EnR : entre pression fiscale et précarité
Jean Pierre Riou
Publié sur Economie Matin
https://www.economiematin.fr/enr-fiscalite-energie-renouvelable-france-riou
Les 2 parties du présent article : « La fiscalité
énergétique » et « Le vrai prix des EnR » visent à éclairer à la
fois la répartition sociale de l’effort fiscal du financement des énergies
renouvelables (EnR) et à préciser le montant induit par celles-ci.
La fiscalité énergétique
Dans les pays de l’OCDE, le ratio
impôts/PIB s’échelonnait en 2023 de 17.7 % au
Mexique à 43.8 % en France. La répartition sociale permet
cependant à 54,1%
(en 2022) des foyers fiscaux français d’être dispensés du prélèvement
obligatoire de l’impôt sur le revenu. Mais pour autant, le financement du
gouffre sans fond de la transition énergétique fait injustement porter le plus
gros effort sur les plus pauvres, et tout particulièrement sur ceux des
campagnes. Les
maladresses de la taxe carbone avaient fait sortir les gilets jaunes dans
la rue, le poids du soutien aux énergies renouvelables menace aujourd’hui
d’attiser la colère des « gueux ».
Selon le rapport
sur l’impact du budget vert annexé au projet de loi de finance 2025, les
ménages les plus pauvres (premier quintile), auront payé en moyenne une
facture énergétique de 2270 € en 2022. Ce poste aura représenté 13,5% de leur
revenu total, dont 7,7% pour leur logement et 5,8% pour le transport, contre
4,1% en tout pour les ménages les plus aisés (rapport page 232). La seule fiscalité sur cette énergie
représentant ainsi un effort qui pèse bien davantage sur les ménages les plus modestes
en prélevant 2,5% de leur budget, ainsi qu’illustré ci-dessous.

Contrairement à l’impôt sur le revenu dont la
répartition sociale permet donc à plus
de la moitié des ménages de se dispenser de s’acquitter, cette fiscalité
sur l’énergie, frappe injustement les plus pauvres pour financer la transition
énergétique, et prélève ainsi 2% de leur budget via les transports (en vert) et
0,5% via leur habitat (en bleu). Le rapport montre qu’elle se décompose en 0,2%
sur l’électricité, 0,6% sur la taxe carbone et 1,6% sur la fiscalité des
carburants et combustibles hors taxe carbone.
Les gueux du premier
quintile
De surcroît, les ménages ruraux supportent une charge
supérieure ainsi que l’illustre la figure ci-dessous, en raison notamment de
l’absence de service public de transport qui accroit leur budget de ce poste
(en vert).
On n’en comprend que mieux le ressentiment des « gueux »
dénoncé par Alexandre Jardin, lors de l’instauration des mesures de
« Zones à faible émission mobilité » (ZFE) visant à interdire l’accès
aux centres urbains à leurs véhicules jugés trop anciens.
La décorrélation entre les charges et la taxe
destinée à la financer
Cette
fiscalité énergétique, déjà lourde en 2022, a pourtant bénéficié de la
parenthèse éphémère du bouclier tarifaire. En 2019, elle représentait en effet 4,5% du
budget des ménages les plus pauvres, avec notamment une recette de
l’accise sur l’électricité de 7837 € contre seulement 2513 € en 2022. Cette
charge étant appelée à retrouver son niveau à partir de 2025 avec la fin de ce
bouclier.
Cette fiscalité abonde le budget général de l’État qui
finance le soutien aux EnR via le programme 345. Pour autant, en raison de
l’application du bouclier tarifaire, les recettes de l’accise sur l’électricité
en 2024 (1,5 milliard d’euros) ont été bien inférieures aux plus de 7 milliards
de charge CSPE constatées pour 2024 dans la délibération
de la CRE comme le précise le tableau
du ministère reproduit ci-dessous.
Dans ce
programme 345 du projet de loi de finance 2025 le Sénat fait
état de ces 7 milliards de charges CSPE en 2024, et prévoit 9,5 milliards
en 2025.
Une taxe chasse l’autre
Cette
décorrélation entre la taxe prélevée et les charges CSPE (Charges du service public de l’énergie) date de 2016 où la CRE
avait évalué le niveau nécessaire au financement de ces charges à
27,05 €/MWh pour l’électricité, mais devant l’impossibilité légale de
l’augmenter de plus de 3 €/MWh, la CRE l’avait fixée à 22,5 €/MWh à compter du
1 janvier 2016, (soit 16 % de la
facture moyenne TTC d’un client résidentiel). D’autre part ce financement par la
CSPE (Contribution au service
public de l’électricité) n’étant
pas conforme à la Directive européenne 2003/96 sur la taxation de l’énergie en
tant qu’il échappait au contrôle du parlement, la corrélation directe entre la CSPE et les CSPE devenait obsolète.
