lundi 10 février 2025

Les délicats rapports de la science avec la démocratie

 

Les délicats rapports de la science avec la démocratie

En forme de suite de la problématique de la liberté d’expression traitée dans :

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Par Jean-Pierre Riou Publié le 4 février 2025 à 5h30
ASNR : un nouveau nom pour l'autorité de sûreté nucléaire qui cache de nombreux changements
Les délicats rapports de la science avec la démocratie - © Economie Matin
86,9%Le nucléaire représente 86,9 % de la production d'électricité d'EDF

 

« Pourquoi je n’ai pas quitté X (ex Twitter) »

« Il n’y a pas de liberté sans questionner les évidences. » Ce principe du scepticisme hérité de Socrate mériterait une place de choix dans l’Éducation nationale pour éviter l’assujettissement des futurs citoyens aux manipulations de l’information, et particulièrement des réseaux sociaux. Cette manipulation vient d’exprimer l’ampleur de son pouvoir de nuisance avec l’annulation des élections en Roumanie pour cause de soupçon d’influence russe sur le réseau Tik Tok.

A l’heure des « deepfakes » dont les mensonges semblent plus vrais que nature, la décision d’Elon Musk de supprimer toute censure de son réseau X (ex Twitter) rappelle l’urgence de clarifier le lien que doit entretenir toute démocratie avec la science, à l’heure où les mouvances les plus disparates s’en revendiquent sur un même sujet.

Il est notamment troublant de constater que pour dénoncer le problème climatique les politiques publiques du monde entier se réfèrent en permanence aux travaux du GIEC, Comité scientifique émanant de l’ONU, et se gardent bien de dévoiler ceux de l’UNSCEAR, pourtant son ainé, dans la quête des solutions.

Ce que dit la science

Jean Philippe Vuilliez, professeur de biophysique et de médecine nucléaire à l'université de Grenoble, a récemment publié un éclairage salutaire sur le bon usage de l’expertise scientifique dans lequel il ne cache pas les intérêts de ceux qui la financent mais sépare le bon grain de l’ivraie en précisant la rigueur de ses exigences ainsi que la façon trompeuse d’en reprendre les conclusions. Il rappelle notamment une vérité universelle, énoncée au XVIème siècle par Paracelse : « Le poison est en toute chose et aucune chose n’est sans poison. C’est la dose qui en fait soit un poison soit un remède ». Et montre que cette vérité fondamentale laisse la latitude de conclure à la toxicité, ou à l’absence de toxicité, de n’importe quelle substance selon la façon de présenter la même étude, voire de la financer pour en orienter la démonstration ou alerter sur sa présence dans notre environnement ou notre alimentation, quel qu’en soit le caractère infinitésimal, qui devrait pourtant démentir l’inquiétude que cherche à en véhiculer la communication. Cet article de J.P. Vuilliez mérite une lecture intégrale pour sa maîtrise du sujet et la précision de ses nuances.

Ces 2 types d’études concernent notamment le nucléaire civil depuis que l’explosion d’une bombe atomique sur Hiroshima aura fait l’objet de centaines d’articles scientifiques sur les effets de ses rayonnement ionisants, y compris sur les générations suivantes, et ont contribué à établir les normes actuelles de radioprotection. Le développement qui va suivre sur ces rayons ionisants pourrait aussi bien concerner la vaccination, les produits phytosanitaires, les rejets de l’industrie ou les biotechnologies agricoles.

Le mépris d’une résolution de l’ONU

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https://www.economiematin.fr/delicats-rapport-science-democratie-politique-riou

Pourquoi je n’ai pas quitté X (ex Twitter) ?

 

Pourquoi je n’ai pas quitté X (ex Twitter) ?

Avec l’investiture de Donald Trump le 20 janvier, le mouvement HelloQuitteX a médiatisé et encouragé l’abandon du réseau social X, anciennement Twitter jusqu’à son rachat par Elon Musk.

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Par Jean-Pierre Riou Publié le 22 janvier 2025 à 15h39
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La suppression de toute modération par celui-ci a fait craindre la propagation d’informations fausses qui menaceraient l’Europe par crainte d’une  volonté américaine de l’affaiblir. L’Europe semble naïvement découvrir le sens des propos de François Mitterrand rapportés dans « Le dernier Mitterrand » «La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort.» Ce qui pose la question : faut-il quitter X pour s’en protéger ?

