Le financement de l'énergie éolienne
Jean Pierre Riou
L’obligation d’achat
La version actuellement
en vigueur (février 2021) de l’Article L314-1 du code de l’énergie fait obligation à Électricité de France (EDF) – ainsi qu’aux entreprises locales de
distribution chargées de la fourniture (ELD) si les installations de
production sont raccordées aux réseaux publics de distribution dans leur zone
de desserte – de conclure, lorsque les
producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l'achat de
l'électricité produite sur le territoire national par les installations dont la
liste et les caractéristiques sont précisées par décret et notamment par les
énergies renouvelables (EnR).
Errata : mise à jour du 17/02/2021
Depuis sa première version (juin 2011) cet article du code de l'énergie renvoie son application concernant l'éolien industriel à l'Article D314-15
Qui précise : en application de l'article L. 314-1,
les producteurs qui en font la demande bénéficient de l'obligation
d'achat d'électricité pour les installations de production d'électricité
suivantes :
2° Les installations utilisant l'énergie mécanique du vent implantées à terre, à l'exception de celles implantées en Corse.
Mais cette disposition a été abrogée par le décret du 28 avril 2017 qui ne la maintient que pour :
11° Les installations utilisant l'énergie mécanique du vent situées dans
des zones particulièrement exposées au risque cyclonique et disposant
d'un dispositif de prévision et de lissage de la production
Les charges induites
Le tarif privilégié
de ces contrats entraîne des charges supplémentaires à EDF (et aux ELD) dont le
montant est évalué chaque année par la Commission de régulation de l’énergie.
Pour évaluer ces
charges, la CRE publie
ses analyses de la valeur du coût évité par l’énergie ainsi achetée et la
déduit du montant total engagé par EDF.
La CRE publie en
juillet de chaque année une délibération dans laquelle elle évalue le total de ces charges pour l’année précédente ainsi
que leur prévision pour l’année suivante.
L’annexe 1 de cette délibération rend compte de la quantité d’électricité achetée "sous
obligation d’achat" en GWh et son coût constaté l’année précédente, en M€ pour chaque filière, et sa prévision concernant l’année suivante.
Son tableau récapitule
également le coût d’achat unitaire en
€/MWh de chaque filière, à la fois constaté l’année précédente et prévu
pour l’année suivante.
Le tableau le plus
récent (juillet 2020) est reproduit ci-dessous.
Et montre que la
CRE a constaté un coût d’achat unitaire moyen de 92,7 €/MWh pour l’éolien en
2022, et en chiffre la prévision 2024 à 100,8 €/MWh. (Et 187,9 €/MWh pour l'éolien en mer)
Cette moyenne
concerne la totalité des contrats d’EDF OA (obligation d’achat) qui assume notamment le suivi de pas moins de 6 types de contrats éoliens, selon la date de leur signature, et
de 3 types de contrats d’appels d’offre.
Le législateur rappelait, notamment en 2014 (article 6) que "chaque contrat d'achat comporte les dispositions relatives à l'indexation des tarifs qui lui sont applicables" cette indexation s'effectue chaque année en fonction de l'indice du coût horaire du travail et de l'indice de prix de production de l'industrie française. Cette indexation explique que la moyenne du coût d'achat unitaire du MWh éolien soit supérieure aux 82€/MWh qui représentait la rémunération maximum des tarifs antérieurs aux compléments de rémunération.
Actualisation de la
rémunération
Le guichet ouvert : 74€/MWh (+ 2,8€)
L’arrêté du 6 mai 2017 encadre le complément de rémunération des
installations de 6 aérogénérateurs maximum. Son tarifs de base est de 74€/MWh pour des rotors de 80 m maximum
de diamètre et 72€/MWh à partir de
100 m, avec interpolation linéaire entre ces 2 valeurs.
Pour éviter une
rentabilité excessive aux sites les mieux situés, l’arrêté prévoit un plafond
annuel, au dessus duquel la rémunération tombe à 40€/MWh.
Pour autant, dans
son avis sur le projet d’arrêté, la CRE considère : « Le
plafonnement n’a par ailleurs que des effets limités. Il écrête la rentabilité
de 0,2 points en moyenne et ne permet pas d’éviter les rentabilités excessives
sur l’échantillon considéré ».
