dimanche 15 décembre 2024

Energiewende : une « situation absolument merdique ».

 

Energiewende : une « situation absolument merdique ».

La fin d'un modèle

Jean Pierre Riou

L’Allemagne vient de montrer qu’en cas de besoin, on ne pouvait pas compter sur la moindre production renouvelable. Le 6 novembre 2024, toute sa production éolienne s’est  brutalement effondrée en fournissant moins de 1 GW pendant plus de 30 heures, tombant même à 78,5 MW à 17h30, soit 0,1% des 71920 MW éoliens installés. La même situation vient de se reproduire à peine un mois plus tard le 12 décembre entrainant une fois encore l’explosion du marché spot avec 936,28 €/MWh à 17 heures, et mettant à nouveau  son industrie en difficulté. Ces pénuries alternent avec des surproductions aléatoires qui font écrouler le prix du marché et multiplient même des épisodes de prix négatifs.

Le site de l’institut Fraunhofer illustre ci-dessous cette situation avec la semaine du 9 décembre où les prix, en rouge ont frôlé les 1000 €/MWh lors de la panne quasi-totale de vent et de soleil (dunkelflaute) du milieu de semaine et terminent la semaine à 0€/MWh le dimanche à 23h30 quand l’éolien dépasse 46 GW au moment où on en a le moins besoin.


Cette instabilité enchérit le prix de l’électricité, ce dont les industriels allemands s’inquiètent depuis plusieurs années et menacent même de quitter le pays. Selon Bloomberg, l'économie allemande aurait en effet atteint un point de non retour et appauvrit chaque foyer en s'écroulant de façon désormais "irréversible" au moment où l'Europe aurait le plus besoin d'elle. L'augmentation du coût de l'énergie en serait la principale raison. Pour survivre, cette politique énergétique repose sur le développement (ruineux) des interconnexions pour valoriser l'augmentation exponentielle de sa production d’énergies intermittentes.

Depuis 2021, Nordlink lui permet notamment une interconnexion directe de 1400 MW en courant continu avec  la Norvège dans le double objectif d’exporter ces excédents et d’être alimenté par l’hydraulique norvégien quand le vent se fait rare. Le Baltic cable relie également l’Allemagne à la Suède, elle-même connectée avec le Danemark et la Norvège au sein du Nordic Grid System.

Quand la Norvège siffle la fin de la partie

Cette situation vient d’être dénoncée par le ministre norvégien de l’énergie, Terje Aasland,  affirmant sa volonté de couper ces interconnexions avec l’Allemagne, dont l’instabilité du marché entraîne une « situation absolument merdique » en Norvège, selon ses propos rapportés par le Financial Times

Les raisons de sa colère ont été détaillées dans le journal OilPrice, leader de l'information sur toutes les formes d'énergie.

Éclairant le fait que les réservoirs hydrauliques norvégiens, qui étaient alors pleins avaient profité aux contrats avec le Danemark et l'Allemagne qui avaient anticipé une panne de vent et que la Norvège avait été touchée de plein fouet par l'envolée du cours du MWh lié au démarrage des centrales allemandes les plus coûteuses, alors qu'elle ne subissait aucune vague de froid.

On comprend que « situation absolument merdique » était un euphémisme.

Pour cette même raison, son partenaire, le parti du Centre, réclame depuis longtemps la fin de la connexion avec le Danemark et souhaite renégocier les interconnexions existantes avec le Royaume-Uni et l'Allemagne, dont les surproductions pénalisent la rentabilité des moyens de production nationaux, tandis que ses pannes de vent font exploser les cours. Selon le media polonais Visegrad 24, les responsables politiques régionaux de tout bord exhortent le gouvernement à ne pas renouveler les liaisons Skagerrak 1 et 2 (500 MW), mises en service respectivement en 1976 et 1977, qui atteindront la fin de leur durée de vie en 2026 et 2027.