Avec son préalable : l’expression doit-elle être libre ?

Le grand écart franco-américain 

La France est descendue dans la rue voilà 10 ans pour défendre  la liberté d’expression, quand bien même celle-ci heurterait les sensibilités religieuses par son caractère blasphématoire.

Mais à l’opposé de l’attachement absolutiste des Américains à cette liberté, garantie par leur Constitution, la protection des personnes, mais aussi de la conduite des politiques de crise a amené la loi française à en limiter significativement l’expression.

Le cadre général

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https://www.politiquematin.fr/helloquittex-twitter-x-refus-jean-pierre-riou

vendredi 3 janvier 2025

France-Allemagne : échec et mat

 

France-Allemagne : échec et mat

Jean Pierre Riou

A mi-parcours de ses ambitions en matière d’énergies renouvelables, le système électrique allemand a déjà lourdement plombé son économie, s’est attirée les foudres du nord de l’Europe qui souhaitent s’en déconnecter et n'en continue pas moins à polluer 10 fois plus que le système français. Pire, son objectif en termes de renouvelables, qu’il a réussi à imposer à l’Europe en lieu et place  d’énergie décarbonée, prend du retard par rapport à la France. L’année 2024, qui était supposée marquer une réindustrialisation post Covid en révèle le triste bilan.

 

Cette année 2024 s’est achevée pour la France avec un record historique d’exportation d’électricité avec un solde net de 89,1 TWh, soit bien plus que les 51 TWh de 2023 qui la plaçaient déjà, comme quasiment chaque année depuis 1990, sur la plus haute marche du podium mondial, loin devant la Suède, avec 29 TWh et le Canada avec 27 TWh.

De son côté, l’Allemagne s’enfonce dans la dépendance de ses voisins avec un solde importateur de 28,3 TWh, contre 9 TWh en 2023.

Sur le plan climatique, le bilan est plus cruel encore pour les énergies renouvelables qui, malgré leur part record de 64% de la production électrique, n’ont puempêcher la production moyenne sur l’année de 364gCO2eq/kWh, soit plus de 10 fois plus que l’électricité française, malgré ses quelques 28% d’EnR, d’ailleurs principalement hydraulique.



L’illustration ci-dessus provient du site Electricity Maps qui montre dans sa méthodologie sa rigoureuse prise en compte de l’analyse du cycle de vie (ACV)de chaque filière de production, et non le 0 émission par défaut retenu indifféremment par RTE pour renouvelable et nucléaire.

Il est intéressant de préciser qu’Electricity Maps retient les données du GIEC (IPCC 2014), c'est-à-dire notamment 45gCO2eq/kWh pour le solaire PV, ce qui rend d’autant moins crédible sa capacité à décarboner la moyenne d’un mix électrique français qui émet déjà moins que lui, contrairement à l’idée reçue du 0 émission par défaut de RTE.

Malgré cette supériorité de notre mix électrique en matière climatique, des voix s’époumonent à rappeler l’importance de respecter l’engagement en termes d’énergies renouvelables, à relayer les records allemands en la matière, et dénoncer le retard français. Mais contrairement à une idée largement véhiculée par ceux dont c’est le fonds de commerce, la France consomme une part d’énergies  renouvelables supérieure à celle de l’Allemagne avec  22,283% en 2023 contre 21,547% en Allemagne.

Les statistiques européennes officielles sont publiées par Eurostat et sont claires sur ce point.

Elles publient un indicateur qui « mesure la part de la consommation d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie conformément à la directive sur les énergies renouvelables », et dont l’unité de mesure est le pourcentage.

Ce qui permet de visualiser l’évolution des données de chaque État reproduites ci-dessous.



 L’infraction française

Avec 19,1%, cette part était strictement la même pour les 2 pays en 2020. Mais la DIRECTIVE 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 avait fixé un objectif contraignant pour l’UE, en termes de parts d’énergies renouvelables consommée.  Celui-ci, de 20% au niveau de l’UE était réparti selon les États, et fixé à 23% pour la France et 18% pour l’Allemagne (Annexe 1)

D’où le bras de fer entre la Commission et la France qui n’avait pas respecté l’engagement qu’elle avait inscrit elle-même dans sa programmation de l’énergie, tandis que l’Allemagne, avec le même bilan, respectait le sien.

