hausse, pour la 2ème année consécutive, du volume de l'appel d'offre 2022
de ce « fusible » qu'est l’effacement avec 76%
de plus par rapport à 2021.
Événements significatifs système (ESS)
Bien que la majorité des événements soient classés A sur une échelle de gravité allant jusqu’à F, l’année 2020 marque une nouvelle augmentation des ESS.
La raison en serait notamment « un parc de production qui apporte moins d’opportunités en termes de flexibilités et de services système que par le passé » à cause d’une « part croissante des EnR ne participant pas encore aux flexibilités et services système et baisse du nombre et de la proportion de tranches nucléaires y participant ». Quand bien même cette baisse du nombre de tranches nucléaires serait liée à la crise sanitaire et au décalage des maintenances qui s’en est suivi afin d’affronter l’entrée de l’hiver dans des conditions optimales, cette situation ne fait qu’anticiper les difficultés à venir liées à la baisse programmée de la part du nucléaire.
RTE met en cause « la variabilité des flux en direction et en intensité dans le nombre d’ESS concernant le dépassement temporaire des flux admissibles sur les ouvrages de RTE , qui est passé de 0 en 2015 à 36 en 2020.
Le lien entre les EnR et cette variabilité des flux en direction et en intensité est décrit dans l’article « 102 milliards pour permettre au réseau de marcher sur la tête ».
Selon RTE « Ce contexte a entrainé une recrudescence de situations tendues sur l’équilibre offre-demande et une hausse du nombre de dégradations à la baisse du plan de tension, engendrant au total 66 ESS ;
• des démarrages ponctuels et maîtrisés de protections
de surcharge sur le réseau intérieur et plus uniquement aux
frontières, en partie liés aux variations rapides et profondes des flux ».
Concernant la fréquence du réseau
Les nouveaux régimes des contrats de rémunération des énergies renouvelables prévoient notamment la rémunération d’un forfait de 35% de facteur de charge pour les producteurs éoliens qui interrompent leur production lors de prix négatifs sur le marché, au lieu de devoir payer pour l’écouler. « Les arrêts synchronisés de ces volumes, qui deviennent conséquents, ont pour la première fois générés des écarts de réglage à deux reprises en décembre, obligeant RTE à des ajustements en temps réel pour rétablir l’équilibre ».
RTE ajoute que « le système électrique français enregistre également depuis quelques années des déficits plus fréquents sur les réserves automatiques de fréquence. »
Et déplore que « Il reste
toutefois globalement difficile de reconstituer en temps réel les réserves
requises, sur le mécanisme d’ajustement, du fait de la diminution du gisement
disponible. Cette difficulté est accentuée lorsque des groupes fournissant
des services système sont arrêtés dans le cadre d’ajustements à la baisse pour
l’équilibre offre-demande. »
En
d’autres termes, quand la disponibilité des énergies renouvelables leur permet
de prendre la place de centrales pilotables pour répondre à la demande, RTE se
trouve fort dépourvu pour reconstituer les réserves en cas de déséquilibre.
Pour expliquer la genèse d’un incident de grande ampleur, RTE souligne la difficulté de gérer une production qui peut être aussi bien excédentaire, et devoir alors être évacuée, que venir à manquer, en rappelant que « l’énergie électrique ne se stocke pas aujourd’hui à grande échelle et les capacités de transport des ouvrages électriques ne sont pas infinies ». RTE explique que les phénomènes qui caractérisent ces incidents de grande ampleur sont : Les surcharges en cascade, l’écroulement de tension, la variation importante de fréquence et la rupture de synchronisme.
L’écroulement de tension
RTE fait état d’une dégradation du plan de tension qui a entraîné par 8 fois le seuil d’armement des automates de défense en 2020, ainsi que l’illustre le graphique ci-dessous.
Mais assure rester maître de la situation, le seuil d’activation de délestages automatiques n’ayant pas été atteint. Et cite, parmi les éléments favorables, le volume de capacité réactive des groupes nucléaires, historiquement peu limité en 2020.
Le rapport précise le risque « En deçà d’un certain niveau bas de tension
appelé tension critique, on se heurte à la limite de puissance transmissible.
