samedi 13 décembre 2025

EnR et CO2 réputé évité : entre supposition et constat

 

EnR et CO2 réputé évité : entre supposition et constat

Jean PierreRiou 


 

 Quelle quantité de CO2 est-elle réellement évitée par chaque kWh renouvelable ?

L'application de la base empreinte de l’Ademe à la production du bilan RTE 2024 ne manquera pas de décevoir.

En effet, sans moindre kWh éolien ni solaire, la production française aurait couvert ses besoins en se plaçant même au 2ème rang mondial du plus gros solde exportateur, au lieu du premier, loin devant tous les autres. Et l'empreinte carbone de son mix serait resté parmi les plus faibles au monde grâce à sa dominante nucléaire/hydraulique, avec une moyenne de 31,35gCO2/kWh au lieu de 30,44gCO2/kWh, qu'elle a atteint grâce aux 24,5gCO2/kWh des énergies renouvelables intermittentes (EnRi) que sont le solaire et l'éolien. En tenant compte de l'acier, du béton, du transport et du démantèlement de chaque filière, on peut être surpris d'apprendre qu'avec 43,9gCO2/kWh, l'empreinte carbone du solaire est supérieure à la moyenne du mix français qui est donc de 30,44gCO2/kWh en 2024.

Sans prendre en compte le niveau des exportations, les EnRi ont donc uniquement alourdi le bilan carbone du mix français, car on pouvait s'en passer, alors qu'on ne peut pas se passer de production pilotable à cause des périodes prolongées sans vent ni soleil. Si on veut considérer qu'il fallait atteindre ce niveau d'exportations, les 71,6 TWh produits par les EnRi ont évité les 490,6 milliers de tonnes (kt) supplémentaires de CO2 qu'aurait émis les 31,35gCO2/kWh mix français privé d'EnRi pour les produire, soit 6,85gCO2 évité par kWh d’EnRi. Bien loin des chiffres entre 300gCO2/kWh et 600gCO2/kWh qui ont déjà été avancés pour justifier de nouveaux projets.

Ce calcul avec l'empreinte carbone et non l'intensité carbone, qui ne tient compte que de la phase production, est nécessaire. Il suffit d'avoir vu un chantier l'implantation d'éoliennes pour s'en convaincre, le CO2 de la phase implantation est bien émis, et il faut des années pour le compenser. L'occulter serait fautif. 

 

Les différents calculs théoriques de RTE ou l'Ademe reposent sur cette omission majeure et comportent, de plus, 3 biais méthodologiques.

Ces 3 biais reposent sur le postulat que les EnRi se substituent principalement au thermique en raison de son coût marginal supérieur, alors que concrètement les contraintes de l’équilibre du réseau amène celui-ci à rester présent, voire en préchauffe, pour lisser leur production, tout en dégradant ses facteurs de pollution par les régimes partiels et à coups de fonctionnement induits par ce lissage. Et que d’autre part, les conséquences sur le marché des surplus aléatoires force le nucléaire à s’effacer.

Le 3ème biais consistant à comptabiliser les émissions induites par nos exportations hors frontières, là où l’intérêt pour les EnRi n’est pas celui de la France, alors que celle-ci peine à respecter des engagements financièrement contraignants sur ses émissions nationales. Les rebondissements juridiques concernant les éventuelles sanctions contre l’excès des émissions françaises planant à nouveau devant le TA de Paris depuis le 13 décembre 2024. Et aucune circonstance atténuante n’est évoquée pour cet effet de décarbonation des mix électriques de nos voisins pour lesquels ce n’est pas au consommateur français de payer.

Le calcul en question

La base empreinte de l’Ademe fait état de l’empreinte carbone du cycle de vie de chaque filière française de production d’électricité dont notamment : 3,7gCO2/kWh pour le nucléaire, 14,1g pour l’éolien terrestre, 15,6g pour l’éolien en mer et 43,9g pour le solaire (fabriqué en Chine et retenu par défaut par l’Ademe pour la France).

En appliquant ces valeurs à chaque moyen de production du Bilan RTE 2024, on parvient à des émissions totales de 16,41 millions de tonnes (Mt) de CO2, soit une empreinte carbone de 30,44gCO2 pour chacun des 539 milliards de kWh produits en 2024.

Si on retranchait la production des EnRi (éolien + solaire) de ce bilan, la production serait ramenée à 467,4TWh, pour 14,65 Mt de CO2, soit une moyenne de 31,35gCO2 pour une production uniquement pilotable et supérieure aux 449,2 TWh de la consommation 2024. Ce qui, avec 18,2TWh de solde exportateur n’en aurait pas moins placé la France au rang de 2ème exportateur mondial d’électricité derrière la Suède (33TWh) et devant la Norvège (18TWh), au lieu de 1er mondial avec un solde export de 89TWh.

