mercredi 13 novembre 2024

Éoliennes et climat : posons nous au moins la question

 

Éoliennes et climat : posons nous au moins la question

Jean Pierre Riou

L’effet des éoliennes sur les vents

En août 2024, la revue SCIENCE&VIE  attirait l’attention sur les lacunes réglementaires relatives à l’implantation d’éoliennes qui privent les nouveaux parcs d’une part substantielle de l’énergie du vent et citait une étude qui compilait les différentes données sur le sujet.

Conscient de l’ampleur du phénomène, l’énergéticien allemand RWE a mené une étude conjointe avec l’expert en management du risque environnemental DNV afin d’évaluer ses pertes d’exploitation induites par la présence d’autres grands parcs éoliens lors de toute nouvelle implantation d’éoliennes en mer.

Les résultats préliminaires, publiés le 10 mars 2023, font état d’une réduction substantielle du rendement énergétique provoquée par les clusters éoliens à plusieurs dizaines de km et dont l’effet de sillage reste sensible jusqu’à des distances de 200 km et plus.

L’avis du CNRS

En 2014, le CNRS avait publié un avis sur l’impact des éoliennes sur le climat, qui se fondait sur la modélisation des puissances installées et prévues en Europe. Son étude, publiée dans Nature communications , avait modélisé 3 scénarios de développement éolien, et s’appuyait notamment sur des tests en soufflerie.  Elle avait conclu que leurs effets seraient limités sur le climat et variables selon les régions.

Cette étude avait notamment été détaillée dans Économie Matin, qui jugeait  troublant d’y trouver la prévision d’un déficit de précipitations  dans le sud est de la France, (figure d), des canicules estivales dans la péninsule ibérique et au Maroc (figure b),  une douceur hivernale peu commune dans le nord de l’Europe (figure a) ainsi que des hivers plus froids dans le sud est européen.

Dans son avis, le CNRS avait conclu « Dans ce contexte, il est nécessaire de produire de nouvelles études utilisant d’autres modèles et différents scénarios de développement de production d’énergie éolienne pour déterminer précisément quelles seront les conséquences d’un déploiement encore plus massif de l’éolien à l’horizon 2050. Une question essentielle sera d’évaluer les effets d’un doublement voire d’un triplement des puissances étudiées ici, s’agissant de l’ordre de grandeur envisageable dans les quarante prochaines années ».

Cette étude considérait notamment que « toute la structure de la couche limite planétaire est affectée par la turbulence de sillage des turbines » (In fact, the whole structure of the planetary boundary layer is affected by turbine wake turbulence,) et  faisait état d'un réchauffement net de 0,7° par décennie dans les zones fortement couvertes d'éoliennes.

L’étude RWE-DNV évoquée plus haut montre que les effets des éoliennes modernes peuvent se propager bien plus loin qu’on ne l’imaginait alors. Le scénario de référence de l’institut Fraunhofer reproduit ci-dessous montre qu’il en va de même pour l’ampleur du développement envisagé.



 

L’augmentation de la taille des machines, de leur surface balayée et des objectifs de développement visés par l’Europe, semblent devoir exiger, en préalable, que cette nouvelle étude, réclamée par le CNRS voilà 10 ans, soit enfin menée.

samedi 9 novembre 2024

L’entêtement : une exception française

 

L’entêtement : une exception française

Jean Pierre Riou

Mis à jour le 11/11/2024

L’évolution de la production électrique européenne a amené son gestionnaire de réseau Entsoe à en identifier les 2 risques majeurs pour la sécurité de l’approvisionnement électrique :-

-          - L’augmentation de la part d’énergies renouvelables qui augmente les risques d’écroulement du réseau par manque d’inertie.

---      -    La diminution de la production renouvelable qui empêche alors de « couvrir la demande pendant les périodes de pénurie prolongées avec une très faible production d’énergie renouvelable variable (VRE), comme les semaines d’hiver sans vent ».

 

L’Allemagne vient de faire l’expérience de ce second paramètre avec le Dunkelflaute de novembre, ou période  sombre  et sans vent, qui fait grimper les prix de l’électricité dès que le froid arrive. La prudence allemande, développée dans cet article, y sera confrontée à l’exception européenne de l'entêtement français qui préfère s’appuyer sur les caprices du vent.

La prudence allemande

Le 6 novembre 2024, les éoliennes allemandes n’ont quasiment rien produit de la journée, tombant même à 44,2 MW, dont rien du tout pour l’éolien en mer à 14 heures, soit un facteur de charge de 0,06% pour les 71 720 MW éoliens installés en Allemagne.