Courage, fuyons

Le 10 mars 2023, le gouvernement promulguait une Loi d’accélération des énergies renouvelables encadrant une « Planification territoriale des énergies renouvelables, simplification des procédures, déploiement massif de l'éolien en mer et du solaire... Face à la crise énergétique et au dérèglement climatique, la loi entend accélérer le développement des renouvelables, afin de rattraper le retard pris par la France. » Dont il justifiait l’urgence en ces termes pour le moins ambigus, voire carrément trompeurs : « En 2020, la France était le seul pays à ne pas avoir atteint le chiffre fixé par l'Union européenne de 23% de part de renouvelables .»

Ce qui s'apparente davantage à un abus de langage qu'à une information transparente destinée à informer. Car cette formulation ne précise pas que cet objectif était spécifique à la France, qui se l’était d'ailleurs donné toute seule, et que celle-ci avait fait mieux que 11 autres États dont l’Allemagne, qu’on nous cite pourtant comme modèle en la matière, tandis que "le chiffre fixé par l'Union européenne" était à proprement parler de 20% et non 23%.

Un peu d'histoire

Alors qu'en fait la France qui présidait le Conseil de l'Union européenne jusqu'à décembre 2008, avait déjà déposé (en décembre 2008) le projet de loi d'application de son Grenelle de l'environnement qui lui fixait une part d'EnR de 23 % d'ici 2020. Cette contrainte faisait force de loi depuis le 3 août 2009, et était déjà imposée depuis la circulaire du 23 mars 2009, au moment de l'engagement français de la fameuse Directive du 23 avril 2009, lors de laquelle la France a donc été le SEUL pays d'Europe à se lancer dans un projet qu'elle ne pourrait pas tenir, ce qui n'est pas la même chose.

Alors que l'Allemagne, pour parvenir à sortir du nucléaire, d’ailleurs après que des fonctionnaires écologistes eurent falsifié des rapports destinés à orienter la décision en fonction des risques et avantages, a été amenée à fragiliser le réseau européen en faisant porter ses efforts sur les énergies renouvelables électriques, malheureusement intermittentes et dépourvues de la moindre inertie, pourtant nécessaire à la stabilité du réseau. 

Rappelons que concernant les engagements de décarbonation, la France respecte les siens, tandis que l’Allemagne a été condamnée à revoir sa copie le 30 novembre 2023 par le Tribunal supérieur de Berlin Brandebourg pour avoir dépassé les émissions sectorielles du bâtiment et des transports en 2021 et 2022. Mais contrairement à la France, qui a rattrapé son retard après la fameuse "Affaire du siècle" le 5 mars 2024, le Gouvernement fédéral faisait appel de ces jugements.

 

« La guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires » aurait dit Georges Clemenceau.

Le dogmatisme ambiant incite à penser que l’écologie s’avère une chose trop grave pour être confiée aux écologistes.

lundi 30 décembre 2024

« C’est la foudre nordique qui s’abat sur l’Energiewende » JP Riou (Interview)

 

« C’est la foudre nordique qui s’abat sur l’Energiewende » JP Riou (Interview)

« C’est la foudre nordique qui s’abat sur l’Energiewende » JP Riou (Interview)

Nouvelle déconvenue pour la transition énergétique allemande que l’Europe entière commence à connaitre sous le nom d’Energiewende. Le 6 novembre 2024, toute sa production éolienne s’est  brutalement effondrée en fournissant moins de 1 GW pendant plus de 30 heures, une situation qui vient de se reproduire le 12 décembre … et tout cela malgré les 71920 MW éoliens installés. La conséquence de ce phénomène appelé Dunkelflaute est l’explosion des prix à court terme de l’électricité (marché spot), mais également, un risque de désorganisation du marché européen de l’électricité notamment avec les pays nordiques : ce qui a été immédiatement dénoncé par Terje Aasland, ministre norvégien de l’énergie, et également par Ebba Busch, la ministre suédoise de l’énergie. Pour comprendre en détail les mécanismes de ce jeu de dominos Jean-Pierre Riou, chroniqueur indépendant sur les thématiques énergie a bien voulu répondre à nos questions.

The European Scientist : L’Allemagne vient d’être affectée par deux épisodes prolongés et tant redoutés sans vent ni soleil, qu’elle nomme « Dunkelflaute ». Aurait-elle pu éviter une rupture d’approvisionnement sans le secours de ses voisins ?

