L'Europe dont nous ne voulons plus
Jean Pierre Riou
Malgré les pressions de la Commission européenne, la France s’est jusqu’alors refusée à régulariser sa situation relative à ses obligations en matière d’énergies renouvelables. Les performances climatiques de son parc de production, bien supérieures à celles du modèle éolien-solaire intermittent de l’Allemagne avaient participé à la prise de conscience du caractère ambigu du concept « renouvelable », au moment où la Commission elle-même vient d’émettre des réserves sur le bien fondé de sa principale source de production, la biomasse, qui représente en effet 60% du total. Les nouvelles restrictions qui la concernent désormais ne visent pas uniquement sa production à partir de cultures destinées à l’alimentation humaine ou animale, mais stigmatisent également la biomasse forestière pour des raisons climatiques et environnementales, sur fond de scandale sanitaire. C’est dans ce contexte que l’énergie nucléaire, dont la rentabilité s’accommode mal de l’intermittence de l’énergie éolienne, prépare son entrée officielle dans la liste européenne des technologies stratégiquement utiles au climat. Et que se pose la question de la pertinence d’une pénalité de l’ordre du milliard d’euros infligée à la France dont le tort est d’avoir privilégié cette technologie avant l’heure, pour décarboner en un temps record son système électrique.
Renforcement des exigences climatiques
Répondant à divers rapports alarmants sur le climat, le Parlement européen et le Conseil de l’UE ont publié, le 19 avril 2023, un nouveau règlement « relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 ». Selon un calendrier prévu dans son article 4, les États membres devront se conformer au durcissement des réductions d’émissions de CO2 figurant dans la colonne 2 de l’annexe 1, destinées à permettre une diminution globale des émissions de 40% au niveau de l’UE, par rapport au niveau de 2005. En 2030, la France devra ainsi avoir réduit ses propres émissions de 47,5 % au lieu des précédents 37% rappelés dans la colonne 1.
Précisons que contrairement aux directives, qui doivent au préalable être transposées en droit national pour devenir applicables, de tels règlements sont directement applicables par les États membres dès leur entrée en vigueur. Tandis que la transposition, plus ou moins rigoureuse, des directives est à l’origine de nombreux différents entre la Commission et les États membres.
En octobre 2023, la France transmettait la mise à jour du « Plan national intégré énergie-climat », dont la réduction de 215 MtCO2 en 2030 correspond au respect de cette nouvelle trajectoire avec cependant « un léger excédent en fin de période». Une part de 45% de consommation de chaleur et de froid d’origine renouvelable y est prévue pour 2030, ainsi qu’une injection de 15% de gaz renouvelable. Mais pour toute réponse à la rubrique « part de la consommation d’énergie d’origine renouvelable dans la consommation d’énergie finale brute », figure la seule mention « 58% d’énergie décarbonée dans le mix énergétique en 2030 et 71% en 2035 », sans la moindre référence aux énergies renouvelables. Le 9 octobre 2023, le Conseil de l’UE avait pourtant adopté une nouvelle directive visant à porter la part d’énergies renouvelables à 42,5% minimum au niveau de l’UE, chaque État membre devant contribuer à cet objectif commun.
La critique de Bruxelles
Le 18 décembre, la Commission européenne publiait une analyse critique du plan français.
Selon ce document, les projections pour 2030 des réductions permises par les mesures additionnelles adoptées par la France ne parviendraient qu’à une réduction de 46,4% et non des 47,5% acceptés par la France. D’autre part, selon la Commission, les ambitions en matière de puits de carbone ne permettraient pas d’atteindre l’objectif de 34 MtCO2 convenus pour la France par le truchement de l’utilisation des terres, changement d’affectation des terres et forets (UTCATF), ainsi qu’il était prévu dans l’Accord sur les puits de carbone.
Mais surtout, la Commission relève 2 lacunes majeures en ce qui concerne la part de la consommation d’énergie d’origine renouvelable dans la consommation d’énergie finale : « La France n’a pas atteint son objectif pour 2020 et ne fournit aucune indication sur la manière dont elle entend respecter son niveau de référence contraignant. La France n'a pas soumis de contribution pour 2030. »
Ce différent entre la France et la Commission européenne appelle un éclairage sur ses enjeux.
La DIRECTIVE 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 avait fixé un objectif contraignant pour l’UE, en termes de parts d’énergies renouvelables consommées. Celui-ci, de 20% au niveau de l’UE était réparti selon les États, et fixé à 23% pour la France et 18% pour l’Allemagne. Contrairement à une idée largement véhiculée, cette part s’est révélée la même en France (19,3%) en 2021 qu’en Allemagne (19,2%). Mais contrairement à la France, l’Allemagne respectait ainsi son engagement.
