Pourquoi nous payons de plus en plus cher pour la perte de
notre indépendance énergétique, la menace d’un blackout généralisé et l'aggravation du risque d’un incident nucléaire.
L’échec de la politique énergétique européenne est patent en
regard des 3 objectifs qu’elle s’était assignés : "maîtrise des coûts,
sécurité d’approvisionnement et réduction de l'impact environnemental".
Bien loin d’en formuler tout bilan chiffré et remise en
question stratégique, la France
en accélère la marche forcée.
Avec la promesse de lendemains qui déchantent.
Le leurre
renouvelable
La distinction renouvelable/ fossile masque sournoisement la
différence essentielle entre les moyens de production d’électricité: ceux qui
sont pilotables à la demande et ceux qui sont susceptibles
d’interrompre leur production à tout moment, de façon quasi totale.
Si ces moyens intermittents sont généralement renouvelables,
tous les moyens dit "renouvelables", tels que l’hydraulique de barrage la géothermie,
l’énergie des marées ou celle de la houle, ne sont pas intermittents.
Et si on sait que la nuit, il n’y a pas de soleil, on ne réalise
pas toujours que le taux garanti de couverture de la consommation par la
production éolienne est également de 0%
Des moyens supplémentaires de stockage sont alors indispensables
pour conférer le moindre intérêt à une part significative de production aléatoire.
Or, le rapport
sur le stockage à partir duquel l’ADEME avait échafaudé une projection visionnaire
« 100% renouvelable » révèle ses limites, à partir de la page 150, et
fait comprendre l’impossibilité actuelle d’en réunir les conditions minimales
nécessaires.
Malgré d’incontestables avancées, il est encore trop tôt
pour énoncer les possibilités réelles de stockage à grande échelle pour un
surcoût acceptable par la collectivité.
L’accélération de la course chimérique visant à développer la
puissance intermittente installée sans maîtriser ces pré-requis est responsable
du gâchis considérable d’une politique européenne qui risque d’être ridiculisée par
l’avènement d’une forme ou d’une autre des énergies
propres de demain avant d’avoir compris comment rendre durable ce qui est intermittent.
Plus grave encore, si on en croit la
Cour des Comptes, personne n’a la moindre idée des réelles conséquences
économiques et sociales de la loi sur la transition énergétique qui encadre cette politique.
Pas même le ministère des finances, celui de l’économie ou le secrétariat d’État au budget, qui n’ont pas
daigné répondre.
Retour sur un quart
de siècle de gâchis
En l’état actuel des interconnexions et des possibilités de
stockage, ces énergies intermittentes (éolien/photovoltaïque) n'ont toujours pas permis la suppression de la moindre centrale pilotable.
Quand le vent et la nuit tombent, leur production étant
quasi nulle, la régulation hydroélectrique (barrages et stations de transfert
d’énergie par pompage : STEP) ne laisse pas de marge de sécurité suffisante
pour tenter de ne pas disposer de la totalité de la couverture des besoins
en centrales pilotables.
La simulation de la
période de froid anticyclonique de février 2012 du Rapport
ADEME 100% renouvelables, qui
prétendait y résister par des importations, semblait perdre de vue, qu’au même
moment, les éoliennes allemandes étaient encore moins efficaces que les nôtres
avec moins de 1% de taux de charge (0.29GW le 05/02/2012, pour
30.56GW installés) et n’auraient été
d’aucun secours.
Lors de ces périodes tendues, chaque pays ne pouvant pas
compter sur le pays voisin.
Cette nécessité est d’ailleurs confirmée par l’évolution du
parc installé en Allemagne, pour lequel il est facile de constater que la
puissance pilotable, sous le trait rouge, est strictement inchangée depuis
2002. La conversion de centrales à charbon en biomasse (en vert) ayant compensée
à elle seule la très faible diminution du reste, nucléaire compris (en rouge).
Tandis qu’il apparait clairement que les 83.48GW, éolien et
photovoltaïque, au dessus du même trait rouge, viennent en surplus.
Alors que la consommation allemande n’a strictement pas
évolué pendant cette période.
L’Allemagne n’a d’ailleurs pas prévu de se passer de ces
moyens fossiles puisqu’elle a programmé, d’ici 2025, 1760MW de nouvelles centrales
au lignite, 4555MW au charbon et 12960MW au gaz, selon les chiffres
officiels BDEW.
