Chronique d'un conflit ordinaire
Jean Pierre Riou
Où il apparaît que le recours au gaz, rendu
incontournable par le développement des énergies renouvelables intermittentes, a vocation à
déstabiliser l’équilibre géostratégique mondial avec d’autant plus de certitude
que ses réserves sont appelées à s’épuiser.
Il est évident que les réseaux sociaux feront partie des moyens permettant de déstabiliser un régime.
L'escalade
en méditerranée orientale
Les
découvertes en 2009 et 2010 d’importants gisements d’hydrocarbures dans les
fonds marins de méditerranée orientale ont contribué à déstabiliser la région.
Les
perspectives de manne pétrolière ont notamment exacerbé les tensions tribales
libyennes, ainsi que l’analyse l’Institut
des relations internationales et stratégiques (IRIS) [1].
En
janvier 2019, le Forum
de la Méditerranée [2] s’est efforcé d’exclure la Turquie de l’exploitation
de ces ressources.
Décidée
de jouer avec le feu et provoquant la colère de l’Europe, la Turquie a
néanmoins entrepris des forages
illégaux [3].
En
réaction à ce passage en force, le Conseil européen à adopté, début novembre,
un cadre
de mesures [4] permettant de sanctionner ces activités illégales de forage.
Fin
novembre, un accord
turco-Libyen [5] de délimitation maritime, partageait l’exploitation entre
les deux protagonistes et évinçait la Grèce et Chypre de leurs droits.
La
tension est montée d’un cran le 6 décembre, avec l’expulsion
de Grèce [6]de l’ambassadeur libyen.
Le recours aux
armes
Le 16 décembre, Ankara renforçait
son bras de fer [7] et revendiquait ses droits en faisant atterrir un drone
armé de l’armée turque dans le nord de l’île de Chypre*.
Selon
Zone
Militaire [8], ce drone tactique Bayraktar TB2, pourrait être armé de
missiles anti-char UMTAS.
Le
même jour, le Parlement d’Ankara avait entériné les accords turco libyens et le
président Erdogan montrait sa détermination en annonçant l'engagement
des soldats turcs [9] dans la guerre civile libyenne.
Le lendemain même, Washington répondait en levant l'embargo sur les ventes d'armes américaines à Chypre, et le ministère turc se déclarait prêt à répondre militairement [10] à cette dangereuse escalade.
Les conséquences d'un durcissement éventuel du conflit sont d'autant plus inquiétantes qu'Ankara vient tout juste d'annoncer sa menace de fermer les bases de l'Otan en Turquie et de renforcer ses liens avec Moscou en achetant les systèmes de défense russes S400 malgré l'opposition de Washington qui les considère incompatibles avec l'armement de l'Otan [11].
Le lendemain même, Washington répondait en levant l'embargo sur les ventes d'armes américaines à Chypre, et le ministère turc se déclarait prêt à répondre militairement [10] à cette dangereuse escalade.
Les conséquences d'un durcissement éventuel du conflit sont d'autant plus inquiétantes qu'Ankara vient tout juste d'annoncer sa menace de fermer les bases de l'Otan en Turquie et de renforcer ses liens avec Moscou en achetant les systèmes de défense russes S400 malgré l'opposition de Washington qui les considère incompatibles avec l'armement de l'Otan [11].
*La République Turque de Chypre du Nord (RTCN) [12] est issue de l’invasion par l’armée turque du nord de Chypre, voilà plus de 40 ans.
République qui
n’est reconnue, depuis, que par la Turquie.
Les leçons d’un
passé récent
Les
conséquences potentielles d’un conflit de ce type doivent être évaluées à la
lumière de l’imbroglio du conflit syrien. Et le rôle des enjeux concernant
l’acheminement du plus gros gisement de gaz au monde, le gisement irano-qatari
de South Pars.
Malgré
le caractère religieux des rivalités en présence, le Qatar affichait une
volonté géopolitique de construire un gazoduc « sunnite » destiné à
approvisionner l’Europe par voie terrestre, afin d’éviter la surveillance
étroite des méthaniers par l’Iran au passage du détroit d’Ormuz, ainsi que
l’expliquait David
Rigoulet-Roze [13], chercheur rattaché à l’Institut d’Analyse Stratégique
(IFAS). TV5Monde, qui rapporte cette analyse, révèle que lors de la Conférence
de Doha (2012), le Qatar aurait signé un protocole avec l’opposition syrienne,
qui garantissait le passage du gazoduc dans la Syrie de l’après Bachar
el-Hassad. Ce dernier avait en effet avait opté pour le « gazoduc
chiite » destiné à acheminer le gaz jusqu’au port syrien de Tartous d’où
les méthaniers auraient pu s’approvisionner.
L’option
qatari, qui représentait pour l’Europe une alternative à une trop grande
dépendance du gaz russe, avait le soutient des Occidentaux, États-Unis et
France en tête.
Mais
le soutien armé de la Russie a permis de maintenir au pouvoir le gouvernement
de Bachar el-Hassad, malgré les 3 milliards de dollars qataris destinés à armer
les rebelles syriens, selon
le Financial Times [14], ainsi que les frappes
françaises [15] et américaines.
Il
ne faudrait certes pas voir dans cette explication la seule cause d’un conflit
beaucoup plus complexe. Toujours selon David Rigoulet-Roze « Le
pipeline est une variable importante, qui s'inscrit dans un ensemble et qui
n'est pas le déterminant essentiel, mais qui n'est pas non plus un déterminant
mineur »
L’audition devant le Sénat
[16] d’Alain Juillet, président du Club des Directeurs de Sécurité des
Entreprises (CDSE) n’en reste pas moins convaincante quant à l’importance de
cette « variable ».