Imitée par la Suède qui ne suit pas l’avis de son gestionnaire de réseau

Le 12 décembre, la ministre suédoise de l’énergie, Ebba Busch, a vigoureusement condamné l’abandon du nucléaire par l’Allemagne qu’elle juge responsable de la crise énergétique que traverse l’Europe, et notamment la Suède, où le cours vient d’être190 fois supérieur dans le sud directement connecté à l’Allemagne que dans le reste du pays, en raison de la dernière panne de vent Outre-Rhin. En juin dernier, elle avait déjà refusé d’autoriser le projet  d’une nouvelle interconnexion entre le sud de la Suède et l’Allemagne. Les gestionnaires du réseau Svenska Kraftnat et 50Hertz encourageaient pourtant ce projet pour faire « bénéficier » le pays des surproductions éoliennes allemandes. Mais le gouvernement suédois a considéré que le marché allemand ne «fonctionne pas de manière efficace » et s’y est opposé pour éviter que la même instabilité se propage à la Suède en entraînant des surcoûts pour le consommateur.

La prise de distance avec l’Europe

En mars 2023, la Norvège avait déjà refusé une interconnexion avec l’Écosse, par le projet NorthConnect préférant utiliser son énergie pour bâtir son industrie et maintenir des prix compétitifs sur le marché national, plutôt qu’être sous la menace du gendarme européen de la concurrence en cas de nécessité de réduire ses exportations, comme ce fut le cas en janvier 2023, comme le rapporte Energynews.

C’est ainsi que nos 2 modèles européens de mix électrique décarboné souhaitent désormais se replier sur le réseau nordique en se déconnectant du reste de l’Europe gangréné par une part jugée excessive d’intermittence éolienne.  

Le 13 décembre, le journal allemand Bild rapportait la colère de la ministre suédoise et précisait sa condamnation de la sortie allemande du nucléaire qui a affecté sa compétitivité, ce qui est son droit, mais « a des conséquences très graves, y compris sur la compétitivité de l'UE ».

La fuite en avant allemande

Fin 2024, l’Allemagne dispose en de 168 GW éolien/solaire installés. Pour comparaison, notre parc nucléaire représente 61,3 GW. Le scénario de référence de l’institut Fraunhofer prévoit 779 GW éolien/solaire à horizon 2045, soit une augmentation de 460%.

Après ces prises de distance nordiques avec la politique de Berlin, la question est désormais de savoir combien d’États l’Allemagne va entraîner avec elle dans les conséquences de sa fuite en avant.

A moins que le probable futur chancelier, Friedrich Merz, favorable au redémarrage des réacteurs nucléaires, ne s’appuie sur les coûts dénoncés par le dernier rapport de la Cour fédérale des comptes et sur l’opposition croissante de la population à la politique énergétique du pays, pour mettre un terme à sa course folle.

Ce qui serait assurément une bonne nouvelle pour la France, dont le statut de plus gros exportateur mondial d’électricité requiert des interconnexions avec ses voisins, mais dont les énergies intermittentes européennes cannibalisent la valeur de sa production.

lundi 9 décembre 2024

Sécurité énergétique et CO2 : les grands oubliés de la PPE3

 

Sécurité énergétique et CO2 : les grands oubliés de la PPE3

Jean Pierre Riou

Projet de PPE n°3 soumis à la concertation– Novembre 2024

Depuis 1990, la France a été 26 fois sur 33, 1er exportateur mondial d’électricité et dans le trio de tête chaque fois qu’elle ne l’était pas.

A l’exception de l’année 2022, où son solde fut même importateur. Le 4 avril 2022, elle a notamment frôlé la rupture d’approvisionnement pour n’avoir tiré aucun enseignement de son pic de consommation du 8 février 2012, malgré l’avertissement de l’ASN qui l’exhortait depuis 2007 à renouveler son parc pilotable. A l'époque, son parc pilotable était pourtant de 117,7 GW contre 106,1 aujourd'hui, selon RTE.

