mercredi 15 mars 2017

Ubu chez les allemands



UBU chez les allemands

Ou les chiffres officiels d'une combinaison perdante
Jean Pierre Riou

Les coûts d'une politique

Avec un des kWh les plus chers d’Europe, derrière celui des danois, ce sont les ménages allemands  qui supportent les surcoûts des tarifs d’achat préférentiels accordés à leurs énergies renouvelables, tandis que leurs industries de taille moyenne conservent, ainsi qu'en France, un tarif compétitif.

Cependant, les 23 milliards d’euros de taxes pour l'année (EEG 2016), responsables de ces tarifs, ne représentent que la partie émergée du coût d’une transition énergétique ou "Energiewende" qui s'élèverait déjà à 150 milliards d’euros selon l’Institut économique de Düsseldorf, et dont le total devrait atteindre 520 milliards d’ici 2025.


Bilan d'étape
De telles sommes exigent l'évaluation d'un retour sur investissement par un bilan provisoire relatif aux objectifs qu'elles sont supposées atteindre.
Cet objectif est triple: la réduction de l'impact environnemental, la maîtrise des coûts et la sécurité d'approvisionnement.
L'émotion suscitée par les conséquences du tsunami de Fukushima a entraîné la décision de sortir également l'Allemagne du nucléaire.

Puissance installée 

En terme de puissance installée, éolien et photovoltaïque n'ont fait que surdimensionner le parc de production allemand. L'absence de leur moindre puissance garantie ayant entraîné l' impérieuse nécessité de conserver l'intégralité de la puissance pilotable installée en 2002, à besoins pourtant constants de consommation. 
Il en est de même en France, nous l'avons déjà montré et avons expliqué pourquoi.
(http://lemontchampot.blogspot.fr/2017/02/la-raison-detat.html

(Source https://www.energy-charts.de/power_inst.htm)

La sortie du nucléaire

L'examen de l'évolution du parc électrique allemand, sur le graphique ci dessus, confirme en effet que les 11,6 GW nucléaires supprimés depuis 2002 sont intégralement remplacés par + 5,7 GW de biomasse et + 8 GW de gaz, tandis que charbon + lignite restent stables. (Légère augmentation non significative) La puissance intermittente, au dessus du trait rouge, ne faisant que se superposer à la puissance pilotable, sous le trait rouge.
Les chiffres précis en apparaissant, pour chaque filière, sur le site indiqué.

Remarquons qu'en France, ce n'est pas 11,6 GW mais 63,1 GW que représente notre parc nucléaire, et que si l'éolien + photovoltaïque ne permettent pas d'en fermer le moindre réacteur, on peut se demander l'intérêt de les faire fonctionner en régime chaotique pour leur permettre de suivre les caprices du vent.
 
Les effets sur la production

Sur le graphique ci dessous, le trait rouge horizontal reporte sur chaque année le total de la production par des moyens pilotables de 2002.
La consommation, rappelons le, étant restée constante depuis.

Deux constats s'imposent

Le premier est qu'en toute logique, les faibles taux de charge éolien/photovoltaïque donnent de petits résultats pour de grosses puissances installées - par comparaison au précédent graphique - mais surtout, qu'une moitié de leur production correspond, chaque année, aux exportations, figurant en violet tout en bas du graphique.
Ce qui n'est pas pour surprendre, chaque épisode venté entrainant des surproductions éoliennes aléatoires dont l'Allemagne ne sait que faire et qu'elle refoule vers ses voisins à vil prix, parfois même à prix négatifs lors de chaque nouveau "record".

Le second constat est que la légère diminution de la production pilotable, (indiquée "Bilan" sur le graphique ci dessus), s'est donc automatiquement accompagnée d'une diminution du taux de charge des centrales pilotables. Cette diminution entraînant une augmentation des facteurs de pollution, ainsi que cela était exposé dans l'article : http://www.economiematin.fr/news-quand-les-eoliennes-augmentent-les-emissions-de-co2

Cette augmentation relative des émissions de CO2 des filières thermiques restant cependant étrangère à tout bilan puisque ceux ci n'en comptabilisent que les MWh produits.

Zoom sur la dérive des taux de charge

Gaz
La filière gaz, cependant la plus propre des filières thermiques, est la plus affectée par cette réduction de taux de charge, pour la raison qu'elle est moins compétitive que le charbon et surtout le lignite. 
De 33,5% en 2008, son taux de charge est tombé de façon parfaitement régulière, chaque année, jusqu'à 12% en 2015
(Seule l'année 2016 marquant une reprise avec 18,6%, qui correspond d'ailleurs à une légère diminution de production éolien/photovoltaïque malgré l'augmentation de la puissance installée. Mais surtout à des problèmes techniques sur 3 réacteurs nucléaires allemands en fin d'année et à la baisse du taux de charge du lignite...pour la première fois.)
Ces centrales à gaz, indispensables dès que le vent tombe, restent en fonctionnement pour des productions ridicules, comme les 0,012GW en haut de la liste ci dessous (Saarbrücken), ou complètement arrêtées comme l'impressionnante série qui la suit.


