Energiewende : une « situation absolument merdique ».
La fin d'un modèle
Jean Pierre Riou
L’Allemagne vient de montrer qu’en cas de besoin, on ne pouvait pas compter sur la moindre production renouvelable. Le 6 novembre 2024, toute sa production éolienne s’est brutalement effondrée en fournissant moins de 1 GW pendant plus de 30 heures, tombant même à 78,5 MW à 17h30, soit 0,1% des 71920 MW éoliens installés. La même situation vient de se reproduire à peine un mois plus tard le 12 décembre entrainant une fois encore l’explosion du marché spot avec 936,28 €/MWh à 17 heures, et mettant à nouveau son industrie en difficulté. Ces pénuries alternent avec des surproductions aléatoires qui font écrouler le prix du marché et multiplient même des épisodes de prix négatifs.
Le site de l’institut Fraunhofer illustre ci-dessous cette situation avec la semaine du 9 décembre où les prix, en rouge ont frôlé les 1000 €/MWh lors de la panne quasi-totale de vent et de soleil (dunkelflaute) du milieu de semaine et terminent la semaine à 0€/MWh le dimanche à 23h30 quand l’éolien dépasse 46 GW au moment où on en a le moins besoin.
Cette instabilité enchérit le prix de l’électricité, ce dont les industriels allemands s’inquiètent depuis plusieurs années et menacent même de quitter le pays. Selon Bloomberg, l'économie allemande aurait en effet atteint un point de non retour et appauvrit chaque foyer en s'écroulant de façon désormais "irréversible" au moment où l'Europe aurait le plus besoin d'elle. L'augmentation du coût de l'énergie en serait la principale raison. Pour survivre, cette politique énergétique repose sur le développement (ruineux) des interconnexions pour valoriser l'augmentation exponentielle de sa production d’énergies intermittentes.
Depuis 2021, Nordlink lui permet notamment une interconnexion directe de 1400 MW en courant continu avec la Norvège dans le double objectif d’exporter ces excédents et d’être alimenté par l’hydraulique norvégien quand le vent se fait rare. Le Baltic cable relie également l’Allemagne à la Suède, elle-même connectée avec le Danemark et la Norvège au sein du Nordic Grid System.
Quand la Norvège siffle la fin de la partie
Cette situation vient d’être dénoncée par le ministre norvégien de l’énergie, Terje Aasland, affirmant sa volonté de couper ces interconnexions avec l’Allemagne, dont l’instabilité du marché entraîne une « situation absolument merdique » en Norvège, selon ses propos rapportés par le Financial Times.
Les raisons de sa colère ont été détaillées dans le journal OilPrice, leader de l'information sur toutes les formes d'énergie.
Éclairant le fait que les réservoirs hydrauliques norvégiens, qui étaient alors pleins avaient profité aux contrats avec le Danemark et l'Allemagne qui avaient anticipé une panne de vent et que la Norvège avait été touchée de plein fouet par l'envolée du cours du MWh lié au démarrage des centrales allemandes les plus coûteuses, alors qu'elle ne subissait aucune vague de froid.
On comprend que « situation absolument merdique » était un euphémisme.
Pour cette même raison, son partenaire, le parti du Centre, réclame depuis longtemps la fin de la connexion avec le Danemark et souhaite renégocier les interconnexions existantes avec le Royaume-Uni et l'Allemagne, dont les surproductions pénalisent la rentabilité des moyens de production nationaux, tandis que ses pannes de vent font exploser les cours. Selon le media polonais Visegrad 24, les responsables politiques régionaux de tout bord exhortent le gouvernement à ne pas renouveler les liaisons Skagerrak 1 et 2 (500 MW), mises en service respectivement en 1976 et 1977, qui atteindront la fin de leur durée de vie en 2026 et 2027.
Imitée par la Suède qui ne suit pas l’avis de son gestionnaire de réseau
Le 12 décembre, la ministre suédoise de l’énergie, Ebba Busch, a vigoureusement condamné l’abandon du nucléaire par l’Allemagne qu’elle juge responsable de la crise énergétique que traverse l’Europe, et notamment la Suède, où le cours vient d’être190 fois supérieur dans le sud directement connecté à l’Allemagne que dans le reste du pays, en raison de la dernière panne de vent Outre-Rhin. En juin dernier, elle avait déjà refusé d’autoriser le projet d’une nouvelle interconnexion entre le sud de la Suède et l’Allemagne. Les gestionnaires du réseau Svenska Kraftnat et 50Hertz encourageaient pourtant ce projet pour faire « bénéficier » le pays des surproductions éoliennes allemandes. Mais le gouvernement suédois a considéré que le marché allemand ne «fonctionne pas de manière efficace » et s’y est opposé pour éviter que la même instabilité se propage à la Suède en entraînant des surcoûts pour le consommateur.
La prise de distance avec l’Europe
En mars 2023, la Norvège avait déjà refusé une interconnexion avec l’Écosse, par le projet NorthConnect préférant utiliser son énergie pour bâtir son industrie et maintenir des prix compétitifs sur le marché national, plutôt qu’être sous la menace du gendarme européen de la concurrence en cas de nécessité de réduire ses exportations, comme ce fut le cas en janvier 2023, comme le rapporte Energynews.
C’est ainsi que nos 2 modèles européens de mix électrique décarboné souhaitent désormais se replier sur le réseau nordique en se déconnectant du reste de l’Europe gangréné par une part jugée excessive d’intermittence éolienne.
Le 13 décembre, le journal allemand Bild rapportait la colère de la ministre suédoise et précisait sa condamnation de la sortie allemande du nucléaire qui a affecté sa compétitivité, ce qui est son droit, mais « a des conséquences très graves, y compris sur la compétitivité de l'UE ».
La fuite en avant allemande
Fin 2024, l’Allemagne dispose en de 168 GW éolien/solaire installés. Pour comparaison, notre parc nucléaire représente 61,3 GW. Le scénario de référence de l’institut Fraunhofer prévoit 779 GW éolien/solaire à horizon 2045, soit une augmentation de 460%.
Après ces prises de distance nordiques avec la politique de Berlin, la question est désormais de savoir combien d’États l’Allemagne va entraîner avec elle dans les conséquences de sa fuite en avant.
A moins que le probable futur chancelier, Friedrich Merz, favorable au redémarrage des réacteurs nucléaires, ne s’appuie sur les coûts dénoncés par le dernier rapport de la Cour fédérale des comptes et sur l’opposition croissante de la population à la politique énergétique du pays, pour mettre un terme à sa course folle.
Ce qui serait assurément une bonne nouvelle pour la France, dont le statut de plus gros exportateur mondial d’électricité requiert des interconnexions avec ses voisins, mais dont les énergies intermittentes européennes cannibalisent la valeur de sa production.