En regard des nouvelles capacités nucléaires prévues dans le projet de PPE3 et dont il a été jugé qu’on ne pourra pas se passer malgré leur sous-emploi programmé, se posent désormais les questions du coût, du risque et de l’intérêt de l'objectif décliné p 125 : « Faire évoluer le réseau électrique pour intégrer une part grandissante de production non pilotable »

Sécurité du réseau

Car aucune mention n’y est faite de la façon d’éviter l’écroulement du réseau en raison de la diminution de l’inertie liée à la part grandissante de ces énergies non pilotables. Le rapport se contente d’une allusion, en bas de page 105, au rapport de RTE sur le sujet.

Dans celui-ci, les compensateurs synchrones représentent l’alternative la mieux maitrisée à la nécessité incontournable de répondre à la diminution de l’inertie conférée par la rotation synchrone des turboalternateurs des centrales conventionnelles. Le document RTE prévoit (figure 7.57 p 347) un coût annuel pouvant atteindre 900 millions d’euros pour l’éventualité de leur installation sur le réseau, même en cas de forte proportion nucléaire, en prévision des épisodes où les réacteurs devraient s’effacer devant les énergies renouvelables intermittentes (EnRi). Ce rapport RTE prévoit la nécessité de 150 GWs à horizon 2060.

Or ce chiffre doit être comparé avec celui réclamé par le gestionnaire du réseau Européen ENTSO-E dans son avertissement de 2021, dans lequel il préconisait un besoin croissant d’une telle inertie cinétique additionnelle s’élevant à 2500 GWs en 2040 pour éviter le risque d’un blackout à l’échelle du continent.

En 2023, La France a produit 494,7 TWh sur les 2697 TWh consommés en Europe, soit 18,3% de la totalité. Ce qui semble correspondre davantage à un besoin de 450 GWs en 2040 que les 150 GWs  de RTE en 2060, pour éviter l’écroulement du réseau en cas de fortes productions d’EnRi lors desquelles le nucléaire devra s’effacer. La Grande Bretagne en a fait l’amère expérience lors de son record éolien de 2019 où le réseau s’est écroulé au moment précis où son gestionnaire National Grid ESO annonçait fièrement « It’s wind o’clock ».

Mutualisation des risques par les importations

Selon le rapport p 107, les conditions récentes ont été favorables en raison de la baisse de la consommation à partir de la fin 2022, de bonnes conditions météorologiques et l’apport des interconnexions ont permis d’éviter le recours à des mesures de délestage.

Dix ans de retour d’expérience auraient dû montrer que la disponibilité de ces interconnexions est inversement proportionnelle aux surplus de production non pilotable et qu’elle tend à diminuer malgré les investissements destinés à les renforcer.

En effet, la France a connu 2 alertes majeures en 10 ans pour répondre aux pointes de sa consommation : le 8 février 2012 à 19 h et le 4 avril 2022 à 8 h. Or, malgré de lourds investissements dans ces interconnexions, la disponibilité de la capacité d’importation aura été inférieure le 8 avril 2022 à 8 heures, avec 3597 MW de capacité d’import disponible depuis la Belgique et l’Allemagne, pour une capacité totale de 15 720 MW, que les 4352 GW du 8 février 2012 à 19 heures où la France établissait son record de consommation, jamais battu depuis, avec 102 098 MW.



(Source RTE https://www.rte-france.com/eco2mix/les-echanges-commerciaux-aux-frontieres# )

Risque d’effondrement des EnRi

Lors de cette pointe du 8 février, toute production solaire avait disparu, et l’éolien ne contribuait que de façon anecdotique avec 1762 MW.

L’Allemagne vient de montrer que cette contribution peut être bien inférieure en cas de besoin le 6 novembre 2024, où toute sa production éolienne s’est  brutalement effondrée en fournissant moins de 1 GW pendant plus de 30 heures, tombant même à 78,5 MW à 17h30, soit 0,1% des 71920 MW éoliens installés.

Sécurité d’approvisionnement,

Pour passer les pointes de consommation, lors desquelles quasiment aucune puissance d’EnRi n’est garantie, la PPE3 évoque la flexibilité pour éluder la question sans même chiffrer la pointe attendue avec notamment un dispositif qui permet de réduire autoritairement la puissance délivrée en pareil cas.

