Psychanalyse de l’atome
Des limites de la démocratie
Par delà une défiance récurrente de toute innovation technologique, l’opposition à l’énergie nucléaire, qui cristallise les fantasmes les plus irrationnels, est le cœur de cible privilégié de la manipulation de l’opinion. Pour la double efficacité d’un amalgame trompeur avec la réalité physique d’une bombe atomique, et des conséquences incalculables du discrédit de la spécificité du mix énergétique français.
Car l’énergie nucléaire se prête mal à la compréhension des informations objectives susceptibles d’éclairer un choix pertinent, seul capable d’éviter d’être manipulé par des intérêts qui ne sont pas les nôtres et devenir, en quelque sorte, leur « idiot utile ». Retour sur la genèse de soixante-dix ans d’activisme.
L’amour, pas la guerre
La remise en question de l’ordre établi tente de bousculer les convenances depuis que le monde est monde. « Celui qui n’est pas communiste à vingt ans n’a pas de cœur » disait G.B. Shaw. Car la générosité du partage, en vue d’un monde meilleur, insuffle naturellement un sentiment de révolte aux cœurs purs qui découvrent l’ampleur des inégalités. Cette juste révolte enfle encore dès que l’ordre établi prend les armes, pour tirer sur son peuple, ou sur un autre, en vertu de l’éternel prétexte de libérer la démocratie, pour le plus grand bénéfice des marchands de canons et colonisateurs de tout poil. La réhabilitation des 639 fusillés pour l’exemple de la grande guerre symbolise une trop rare reconnaissance de la détresse d’une jeunesse martyrisée pour une cause qui était rarement la sienne.
La génération qui a suivi la seconde guerre mondiale s’est mobilisée contre l’impérialisme de la guerre au Vietnam, et contre la guerre tout court avec le fameux slogan « faites l’amour, pas la guerre ».
L’arme atomique, employée par les américains sur Hiroshima et Nagasaki représentait alors le mal absolu, contre lequel se sont dressées les premières organisations antinucléaires.
Et l’amalgame avec le nucléaire civil s’est greffé sur cette révolte de la jeunesse.
Vers un autre type de société
Didier Anger, militant antinucléaire de la première heure et membre fondateur du parti des Verts, résume parfaitement, dans Bastamag [1], l’essence même de cette opposition à l’industrie nucléaire :
« Mai 68 convertit en quelques sortes la contestation marginale du nucléaire, essentiellement réduite à son utilisation militaire, en un sujet beaucoup plus global. En tant qu’énergie centralisée, dans laquelle le citoyen est tenu très loin des circuits de décision, le nucléaire entre en contradiction avec les revendications montantes d’autogestion et de démocratie participative. La critique d’abord scientifique du nucléaire, rencontre un bruit de fond plus général, une atmosphère propice à la défense d’un autre type de société ».
C’est ainsi que la contestation de l’ordre établi achoppe encore aujourd’hui au caractère techniquement complexe de l’énergie nucléaire, tandis que les énergies dites renouvelables (EnR) dont le caractère décentralisé se prête à des « projets citoyens participatifs » d’une consommation faussement prétendue locale [2], semblent promettre un autre modèle de société, qui unirait dans un même combat les valeurs de la gauche et de l’écologie.
La production abondante du nucléaire, dont le stock actuel de plus de 5000 ans de combustible [3] pour des réacteurs à neutrons rapides de type Superphénix, est particulièrement honnie par l’aile la plus radicale de l’écologie qui prône la décroissance.
L’idiot utile
Le nucléaire, c’est aussi un avantage compétitif déterminant de notre pays sur ses voisins dont l’intérêt économique objectif est de faire en sorte que la France en réduise la puissance. Ce qui est d’ailleurs assumé textuellement [4] dans le rapport franco-allemand AGORA IDDRI : « L‘Energiewende et la transition énergétique à l’horizon 2030 ».
Lors de son audition devant l’Assemblée nationale [5], H. Proglio, ancien patron d’EDF dénonce en ces termes [6] le rôle de l’Allemagne dans la dégradation de notre souveraineté énergétique : « Comment voulez-vous que ce pays qui a fondé sa richesse, son efficacité, sa crédibilité sur son industrie accepte que la France dispose d’un outil compétitif aussi puissant qu’EDF à sa porte ?
L’obsession des Allemands depuis 30 ans, c’est la désintégration d’EDF. Ils ont réussi ! »
C’est dans ce contexte que la sénatrice A.C. Loisier a interrogé le Gouvernement [7] sur la présence des intérêts allemands et des fabricants d’éoliennes au sein même du ministère de l’écologie. Et que la fondation Heinrich Boell, fondation politique allemande proche du parti écologiste Alliance90/Les verts et partenaire du ministère français de l’écologie et de l’Ademe, travaille en France à promouvoir les projets d’EnR « participatifs et citoyens [8], et communique régulièrement sur la situation « à haut risque » de la prolongations de nos réacteurs [9]. Elle diffuse notamment le message que « Le manque d’anticipation du vieillissement du parc nucléaire français et les difficultés financières d’EDF ont réduit les marges de sûreté face au risque d’accident grave.» Cette fondation multiplie également les sondages [10] montrant aux Français qu’ils préfèrent les énergies renouvelables au nucléaire.