Source : production électrique (éoliennes) institut Fraunhofer

Sa mise en route de moyens de pointe a porté le prix du MWh allemand à 820 € lors du pic de consommation, contre 128 €/MWh en France au même moment, la saturation des interconnexions leur interdisant alors d’importer davantage. Malgré le prix à payer ponctuellement, l’électricité a été fournie. Pour mémoire, le coût de l'énergie non distribuée mentionné à l'article L. 141-7 du code de l'énergie est fixé à 33 000 €/MWh.
Et le critère de sécurité d'approvisionnement du système électrique mentionné à l'article D. 141-12-6 du code de l'énergie est tel que :
- la durée moyenne de défaillance annuelle est inférieure à trois heures ; et
- la durée moyenne de recours au délestage pour des raisons d'équilibre offre-demande est inférieure à deux heures.

Pour répondre au défi de telles pannes de vent, l’Allemagne a fait le choix d’entretenir un doublon pilotable de centrales thermiques, essentiellement à gaz, dont les scénarios à long terme n’ont pas prévu de se passer, pour faire face à l’électrification programmée des usages. L’illustration de l’évolution du parc thermique envisagée dans le scénario de référence de l’institut Fraunhofer, ci-dessous, est édifiante sur ce point, malgré l’augmentation prévue, dans ce même scénario de 525% du parc renouvelable.


Source : scénario de référence institut Fraunhofer

L’entêtement français

Pour éviter des coupures, voire des blackouts lors de telles périodes critiques, la France a mis en place, en janvier 2017, un mécanisme unique en Europe en créant un marché de capacités. En octobre 2021, la CRE constatait cependant que les bénéfices de ce mécanisme pour la collectivité, mis en évidence par le retour d’expérience, se fait « au prix d’un transfert financier important des consommateurs vers les exploitants de capacités ». 

Ce mécanisme donne obligation à tous les fournisseurs de disposer de certificats de capacité établissant leur aptitude à répondre aux besoins de leurs clients.

RTE tient le registre du niveau de capacité certifié (NCC). En toute logique, on y trouve 1614,3 MW de charbon sur les 1800 installés, valorisant ainsi une capacité de secours dont le facteur de charge n’était que de 5% sur l’année 2023 avec une production de 0,8 TWh, mais dont la disponibilité quasi intégrale est garantie toute l’année, ainsi que l’illustre ci-dessous le site RTE de ces données en temps réel.


.On trouve également dans le registre de certification celle de 3560,9 MW d’effacement, de 713,5 MW de batteries, ainsi que la quasi-totalité de celle des turbines à combustion, soit 1799,6 MW sur les 2 GW installés, dont 1,4 au fioul, selon le bilan RTE 2023, qui précise que ces dernières, dont le recours d’« extrême pointe » est indispensable pour passer les périodes critiques, ne seront pas autorisées à produire davantage que l’équivalent de 400 heures par an pleine puissance dès 2025. D’où la nécessité de leur valorisation par le mécanisme de capacité dont le coût est répercuté sur le consommateur.

L’invité surprise

Mais il est plus étonnant d’y trouver la certification de capacité de 3833,7 MW éoliens terrestre et 159,2 MW en mer, soit 3992,9 MW certifiés sur un total de 23273 MW installés, qui représentent 17,1 % de leur puissance totale, ainsi que l’illustre le registre de RTE reproduit ci-dessous.



 

L’usine à gaz

RTE a participé à l’élaboration d’une fiche pédagogique expliquant le mécanisme financier de certification, qui fait obligation au portefeuille de tout fournisseur de détenir autant de MWh de capacité à la pointe qu’il ne consomme de MWh à la pointe. De plus, le gestionnaire de réseau de distribution (GRD) a l’obligation de conclure un contrat avec chaque entité de certification (EDC), c'est-à-dire notamment tout parc éolien raccordé à son réseau.

 Un régime dérogatoire fait exception au régime générique, qui se fait certifier par la « méthode de calcul sur le réalisé », tandis que les capacités soumises  au régime dérogatoire sont « les capacités des filières solaire ou éolien (OA ou non), dont la source d’énergie primaire est soumise à un aléa météorologique conférant un caractère fatal  à la production. »

Leur capacité est évaluée par la méthode normative, c'est-à-dire : qui se dispense de toute collecte de données sur la capacité effectivement réalisée. Des coefficients spécifiques aux filières étant utilisés pour l’évaluation du Niveau de Capacité Certifié (NCC), en méthode normative.