Le rapport rappelle, p 106, le critère de sécurité d’approvisionnement imposé par le code de l’énergie. Ce critère limite à 3 heures la durée permise de défaillance du système. Par « défaillance » la loi entend aussi bien la nécessité de délestage que de l’appel aux gestes citoyens. Le rapport PPE3 en conclut la nécessité d’une remise en cause de ce critère qu’il propose d’ « enrichir » (sic) pour permettre le développement de réductions autoritaires de puissance « via le compteur Linky sur les périodes de pointes de la consommation d’un jour ouvré (6h30-13h30 et 17h30-20h30), durant un laps de temps restreint pour chaque client (2h maximum), par roulement. »

Ce qui revient à supprimer les fusibles de peur du court circuit annoncé.

Coûts réseau

Le rapport évoque les 580 milliards d’euros d’investissements supplémentaires dans les réseaux européens d’ici à 2030 permettant d’introduire cette part grandissante de production non pilotable, et montre leur caractère exponentiel. Il se réfère aux « Éléments de prospective à 2050 », dans lesquels Enedis expose clairement le fait que « Le coût d’adaptation du réseau à ces transformations dépend du taux de pénétration des énergies renouvelables dans le mix de production », notamment  « entre 1,5 et 2 milliards par an pour le raccordement de nouvelles installations selon le scénario de « continuité ». Le rapport chiffre les investissements d’Enedis à 4,4 Md€/an en 2022 (p 123) et 100 Md€ pour RTE à horizon 2040 sur cette même page.

 

RTE prévoit en effet dans son schéma directeur 2024 (SDDR2024), l’explosion de ces coûts sur le réseau de transport pour l’intégration des EnRi, selon la trajectoire prévue, comme l’illustre la reproduction de la figure ci-dessous, dans laquelle le renouvellement des lignes représente une portion congrue.

Soit plus de 1 Md€ pour le réseau de transport en 2024 hors renouvellement



Source RTE https://assets.rte-france.com/prod/public/2024-03/SDDR2024-Consultation-Publique-doc-A.pdf.

Dès aujourd’hui, l’ensemble de ces coûts consacrés à l’intégration des EnRi dépasse ainsi largement 2,5 Md€ annuels.  Rapporté aux 72 TWh éolien-solaire produits en 2023, ces coûts annuels  correspondent ainsi à 34,5 €/MWh produit. Sans même évoquer le coût des compensateurs synchrones décrits plus haut.

Notons que cette charge que chaque MWh intermittent fait ainsi peser sur les réseaux électrique n’apparait pour autant ni dans les coûts complets, ni dans les coûts marginaux des EnRi, pour la raison que la société a décidé de les payer pour elle. Notamment dans le cadre de la renégociation des appels d’offre d’éolien en mer, où la loi ESOC a même fait porter à RTE le coût d’un raccordement initialement prévu à la charge des exploitants. D’ici 2035, RTE chiffre à 7 Md€ le coût de raccordement de l’éolien en mer prévu.

Et le CO2 dans tout ça ?

Cette PPE prévoit, p 77, une production thermique fossile de 31,5 TWh en 2030 … contre 32,6 TWh en 2023 selon le dernier bilan RTE (et notamment 27 TWh en 2014). Et ce n’est assurément pas l’effacement programmé du nucléaire (3,7 gCO2/kWh) devant l’éolien (14,1 gCO2/kWh) ou le solaire (43,9 gCO2/kWh) qui pourrait conférer une vertu climatique à cette PPE.

