Fessenheim :
Le sacrifice expiatoire d’un
serviteur dans la force de l’âge
Jean Pierre Riou
Ce 26 septembre, le couperet vient de tomber sur la doyenne
des centrales nucléaires françaises.
C’est désormais décidé, un premier réacteur de la
centrale de Fessenheim s’arrêtera en février 2020, et le second en juin.
Pourtant, l’Autorité de sûreté nucléaire considérait
encore en 2018 [1] que ses performances en matière de sûreté nucléaire, la « distinguent
de manière favorable par rapport à la moyenne du parc ».
Mais son grand âge est évoqué dans les médias.
Un regard Outre Atlantique remet en perspective les 40
ans de Fessenheim.
Quarante ans, la
force de l’âge des réacteurs américains.
Aux États-Unis, l’exploitation commerciale des réacteurs
nucléaires est régie par l’attribution de licences délivrées pour une période
initiale de 40 ans.
Cette période initiale est déterminée pour raison explicitement
« économique et antitrust » et non en raison d’une quelconque limite
« liée à la technologie nucléaire ».[2]
Si l’installation satisfait aux normes de sécurité de l’U.S.N.R.C
(United States Nuclear Regulatory Commission), le propriétaire peut solliciter
une prolongation de 20 ans d’exploitation supplémentaire.
A l’issue des 60 ans d’activité ainsi cumulés, une
nouvelle licence de 20 ans (subsequent
license renewal) [3] peut prolonger son exploitation à 80 ans.
C’est l’exploitant qui décide de déposer, ou non, la
demande de prolongation.
Au 1er septembre 2019, 89 des 97
réacteurs en activité aux États-Unis avaient déjà obtenu leur licence de 20 ans
supplémentaires, [4] tandis que 5 réacteurs, dont la licence avait été
renouvelée, avaient cessé leur activité
pour cause économique.
La carte ci-dessous illustre cette situation.
(Illustration U.S.N.R.C.)
Une exploitation commerciale
de 80 ans
D’autre part, six demandes de prolongation d’exploitation
à 80 ans ont déjà été déposées :
Celles de Turkey Point 3 et 4, de Peach Bottom 2 et 3 et de
Surry Units 1 et 2 [3]
Le 5 décembre 2019, l'U.S.N.R.C. délivrait à Turkey Point 3 et 4 la "subsequent licence" autorisant leur exploitation jusqu'à leurs 80 années de fonctionnement **.
Un gâchis
industriel
Les investissements initiaux sont largement amortis après
40 ans d’activité et le prix du combustible représente une part infime du MWh
produit. La fermeture de Fessenheim prive ainsi EDF de revenus conséquents.
Mais après avoir été une promesse de campagne du candidat
Hollande, cette fermeture était devenue hautement symbolique. Et son exécution
conditionne le paysage électoral, à l’instar de la fermeture de Superphénix, en
son temps.
Un serviteur
fidèle et pilotable
En aout 2018, un rapport
de la Fédération allemande de l’énergie [5] alertait sur la dangereuse
érosion des moyens de production électrique en Europe et en octobre, les 10 principaux acteurs européens de l’énergie
signaient un appel commun [6] sur la sécurité d’approvisionnement
qui envisageait la fin de la solidarité européenne en cas de pénurie.
Les moyens
pilotables sont en effet indispensables à la sécurité d'approvisionnement en cas de période prolongée de grand froid sans soleil et sans vent.
De telles périodes, qui représentent une épée de
Damoclès sur le réseau européen, et que l’Allemagne nomme « Dunkelflaute », donnent à celle-ci des sueurs
froides, telles que celles du 24 janvier 2017.[7]
Un non sens
écologique
Alors que la réduction des émissions de CO2 est érigée en
priorité nationale, on ne peut que déplorer la fermeture d’une centrale
nucléaire en parfait état de fonctionnement, parallèlement à la construction de la nouvelle
centrale à gaz de Landivisiau.[8]
En effet, selon RTE, chaque
MWh produit par de telles centrales (CCG) émet 359 kg de CO2 [9], tandis que c'est grâce au nucléaire, qui n'en émet pas *, que le mix électrique français est décarboné à plus de 90% depuis un quart de siècle [10].
C’est ainsi que le véritable sacrifice de la centrale de
Fessenheim, pour une raison sans lien avec sa sécurité d’exploitation, est
déplorable tant sur le plan économique et environnemental que sur celui de la
sécurité européenne d’approvisionnement électrique.
* Dans les calculs d'émissions, le nucléaire, comme l'éolien ou le solaire, sont considéré sans émission de différents gaz à effet de serre, dont la valeur conventionnelle est exprimée en équivalent CO2 ou "CO2eq".
L'étude de leur cycle complet, comprenant les émissions liées à la construction, l'extraction et l'enrichissement d'uranium notamment, trouve cependant la trace d'émissions qui leur sont imputables.
D'après les données du GIEC,[11] la valeur médiane des émissions du cycle complet de l'éolien est de 12gCO2eq/kWh, celle du solaire de 41-48g/CO2eq/kWh, et celle du nucléaire de 12gCO2eq/kWh.
Cependant, ce cycle complet du nucléaire est particulièrement bas en France, grâce au procédé d’enrichissement par centrifugation et au peu d’émissions de l’électricité française.
Cependant, ce cycle complet du nucléaire est particulièrement bas en France, grâce au procédé d’enrichissement par centrifugation et au peu d’émissions de l’électricité française.
Il a été chiffré à 5,45gCO2eq/kWh par l’étude
de Poinssot et al 2014.[12]
Cette étude mentionne l'économie permise par le procédé de centrifugation, trop récent (2013) pour avoir pu être pris en compte.
En 2020, les émissions du cycle complet du nucléaire français ont été chiffrées à 4gCO2eq/kWh. [13]
Cette étude mentionne l'économie permise par le procédé de centrifugation, trop récent (2013) pour avoir pu être pris en compte.
En 2020, les émissions du cycle complet du nucléaire français ont été chiffrées à 4gCO2eq/kWh. [13]
En juin 2022, EDF publiait une étude de 88 pages (14)faisant état de 3,7 gCO2/kWh pour un fonctionnement de 40 ans, et 3,4 gCO2/kWh en cas de prolongation à 60 ans.
Notons que ces 3,7 grammes pour le nucléaire français sont repris par l'ADEME dans sa "base empreinte". (Sous la formule 3,7e-3 gCO2/kWh.)