Le bateau ivre
La Cour
des Comptes vient de rendre son
rapport annuel.
Et évalue certaines conséquences de la loi sur la transition
énergétique.
Déjà, dans son rapport
du 25 juillet 2013: la
Cour stigmatisait ainsi la politique de développement des
énergies renouvelables :
« Alors qu’il engage la collectivité sur des sujets
financièrement très lourds, l’État s’est insuffisamment organisé pour
disposer des données de base indispensables à la conduite de la
politique en faveur des énergies renouvelables. En effet, l’État ne dispose
que d’informations lacunaires et dispersées sur les coûts de production. »
(p63)
« La faiblesse d’expertise de l’État se retrouve
également dans sa capacité à connaître l’impact socio-économique des décisions
prises. Cela peut le conduire à lancer des projets très coûteux pour la
collectivité ou les consommateurs sans que les bénéfices attendus ne se
produisent. »
Dans son rapport d’aujourd’hui concernant la maintenance
des centrales nucléaires, on peut constater l’absence de chemin
parcouru depuis!
« Aucune
évaluation n’a encore été réalisée, ni par l’État, ni par EDF, sur les
conséquences économiques potentielles de l’application de la loi relative à la
transition énergétique pour la croissance verte. »
Concernant le plafonnement de la puissance installée, dont
cette loi implique la fermeture de 2 réacteurs parallèlement à l’ouverture de l’EPR,
la Cour
considère que « le montant des dépenses pour les deux réacteurs, dont la
fermeture est évoquée plus haut, peut être estimé à 3,44 Md€. »
Et que « Le
plafonnement de puissance fait également supporter à l’État le risque de devoir
indemniser le préjudice subi par EDF »
Mais ce rapport met surtout en évidence 2 problématiques
majeures : celle de la maintenance des réacteurs et celle, induite, sur la
sécurité d’approvisionnement.
« D’autre part, la décision d’arrêt des
réacteurs aurait pour conséquence de réduire le montant des investissements
nécessaires à leur maintenance, sans pour autant mettre fin à toutes les
dépenses de ce type en raison du délai nécessaire à la fermeture effective des
réacteurs et, notamment, des charges liées aux obligations de sûreté qu’EDF
doit continuer d’assurer. Le poids des investissements de maintenance pourrait
ainsi être diminué jusqu’à 1,5 Md€ annuels90.
Le patrimoine d’EDF
serait également réduit de la valeur des actifs de production fermés et la
perte de valeur pourrait être évaluée entre 1,7 Md€ et 2 Md€ annuels.
Enfin, les estimations
de la Cour ne
tiennent pas compte des effets des fermetures potentielles des réacteurs sur le
coût de l’énergie et donc sur l’emploi et la croissance, ni des éventuelles
compensations que EDF pourrait obtenir de l’État et dont le montant ne peut
être encore évalué. En outre, l’entreprise pourrait être amenée à indemniser
les industriels avec lesquels elle a signé des contrats d’allocation de
production électrique en contrepartie du règlement de leurs quotes-parts dans
les coûts de construction, d’exploitation et de démantèlement de tranches
nucléaires »
Et préconise,« en
raison des difficultés attendues en matière de recrutement et de formation,
intensifier la mobilisation des acteurs de la filière, publics et privés,
visant à combler les pénuries de compétences identifiées dans la perspective du
« Grand Carénage ».
Parmi les réponses
ayant permis d’élaborer ce rapport signalons celle d’EDF qui mentionne que « La
filière nucléaire est l’une des seules filières du Conseil national de
l’industrie à ne pas avoir reçu, à ce jour, de financement de l’État,
contrairement aux filières aéronautique, navale ou automobile. »
Et une absence de
réponse qui pose question !
"Destinataires n’ayant pas répondu : Ministre des
finances et des comptes publics et secrétaire d’État chargé du budget
|
Ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique"
|
Le risque induit sur la sécurité d’approvisionnement venant
de l’observation que :
« l’ampleur des
conséquences financières du plafonnement de puissance serait inférieure à celle
de la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production, dans la
mesure où 17 à 20 réacteurs pourraient
être arrêtés ».
En effet, par delà les conséquences financières évoqués, EDF,
bien que détenu à 84% par l’Etat, n’a pas vocation à se comporter en vache à
lait attendant paisiblement l’heure de la traite, en l’occurrence la
responsabilité d’entretenir des centrales prêtes à démarrer lorsque le vent
tombe et le soleil se couche.
Or, si l’Etat a oublié d’envisager les conséquences
financières de sa loi TE, a-t-il même entrevu celles de la fermeture, pour
cause économique, de 20 réacteurs nucléaires sur la sécurité de notre
approvisionnement ?
Un chiffre, en effet, ne doit jamais être perdu de vue,
celui du taux de couverture garantie des énergies intermittentes.
Qu’on le veuille ou non, celui-ci est de 0%
Les apôtres de l’Energiewende allemande font semblant de ne
pas voir que pour une consommation équivalente à celle de 2002, l’Allemagne n’a
toujours pas réussi à remplacer le moindre MW de puissance pilotable installée.
Le graphique ci-dessous indique en effet, sous le trait rouge, les puissances
pilotables : de haut en bas, charbon, lignite, nucléaire et biomasse, inchangées
depuis 2002, pour une consommation strictement équivalente à celle des années 2000.
Le développement de l’éolien au dessus du trait rouge et du P.V.
tout en haut venant en plus.
La stabilité de la puissance hydraulique en bleu tout en bas,
qui n’est pas totalement pilotable permet de ne pas fausser cette comparaison.
Nous pouvons ainsi constater que la très légère baisse de
puissance pilotable: "nucléaire, charbon, lignite, gaz" (-8.1GW) correspond, à
moins d’1 GW près, à l’augmentation de la puissance pilotable biomasse (+7.2GW) pour une puissance totale de 185 GW.
Nous n’insisterons d’ailleurs pas sur le caractère écologiquement
douteux de cette substitution, à la lumière du scandale
écologique lié à la transformation de centrales à
charbon en centrales labellisées « biomasse », ni sur le fait que ce genre de « projet
vert » peut générer des droits à polluer supplémentaires, grâce aux
mécanismes de mise en œuvre conjointe (MOC) du protocole de Kyoto.
C’est à la lumière de ces éléments qu’il faut analyser les « progrès »
du parc allemand récemment publiés par le Fraunhofer
Institute.
Et comprendre que c'est la biomasse qui compense la faible réduction nucléaire charbon/lignite, gas, le développement éolien allemand aura
essentiellement participé à grossir ses exportations.
Avec 48 TWh de solde export
en 2015, l’Allemagne vient en effet de battre son précédent record avec 14 TWh supplémentaires. (p 15)
Les conséquences tout aussi graves de la « fuite en avant » qui oblige à se débarrasser, toujours plus loin, d’une production aléatoire toujours plus
importante feront l’objet d’un article spécifique concernant les centaines de milliards d'euros prévus dont les principales conséquences seront de déstabiliser le réseau européen et de supprimer toute indépendance énergétique nationale.
Mais si l’Etat ne semble même pas avoir envisagé le coût
financier de sa loi sur la transition énergétique, sait-t-il au moins par quoi
seront remplacés les réacteurs nucléaires condamnés économiquement à un arrêt
forcé qui pourrait être d'autant plus imminent qu'il est lié à leur sécurité?
Au minimum, sait il qui devra assumer la compétence et les coûts liés à leur mise en conformité si cet arrêt anticipé devait leur être refusé ?