Notons pour finir que les fiches thématiques de Cette PPE3 mentionnent (p 33) les émissions de CO2 du nucléaire en se référant au GIEC qui donne une fourchette comprise entre 3,7 g et 110 g, avec une valeur médiane de 12 g CO2/kWh, et précisent que la PPE2 avait retenu ces 12 grammes.  La fiche PPE3 se contentant d’évoquer le fait que « certaines études à l’échelle de la France conduisent à des niveaux inférieurs à 12 grammes ». Alors que les 3,7 grammes sont officiellement reconnus par la base empreinte de l’ADEME.

samedi 23 novembre 2024

Perseverare diabolicum

 

Perseverare diabolicum

A l’instar du développement des énergies renouvelables, l’échec cuisant de l’ARENH illustre la difficulté de se sortir d’un bourbier qu’on a soi-même créé de toutes pièces

Jean Pierre Riou

Pour respecter les règlements de la Commission européenne, la loi du 7 décembre 2010 (NOME) a créé l’obligation pour EDF de vendre le quart de sa production nucléaire  à un tarif avantageux, sous forme d’un « accès régulé au nucléaire historique » (ARENH)  au tarif de 42 €/MWh, afin de stimuler l’essor d’une concurrence, alors quasi-inexistante, afin de lui  permettre d’investir dans ses propres moyens de production.

Quinze ans plus tard, l’incitation aux investissements des fournisseurs alternatifs est un échec cuisant pour n’avoir pas respecté les injonctions de l’Autorité de la concurrence, et les 42 €/MWh sont toujours en attente du décret prévu par la loi pour en calculer la revalorisation.

 

Une « rente nucléaire » qui dérange

 

En 2010, le parc nucléaire d’EDF, déjà amorti financièrement, lui conférait un avantage considérable sur sa concurrence encore quasi inexistante, avec à peine plus de 10 GW sur un total de 135 GW exploités sur le territoire par EDF. Cet avantage, alors nommé « rente nucléaire » fut convoité par le gouvernement Ayrault qui proposa en 2013 de la détourner au bénéfice du financement des énergies renouvelables, au lieu de permettre à EDF d’affecter le fruit de ses investissements passés dans le renouvellement de son parc.

L’esprit ARENH : un dispositif transitoire et dégressif

En 2014, l’Autorité de la concurrence rappelait  «  La durée du dispositif, près de 15 ans, ne doit pas conduire à en minimiser le caractère transitoire. En effet, cette durée, qui doit permettre l’adaptation du parc de production des concurrents d’EDF, ne paraît pas excessive au regard du temps nécessaire aux investissements importants qu’impose cette activité économique très capitalistique. Dès lors que le caractère transitoire de l’ARENH est inscrit dans la loi, il est essentiel de préparer son extinction. Dans son avis de 2010, l’Autorité insistait sur ce point en indiquant qu’il était important « que la période de régulation intègre dans son déroulement une sortie progressive du mécanisme administré d’approvisionnement mis en place, afin de revenir par étapes aux conditions d’approvisionnement d’un marché normal. » L’objectif est d’obliger les fournisseurs à se

préparer à l’échéance du 31 décembre 2025, à laquelle ils ne pourront plus se procurer de l’électricité à des conditions de prix et de volumes hors marché. À défaut, une pression forte existerait de la part de fournisseurs pour obtenir une reconduction ou une prolongation du dispositif (…), au terme de la période régulée. » (avis n°10-A-08 précité, points 58 et s.)

Dans ce but, l’Autorité avait recommandé d’inscrire dans la loi « une diminution progressive du plafond fixé pour le volume maximal d’électricité régulée, qui serait échelonnée sur la période de 15 ans ». L’article L. 336-2 du code de l’énergie, issu de la loi NOME, indique que : « Ce volume global maximal, qui demeure strictement proportionné aux objectifs poursuivis, ne peut excéder 100 térawatt heures par an.»

Un tarif réexaminé chaque année

L’article L 337-14 du code de l’énergie prévoit que « Afin d'assurer une juste rémunération à Electricité de France, le prix, réexaminé chaque année, est représentatif des conditions économiques de production d'électricité par les centrales nucléaires mentionnées à l'article L. 336-2 sur la durée du dispositif mentionnée à l'article L. 336-8. »

 

Qui tient compte de l'addition : 

« 1° D'une rémunération des capitaux prenant en compte la nature de l'activité ;

2° Des coûts d'exploitation ;

3° Des coûts des investissements de maintenance ou nécessaires à l'extension de la durée de l'autorisation d'exploitation ;