Une rémunération
excessive
Dans ce même avis, la CRE mentionne le revenu
supplémentaire d’une prime de gestion de
2,8€/MWh.
En effet, l’article R 314-41 du code de l’énergie assure l’octroi de cette prime unitaire
destinée notamment à compenser les « coûts forfaitaires des écarts liés à la
différence entre l'électricité réellement produite et la prévision de
production ». Et prévoit qu’elle soit versée mensuellement.
L’arrêté du 6 mai 2017 a été modifié par celui du 30 mars 2020,
notamment au sujet des renouvellements de parcs existants. Et ajoute par
ailleurs une condition supplémentaire à l’article 5 : « 9° Un engagement sur l'honneur
à ce que l'installation ne reçoive pas de soutien provenant d'autres régimes
locaux, régionaux, nationaux ou de l'Union. »
Il était d’autant plus temps, 20 ans après l’arrêté du
8 juin 2001, de prendre ainsi ce recul nécessaire à l’affectation de
l’argent public que selon
le Ministère, la règlementation européenne précise : « si un
État entend cumuler plusieurs aides différentes en faveur d’une seule dépense
éligible, l’intensité maximale admissible est appliquée à l’égard du montant
cumulé des aides. » Et que ces aides « doivent être transparentes(…) c’est-à-dire être accordées soit sous forme de subventions ou de
bonifications d’intérêts, soit sous forme de prêts, de régimes de garanties et
de mesures fiscales respectant certaines conditions. »
Tandis que dans son avis
du 24 juillet 2019, la CRE réitérait ses inquiétudes quant au niveau de la
rémunération en écrivant : « De
tels niveaux de rentabilité ne semblent pas conformes aux dispositions du code
de l’énergie, qui prévoient que « le niveau [du] complément de rémunération
ne peut conduire à ce que la rémunération totale des capitaux immobilisés,
résultant du cumul de toutes les recettes de l'installation et des aides
financières ou fiscales, excède une rémunération raisonnable des
capitaux, compte tenu des risques inhérents à ces activités ». La CRE
recommande donc de revoir à la baisse le niveau de tarif ».
L’art. 11 de l’arrêté du 6 mai 2017 garantit
la rémunération pour 20 ans
Rémunération lors
de prix négatifs
L’annexe de l’arrêté du 6 mai 2017 (téléchargée sur le texte de l'arrêté en vigueur mis à la date du 1er juin 2021) précise en 7° :
Au-delà
des 20 premières heures, consécutives ou non, de prix spots strictement
négatifs pour livraison le lendemain constatés sur la bourse de l’électricité
EPEX Spot SE pour la zone France, une installation qui ne produit pas pendant
les heures de prix négatifs reçoit une prime égale à Primeprix négatifs, définie ci-dessous :
Primeprix
négatifs = 0,35.Pmax. T . nprix négatifs
Formule
dans laquelle : - T est le
tarif de référence (Te) défini au II de cette annexe, exprimé en €/MWh ; - nprix négatifs est le nombre d’heures
pendant lesquelles les prix spots pour livraison le lendemain sur la plateforme
de marché organisé français de l’électricité ont été strictement négatifs au
delà des 20 premières heures de prix négatifs de l’année civile et pendant
lesquelles l'installation n'a pas injecté d'énergie.
Ce
qui signifie qu’une éolienne qui ne produit pas est alors rémunérée sur la base
d’un facteur de charge de 35%.
Éolien en mer
Le cahier des charges des TOA éolien en mer validé par la DELIBERATION N°2023-74 de la CRE prévoit notamment pour les éoliennes flottantes bretonnes que :
Le producteur ne reçoit pas de complément de rémunération lorsque les prix spot sont strictement
négatifs. Au-delà des 40 premières heures de prix négatifs, le cahier des charges prévoit toutefois le
versement d’une prime, sous réserve que l’installation ne produise pas durant les heures de prix
négatifs. Cette prime est calculée de la manière suivante :
Prime prix négatifs = 0,7 x Pmax x T x n prix négatifs
Au sein de cette formule, Pmax correspond à la puissance de l’installation et T au tarif de référence
susmentionné.