Sans que l’augmentation de la consommation en soit la cause,
puisqu’elle s’est engagée devant l’Europe à la réduire par l’amélioration de 27%
de l’efficacité énergétique d’ici 2030.
Est il utile de rappeler que la pollution de l’air est responsable
de plus de 2 fois plus de morts, chaque année en Allemagne championne du
charbon pour sa production d'électricité, qu’en France, avec notamment 42 578 décès en 2010 contre
17 389 en France, selon les calculs
de l’OCDE .
Mais en Allemagne, du moins, les moyens intermittents sont ainsi chargés
de prendre la place des centrales polluantes quand il y a du soleil ou du vent.
Pourtant, le bilan de 25 ans de cette politique n’ait fait évoluer
les émissions allemandes que de 600kg
CO2/MWh en 1990 à 540 kg CO2/MWh en 2015, et encore, à la
condition de ne pas tenir compte du fait que l’intermittence de fonctionnement
et les régimes partiels augmentent les facteurs de pollution des centrales pour une même quantité
d’électricité produite.
(Chiffres http://www.ag-energiebilanzen.de/
et critères du bilan RTE 2015)
Bien pitoyable évolution en regard des émissions de 40kg CO2/MWh pour le parc français.
La réduction de ces émissions n’était elle pourtant pas la
priorité absolue de la COP 21?
La chute du cours du
MWh et ses dramatiques conséquence
Comme on aurait pu s’y attendre, l’ajout de ces énormes capacités
de production subventionnée intermittente à une situation déjà surcapacitaire en
Europe est responsable de l’écroulement du cours du MWh.
Et prive de toute rentabilité aussi bien les recherches dans
des alternatives pérennes que les centrales conventionnelles qui ne sont pas
perfusées par l'argent public, mais dont il n’est malheureusement pas possible de
se passer.
Au point que l’électricien allemand E.on en en est même
arrivé à menacer d’aller en justice pour avoir le droit de fermer sa centrale
à gaz d’Irshing, ultramoderne et non polluante, malgré les subventions
destinées à l’inciter à la laisser prête à démarrer en fonction des caprices du vent.
Malheureusement, plus le cours du MWh baisse et plus la
compensation en argent public est importante pour garantir le tarif
préférentiel aux énergies renouvelables, alors qu’on imaginait qu’en raison d’une
augmentation inéluctable des prix, à partir de 2015 « Les
producteurs éoliens génèrent
alors une rente pour la collectivité ».
C’est ainsi exactement l’inverse qui s’est produit faisant
s’envoler les coûts pour la collectivité et les factures des consommateurs.
La France, dindon de la farce
Le problème est plus sensible encore en France, où la
question n’est pas celle du CO2 puisque plus de 95% de son parc de production n’en émet pas et
que les énergies aléatoires, incapables de remplacer le moindre des réacteurs, ne
parviennent qu’à leur imposer leur régime chaotique, au lieu du régime optimum pour
lequel ceux-ci sont conçus.
Ils sont en effet « capables
de faire varier leur puissance de 80 % à la hausse ou à la baisse en
l’espace de trente minutes » en fonction de la production des énergies renouvelables.
Hélas, « il va
de soi que de telles oscillations vont à l’encontre d’un des principes de base
de la gestion des cœurs qui est de produire la puissance de la façon la plus
homogène possible dans le cœur ». (Anne
Nicolas, Direction de l’énergie nucléaire CEA/Saclay)
Cette obligation de modulation, d’autre part, sollicite
d’avantage les équipements et en provoque une usure prématurée.
Mais surtout, en réduisant leur rentabilité, les
fonctionnements en régimes partiels privent EDF des moyens d’en assurer la maintenance,
particulièrement dans le cadre du « grand carénage » prévu.
S’il est louable de chercher à supprimer tout risque
nucléaire, il est irresponsable d’imaginer qu’on puisse y parvenir en ruinant
son exploitant.
Voilà à peine plus de 2 ans, la « rente
nucléaire » d’EDF était jugée tellement conséquente qu’il était envisagé
de l’affecter
au financement de la transition énergétique, plutôt qu’en profiter pour
améliorer la sécurisation de ses réacteurs.