Jean-Pierre Riou : Oui. L’Allemagne sait parfaitement qu’en cas de pic de consommation, elle ne peut compter sur aucune production solaire et que l’éolien ne saurait garantir plus de 1% de sa puissance installée. C’est la raison pour laquelle elle dispose d’un doublon intégral pilotable. Contrairement à la France, elle a fait le choix de subventionner des centrales thermiques en réserve du réseau avec l’interdiction pour elles de vendre sur le marché. C’est notamment le cas de la centrale à gaz d’Irsching pour laquelle son exploitant Eon, qui perdait de l’argent malgré les subventions, a menacé d’aller en justice pour obtenir le droit de fermer (1), mais n’a pas obtenu gain de cause face aux injonctions du gestionnaire de réseau. (2)

Le scénario de référence de l’institut Fraunhofer (désormais nommé « ouvert aux technologies ») ne prévoit d’ailleurs aucune réduction de la puissance pilotable installée. Au contraire, cette puissance est supposée passer de 86 GW en 2025 à 146 GW  en 2045 sous forme de centrales à gaz. La principale différence avec  le précédent scénario étant la proportion importante d’hydrogène, avec 96 GW, contre 1 ou 2 dans « référence ». 

En tout état de cause, l’Allemagne disposait donc de la puissance nécessaire, et a dû redémarrer les centrales les plus coûteuses qui ont déterminé le prix du marché. D’où son envolée à presque 1000 €/MWh.

TES.: Ce n’est donc pas le nucléaire français qui a sauvé le système allemand ?

JPR.: Effectivement, on ne peut pas le prétendre. Mais ce n’est pas pour autant que les lois du marché l’ont empêché d’acheter chez ses voisins où le cours était inférieur. Du moins jusqu’à ce que les interconnexions soient saturées. Car pendant plus de 30 heures où les 78,5 GW éoliens installés n’ont même pas atteint la puissance d’1 GW, l’Allemagne importait en permanence, notamment de la France, plus de 10 GW et même 17 GW le 12 décembre à 8h30. Le différentiel des cours qui s’est creusé avec ses voisins à partir de 3 h du matin est d’ailleurs le symptôme de cette saturation des interconnexions.

TES.: Mais alors, pourquoi les cours ont-ils également flambé en Suède, et surtout en Norvège où l’électricité est hydraulique pour plus de 90 % ?

JPR.: Le grand marché interconnecté de l’électricité est destiné à exporter les surproductions aléatoires des énergies renouvelables mais permet également de mutualiser les problèmes. C’est la raison de la colère de Terje Aasland, ministre norvégien de l’énergie, qui a qualifié cette situation de « absolument merdique » (“It’s an absolutely shit situation.”) En effet, les interconnexions ont permis à l’Allemagne et au Danemark, qui subissait la même panne de vent, de « siphonner » la production  des réservoirs hydrauliques norvégiens qui étaient alors pleins, ainsi que l’explique le média spécialiste de l’énergie OilPrice (3), et de contaminer ainsi le marché norvégien de l’électricité avec 898 €/MWh à 17 heures, alors que le pays ne connaissait même pas de vague de froid.

TES.: Quel enseignement pensez-vous devoir tirer de cette situation ? 

 

Lire la suite dans European Scientist https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/cest-la-foudre-nordique-qui-sabat-sur-lenergiewende-jp-riou-interview/

L’électricité clandestine allemande démasquée

 

L’électricité clandestine allemande démasquée

Cet article est une synthèse «grand public» de deux articles plus techniques de Jean-Pierre Riou «Focus sur les loop flows» et «La fin des MWh clandestins» 

L’implantation disséminée des énergies renouvelables électriques intermittentes (EnRi) implique de lourds investissements (plusieurs centaines de milliards d’euros) dans le réseau de distribution auquel ces EnRI sont majoritairement connectées.

En effet, les éoliennes et les panneaux photovoltaïques (PV) ne sont pas des énergies locales, contrairement aux déclarations de leurs promoteurs. Les 2/3 de leur production transitent par le réseau de transport qui doit adapter ses infrastructures pour répondre aux aléas et aux « bouffées » de productions de chaque zone suivant les conditions météorologiques.

RTE avait annoncé dans son rapport conjoint avec l’AIE qu’un développement significatif des réseaux de transport et de distribution était l’une des conditions préalables à tout mix électrique à forte proportion d’énergies renouvelables.