Le nombre d’heures de prix négatifs, nprix négatifs, est comptabilisé à partir de la 40 ème heure
présentant un prix spot négatif.
Soit sur la base d'un facteur de charge de 70%
Les compléments de rémunération du photovoltaïque prévoient une rémunération correspondant à 50% du facteur de charge aux installations qui ne produisent pas lorsque les prix sont négatifs
Prime = 0.5. P. Te. nprixnégatifs
Au delà des 15 premières heures
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000036920735
La CRE publie chaque mois le bilan des heures négatives.(faire défiler les onglets avec la flèche en bas à gauche, puis sélectionner "Heures de prix > 0.
Ces données font état de 4 heures de prix négatifs en 2017, et une augmentation progressive jusqu'à 338 heures entre le 1 janvier et le 30 septembre 2024, soit 325 heures pendant lesquelles les éoliennes ont été rémunérées sur la base d'un facteur de charge de 35% ou 70% pour ne pas produire.
Les appels d’offres
de l’éolien terrestre 59,5€/MWh (+2,8€ + 1 à 3€)
Les installations de plus de 6 mâts ou comprenant au moins 1
aérogénérateur de plus de 3 MW ou encore, selon
la CRE, « pouvant justifier
d’un rejet, adressé par EDF, d’une demande de contrat de complément de
rémunération au titre de l’article 3 de l’arrêté du 6 mai 2017 », dépendent
du régime des appels d’offre. Le Ministère donne la liste des
lauréats ainsi que le prix d’achat retenu lors du dernier d’entre eux, qui
est de 59,5€/MWh.
La
CRE mentionne « qu’une majoration
allant de 1 à 3€/MWh du prix de
référence proposé est accordée si le candidat s’engage dans son offre à
recourir au financement participatif ou à l’investissement participatif »
Dans sa délibération
du 13 février 2020 « portant
décision relative à l’instruction des dossiers relatifs à la 5ème
période d’appel d’offres », la CRE établit à 2,8 €/MWh le montant de la prime de gestion concernant ces appels
d’offre.
La cannibalisation du système
Entre promesses …
Ces aides d’État, réputées se réduire et
permettre à des technologies nouvelles de devenir compétitives dans un marché
concurrentiel tout en respectant des Directives européennes, tardent
malheureusement à tenir leurs promesses.
En 2007, le représentant du Syndicat des énergies
renouvelables (SER) annonçait devant le
Sénat [7] :
« En tablant sur une augmentation
régulière des prix de 5 %, la contribution à la CSPE s'avère positive
jusqu'en 2015. Les consommateurs seront donc obligés de payer plus cher pour le
développement de l'éolien. Ensuite, la contribution devient négative. Les
producteurs éoliens génèrent alors une rente pour la collectivité ».
… et réalité
L’étude
conjointe IEA/NEA sur les coûts de production de l’électricité constate
malheureusement que « Les valeurs énergétiques simulées saisissent également l'ampleur
des effets de cannibalisation à mesure que la part des énergies renouvelables
variables augmente, l'expansion des énergies renouvelables variables réduisant
leur propre valeur marchande ». Elle
explique ainsi l’effondrement du cours du MWh qui a amené la France, 25
fois 1er exportateur mondial sur ces 30
dernières, à avoir exporté ses flux physiques d’électricité au prix moyen de
30,05€/MWh en 2020, d’après
les douanes françaises.
En
d’autres termes, le développement des EnR, parallèlement à la baisse apparente
de leur tarif d’achat, entraîne une baisse de la valeur de leur production, qui
augmente d’autant le montant du complément de rémunération destiné à leur
garantir le revenu convenu.
Cette cannibalisation compromet toute concurrence non subventionnée dans un
marché supposé ouvert et non biaisé. Ce qui est particulièrement préjudiciable
à la filière nucléaire qui exige une vision et des investissements de long
terme et tend à son remplacement par des moyens thermique
La priorité d’accès
L’article 16 de la Directive européenne
2009/28/CE stipule :
b) les États membres prévoient, en outre, soit un accès prioritaire, soit
un accès garanti au réseau pour l’électricité produite à partir de sources
d’énergie renouvelables
En décembre 2019, l’Office franco allemand
pour la transition énergétique produisait une note de synthèse sur les cadres
réglementaires du statut prioritaire accordé aux énergies renouvelables aux
niveaux européen, et notamment Le nouveau règlement de l’UE sur le marché de
l’électricité qui limite la priorité accordée aux nouvelles installations de
moins de 400 kW.
