jeudi 22 mai 2025

L’échec de l’inertie synthétique

 

L’échec de l’inertie synthétique

Mortel crash test 

Jean Pierre Riou

Les causes du blackout ibérique du 28 avril demeurent inconnues. Si l’inertie synthétique destinée à remplacer celle des centrales conventionnelles, devait être mise en cause, les décès imputés à l’incident apparenteraient celui-ci à un mortel crash test des moyens mis en œuvre pour permettre l’intégration d’une large part d’énergies renouvelables (EnR). Car pour y parvenir, l’Espagne a mis l’accent sur les technologies de stockage innovant et de "grid forming"afin d’assumer sa situation de péninsule peu connectée à l’inertie des parcs voisins. Ce risque, au niveau européen, lié au manque de centrales conventionnelles avait été identifié à de nombreuses reprises par l’ENTSO-E dont le dernier avertissement date de janvier 2025, tandis que RTE concédait que des tests in situ n’avaient pas toujours pas évalué l’efficacité de cet erzats d’inertie qu'est l'inertie synthétique.

Pour n’être pas encore jugée responsable, la forte pénétration d’EnR n’en reste pas moins le principal suspect du blackout ibérique. Au nom de sa présomption d’innocence, la PPE3 prévoit d’accélérer en France le développement des EnR électriques intermittentes dont la viabilité repose sur l’inertie malgré la vraisemblance de sa responsabilité dans le mortel crash test d’avril, et la nécessité probable pour le réseau européen de devoir recourir encore longtemps à l’inertie de notre parc nucléaire.

 

Où il apparait que 1,3 + 0,8 <  2

 L’ENTSO-E ne s’est pas encore prononcée sur la responsabilité de l’inertie synthétique utilisée par l’Espagne pour respecter la constante d’inertie de 2 secondes qu’elle juge nécessaire pour stabiliser le réseau. Celle-ci n’était en effet que de 1,3 s au moment de l’incident, le reste étant assuré  par de l’inertie synthétique, tromperie sémantique dont l’efficacité n’a encore jamais été testée hors des démonstrateurs de laboratoires, ainsi que l’écrit RTE sur l’efficacité : « L’équipe R&D développe les outils permettant de qualifier cette stabilité et de tester, via des démonstrateurs sur site, les solutions envisagées comme  le « grid forming ». Nous avons réussi à démontrer la faisabilité théorique d’une telle adaptation, après des tests en laboratoire concluants, les équipes de R&D vont commencer des tests à l’échelle industrielle»

Le groupe d’investigation Lemur de l’université d’Oviedo  permet de connaître l’inertie du réseau au moment de l’incident, reproduite ci-dessous.





L'étude mentionne : « l’inertie synthétique aurait pu amener l’inertie totale au dessus des 2 s préconisées par l’ENTSO-E». En effet, les technologies de stockage et de stabilisation du réseau, notamment dans le sud ouest à l'origine des premières déconnexions, ne semblent pas disposer de la technologie de "Grid forming" nécessaire à fournir de l'inertie synthétique. L'efficacité de cette technologie n'ayant toujours pas été testée in situ selon RTE.

Le rapport de l’ENTSO-E dira donc s’il faut considérer le blackout ibérique comme un premier test grandeur réelle de la réalité de ses avertissements.

En tout état de cause, il semblerait que le mix espagnol tende vers davantage de machines tournantes depuis l’alerte du 28 avril.



Source https://www.linkedin.com/posts/jonas-kristiansen-n%C3%B8land-03207942_in-the-wake-of-europes-worst-blackout-spain-activity-7328737456210497536-Bq9x/

Et c’est le moment précis choisi par l’Allemagne pour se rapprocher de la France en levant son opposition au nucléaire, dernier rempart contre l’instabilité du réseau quand le soleil luit Outre-Rhin ou que le vent souffle sur la mer du Nord, ainsi que le mentionne le rapport ERCOT qui souligne la dépendance de la stabilité dynamique du réseau européen au charbon allemand et au nucléaire français.

En tout état de cause, les messages de sous fréquence émis par l'Allemagne sur l'instabilité du réseau semblent perdurer


 Source https://nrw.social/@RJ2Netzfrequenzinfodienst/114546669833220818


PPE3 : l'urgence d'attendre avant de fragiliser le système

La présomption d’innocence des EnR dans le blackout ibérique doit leur bénéficier tant que l’ENTSO-E n’aura pas rendu son rapport définitif. Ses conclusions permettront de dégager les préconisations permettant d’éviter le blackout de plus grande ampleur identifié dans son alerte de janvier 2025 sur les besoins urgents d’inertie. En tant que principale interconnexion avec la péninsule, et principal stabilisateur de la fréquence du réseau européen, le système électrique français verra le développement de son mix de production particulièrement concerné par ces préconisations.

Plus que jamais, il est urgent d’attendre avant de fragiliser davantage le système en développant de nouvelles EnR électriques en France.