En Allemagne, malgré les dizaines de milliards d’euros consacrés à leur développement, le retard pris par les réseaux allemands a des conséquences sur la sécurité et sur le prix de l’approvisionnement français.

Des passagers clandestins

Afin d’optimiser les capacités d’interconnexion, Le couplage du marché européen de l’électricité permet de mettre aux enchères à la fois la fourniture électrique et la capacité de connexion correspondante.

Les flux physiques de ces transactions transitent sur le réseau européen en suivant la voie de la moindre résistance et non… le chemin le plus court.

Ainsi, en cas de congestion de ses propres lignes, des échanges prévus à l’intérieur d’une même zone d’enchère sont détournés vers les zones voisines (les réseaux voisins). Ces flux d’électricité (« flows ») non invités et non désirés, font donc une boucle clandestine (« loop »), par les réseaux voisins pour arriver à leur destination.

La part croissante de ces flux de boucle (« loop flows ») non programmés est dénoncée par les opérateurs du réseau électrique européen (Entsoe) car elle réduit les capacités d’interconnexion vitales pour tout système électrique à forte composante intermittente.

Ces loop flows proviennent des fortes productions des éoliennes du nord de l’Allemagne, combinée avec celles de Scandinavie, que les congestions du réseau allemand font transiter par les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, l’Autriche, la Belgique et la France. Ces « passagers clandestins » peuvent mobiliser jusqu’à 50% de la capacité disponible, limitant d’autant les capacités d’importation de ces pays.

Or, chaque État membre doit assurer 70% de ses capacités disponibles pour les échanges aux frontières. Les pays les plus touchés par ces passagers clandestins dans leur réseau ne pouvant remplir plus cette obligation doivent faire de demandes de dérogation.

Le rapport accablant de la Cour des comptes allemande

Lire la suite dans Contrepoints https://www.contrepoints.org/2024/11/18/479779-lelectricite-clandestine-allemande-demasquee

 

dimanche 15 décembre 2024

Energiewende : une « situation absolument merdique ».

 

Energiewende : une « situation absolument merdique ».

La fin d'un modèle

Jean Pierre Riou

L’Allemagne vient de montrer qu’en cas de besoin, on ne pouvait pas compter sur la moindre production renouvelable. Le 6 novembre 2024, toute sa production éolienne s’est  brutalement effondrée en fournissant moins de 1 GW pendant plus de 30 heures, tombant même à 78,5 MW à 17h30, soit 0,1% des 71920 MW éoliens installés. La même situation vient de se reproduire à peine un mois plus tard le 12 décembre entrainant une fois encore l’explosion du marché spot avec 936,28 €/MWh à 17 heures, et mettant à nouveau  son industrie en difficulté. Ces pénuries alternent avec des surproductions aléatoires qui font écrouler le prix du marché et multiplient même des épisodes de prix négatifs.

Le site de l’institut Fraunhofer illustre ci-dessous cette situation avec la semaine du 9 décembre où les prix, en rouge ont frôlé les 1000 €/MWh lors de la panne quasi-totale de vent et de soleil (dunkelflaute) du milieu de semaine et terminent la semaine à 0€/MWh le dimanche à 23h30 quand l’éolien dépasse 46 GW au moment où on en a le moins besoin.


Cette instabilité enchérit le prix de l’électricité, ce dont les industriels allemands s’inquiètent depuis plusieurs années et menacent même de quitter le pays. Selon Bloomberg, l'économie allemande aurait en effet atteint un point de non retour et appauvrit chaque foyer en s'écroulant de façon désormais "irréversible" au moment où l'Europe aurait le plus besoin d'elle. L'augmentation du coût de l'énergie en serait la principale raison. Pour survivre, cette politique énergétique repose sur le développement (ruineux) des interconnexions pour valoriser l'augmentation exponentielle de sa production d’énergies intermittentes.

Depuis 2021, Nordlink lui permet notamment une interconnexion directe de 1400 MW en courant continu avec  la Norvège dans le double objectif d’exporter ces excédents et d’être alimenté par l’hydraulique norvégien quand le vent se fait rare. Le Baltic cable relie également l’Allemagne à la Suède, elle-même connectée avec le Danemark et la Norvège au sein du Nordic Grid System.

Quand la Norvège siffle la fin de la partie

Cette situation vient d’être dénoncée par le ministre norvégien de l’énergie, Terje Aasland,  affirmant sa volonté de couper ces interconnexions avec l’Allemagne, dont l’instabilité du marché entraîne une « situation absolument merdique » en Norvège, selon ses propos rapportés par le Financial Times

Les raisons de sa colère ont été détaillées dans le journal OilPrice, leader de l'information sur toutes les formes d'énergie.