Dans la mesure où cet Office tient ses bureaux dans les
locaux du Ministère dont il reçoit des
subventions, on peut regretter pour l’éclairage du débat public que cette
note de synthèse soit réservée
à ses adhérents.
Pour autant, la refonte de la Directive à travers la Directive 2018/2001 ne mentionne plus cette priorité d'accès des EnR sur le réseau en laisse la réglementation au choix des États.
Après la disparition des tarifs d'achat obligatoires en 2017, la seule priorité d'accès inscrite dans la loi française concerne les territoires d'Outre mer.
Le merit order effect
La CRE décrit ainsi le phénomène : « La baisse des LCOE des ENR jusqu’à des niveaux
inférieurs à la production thermique et au prix de marché moyen ne signifie
pas que les subventions et mécanismes de soutien deviennent superflus. Cela s’explique par le « Merit Order Effect » : les ENR
étant des moyens de production à coût marginal nul, les périodes de forte
production ENR connaissent des prix sur le marché de gros en moyenne inférieurs
au prix spot moyen, et qui peuvent devenir nuls ou négatifs avec une
fréquence qui croit avec la proportion de production ENR fatale ».
La dette
C’est pourquoi, au
lieu de la « rente » espérée, la Cour des Comptes a chiffré à 121 milliards d’€ les charges relatives aux seuls contrats des EnR
électriques (+ biométhane injecté) engagés avant 2018, sans préjudice des
sommes déjà affectées à ces charges auparavant pour le soutien des contrats en
question.
Le remboursement de
ces charges à EDF, affecté à l’origine à la taxe CSPE (Contribution au service
public de l’énergie), et dont l’augmentation rapide était visible sur les
factures d’électricité sera désormais enfoui dans le budget général de l’État,
ainsi que l’article La CSPE ou les 3 CSPE rappelle l’historique de son affectation.
Les coûts annexes
Le tarif d’utilisation
des réseaux publics d’électricité(Turpe) représente le tiers des factures.
Le Turpe 6 entrera
en vigueur, pour 4 ans, le 1er aout 2021. Il intégrera les sommes
nécessaires à la restructuration du réseau pour lui permettre d’accueillir
l’augmentation des EnR. La CRE a entériné les 33 milliards d’€ pour RTE et les
69 milliards pour Enedis prévus sur 15 ans à cet effet, ainsi que c’est
développé dans « Le Turpe nouveau est arrivé ».
Pour éclairer le débat public
En premier lieu, le
ministère justifie son soutien financier aux EnR « compte tenu du coût encore supérieur au prix
de marché des énergies renouvelables, leur déploiement ne pourrait pas se faire
sur le seul critère de compétitivité dans un fonctionnement de marché »
Parmi ces aides, le ministère mentionne les
dispositifs fiscaux.
D’autre part, à la
lecture du jugement du Tribunal administratif de Paris, condamnant pour
inaction climatique l’État français, auquel les requérants reprochaient une
part insuffisante d’EnR à cet effet, nous apprenons que dans un mémoire destiné à rester confidentiel, la Ministre de l’écologie aurait fait valoir
qu’« en ce qui concerne l’objectif d’augmentation des énergies
renouvelables, celui-ci est indépendant de celle des gaz à effet de
serre ».
En tout état de
cause, le lien de cause à effet entre développement des EnR et les objectifs
climatiques de la France par la décarbonation d’un parc électrique qui l’est
déjà depuis ¼ de siècle est, en effet, pour le moins controversé.
En toute logique,
des raisons électorales amènent les élus à laisser une large place au débat
public dans l’avenir énergétique du pays.
Pour permettre un débat éclairé, la totalité
des avantages financiers accordés aux EnR, quelle qu’en soit la forme, doit
pouvoir être aussi clairement que possible mise en regard des avantages et inconvénients objectivement
attendus pour le système électrique national.
Le reste n’est que publicité
trompeuse.