La priorité donnée aux éoliennes et leur impact sur le cours du MWh dès qu'il y a du vent aura ainsi forcé l'Allemagne à subventionner un parc de centrales à gaz propres pour qu'il ne fonctionne quasiment pas, pendant que le lignite devenait le maitre du réseau.

Lignite
Le lignite, source la plus polluante, fonctionne en effet en permanence à plein régime et n'a pas vu son taux de charge varier de façon significative depuis 2002, où il était de 78,7% et reste toujours supérieur à 78% en 2013, puis 76% en 2014 et 2015. 
Mais donc 73,7% en 2016, parallèlement à l'augmentation du taux de charge du gaz évoquée, montrant que si l'Allemagne boude sa filière la plus propre elle tire le maximum de la plus sale qui ne cède pratiquement pas quand le vent souffle.


 
Charbon
La tendance de l'évolution de son taux de charge semble être une légère diminution, avec 39,9% en 2016, après avoir été de 48,6% en 2003 - mais aussi en 2013... - et être descendu à 38,3% en 2009, avant la réduction de 11GW du parc nucléaire.
Mais c'est ce charbon qui assure l'essentiel de la variation de puissance éolienne, le gaz n'en ayant pas la capacité nécessaire, et la variation nettement moindre du lignite, moins cher que le charbon, explique son taux de charge record.


Et pour suivre les aléas de l'éolien, nous pouvons observer de nombreuses centrales à charbon retomber à 0 MW, reprendre une faible production et s'arrêter à nouveau peu de temps après, entraînant assurément une quantité d'émission bien supérieure à celle qui correspond aux seuls MWh produits, mais cette production reste pourtant le seul paramètre comptabilisé dans les bilans.
Tandis qu'on sait que ces régimes chaotiques entraînent une augmentation d'émission de CO2.

  Des bilans trompeurs
Ce qui devrait relativiser le "bilan" déjà maigre du graphique "production".
Au lieu de quoi les chiffres sont annoncés en % de MWh produits, dans lesquels les surproductions indésirables permettent de faire baisser la proportion des centrales thermiques.
Hélas, les annoncent trompeuses n'évoquent que l'accroissement de la puissance installée ou ses records de part de la consommation en oubliant de rappeler les conséquences de leur caractère éphémère.
Mais parmi ces nouvelles énergies renouvelables, seule la biomasse, pour être pilotable, peut prétendre avoir remplacé l'équivalent de sa puissance en nucléaire ou en charbon.
Mais au lieu de tenter de maîtriser le stockage avant de déployer des énergies intermittentes, on procède à l'inverse dans le royaume d'Ubu, en faisant d'autant mieux semblant d'ignorer les coûts de cet hypothétique stockage qu'on ignore encore comment on s'y prendrait.

Et chez Ubu on préfère parler de territoires autonomes ou de décentralisation de la production pour tenter de faire croire qu'il n'est pas nécessaire de multiplier les interconnexions pour rester connecté à l'intégralité des centrales pilotables, chargées de veiller, en pré chauffe, aux caprices météorologiques. 
 
Nucléaire
Seul le nucléaire conserve en permanence son taux de charge maximum, supérieur de 10% à celui des réacteurs français. Ce taux est supérieur, chaque année, à 85% et généralement compris entre 87% et 91,6%.
Avec les exceptions de 2016 (84,5%), année ayant connu des incidents sur plusieurs réacteurs, mais surtout des 4 années ayant précédé la fermeture de 8 réacteurs : - 2007 (75,1%), 2008 (78,2%), 2009 (71,3) et 2010 (74,2).
Le nucléaire allemand vise ainsi en permanence un régime et une rentabilité optimum.
Les aléas de sa production n'étant liés qu'à ses problèmes techniques, majoritairement compensés par le charbon.

Ainsi, en mai dernier où 3 réacteurs sur 8 manquaient à l'appel, et où les à coups de des réacteurs Brokdorf et Gundremmingen B préfiguraient d'ailleurs peut être leur arrêt complet de février 2017.


Nucléaire français
Contrairement à une idée reçue, les réacteurs nucléaires sont susceptibles de varier leur puissance de 80% à la hausse ou à la baisse en moins de 30 minutes.
Le parc thermique français, avec 21,7 GW, est particulièrement réduit et émet 10 fois moins de CO2 que le parc allemand. Mais cette vertu lui interdit d'assurer à lui tout seul les variations des besoins de la consommation.
C'est la raison pour laquelle le parc nucléaire français, contrairement au parc allemand, suit au plus près les besoins de la consommation, aussi bien dans ses variations saisonnières que dans ses pics journaliers!
 (Source analyse J.P. Hulot sur les données consolidées RTE)

On peut s'étonner du peu de rentabilité d'une telle stratégie, d'autant qu'EDF a l'obligation de revendre une part de sa production nucléaire (ARENH) au prix de 42€/MWh, afin de faire profiter ses concurrents de l'avantage que lui donne la possession, pour la raison que la création de ce parc avait  été subventionnée.
Et tandis que les médias s'efforcent de présenter ce parc comme un fardeau coûteux, il est considéré comme une rente par la concurrence.
De fait, son simple taux de charge moyen (77%) génèrerait déjà 425 milliards de kWh par an, soit 17,8 milliards d'euros au simple tarif ARENH.