C’est
ainsi qu’au 1er janvier 2016, cette CSPE se voyait absorbée par la
Taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), perçue pour
le compte des Douanes, puis intégrée au budget de l’État. Et dans le même
temps, cette TICFE se voyait rebaptisée
CSPE, ce qui ne pouvait manquer d’entretenir durablement la confusion
et laisser penser que l’augmentation des charges liées aux énergies
renouvelables du service public de l’électricité (CSPE) cessait enfin. Tandis
que le soutien aux énergies renouvelables était assuré par un compte
d’affectation spécial « transition énergétique » (CAS TE) abondé par
les taxes sur l’énergie et le carbone. La Cour des
Comptes relevait d’ailleurs que « dès l’exercice 2017, le financement du CAS a été profondément
modifié puisqu’il a été acté que ce serait la TICPE qui prendrait le relais,
essentiellement grâce au rendement croissant associé à la contribution
climat-énergie (CCE) », autre nom de la taxe carbone. Et confirmait « une alimentation quasi-exclusive
du CAS par de la TICPE en 2017 » (taxe sur les produits
pétroliers), « le reste des
ressources provenant de la TICC (taxe sur le charbon) à hauteur de 1 M€ ».
L’évolution
des factures d’électricité devenait décorrélée de ce financement. Le même
schéma demeure depuis le remplacement du CAS TE par le programme 345.
Pour mémoire, lors de sa création en 2003, la CSPE
était de 3,3 €/MWh.
Aujourd’hui, selon
le ministère des finances, l’accise sur l’électricité, qui la remplace, est
passée de 20,5 €/MWh à 33,70 €/MWh au 1er février 2025 en raison de
la fin du bouclier tarifaire, pour les « ménages et assimilés », puis
29,98 €/MWh au 1er août, pour compenser le passage à 20% de la TVA
sur l’abonnement. Ajoutons que 29,98 est le taux HT de l’accise et qu’une TVA
de 20% s’applique sur les consommations,
l'accise, la CTA et l'abonnement. Le
consommateur paye donc 35,98 €/MWh TTC
cette accise sur l’électricité.
Le vrai prix des EnR
Selon
RTE, le prix de l’électricité pour les ménages se divise en 3 tiers :
1/3 dépend du prix de production de l’électricité, 1/3 représente les frais
d’acheminement, transport et distribution, et 1/3 est composé de taxes. Ce qui
soulève au passage l’intérêt de l’ouverture d’un marché libéralisé dans la
mesure où la concurrence ne peut jouer que sur la partie « frais de
gestion » de l’abonnement, à fortiori lorsque cette concurrence ne produit
rien et se contente d’acheter sur le marché pour revendre à ses clients.
D’autre part, cette concurrence est faussée par les contrats
de longue durée convenus avec les énergies renouvelables, qui entraînent mécaniquement une augmentation
des taxes parallèle à chaque baisse du prix du kWh en raison de la plus
grande différence entre le prix convenu et le prix considéré évité par leur
production, ainsi que l’observe le rapport
sénatorial sur le projet de loi de finances pour 2025.
Or, force est de constater que l’abonnement, notamment du
tarif base, est passé de 96,97
€TTC en 2012 à 233,7 €TTC en 2025, soit une
augmentation de 141% en 13 ans,
participant à l’augmentation du prix de l’électricité, qui a plus
que doublé en 15 ans, avant de connaître, il est vrai, une réduction en
2025, mais alors que ce prix n’avait pas bougé durant les 15 années précédentes,
avec 0,1122
€/kWh en 1991 et 0,1123 €/kWh en 2007, soit une baisse en euros constants
(2024) entre 0,19 €(2024)/kWh en 1991 et 0,15 €(2024)/kWh en 2007.
Les surcoûts induits
sur le réseau
En février 2025 RTE présentait son plan
à 100 milliards d’euros en 15 ans pour rénover le réseau de transport, soit
un besoin comparable
à celui d’Enedis pour le réseau de distribution.
RTE
Dans son schéma
décennal (SDDR 2025), RTE projette en effet le triplement des coûts en 6
ans, avec 7,5 Md€ et 2030 contre 2,3 Md€ en 2024.