Quand la Russie
se tourne de l’Asie
La
« Chronique
d’un suicide collectif » [17] avait évoqué les raisons de l’éviction
de TOTAL de ses droits d’exploitation de ce fabuleux gisement.
C’est
la Chine qui a tiré les marrons du feu, en
remplaçant TOTAL[18], après que les pressions américaines aient contraint
ce dernier à abandonner son contrat iranien à 5 milliards d’euros.
L’explosion
économique de pays émergents comme la Chine rebat les cartes des équilibres
géopolitiques. En se rapprochant d’elle, la Russie « renforcera sa
capacité à servir de passerelle entre l'Asie et l'Europe et fournira à Moscou
un levier d'influence supplémentaire », ainsi que le remarquent
les analystes
de l’Institut Montaigne [19] qui considèrent que leurs liens sont amenés à
se resserrer, quelle que soit l’évolution des rapports sino-américains ou
russo-américains,
L’inauguration
du gazoduc géant « Power
of Sibéria » [20] a constitué, ce 2 décembre 2019, une étape
supplémentaire de ce rapprochement.
L’impuissance de
l’Occident
Ce
rapprochement sino-russe se situe dans un contexte de sanctions occidentales
vis-à-vis des 2 partenaires.
A
propos de la Crimée pour la Russie, et de la guerre commerciale avec les
États-Unis pour la Chine.
Le
Conseil européen a prorogé
jusqu’au 15 mars 2020 [21] les sanctions contre la Russie liées à son
annexion illégale de la Crimée
La
partie économique de ces sanctions vise notamment son secteur bancaire, ses
compagnies énergétiques et ses entreprises de défense.
Non
seulement la bascule vers l’Est et l’intégration asiatique de la Russie la protège
de la menace des conséquences de telles sanctions futures, mais le formidable
débouché chinois de son gaz lui confère un puissant levier diplomatique à
travers notre propre approvisionnement.
Le bloc de l’Est
Malgré
tous ses efforts en ce sens, l’Occident n’avait pas réussi davantage à évincer
le président syrien que son homologue turc.
Car
tous 2 ont pu compter sur un appui sans faille de Moscou.
Et
le gazoduc géant « Turkish Stream », dont l’inauguration est
prévue le 8 janvier 2020 [22], renforce encore leurs liens.
Notons
que la Chambre des représentants des États-Unis vient de décider la mise en place
de sanctions [23], aussi bien envers les entreprises concernées par ce
gazoduc turc que contre celles du gazoduc allemand Nord Stream 2, pour la
raison que ce dernier affaiblit la position de l’Ukraine et renforce encore
davantage la dépendance de l’Europe à la Russie.
Vers une
déstabilisation
L’escalade
des tensions en méditerranée orientale doit faire craindre des tentatives de
déstabilisation de la région, identiques à celles qui ont armé les rebelles
syriens, malgré la protection
militaire de la France [24].
Et
on ne peut ignorer que les réseaux sociaux peuvent en être le cheval de Troie.
Le
Times
[25] et Bloomberg
[26] ont notamment évoqué le rôle de la Russie dans le mouvement des gilets
jaunes, via des centaines de comptes Tweeter propageant des informations
fausses.
Selon
le Courrier
International [27], les russes pourraient tenter, par cette méthode,
d’amplifier les divisions ethniques, ainsi qu’entre politiques et travailleurs.
Le
propos n’est pas de donner le moindre crédit à une quelconque paranoïa complotiste
relative à l’origine des conflits qui ébranlent la France depuis un an.
Mais
de ne pas occulter le fait que nous avons-nous même armé
les rebelles syriens [28] qui « préparaient leur démocratie » et de savoir que les réseaux sociaux font partie des armes les plus redoutables.
Quelle que soit, par ailleurs, la légitimité de la France d'être intervenue.
Quelle que soit, par ailleurs, la légitimité de la France d'être intervenue.
Il importe de prendre conscience de la gravité extrême des enjeux de l’équilibre mondial, dans un contexte de raréfaction des ressources fossiles et d’explosion de leur consommation.
Ces
enjeux sont autrement plus déterminants que lors des premiers chocs pétroliers
qui avaient incité la France à se doter d’un parc nucléaire en à peine 20 ans.
Et il convient de se défier des contes de fées qui reposent sur des systèmes qui s’obstinent
à ne pas fonctionner [29].
Car il est dangereux que l’opinion publique puisse se tromper de risque et en faire courir
un plus grand encore par l'incitation des politiques à réduire notre parc
nucléaire au bénéfice d’une production renouvelable intermittente, dont on
connaît parfaitement le lien avec la dépendance au gaz et le chaos qui succède à l'embrasement des
conflits.
9 https://www.europe1.fr/emissions/vincent-hervouet-vous-parle-international/chypre-nord-la-turquie-deploie-son-premier-drone-arme-3937916
10 https://www.lorientlejour.com/article/1199080/chypre-ankara-met-en-garde-washington-contre-une-levee-de-lembargo-sur-la-vente-darmes.html
11 https://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/washington-veut-des-explications-apres-la-menace-d-ankara-de-fermer-des-bases-strategiques-6657268
10 https://www.lorientlejour.com/article/1199080/chypre-ankara-met-en-garde-washington-contre-une-levee-de-lembargo-sur-la-vente-darmes.html
11 https://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/washington-veut-des-explications-apres-la-menace-d-ankara-de-fermer-des-bases-strategiques-6657268
27 https://www.courrierinternational.com/article/gilets-jaunes-un-reseau-russe-pour-encourager-le-chaos