98,9%, c’est le taux d’efficacité des réacteurs
nucléaires en cas de besoin
Disponibilité nucléaire et spectre de « Pot au Noir »
Jean Pierre Riou
Une marge de manœuvre suffisante a été réclamée par le gendarme du nucléaire voilà plus de 10 ans pour éviter le risque de devoir choisir un jour entre impératifs de sûreté nucléaire et d’approvisionnement énergétique. Notre politique a fait le choix inverse de réduire cette marge et de s’en remettre aux aléas du vent et des importations depuis les pays voisins. Mais sans prendre la mesure de leur propre dépendance à la France ni des conséquences d’un « Pot au Noir » prolongé sur l’Europe, phénomène redouté sous le nom de « Dark Doldrum » au Royaume-Uni et de « Dunkelflaute » en Allemagne.
Il semble qu’en France il ne soit connu que des marins.
Un premier pic de consommation
Malgré le ralentissement économique lié à la crise
sanitaire, les premiers frimas viennent de tirer vers le haut la consommation
électrique française avec une pointe de 79 158 MW ce lundi 7 décembre à 19
heures.
(Source RTE)
Ce pic reste bien modestes en regard des 102 GW atteints
lors de la vague de froid de février 2012.
L’arrivée de l’hiver a été précédée par des menace de coupures électriques dont la faute a été portée sur le parc nucléaire, et ses nombreuses maintenances. Celui ci faisant l’objet d’un chantier industriel de grande ampleur dit « grand carénage », destiné à en prolonger l’exploitation dans le cadre des normes « post Fukushima ».
La pandémie qui a paralysé l’économie française aurait
également ralenti ses opérations de maintenance et rechargement.
Un parc réduit mais efficace
C’est ainsi que 15 575 MW nucléaires sur les 61 370 MW installés ont manqué à l’appel pour répondre à ce 1er pic, tandis que 1,7 GW de charbon et 4,5 GW d’importations participaient à l’équilibre entre l’offre et la demande.
C'est-à-dire qu’il manquait la totalité de la puissance des arrêts planifiés suivants :
Cattenom 4 : 1300 MW, Gravelines 5 : 910 MW, Paluel 3 1330 : MW, Bugey 4 : 880 MW, Blayais 4 : 910 MW, Gravelines 3 : 910 MW , Golfech 1 : 1310 MW, Belleville 1 : 1310 MW, Chinon 4 : 905 MW, Bugey 3 : 910 MW, Bugey 2 : 910 MW, Paluel 2 : 1330 MW, Flamanville 1 : 1330 MW, Flamanville 2 : 1330 MW.
Un seul incident fortuit concernait une baisse de 284 MW du réacteur de Gravelines 6 (910 MW), d’ailleurs revenu intégralement sur le réseau dès le lendemain.
Ce qui ramenait à 45 510 MW la puissance nucléaire disponible à 19 heures sur les 61 370 MW installés.
Au plus fort de
la demande, le facteur de charge de ces 45,510 GW de réacteurs alors exploités atteignait
98,9% en délivrant au réseau une puissance de plus de 45 GW. Ce qui conférait
à l’ensemble du parc nucléaire, réacteurs
arrêtés pour maintenance compris, un facteur de charge moyen de 73,4%.
(Source RTE)
La production d’électricité était ainsi assurée à 80% par le mix historique nucléaire (60%) et hydraulique (20%), dont on observe d’ailleurs sur le graphique la montée en puissance au fur et à mesure des besoins de la journée.
Pendant ce pic, le soleil était couché, comme lors de
chaque pic de consommation hivernale, et l’éolien a contribué à hauteur de 4%. C'est-à-dire
en délivrant 2,9 GW pour 17,3 GW installés. Soit un facteur de charge de 16,7%.
On distingue également, en bleu plus clair, sa montée en puissance qui triple entre
le matin et le soir.
Et la question ne consiste pas à relever son faible
facteur de charge, comparé à celui du nucléaire, mais à rappeler que ses
fluctuations sont strictement décorrélées des besoins et ne garantissent aucun
secours lors des pics de consommation, malgré l’évolution régulière de sa
puissance installée. Et malgré des records toujours plus hauts, notamment 28,3%
de la consommation dans le graphique ci-dessous pour octobre, sa puissance garantie reste désespérément
aussi insignifiante au fil des mois.
(Source RTE)
Le spectre du Pot au Noir
Les marins du monde entier savent que les épisodes d’absence de vent dans la zone de convergence intertropicale peut immobiliser les voiliers pendant plusieurs semaines. Les anglo-saxons les nomment Doldrum.
En matière d’énergies renouvelables, les « dark doldrums » représentent les périodes sans vent et sans soleil. C’est ainsi que selon Der Spiegel , le 24 janvier 2017, la météo qui paralysait les éoliennes et autres panneaux photovoltaïques s’est accompagnée de 90% de la production allemande par le charbon, le gaz et le nucléaire, tandis qu’une quinzaine de GW de production à gaz restaient disponibles en réserve.
Car les gestionnaires de réseaux allemands ne tablent que
sur une puissance garantie éolienne de 1% de leur capacité installée, (page 11
de leur rapport),
et 0% pour le photovoltaïque.
C’est la raison pour laquelle l’Europe n’a toujours pas pu réduire d’1 seul MW sa puissance pilotable de production électrique, malgré1/4 de siècle de développement de centrales intermittentes, éoliennes et photovoltaïques.
Et de nombreux pays, dont le Royaume-Uni ont, jusqu’alors,
cru pouvoir compter sur la puissance presque exclusivement pilotable de la France,
plus
gros exportateur MONDIAL d’électricité, encore en 2019, ainsi que 25
fois en 30 ans depuis 1990, grâce à la puissance de son parc nucléaire
historique, dont l’essentiel date
du septennat de V. Giscard d’Estaing.
Le gendarme du nucléaire A.C. Lacoste alertait en 2007 (p
60 du rapport sénatorial) : « Il importe donc que le
renouvellement des moyens de production électrique, quel que soit leur mode de
production, soit convenablement préparé afin d’éviter l’apparition d’une
situation où les impératifs de sûreté nucléaire et d’approvisionnement
énergétique seraient en concurrence ».
Treize ans plus tard, il est difficile de comprendre que
non seulement on ne se soit pas doté de la moindre marge supplémentaire, mais
qu’on ait cru pouvoir fermer des moyens
pilotables en parfait état en prétendant les remplacer par des moyens
intermittents.
On voudrait aujourd’hui nous faire croire que la menace de coupures de courant proviendrait d’un manque de diversification de notre mix électrique, alors que les alertes se succèdent pour mettre en garde contre une part excessive d’énergies aléatoires liées aux caprices de la météo.
La défaillance annoncée du plus gros exportateur mondial d’électricité
qu’est la France, dès que l’hiver sera venu, devrait donner la mesure des
conséquences de la différence de valeur entre un MWh pilotable et un MWh
intermittent.
Cette prise de conscience devrait alors conférer à l’expression « Pot au Noir » la place qui lui revient dans le langage courant lors des vagues de froid.
Et devrait faire comprendre que « diversifier »
peut être l’antonyme de « sécuriser ».
Mais tout porte à croire qu’on se défaussera encore de la responsabilité d’une longue impéritie sur le dos du nucléaire.
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