4° Des coûts prévisionnels liés aux charges pesant à long terme sur les exploitants d'installations nucléaires de base mentionnées à l'article L594-1 du code de l'environnement »

 

C'est-à-dire une évaluation « de manière prudente, les charges de démantèlement de leurs installations ou, pour leurs installations de stockage de déchets radioactifs, leurs charges de fermeture, d'entretien et de surveillance. Ils évaluent, de la même manière, en prenant notamment en compte l'évaluation fixée en application de l'article L. 542-12, les charges de gestion de leurs combustibles usés et déchets radioactifs, et les charges de transport hors site ».

 

Le dérapage des volumes

 

La CRE en dresse un bilan qui fait état de 60,8 TWh d’ARENH en 2012, l’introduction d’un volume supplémentaire, à partir de 2014 destiné à couvrir les pertes des gestionnaires de réseaux, et, après une année 2016 sans la moindre demande en raison du prix du marché qui lui était inférieur,  une augmentation progressive du volume jusqu’à 122,9 TWh en 2024.

Le cas 2022 :

 En 2022, la production nucléaire est tombée à 279 TWh en raison des nombreux arrêts préventifs de réacteurs liés au problème de corrosion sous contrainte. Cette conjoncture exceptionnelle a entraîné un solde importateur net d’électricité pour la première fois depuis au moins 1990. Cette pénurie s’est accompagnée d’une hausse considérable de demande d’ARENH qui n’ont pas pu être toutes satisfaites, mais se sont accompagnées de l’allocation de 20 TWh supplémentaires au prix de 46,2 €/MWh. », soit un total selon la CRE de 151 TWh d’ARENH en 2022, soit bien plus de la moitié de la production nucléaire d’EDF cette année là.

 

Un manque à gagner pour EDF

 

Il est édifiant de calculer le manque à gagner par rapport à l’évaluation de la Cre qui considérait que « Le prix spot base moyen pour l’année 2022 a connu une hausse exceptionnelle par rapport à 2021 pour s’établir à 275,9 /MWh en moyenne sur l’année ». En cédant 151 TWh ARENH à vil prix, c’est en effet à une hauteur de pas moins de 34 milliards d’euros qu’EDF aura ainsi contribué malgré lui au bouclier tarifaire. De son côté, EDF confirme dans son rapport d’activité 2022 « Le recul de la production nucléaire, essentiellement lié aux contrôles et réparations de la corrosion sous contrainte, a un impact estimé à - 29 137 millions d’euros en EBE (1), compte tenu des achats rendus nécessaires dans un contexte de prix de marché très élevés. »

(1)    Versus - 32 Mds€ publiés dans le CP du 27 octobre 2022 sur la base des prix à terme au 7 octobre 2022 qui ont fortement baissé depuis )

 

L’étonnante raison de la stagnation à  42€/MWh

 

Dans sa délibération du 10 février 2022 la CRE déclare :

« Depuis l'année de livraison 2012, le prix auquel EDF cède les volumes d'électricité nucléaire au titre de l'ARENH s'établit à 42 €/MWh, tel que prévu par l'arrêté des ministres en charge de l'économie et en charge de l'énergie du 17 mai 2011.
La définition d'une méthodologie de calcul du prix rendue possible par l'
article L. 337-15 du code de l'énergie n'ayant jamais été précisée, la CRE ne dispose d'aucune référence méthodologique règlementaire sur laquelle fonder son objectivation des facteurs justifiant une évolution du prix de l'ARENH. »

En effet, cet article renvoie à Article L336-10 qui stipule :

« Un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission de régulation de l'énergie, précise les conditions d'application du présent chapitre, notamment : […] 2° Les conditions dans lesquelles la Commission de régulation de l'énergie calcule et notifie les volumes et propose les conditions d'achat de l'électricité cédée dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique en application du présent chapitre et les conditions dans lesquelles les ministres chargés de l'économie et de l'énergie arrêtent ces conditions d'achat. »