En 2021, la France aurait consommé 339 TWh renouvelables ministère. Selon la méthodologie préconisée pour son calcul, cette part doit être considérée sur une consommation totale d’énergie de 1778 TWh, tandis qu’il aurait fallu 404 TWh renouvelables pour atteindre l’objectif de 23% fixé. Pour autant, les 65 TWh manquants à la consommation pouvaient parfaitement être achetés aux pays voisins.
En effet, le label « renouvelable » de l’électricité produite et/ou consommée est attesté par des « Garanties d’Origine » (GO) comptabilisées par Powernext. Leur registre a été intégré au sein de EEX, bourse européenne de l’énergie, le 1er janvier 2020. Une garantie d’origine peut être transférée d’un titulaire à un autre, indépendamment de l’énergie qu’elle concerne. La Cour des Comptes a chiffré à 960 M€ le coût de ces « MWh statistiques » sur la base des 15€/MWh du transfert entre le Luxembourg et la Lituanie. Un tel transfert a également eu lieu entre les Pays-Bas et le Danemark au tarif de 12,5€/MWh et entre Malte et l’Estonie à celui de 20€/MWh. La France, par contre, n’a donc toujours pas fourni d’indication sur la façon dont elle entend régulariser son déficit de 2020.
Renouvelable mais pas durable
Le chauffage individuel au bois représente la première source d’énergie renouvelable en France, devant l’hydraulique et l’éolien. Sa seule consommation annuelle sous forme de bûches par les ménages a été estimée par l’ADEME à 37 millions de stères, pour une production de 59 TWh, soit davantage que le record éolien de 2023. L’ensemble de la combustion française de la biomasse solide s’est élevée à 132 TWh en 2021. Cette énergie dite « renouvelable » recèle malheureusement 2 inconvénients majeurs :
En premier lieu le seul chauffage individuel au bois représente la principale source d’émission de particules fines, PM2,5 et PM10, devant l’industrie ou les transports. Il émet également divers polluants tels que noir de carbone, benzène, benzo(a)pyrène, monoxyde de carbone ou oxydes d'azote, responsables d’un grave problème sanitaire. D’autre part, le chauffage au bois, comme toute biomasse n’est pas neutre en carbone, contrairement au raccourci trompeur qui repose sur le fait que le CO2 émis lors de sa combustion est comptabilisé dans le secteur UTCATF et non dans le secteur de consommation d’énergie, et que lors de leur croissance, les arbres constituent un puits de carbone. Pour autant, le bois d’œuvre en capture tout autant, et bien des arbres pourraient avantageusement rester sur pied plus longtemps.
Plusieurs organismes de santé ont alerté le Parlement européen sur ce scandale sanitaire avant l’adoption, le 14 septembre 2022, d’une proposition de directive sur le sujet, destinée à modifier la directive de 2018 et abroger celle de 2015.
Les amendements de cette proposition ont exclu la prise en considération de la biomasse ligneuse primaire dans les énergies renouvelables, par l’insertion de l’alinéa suivant : «L’énergie produite à partir des combustibles solides issus de la biomasse n’est pas prise en considération aux fins visées aux points a), b) et c) du premier alinéa si ceux-ci proviennent de la biomasse ligneuse primaire ». C'est-à-dire : « (47 a ter) “biomasse ligneuse primaire”: tout bois rond abattu ou récolté d’une autre manière ». A l’exception du bois obtenu à partir de mesures durables de prévention des incendies de forêt dans les zones à haut risque, à partir de mesures de sécurité routière, ou bien encore extraite de forêts touchées par des catastrophes naturelles, des organismes nuisibles actifs ou des maladies afin de prévenir leur propagation.
Le texte prévoyait également l’interdiction que cette part de biomasse ligneuse soit à l’avenir supérieure « à la part de la consommation énergétique globale que représente la moyenne de ces combustibles pour la période 2017-2022 » Ainsi que, 2 ans après la présente directive modificative, le réexamen de la mise en œuvre d’une « réduction progressive, d’ici à 2030, de la part des combustibles issus de la biomasse ligneuse primaire […]aux fins de la prise en compte pour les objectifs en matière d’énergies renouvelables ».
A la suite de cette proposition du Parlement, la Commission européenne n’a pas réussi à surmonter les divisions avec les États membres qui ont clairement fait savoir que cette exclusion du bois rond et des débris ligneux du statut de renouvelable n’était pas acceptable.
C’est ainsi que la nouvelle directive d’octobre 2023 se contente de préconiser une utilisation « en cascade » de la biomasse, c'est-à-dire en veillant à ce que son utilisation offre la plus haute valeur ajoutée, et concède que « Lorsque plus aucune utilisation de la biomasse ligneuse n’est économiquement viable ou appropriée sur le plan environnemental, la valorisation énergétique aide à réduire la production d’énergie à partir de sources non renouvelables ».