Amener la part nucléaire à 50% en 2025

C'est désormais la filière nucléaire elle même qui propose de se plier à d'avantage d'exigences en suivant, de surcroît, l'intermittence de production des énergies renouvelables.
Et tout laisse à croire que le développement des EnRi ne permettront pas plus de fermeture de réacteur qu'elles n'en ont permis jusqu'alors, et que la rentabilité de nos réacteurs sombrera d'autant plus que les productions intermittentes achèveront la ruine du marché de l'électricité.
EDF sera alors privé à la fois des moyens de sa sécurité, des éventuels démantèlements demandés par l'ASN et de la modernisation de ses moyens de production.

Le bilan allemand

La priorité donnée aux éoliennes et leur impact sur le cours du MWh dès qu'il y a du vent aura ainsi forcé l'Allemagne à subventionner un parc de centrales à gaz propres pour qu'il ne fonctionne pas, pendant que le lignite devenait le roi du réseau et que l'intermittence du charbon augmentait ses facteurs de pollution, en raison de leurs régimes chaotiques, leurs à-coups de fonctionnement ou temps d'attente en pré chauffe, qui entrainent, en fait, une augmentation de CO2.


L'hypothèque sur l'avenir

L'argent public n'est pas renouvelable.
Et si la vie humaine n'a pas de prix, qu'on le veuille ou non, elle a un coût.
Et la politique de gestion des risques est un métier qui doit se garder aussi bien des lobbies que des marchands d'angoisse dans l'utilisation des fonds publics dont elle est garante.

Or, pour supprimer moins de 12 GW de son parc nucléaire, l'Allemagne n'a pas fait que le remplacer par la même puissance thermique pilotable.
Elle a également enfanté une créature surdimensionnée dont l'intermittence convient bien peu à l'équilibre du réseau électrique européen et dont le principal effet est de l'empêcher d'utiliser rationnellement son parc de production.
Et cette Energiewende à 520 milliards d'euro a failli dans l'objectif prioritaire qui lui était assigné: celui de réduire les émissions de CO2 du parc de production d'électricité.
Le plus puissant ministre du Cabinet allemand, Peter Altmaïer, vient désormais de reconnaitre officiellement l'échec de cette politique dans son objectif climatique.

Mais surtout, en ruinant avec elle l'ensemble du système électrique européen, cette politique ubuesque aura dissuadé tout investissement dans une alternative pérenne.

Et ce n'est pas là son moindre défaut!


 

4 commentaires:

  1. > L'émotion suscitée par les conséquences du tsunami de Fukushima a entraîné la décision de sortir également l'Allemagne du nucléaire.

    Non : le mouvement a commencé avant.

    https://jancovici.com/transition-energetique/choix-de-societe/vers-quoi-lallemagne-transitionne-t-elle-exactement/

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    1. Bonjour,
      J'ai déjà eu l'occasion de préciser, dans d'autres contextes, que l'émotion suscitée par Fukushima n'avait qu'accélérer un mouvement déjà ancré en Allemagne.
      L'émotion suscitée par Fukushima a cependant provoqué un revirement dans la position de Mme Merkel, dont la "sortie de la sortie" du nucléaire figurait au programme. (http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/01/la-conversion-d-angela-merkel-en-faveur-d-une-sortie-du-nucleaire_1501795_3232.html)

      Le présent article s'attache à caractériser l'évolution du facteur de charge de chaque filière allemande entre 2002 et 2016, la date de 2011 y tient une place prépondérante par la fermeture, cette année là des tranches nucléaires les plus problématiques sur décision d'un plan de sortie du nucléaire à horizon 2022, officialisé par la politique allemande en 2011, prenant d'ailleurs toute l'Europe de cours.
      Le lien avec Fukushima était nécessaire pour la compréhension des chiffres, sans que j'ai cru utile de refaire l'histoire des Grünen.
      Bien cordialement, Jean Pierre Riou.
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  3. On peut sans doute baisser en 30 minutes la puissance d'un réacteur nucléaire à eau pressurisée, mais je ne suis pas certain qu'on puisse faire l'inverse et remonter à 100 % dans la demi-heure qui suit dans de bonnes conditions de sécurité...

    Sinon, excellente analyse hélas...
    Je me demande comment on peut ignorer ces évidences.

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