Un décret jamais paru

En décembre 2017, la Cour des Comptes en dévoilait l’explication en écrivant : « La loi prévoit qu’un décret détermine les modalités de calcul du prix de l’ARENH (article L. 337-15 du code de l’énergie). Le projet de décret, élaboré en 2014 par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), a fait l’objet d’échanges avec la Commission européenne. Ces échanges n’ont pas abouti à une solution acceptée par les deux parties sur le mode de calcul. Le projet n’a pas été modifié et le décret n’est jamais paru. Le prix de l’ARENH qui doit, d’après les dispositions de l’article L.337-14 du même code, être révisé chaque année, est inchangé à 42 €/MWh depuis 2012 ».

Ce décret aurait dû permettre, à minima, la révision annuelle de son tarif, pour tenir compte delà la simple inflation qui aurait dû porter à 52 € 2024, selon France-inflation.com, le tarif ARENH 2012 de 42 €/MWh, mais aussi de la flambée du cours du MWh en 2022 et des charges supplémentaires d’EDF liées au durcissement des normes de sûreté.

 

L’échec cuisant de l’ARENH

 

Par delà ce gel étonnant, il importe de constater les conséquences de l’absence totale de la dégressivité du mécanisme pourtant prévue. Le Rapport parlementaire 1695 de 2023 est accablant pour l’ARENH qui, au lieu d’encourager de nouveaux investissements, « met en péril la souveraineté énergétique de la France en freinant les investissements nécessaires à sa sécurité d’approvisionnement électrique. » et précise « Non seulement l’ARENH n’a pas incité les fournisseurs alternatifs à développer de moyens de production qui leur sont propres, mais en plus ce dispositif a pénalisé les investissements d’EDF par le manque à gagner et l’endettement ». Et confirme ce point en citant la Cour des comptes : « les investissements des fournisseurs alternatifs dans des moyens de production de base sont inexistants et aucun contrat de long terme n’a permis à ces derniers de préparer la fin de l’ARENH après 2025 ». Déplorant les allers-retours des fournisseurs alternatifs  entre ARENH et marché selon les fluctuations de ce dernier leur permettant des offres alléchantes à de nouveaux clients qu’ils abandonnent en disparaissant quand le marché leur est défavorable, sans avoir investi quoi que ce soit dans le système.

Le rapport cite le commentaire accablant de l’ancien PDG d’EDF H. Proglio : « Pour un industriel, l’idée même d’accepter de céder sa propre production à ses concurrents virtuels, qui n’ont eux-mêmes aucune obligation de production, est surréaliste. Nous avons fait la fortune de traders, non d’industriels »

Quand l’EDF d’avant était en avance d’un temps

Désormais le dos au mur, il est difficile d’abandonner en rase campagne la myriade de fournisseurs alternatifs inutiles et leurs millions de clients en avouant qu’on s’est trompé. Et c’est désormais la fuite en avant de quinze nouvelles années d’ARENH qui se profile, pour le plus grand profit des traders, sans que les fournisseurs alternatifs n’aient de raison supplémentaire d’investir, en se contentant de priver EDF de ses moyens de le faire.

 On trouvera alors d'autres justifications pour justifier le mécanisme de l'ARENH, ainsi qu'on évoque désormais l'urgence de répondre aux besoin d'électrification pour justifier celui du développement des EnRi, dont l'objectif premier était de sécuriser le système électrique, baisser les coûts et réduire l'impact sur l'environnement.

Comment ne pas évoquer, une fois encore, la vision de Marcel Boiteux dans Futuribles  : « Mais, après qu’à travers les siècles le pouvoir des plus riches l’ait peu à peu emporté sur celui des plus forts ne peut-on penser qu’un jour viendra où le pouvoir de l’argent sera lui-même sublimé par une forme de pouvoir dont les motivations seront plus élaborées ? […] là où monopoles naturels et coûts de transaction prévalent, réapparaîtront des entreprises publiques chargées efficacement des missions que le système du marché permet mal de remplir. 

 Alors l’EDF d’avant aura été seulement en avance d’un temps ... »