En tenant ainsi compte des émissions bien réelles liées au béton, à l’acier,  au transport et au démantèlement de chaque filière, ces valeurs de l’Ademe indiquent que sur les 16,41 MtCO2 totaux, éolien et solaire ont été responsables de 1,75 MtCO2, respectivement 603,4 kt de CO2 pour les 42,8 TWh d’éolien terrestre, 62,4 kt pour les 4 TWh d’éolien en mer, et 1088,7 kt pour les 24,8TWh de solaire.

En considérant ainsi leur cycle de vie, les 71,6TWh produits par les EnRi en 2024 auront donc émis 1,75Mt de CO2, soit une moyenne de 24,5gCO2/kWh, en remplacement des 2,24Mt qu’auraient émis les 31,35gCO2/kWh d’un mix français privé d’EnRi pour produire ces mêmes 71,6TWh, soit 490,6 kt de CO2 mécaniquement évité par la production de 71,6TWh d’éolien et solaire, c'est-à-dire 6,85gCO2 évité par kWh d’EnRi.

Les biais

Pour parvenir à ses différentes estimations, l’Ademe considère que les EnRi se substituent essentiellement au charbon et au gaz. Ce qui résiste mal à l’observation.

Étude de cas sur le site Energy Charts : focus sur octobre 2025

Sur l’illustration ci-dessous nous voyons la puissance cumulée des EnRi, avec l’éolien terrestre en gris, l’éolien en mer plus sombre et le solaire en jaune

Et sa variation, entre 1021 MW le 8/10 à 5h45 et 27600 MW le 23/10 à 13h30



Par delà les pics journaliers du solaire, on distingue plusieurs périodes de forte production éolienne, dont la première, du samedi 4 et dimanche 5 octobre, correspond à une période de faible consommation.

Modulation nucléaire

Dans le graphique suivant, la ligne noire  représente la consommation nationale, et tous les moyens de production ont été ajoutés aux EnRi, dont le nucléaire, en rouge.


 C’est ainsi qu’on peut visualiser la profondeur de la modulation à la baisse du nucléaire à chaque pic de production renouvelable, tout spécialement les 2 weekends où la générosité éolienne correspondait à une période de faible consommation.

Le remplacement du nucléaire (3,7gCO2/kWh) par de l’éolien (14,1gCO2/kWh) ou pire, du solaire (43,9gCO2/kWh*) entrainant de facto une augmentation des émissions qui n’est pas comptabilisée par RTE qui retient 0gCO2/kWh pour chacun d’eux.

La décarbonation hors frontières

Mais on peut également déduire que toute la production qui excède la consommation (ligne noire), doit être remontée sur le réseau RTE pour être exportée.

Les facteurs de pollution

L’illustration suivante montre les régimes partiels et à coups de production pratiqués par les centrales à gaz (en bas, en ocre) à chaque pic solaire. La puissance concernée par cette modulation étant bien inférieure à celle du nucléaire.



Le graphique ci-dessous illustre enfin le comportement spécifique du parc à gaz. Les données 2025 n’étant pas encore disponibles, le même mois de 2024 en illustre le fonctionnement. Chaque centrale a une couleur différente, la ligne noire indique la capacité active, c'est-à-dire comprenant les centrales en préchauffe, avec une production de 0,000MW, mais prêtes à démarrer dès que le vent tombe.



C’est ainsi que le cadre de gauche montre que sur 14 centrales actives, 10 centrales sont en préchauffe pour 4 centrale en production, l’incertitude liée au concours passager des EnRi réclamant ainsi 917 MW actifs pour 259 MW produits.

Les émissions de CO2 de ces centrales en préchauffe ne sont comptabilisées nulle part, pas plus que l’augmentation des facteurs de pollution liée aux régimes partiels des centrales en production. On sait pourtant que ce type de fonctionnement a un effet désastreux sur l’impact environnemental, comme l’a montré la demande de dérogation du Duke Energy pour permettre à ses centrales à gaz de suivre les cycles de production solaire.

C’est d’ailleurs la raison de la question de la sénatrice Loisier, à laquelle le gouvernement à confirmé que le calcul des émissions étaient théorique sans que quiconque ait tenté de le vérifier à partir d’une étude d’impact de terrain tenant compte de ces facteurs.

A la seconde question de la Sénatrice qui précisait le cas de Duke Energy, le ministère n’a pas apporté de réponse.

Et ne semble pas avoir programmé la moindre étude de terrain en ce sens.