La France dans la résistance
Le 15 février 2024, la Commissaire européenne à l’énergie demandait à la France de porter son objectif renouvelable à 44%, au moins, de sa consommation, pour contribuer à l’objectif contraignant de 42,5% au niveau de l’Europe. Les raisons de cet objectif étaient rappelées en préambule de la directive en ces termes : « L’objectif de neutralité climatique de l’Union requiert […] une augmentation de l’efficacité énergétique et une part nettement plus importante d’énergie produite à partir de sources renouvelables ». Pourtant, ce concept même de « renouvelable », qui date du siècle dernier, a rappelé, à cette occasion, que son label ne garantit nullement un caractère durable ni exempt d’émissions. La première source d’énergie renouvelable française, qui provient de la combustion des bûches pour se chauffer devant répondre aujourd’hui de son impact sur la santé, sur la biodiversité, voire sur le climat. Et c’est même toute la biomasse qui est remise en cause par les dernières directives, certaines études [1] montrant que les centrales fonctionnant à la biomasse pollueraient bien plus encore que leurs homologues à pétrole ou charbon.
Par ailleurs, une étude IEA-NEA rapportée par la Sfen montre l’impact considérable de la baisse du facteur de charge d’un réacteur nucléaire, sur son coût de production, ainsi qu’elle l’illustre par sa figure 9. Actuellement, cette baisse de facteur de charge est de plus en plus opérée par ces réacteurs pour leur permettre de s’effacer devant les énergies intermittentes, contrariant ainsi le plan français de relance du nucléaire dont la capacité à décarboner un mix électrique ne fait plus débat.
Ce différent avec la Commission devra être réglé avant le mois de juin où les plans nationaux serviront de base aux engagements de chaque État membre en matière de parts d’énergies renouvelables. La résistance française s’inscrit dans la récente évolution stratégique de l’Union européenne.
Rappel du fonctionnement de l’UE
Sur la base des propositions présentées par la Commission, le Conseil de l’Union européenne adopte la législation de l’Union, sous la forme de règlements et de directives, soit conjointement avec le Parlement européen, soit seul, après consultation du Parlement européen. Il est composé d’un représentant de chaque État membre au niveau ministériel, habilité à engager le gouvernement de l’État membre qu’il représente.
Dans le cadre de la politique de réduction des émissions de CO2, le 21 novembre 2023, le Parlement avait inclus le nucléaire dans les technologies « souhaitables pour produire 40% des besoins annuels de déploiement en technologies net-zéro d'ici 2030 ». Net-zéro signifiant que la technologie n’émet pas de carbone, contrairement à « neutre en carbone » qui implique qu’on a recours à une capture du CO2 pour en compenser les émissions. Le 7 décembre, le Conseil de l’UE confirmait ce choix [2] et parvenait au nécessaire accord avec le Parlement [3] le 6 février, ainsi qu’à l’élaboration d’un texte commun le 16 février. Ce texte attend désormais d’être formellement accepté. Celui ci inclut le nucléaire dans la liste des technologies de la stratégie « net-zéro », dans son article 3a (i).
Dans le champ d’application de cet accord, il est précisé que « Étant donné que les États membres ont le droit de choisir entre différentes sources d'énergie, ils ne seront pas tenus de considérer comme des projets stratégiques ceux liés à une technologie qui n'est pas acceptée dans leur bouquet énergétique. » Cette précision fait probablement allusion au nucléaire qui, pour être stratégique, et pilotable, n’en devient pas obligatoire pour autant. Mais fait curieusement écho à l’archaïsme d’une obligation de part d’énergies renouvelables.
Le système électrique est aujourd’hui incontournable pour remplacer les énergies fossiles. Les négociations qui s’annoncent scelleront son destin à travers le choix entre l’aventure obligée d’une intermittence croissante dont personne ne maîtrise encore réellement l’issue, ou l’alternative d’une stabilisation dynamique du réseau européen par l’inertie des énormes turboalternateurs des centrales nucléaire tournant de façon synchrone à 50 Hz.
Un quart de siècle consacré à poursuivre l’illusion de la gratuité du vent et du soleil pour produire de l’électricité a révélé les sommes exponentielles nécessaires à leur intégration sur le réseau, ainsi que les difficultés posées par leur absence d’inertie. Il semble urgent de prendre toute la mesure des conséquences d’une fuite en avant dans la même direction.
Car il n’y a pas de plan B.
Le 4 mars, Bruno Le Maire a dénoncé ces incohérences en fustigeant "l'Europe dont nous ne voulons plus"
On ne peut que s'en réjouir
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1 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0960148123014519?via%3Dihub
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