Éclairant le fait que les réservoirs hydrauliques norvégiens, qui étaient alors pleins avaient profité aux contrats avec le Danemark et l'Allemagne qui avaient anticipé une panne de vent et que la Norvège avait été touchée de plein fouet par l'envolée du cours du MWh lié au démarrage des centrales allemandes les plus coûteuses, alors qu'elle ne subissait aucune vague de froid.

On comprend que « situation absolument merdique » était un euphémisme.

Pour cette même raison, son partenaire, le parti du Centre, réclame depuis longtemps la fin de la connexion avec le Danemark et souhaite renégocier les interconnexions existantes avec le Royaume-Uni et l'Allemagne, dont les surproductions pénalisent la rentabilité des moyens de production nationaux, tandis que ses pannes de vent font exploser les cours. Selon le media polonais Visegrad 24, les responsables politiques régionaux de tout bord exhortent le gouvernement à ne pas renouveler les liaisons Skagerrak 1 et 2 (500 MW), mises en service respectivement en 1976 et 1977, qui atteindront la fin de leur durée de vie en 2026 et 2027.

Imitée par la Suède qui ne suit pas l’avis de son gestionnaire de réseau

Le 12 décembre, la ministre suédoise de l’énergie, Ebba Busch, a vigoureusement condamné l’abandon du nucléaire par l’Allemagne qu’elle juge responsable de la crise énergétique que traverse l’Europe, et notamment la Suède, où le cours vient d’être190 fois supérieur dans le sud directement connecté à l’Allemagne que dans le reste du pays, en raison de la dernière panne de vent Outre-Rhin. En juin dernier, elle avait déjà refusé d’autoriser le projet  d’une nouvelle interconnexion entre le sud de la Suède et l’Allemagne. Les gestionnaires du réseau Svenska Kraftnat et 50Hertz encourageaient pourtant ce projet pour faire « bénéficier » le pays des surproductions éoliennes allemandes. Mais le gouvernement suédois a considéré que le marché allemand ne «fonctionne pas de manière efficace » et s’y est opposé pour éviter que la même instabilité se propage à la Suède en entraînant des surcoûts pour le consommateur.

La prise de distance avec l’Europe

En mars 2023, la Norvège avait déjà refusé une interconnexion avec l’Écosse, par le projet NorthConnect préférant utiliser son énergie pour bâtir son industrie et maintenir des prix compétitifs sur le marché national, plutôt qu’être sous la menace du gendarme européen de la concurrence en cas de nécessité de réduire ses exportations, comme ce fut le cas en janvier 2023, comme le rapporte Energynews.

C’est ainsi que nos 2 modèles européens de mix électrique décarboné souhaitent désormais se replier sur le réseau nordique en se déconnectant du reste de l’Europe gangréné par une part jugée excessive d’intermittence éolienne.  

Le 13 décembre, le journal allemand Bild rapportait la colère de la ministre suédoise et précisait sa condamnation de la sortie allemande du nucléaire qui a affecté sa compétitivité, ce qui est son droit, mais « a des conséquences très graves, y compris sur la compétitivité de l'UE ».

La fuite en avant allemande

Fin 2024, l’Allemagne dispose en de 168 GW éolien/solaire installés. Pour comparaison, notre parc nucléaire représente 61,3 GW. Le scénario de référence de l’institut Fraunhofer prévoit 779 GW éolien/solaire à horizon 2045, soit une augmentation de 460%.

Après ces prises de distance nordiques avec la politique de Berlin, la question est désormais de savoir combien d’États l’Allemagne va entraîner avec elle dans les conséquences de sa fuite en avant.

A moins que le probable futur chancelier, Friedrich Merz, favorable au redémarrage des réacteurs nucléaires, ne s’appuie sur les coûts dénoncés par le dernier rapport de la Cour fédérale des comptes et sur l’opposition croissante de la population à la politique énergétique du pays, pour mettre un terme à sa course folle.

Ce qui serait assurément une bonne nouvelle pour la France, dont le statut de plus gros exportateur mondial d’électricité requiert des interconnexions avec ses voisins, mais dont les énergies intermittentes européennes cannibalisent la valeur de sa production.