Mise à jour du 22/05

En 2023, déjà, Red Eléctrica (REE) avait signalé à la Commission nationale des marchés et de la concurrence (CNMC) que le déploiement des nouvelles petites installations provoquait de « fortes tensions » sur le réseau de transport qui, à certains moments, dépassaient « les valeurs maximales admissibles », ce qui pouvait conduire au « découplage intempestif » de certaines centrales.

Et en novembre 2023 REE adoptait de nouvelles dispositions de contrôle de la tension en considérant notamment que « À certains moments, même lorsque tous les outils disponibles pour le contrôle de la tension ont été activés, les ressources n’ont pas été suffisantes pour garantir que les valeurs de tension se situent dans les marges admissibles établies(1).

(1) Incident du 24 juillet 2021 (https://www.entsoe.eu/news/2022/03/28/final-report-on-the-power-system-separation-of-iberia-from-continental-europe-on-24-july-2021/) »

En mai 2024, REE publiait une mise à jour des critères de sécurité du réseau destinée à faire face à ce nouveau défi d’intégration des EnR pour lequel le réseau n’était pas prévu.  Son analyse relevait la réduction progressive des générateurs synchrones des centrales conventionnelles, la variabilité de la production et l’engorgement du réseau de distribution qui n’était pas prévu pour évacuer des afflux aussi importants d’EnR qui y sont raccordées « ce qui peut provoquer un changement de criticité de certains nœuds traditionnellement destinés aux centres de transformation et à la demande d'approvisionnement, puisqu'ils peuvent devenir des nœuds d'évacuation de grandes quantités de production »

REE constatait également que « dans le système électrique actuel, qui repose en grande partie sur des générateurs synchrones, il peut y avoir des situations dans lesquelles les systèmes de protection ne parviennent pas à détecter correctement certains défauts, […] lorsque ces générateurs sont découplés. »

En janvier dernier, le gendarme de la concurrence CNMC alertait de la multiplication des épisodes de surtension sur le réseau espagnol qui entraînaient des déconnexions automatiques, notamment du réacteur nucléaire d’Almaraz ll.

La suite, on la connaît, quand bien même le rapport de l’ENTSO-E devait trouver d’autres coupables.

Mise à jour du 24/05

Le 12 février, le Congrès espagnol avait adopté une motion demandant au gouvernement de renoncer à la mise à l’arrêt prévue des sept tranches nucléaires espagnoles et de prolonger leur fonctionnement. Inquiètes des conséquences du blackout, les entreprises d'énergie renouvelables ont alerté de la fuite hors d'Espagne des millions d'euros de subventions pour leur filière qui résulterait d'une prolongation du parc nucléaire.

Dans un article du 23 mai, le Telegraph évoque la piste d'un test raté sur réseau qui aurait provoqué son écroulement par effet domino. Un test crucial en cette période charnière, un test destiné à montrer qu'on pouvait se passer du nucléaire. L'article fait le parallèle avec le test qui avait entraîné l'accident de Tchernobyl. Et l'article considère que c'est le gouvernement socialiste qui devrait être jugé pour ce fiasco.

Pour très hypothétique que soit cette piste, elle n'en reste pas moins emblématique du contexte du développement des EnR.

Le rôle de l'inertie dans la stabilité du réseau a été l'objet de controverse, le propos n'est pas d'en débattre ici. Mais simplement de s'appuyer sur l'avis de celui qui est chargé de le stabiliser. C'est à dire l'ENTSO-E, qui ne saurait être plus clair

 
 
Sachant que les GWs représentent la quantité d'énergie cinétique du système, et que plus la sous fréquence est importante et plus le risque est grand de déclenchement de sécurité d'unités de production qui aggravent cette sous fréquence par effet domino.

Mise à jour du 07/06/2025 

Le 6 juin, l'ENTSO-E publiait les premières données disponibles sur ce blackout

Et le 7 juin paraissait une analyse détaillée de l'événement dans la revue spécialisée BIC.

Celle-ci illustre notamment l'opposition de phase des oscillations du réseau qui étaient apparues dans la matinée entre Malaga en Espagne et Riga en Lettonie.

Selon l'article "Ces oscillations sont associées aux oscillations électromécaniques résultant des interactions entre les masses en rotation des générateurs synchrones, les systèmes d'excitation, les stabilisateurs de réseau (SRT) et les contrôleurs des convertisseurs électroniques de puissance". Sachant que « Il faut également tenir compte du potentiel d'instabilité lié au comportement des convertisseurs électroniques de puissance des générateurs éoliens et solaires photovoltaïques, qui peuvent osciller entre eux. » 

C'est dans ce contexte qu'une première source de production s'est déconnectée pour une cause encore inconnue dans le sud de l'Espagne, suivie par une seconde qui a entrainé la déconnexion automatique de nombreuses installations photovoltaïques entrainant une vitesse de changement de fréquence de 1,5 Hz/s, considérée ingérable par l'ENTSO-E.


  

 

1 commentaire:

  1. Facile a lire et bon état, semble t il, des réflexions en cours sur le black out espagnol

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