Ce qui conduit à l’écroulement du réseau, si aucune mesure n’est prise ».
Gestion des flux sur le réseau
« Depuis quatre ans, hors régime d’incident, l’augmentation du nombre de démarrages ponctuels de protection de surcharge en 225 et 400 kV est significative ».
RTE en précise l’enjeu : « Si la surcharge d’intensité
n'est pas levée avant un temps donné après son démarrage (entre quelques
secondes et 20 minutes, selon l'ampleur du dépassement constaté), l’ouvrage
concerné se déconnecte automatiquement du réseau, par action de sa protection
de surcharge. Le transit supporté avant le déclenchement par cet ouvrage se
reporte alors sur les ouvrages voisins. Selon l’importance des phénomènes, on
peut alors se trouver face à de nouvelles surcharges, puis de nouvelles
déconnexions. De reports de charge successifs
pouvant entrainer l'apparition d'un phénomène cumulatif peuvent par un effet
cascade conduire à la perte d’une partie importante du réseau. »
Réalimentation du réseau
RTE précise qu’en cas d’incident généralisé la réussite de
l’îlotage des groupes nucléaires est primordiale pour permettre de
reconstituer le réseau et réalimenter les clients dans les délais les plus
brefs possibles. Cet « ilotage», durant lequel le réacteur ne délivre rien
au réseau, permet en effet de reconstituer celui-ci par des « remises sous
tension, pas à pas, de structures 400 kV, appelées ossatures régionales. »
Dépassements de tension
RTE fait état d’une augmentation régulière des dépassements de tension, particulièrement sensible sur le réseau 225kV, qu’il illustrée par le graphique reproduit ci-dessous.
Pour maîtriser ces tensions hautes, liées notamment, selon RTE, à l’augmentation de la production décentralisée, RTE équipe le réseau de selfs (dispositifs permettant d’absorber de la puissance réactive et donc d’abaisser la tension) : 450 MVar de selfs ont ainsi été installés en 2019.
En 2020, 760 MVar de selfs ont été installés et 2300 MVar supplémentaires sont prévus d’ici 2025, dont 200 dans le massif central, afin de moins solliciter les groupes hydrauliques fortement utilisés actuellement dans la gestion des tensions dans un mode spécifique dit de « compensation synchrone ».
Ce qui ne correspond pas pour autant à une gestion optimum de leurs ressources.
Selon le rapport, ces dépassements de
tension sont provoqués par « le développement important des EnR sur les réseaux de
distribution qui réduit les soutirages de puissance active sur le réseau de
transport et augmente donc la production d’énergie réactive du réseau ».
Stabilité dynamique du réseau
Enfin, la force d’inertie des grosses machines tournantes de façon synchrones à 50Hz des centrales conventionnelles confèrent au réseau sa stabilité dynamique. Dans « Futurs énergétiques 2050 » RTE constate que « le développement des productions renouvelables connectées par de l’électronique de puissance conduit à une baisse de l’inertie du système électrique européen, rendant les déviations de fréquence plus rapides quand surviennent des aléas temps réel sur l’équilibre entre la production et la consommation. Pour maintenir le même niveau de stabilité de la fréquence qu’aujourd’hui, les exigences sur la vitesse de réponse lors de l’activation devront être rehaussées.»
Et si « des solutions techniques existent pour surmonter la difficulté résultant de la réduction de l’inertie, elles se trouvent toutefois à différents stades de maturité ».
Et RTE évalue avec la plus grande prudence la viabilité de l’alternative retenue entre des compensateurs synchrones, et le « Grid forming », en confessant « Des expériences à grande échelle sont nécessaires dans les années à venir pour valider ce concept. »
La colonne vertébrale
Le système électrique est la colonne vertébrale de la
transition énergétique grâce à son opportunité de remplacer les énergies
fossiles par l’électrification des usages.
Plus chère, moins propre et moins durable que les scénarios nucléaires, l’aventure de scénarios comportant une large part d’énergies intermittentes porte en elle une menace sur l’ensemble de la sécurité énergétique dont il convient de prendre la mesure dès aujourd'hui dans toute politique de long terme.