Comment le nucléaire français a géré la crise
Avec 34 milliards d’euros pour la seule année 2022
Jean Pierre Riou
Contrairement aux dispositions du code de l'énergie, le tarif ARENH (42€/MWh) auquel EDF a l'obligation de céder à la concurrence (et aux gestionnaires de réseaux) plus de 100TWh de sa production nucléaire, notamment 146,4TWh en 2022 sur les 279TWh nucléaires produits, n'a jamais été révisé depuis 2012, alors qu'il se situe bien en dessous du seuil en-deçà duquel EDF doit être considérée comme étant rémunérée sous son niveau de rémunération normale.
Cette obligation, et la carence de sa révision ont ainsi imposé à EDF un manque à gagner de l'ordre de 34 milliards d'euros pour la seule année 2022, par rapport prix spot base moyen pour l’année 2022 qui était de 275,9 €/MWh en moyenne sur l’année. Cette perte représente plus de la moitié de sa dette qui est de 64,5 milliards d'euros détenue désormais à 100% par l’État auquel EDF s'est ainsi substitué pour une large part du financement du bouclier tarifaire.
En effet :
L’arrêté du 28 avril 2011 fait obligation à EDF de céder 100TWh de sa production nucléaire (ARENH) à la concurrence.
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000023926364/
Depuis le 7 janvier 2012, la rémunération d’EDF pour cette obligation de fourniture de l’ARENH est libellée comme suit
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000026277038
« Afin d'assurer une juste rémunération à Electricité de France, le prix, réexaminé chaque année, est représentatif des conditions économiques de production d'électricité par les centrales nucléaires mentionnées à l'article L. 336-2 sur la durée du dispositif mentionnée à l'article L. 336-8.
Il tient compte de l'addition :
1° D'une rémunération des capitaux prenant en compte la nature de l'activité ;
2° Des coûts d'exploitation ;
3° Des coûts des investissements de maintenance ou nécessaires à l'extension de la durée de l'autorisation d'exploitation ;
4° Des coûts prévisionnels liés aux charges pesant à long terme sur les exploitants d'installations nucléaires de base mentionnées à l'article L594-1 du code de l'environnement. »
(C’est-à-dire le démantèlement)
Or, dans sa délibération du 10 février 2022 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045340014
La CRE déclare :
« Depuis l'année de livraison 2012,
le prix auquel EDF cède les volumes d'électricité nucléaire au titre de l'ARENH
s'établit à 42 €/MWh, tel que
prévu par l'arrêté des ministres en charge de l'économie et en charge de
l'énergie du 17 mai 2011 (3).
La définition d'une méthodologie de
calcul du prix rendue possible par l'article L. 337-15 du
code de l'énergie n'ayant jamais été précisée, la CRE ne dispose
d'aucune référence méthodologique règlementaire sur laquelle fonder son
objectivation des facteurs justifiant une évolution du prix de l'ARENH. »
D'autre part, depuis 2014, est venue s’y greffer une obligation d’ARENH pour couvrir les pertes des gestionnaires de réseau.
Cette part s’élevait à 26,4 TWh en 2022, au tarif de 42€/MWh
S’y est enfin ajoutée en 2022, un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) (…) au prix de 46,2 €/MWh. » https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045339238
Soit un total de 146,4TWh, dont 126,4TWh à 42€/MWh ( cédés pour un total de 5,3 Md’€) et 20TWh à 46,2€/MWh (0,9 Md’€)
Selon la CRE : « Le prix spot base moyen pour l’année 2022 a connu une hausse exceptionnelle par rapport à 2021 pour s’établir à 275,9 €/MWh en moyenne sur l’année »
https://www.cre.fr/content/download/27512/file/Rapport_de_surveillance_2022.pdf
L’anticipation de ces cours guidant également celui du marché à terme, on peut extrapoler la possibilité d’un revenu de 40,4 Md’€ pour les 146,4TWh ainsi offerts à la concurrence et aux gestionnaires de réseaux pour 6,2Md’€, soit un manque à gagner total de 34 milliards d’euros pour la seule année 2022 par rapport au prix du marché, soit encore plus de la moitié de sa dette actuelle.
Il est bien évident que le consommateur en aura profité, et l’État également en imposant à EDF ce rôle majeur dans le bouclier tarifaire.
Mais on doit s’interroger sur les causes et les conséquences de l’absence totale de revalorisation d’un ARENH qui menace de ruiner le producteur au prétexte de vouloir épargner le consommateur.
Des coûts en hausse
Le 21 janvier 2014, l’ASN fixait des exigences complémentaires pour la mise en place du "noyau dur" post Fukushima sur les centrales nucléaires d’EDF.
Le grand carénage en cours doit intégrer ces nouvelles exigences de sûreté, tandis que l’indice UX de l’uranium est à 92USD contre 35USD il y a 10 ans.
https://www.boursorama.com/bourse/indices/cours/_UX/
Sans surprise, le 27 juillet 2023, la CRE chiffrait à 57,8€/MWh le coût comptable du MWh, c’est-à-dire « le socle du coût de production en-deçà duquel EDF doit être considérée comme étant rémunérée sous son niveau de rémunération normale, quel que soit le cadre de régulation.»
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/CRE_Rapport_couts_nucleaire_2023.pdf
Mais toujours rien ne semble en vue pour revaloriser l’ARENH en attendant son éventuel remplacement en 2025 par les CfD.