L’illustration ci-dessous n’est destinée qu’à montrer le parcours du combattant destiné notamment à valoriser le développement des capacités certifiées des éoliennes lors des prochaines périodes critiques, qui seront structurellement sans vent.



Prime unitaire de gestion

Cette usine à gaz a pourtant un coût, porté par le consommateur, dont le prix à payer à chaque étape de cette certification. Laquelle est compensée pour le producteur par une prime unitaire de gestion , qui est « représentative des coûts supportés par le producteur pour valoriser sa production sur les marchés de l'énergie et de capacité ». L’arrêté tarifaire du 6 mai 2017 pour l’éolien prévoit une prime unitaire de gestion de 2,8 €/MWh.

Cette usine à gaz, vient s’ajouter aux différents autres mécanismes décrits dans l’article « Pourquoi il est urgent de dégraisser le mammouth ».

Et fait regretter la grande époque du quasi-monopole d’État de EDF, libre d’opter pour les solutions qui lui semblaient les plus efficaces.

L’excédent français

La France est premier exportateur mondial d’électricité quasiment chaque année depuis 1990, tandis que sa consommation affiche une baisse structurelle qui accuse, en 2023, la plus basse consommation brute jamais enregistrée depuis 2004. Même en corrigeant ces chiffres pour en supprimer les effets du réchauffement des températures sur la baisse de la consommation, ainsi que l’illustre ci-dessous le bilan 2023 de RTE.



Ce n’est pas pour autant que le parc de production est capable d’affronter une vague de grand froid sans devoir recourir aux importations, dont la disponibilité est elle-même tributaire de celle des interconnexions. Mais cela ne justifie alors que le soutien public de la disponibilité des moyens de production pilotables d’extrême pointe.

Car ce mécanisme a un coût.

La CRE évalue régulièrement le prix plafond de négociation de ces capacités certifiées. En 2021, elle le fixait à 60 000 €/MWh pour 2023 et 2024.

EDF a publié un éclairage sur leurs enchères. Celles-ci connaissent une baisse tendancielle des cours et un maximum de 35,37 €/kW pour les livraisons en 2024. (35 379 €/MW). On peut se demander la raison d’une telle valorisation des MW éoliens installés dont les parcs ainsi rémunérés sont susceptibles de ne rien produire du tout au moment des pointes de consommation.

Annus horribilis

L'année 2022 fait exception dans l'histoire de notre parc de production qui, pour la première fois depuis 1990, a connu un solde import net d'électricité. Le 4 avril, le marché français atteignait le plafond autorisé de 3000 €/MWh, entraînant ainsi automatiquement son relèvement à 4000 €. Ce nouveau plafond de 4000 euros a d’ailleurs été atteint dans les pays baltes, faisant déjà annoncer son relèvement automatique à 5000 euros le 20 septembre 2022.

Mais ce 4 avril, les interconnexions étaient saturées par les loop flows allemands qui transitaient sur notre réseau, selon le rapport de la CRE qui expliquait « Les capacités d’import de la la France sont plus limitées en cas de forte production éolienne en Allemagne » et relevait seulement 3597 MW de capacité d’import disponible depuis la Belgique et l’Allemagne, le 4 avril à 8 heures, contre une capacité moyenne disponible de 8364 MW.

Dès lors, RTE avait dû faire appel au coûteux mécanisme d’ajustement, avec des offres d’activation jusqu’à 3512 €/MWh qui dépassaient ainsi le plafond du marché.


Notons que l'offre la moins chère correspond en toute logique au cours exact du marché et que la plus chère le dépasse largement, mais sans se répercuter sur le marché qui était alors plafonné à 3000 €/MWh.

Malgré son coût, ce dispositif a permis d’éviter des délestages dont le prix de l’électricité non distribuée est évalué à 33 000 €/MWh, celui-ci correspondant, selon la définition de la CRE, à «  la valeur des pertes économiques subies par les consommateurs lors des coupures d’électricité ».

 

La question n’est d’ailleurs même plus de savoir ce qu’on aurait pu faire de plus rationnel avec cet argent des contribuables-consommateurs que subventionner à l'avance les éoliennes pour le secours qu'elles seront supposées rendre en pareil cas, mais de chiffrer les coûts que l’entêtement dans cette fuite en avant induit sur les réseaux, ainsi que sur la rentabilité des moyens pilotables décarbonés tels que le nucléaire ou l'hydraulique.