La part visant à rénover
le réseau et l’adapter au changement climatique figure en rouge sur
l’illustration ci-dessus et apparaît très minoritaire. L’essentiel des
investissements vise à permettre l’augmentation d’injection des énergies
renouvelables et apparaît en bleu, avec notamment la partie « raccordement
de l’éolien en mer », représentée dans le segment bleu supérieur et
représente 37 Md€ sur les 100 Md€
prévus dans ce SDDR2025. Le développement des interconnexions figure
tout en haut en mauve et reste anecdotique après 2027, tandis que le segment
inférieur bleu représente notamment la mise
en service de 40 % des infrastructures prévues pour les EnR terrestres via les « Schémas régionaux de raccordement au réseau
des énergies renouvelables » (S3REnR
deuxième génération). Le segment jaune, enfin, représente les télécom et moyens
de pilotage du système, dont la CRE a dénoncé l’insuffisance de sophistication du pilotage des EnR pour passer au pas de 15
minutes au lieu des heures rondes.
Sans surprise, l’Allemagne,
plus ambitieuse en termes d’EnR, prévoit plus de 250 Md€ et la Grande Bretagne
150 Md€ en 10 ans (Voir page 12), mettant ainsi en évidence la
corrélation entre la part d’EnR et les besoins d’investissements dans le réseau,
tandis que les analystes s’accordent pour imputer le récent blackout ibérique
au manque
d’investissements dans le réseau espagnol.
Enedis
Quant au réseau de
distribution, Enedis annonce clairement la couleur en chiffrant les besoins en
fonction des projets d’EnR, pour transformer son réseau, conçu pour distribuer
des quantités limitées au consommateur, en flux bidirectionnels permettant de
refouler la production locale des EnR, notamment vers
le réseau RTE. Transformation qu’Enedis considère comme une révolution, « un immense défi » et « un réel changement de paradigme » qui ne doit pas être
sous estimé, ainsi qu’il l’a déclaré devant le Sénat. Cette corrélation
est transparente dans l’en tête du chapitre 4 de ses éléments
de prospective à horizon 2050 : « Le
développement des énergies renouvelables raccordées au réseau de distribution
sera le facteur le plus déterminant pour Enedis » qui prévoit un besoin pouvant aller de 1,5 Md€ par an à 8 Md€ par an
selon la croissance et le scénario de développement des EnR, avec un rythme
actuel de 2 Md€. Dans le SDDR 2025, RTE explique que « Éolien
terrestre, solaire et petites installations hydrauliques sont raccordés
majoritairement aux réseaux de distribution, mais leur développement dépend
de plus en plus des renforcements qui seront réalisés sur le réseau haute
tension (63 et 90 kV, voire 225 kV) via des postes électriques permettant
de collecter leur production et de la répartir plus largement sur le
territoire. »
Le détail de
ces besoins avait été analysé par Le Mont Champot dans « Pourquoi il est urgent de dégraisser le mammouth ».
La croisée des chemins
Ces
investissements dans le réseau sont financés via le TURPE, celui-ci représente
entre 20% et 30 % de la facture d’un client résidentiel, selon la CRE. Mais c’est toute
la fiscalité énergétique qui devra assumer l’explosion du poids des subventions
et coûts induits par le doublon intermittent éolien/photovoltaïque, bien
inutile à notre parc de production déjà décarboné et surcapacitaire. Coûts
auxquels il convient d’ajouter les subventions aux centrales pilotables dont on ne peut toujours pas se passer du moindre MW installé. Et ces subventions devront être d’autant plus fortes que les
modulations à la baisse leur seront fortement imposées par les EnR, y compris
au parc nucléaire. Car la difficulté n’est pas de fermer la moindre d’entre
elle, mais bien d’arriver à s’en passer, ainsi qu’en a alerté l’Entsoe en avril
dernier dans son « Évaluation
de l'adéquation des ressources européennes »
(ERAA)et dans laquelle il attire l’attention sur les « risques
importants » qui le menacent, en raison de la perte de viabilité
économique des capacités pilotables, dites « flexibles ».
Ce budget
colossal ne sera pas financé par le truchement d’un prélèvement réparti en
fonction des revenus, mais en demandant le plus gros effort à ceux qui ont déjà
le moins. La France, à la veille de la publication de la programmation
pluriannuelle de l’énergie (PPE3) se trouve à la croisée des chemins.
Une fuite en
avant vers l’augmentation de la puissance de notre doublon intermittent
porterait une lourde responsabilité dans l’explosion d’un conflit social.
SDDR 2025 https://assets.rte-france.com/prod/public/2025-02/RTE_SDDR2025_Synthese.pdf