Depuis 2016, EDF ne parvient même plus à vendre la moindre
de sa production au
prix ARENH, et se voit condamné par la loi à ne plus exploiter ses réacteurs
qu’à 50% de leur taux de charge à horizon 2025, au gré du vent, désormais capable
de faire tomber les cours du MWh jusqu’à des prix
négatifs.
Le rapport
de la Cour des Comptes laisse désormais augurer un choix entre une rupture
d’approvisionnement susceptible d’entraîner un blackout en chaine sur le réseau
européen, ou des compromis inacceptables sur la maintenance du parc nucléaire.
La situation
financière d’EDF laisse difficilement entrevoir d’autre alternative à court
terme.
L’arbre qui va cacher
la forêt
Une particularité doit toutefois être relevée, afin d’éviter
une méprise sur les raisons qui permettront de fermer aisément l’équivalent de
2 à 3 centrales et ne pas comprendre que le développement des énergies
intermittentes n’y est strictement pour rien.
Depuis 2013, la nouvelle unité d’enrichissement d’uranium
« Georges Besse 2 » a complètement libéré pour la consommation 2
réacteurs nucléaires du Tricastin qui étaient jusqu’alors entièrement dédiés à
« Georges Besse 1 », 50 fois plus gourmand en électricité.
Cette puissance désormais supplémentaire n’apparaît pourtant
nulle part dans les Bilans RTE puisque la consommation est donnée en chiffres
bruts puis « corrigés de l’aléa
météorologique hors soutirage du secteur énergie ».
Mais c’est à l’évidence la principale raison de la baisse,
depuis 2013, de la consommation brute, qui devient même inférieure à la
consommation corrigée, pour la première fois en 2014, puis en 2015 et permet à la France de dépasser, ces 2
années, son solde d’exportation de 2013 qui la place déjà au 2° rang mondial.
(AIE
2015, p 27 data 2013)
La dizaine de TWh supplémentaires,
libérés grâce à la faible consommation de « Georges Besse 2 », risque
de tromper un observateur non averti sur les raisons qui permettront à la France de figurer
vraisemblablement à la 1° place AIE 2016 et 2017 (chiffres 2014 et 2015) et
d’être effectivement en mesure de fermer l’équivalent d’un peu plus de 2
réacteurs sans que les énergies intermittentes y soient pour quoi que ce soit. Tandis
qu’elles ne font actuellement que participer aux exportations à perte.
(achetées au prix moyen 2015 de 90€/MWh selon la CRE et exportées au prix moyen 2015 de 37.5€/MWh selon les
douanes françaises )
Interconnexions, la
fausse solution d’une mutualisation des problèmes
A défaut de stockage, la fuite en avant vers une
mutualisation des problèmes dans l’espoir d’y trouver une solution, semble plus
dramatique encore. La restructuration du réseau de transport et de distribution
avec des interconnexions supposées résister à la pénétration d'une plus grande part d'
intermittence est estimée à 700
milliards d’euros en 10 ans par le rapport Derdevet.
Sans que personne, d’ailleurs, ne semble encore en mesure d’en estimer le taux
d’efficacité en regard de cette intermittence.
Ce réseau est manifestement indispensable à l’Allemagne, mais promet de coûter à la France bien plus cher qu’on
imagine.
En effet, force est de constater l’évidente corrélation
entre la production intermittente des éoliennes, qui est par nature sans
rapport avec les besoins de la consommation, et le cours du MWh.
Cette instabilité du marché qui interdit toute rentabilité
aux centrales de production non subventionnées fait le bonheur des traders en électricité
qui voient s’ouvrir à eux un immense terrain de jeu, avec des échanges toujours
plus lointains, contrairement à l’image de production locale dont on essaye de parer
les éoliennes.
France Stratégie décrivait la fragilisation
du réseau français par l’Allemagne qui impose déjà le transit de son
courant par nos frontières pour l’acheminer du nord vers le sud de son
territoire.
Et remarquait que les effets de ces interconnexions
n’étaient pas positifs pour tout le monde. Notamment pour la République tchèque ou la Pologne, contraints
d’investir dans des transformateurs déphaseurs géants pour pouvoir précisément
s’en déconnecter.
Source France Stratégie
Cet hiver, c’est la Pologne qui risque une rupture
d’approvisionnement, ses importations étant limitées par la saturation de
son réseau par l’Allemagne qui l’emprunte pour traverser ses frontières !
En décembre 2013, Pierre Audigier annonçait dans
ParisTech Review que la
France ne sera pas épargnée par ces « déversements
considérables d’électricité fatale en provenance d’Allemagne ».
Désormais, l’Europe cofinance la connexion et la
synchronisation de son réseau « ENTSO E » avec la Roumanie, l’Ukraine et la République Moldave
(ro-ua-md.net), ainsi qu’avec la
Turquie.
Pour mémoire, le 31 mars dernier, celle-ci subissait un
blackout historique qui touchait les 76 millions de turcs. Une des explications
les plus plausibles semblant
en être (E structural problems) la
baisse du cours du MWh, dans ce marché libéralisé, qui dissuadait les
producteurs de vendre leur courant lorsque les cours sont trop bas. Une marge
de sécurité suffisante n’ayant pas été prévue pour le temps de redémarrage après une chute
brutale des productions aléatoires.
A cette occasion, l’ENTSO E s’était déconnecté en urgence du
réseau turc pour éviter la propagation en chaine du blackout sur toute
l’Europe.
L’Ukraine, de son côté, prévoit de se couper du réseau russe
et se prépare déjà à être concurrentielle sur le réseau européen avec un kWh
à 42 kopeks, soit, environ 2 centimes d’euro, tout en investissant
prioritairement dans les énergies
renouvelables (37.8%) avec l’instabilité de production que cela implique.
Cette surcapacité de production électrique aléatoire touche
désormais la totalité de l’Europe et déstabilise la bourse du MWh.
Depuis
début février, les traders vendent à perte les surproductions tchèques à
l’Allemagne sur le marché de gré à gré, (OTC) et achètent des capacités d’interconnexion
sans les utiliser afin d’être plus réactifs sur le marché en cas de besoin.
Quel
peut être l’avenir d’EDF, déjà éjecté
sans ménagement du Cac 40 et condamné avec la même certitude quels que soient ses
choix sur les EPR d’Hinkley Point, ou le nombre de réacteurs qu’il sera contraint de fermer ?
La fin de notre sécurité
énergétique
L’abandon aux traders du marché de l’énergie, dont le
contribuable paye chaque rouage : du tarif préférentiel subventionné pour
l’intermittence, aux lignes de transport, ou de distribution et aux mécanismes d’effacement
et de capacité, permet des marges considérables à chacun de ces nouveaux
acteurs.
Et explique que le consommateur voie sa facture enfler tandis que la surproduction
aléatoire fait effondrer les cours, ruine EDF dont l'état des finances l'amène à céder ses principaux outils
tels que son
réseau RTE et que la libéralisation du
secteur de l’énergie le contraint à céder les concessions
de ses barrages.
L’échec de
cette libéralisation du secteur de l’énergie en Angleterre s’était pourtant
soldée, ironie de l’histoire, par sa prise de contrôle par EDF, détenu, rappelons le, par l’État français à 84.6% et la « perte
de capacité de contrôle et en définitive de souveraineté pour le gouvernement,
et a fortiori pour les citoyens britanniques », ainsi que par
l’enrichissement de grands groupes privés.
L’exemple n’aura pas permis d’anticiper le désastre qui se
profile.
Bien sûr, les intérêts d'un marché toujours plus mondialisé
feront probablement en sorte que le système reste viable. Mais comme dans les
autres domaines c’est eux qui désormais dicteront leurs lois.
Depuis le « scandale d’Etat » de la vente d’Alstom
à General electric « C'est lui
aussi qui aura le dernier mot sur la maintenance de nos centrales sur le sol
français... Nous avons donc délibérément confié à un groupe américain l'avenir
de l'ensemble de notre filière nucléaire ».
Or, qu’on le veuille ou non, toute doctrine
de gestion de la sécurité a un coût.
Ce coût demande d'en avoir les moyens.
Le dilemme d’EDF, qui doit désormais choisir entre chuter encore
pour avoir accepté la construction de l’EPR anglais d’Hinkley Point ou pour
l’avoir refusée, vient d’être illustré par la
démission
de son directeur financier.
Cette descente aux enfers n’augure pas d’avenir serein.
Ni pour notre sécurité d’approvisionnement.
Ni pour celle de nos réacteurs nucléaires.
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