mardi 9 août 2016

Fermer Fessenheim

Le parc électrique français est il un colosse aux pieds d'argile...
Ou se tire-t-il une balle dans le pied?

Peut on remplacer Fessenheim par des énergies fatales* ?

 Par Jean Pierre Riou.


 
La France est 1e exportateur mondial d’électricité. (Enerdata : lowest ten)
Plus de 90% de son parc de production n’émet quasiment pas de CO2.
Le recours important au chauffage électrique lui permet ainsi le de respecter ses engagements concernant les émissions de CO2, mais augmente les variations de la consommation, par des pics de demande importants lorsque les températures chutent.

Avec un risque identifié
L’enjeu du parc électrique français n’est donc pas de produire d’avantage d’électricité mais  d’assurer en permanence les besoins de cette consommation.
Depuis plusieurs années, le risque est en effet identifié de ne pouvoir résister durablement à une vague de froid, nos voisins risquant de ne pas être en mesure d’apporter le moindre secours en cas de conditions similaires sur toute l’Europe. (Rapport 2011 p 42)

La stricte adéquation entre production et consommation doit pourtant être assurée en permanence. En cas de déséquilibre dans une partie quelconque du réseau européen, ne respectant plus les marges de sécurité (N-1), seuls des délestages immédiats d'une région peuvent éviter l’effet domino et l’effondrement de l’ensemble du circuit.

L’ENTSO E (European Network of Transmission System Operators for Electricity)  est responsable de cette régulation et rend compte régulièrement des risques en Europe.

Et relève que la France, dont la surproduction régulièrement disponible permet pourtant d’équilibrer le réseau européen, se trouve, ainsi que l’Angleterre, la plus menacée d’Europe par des ruptures d’approvisionnement (LOLE = Loss Of Load Expected).



L’ENTSO E identifie clairement 2 causes à ce risque:
- La première est la conjonction de températures basses avec un faible taux de charge éolien. C'est-à-dire des périodes de froid anticyclonique pendant lesquelles il n’y a, en effet,  jamais de vent.
Le cercle rouge du graphique ci-dessous entoure des épisodes combinant une température de moins 2°C et un faible taux de charge éolien pendant lesquels les besoins ne pourraient pas être compensés par des importations.



- La seconde raison est l’engorgement des interconnexions qui auraient éventuellement permis à la France de s’approvisionner chez ces voisins, au cas où ceux-ci ne subiraient pas les mêmes conditions.
En effet, nos capacités d’importations sont réduites par l’emprunt forcé de nos lignes par l’Allemagne, qui y fait transiter ses excédents de production aléatoire du nord vers le sud de son territoire, tout en en les fragilisant, ainsi que le décrit ci-dessous le rapport de France Stratégie.


En effet, le problème des énergies « fatales » n’est même pas tant celui des « doublons » nécessaires pour compenser leurs défaillances lorsqu’elles ne produisent plus rien, ou presque, que la nécessité de refouler toujours plus loin leurs production lorsqu’on n’en a pas besoin.

Des centaines de milliards d'euros pour refouler cette production
C’est pourquoi d’importants investissements sont prévus dans le réseau électrique européen, dont la plus large part est destinée à supporter la part croissante d’énergies intermittentes.
Le rapport Derdevet, qui en évalue le coût total à 700 milliards d’euros indique clairement :


Et c’est actuellement le « refoulement » de cette électricité allemande excédentaire à travers les frontières polonaises qui fait craindre à la Pologne le risque d’une rupture d’approvisionnement en cas de situation tendue, en raison de l’impossibilité pour celle-ci d’utiliser ses propres lignes d’interconnexion pour importer le complément nécessaire. Ce risque étant ainsi décrit dans le rapport ENTSO E Summer Outlook 2016 :


Et c’est en fait tout l’équilibre du réseau européen qui se trouve ainsi menacé par l’intermittence croissante de la production.

Un risque de blackout européen pour quelques minutes d’éclipse solaire.
Les sueurs froides provoquées par les quelques minutes d’éclipse solaire du 20 mars 2015, autour de 10h45, heure pourtant de faible consommation, et alors qu’il s’agissait de la 9° éclipse totale du 21° siècle, confirment les problèmes posés par l’intermittence de production.
La réussite de ce minuscule « stress test » par le réseau européen fait pourtant partie des faits marquants de l’année 2015.


Le 31 mars dernier, 76 millions de turcs étaient touchés par un blackout.
Une des explications les plus plausibles semblant en être (E structural problems) la baisse du cours du MWh, dans un marché de l’électricité libéralisé, qui dissuade les producteurs de vendre leur courant lorsque les cours sont trop bas, notamment lors de fortes productions d’énergies aléatoires. Une marge de sécurité suffisante n’aurait pas été prévue pour le temps de redémarrage après une chute brutale des celles ci.
A cette occasion, l’ENTSO E s’était déconnecté en urgence du réseau turc pour éviter la propagation en chaine du blackout sur toute l’Europe.
Mais il importe d’être conscient qu’un tel blackout au niveau français pourrait difficilement ne pas immédiatement se propager sur toute l’Europe et la laisser dans le noir, avec les dramatiques conséquences qu'on peut imaginer.

Les énergies « fatales » posent au réseau un problème majeur qu’il ne conviendrait pas d’ignorer.


De plus en plus de réacteurs nucléaires du parc électrique français sont capables de faire varier, à la demande, leur puissance de 80% à la hausse ou à la baisse en moins de 30'.
Cette disponibilité est actuellement destinée à suivre les caprices des énergies renouvelables intermittentes.

Depuis 2002, la formidable puissance des énergies fatales installées en l'Allemagne n'a pas encore permis de remplacer le moindre MW "pilotable".
La possibilité de fermer une ou plusieurs centrales nucléaires ne saurait ainsi être corrélée à la puissance intermittente installée.

Le propos n'est pas d'évaluer les risques liés à l'exploitation de Fessenheim, malgré le fait qu'elle soit considérée l'une des plus sûres de nos centrales nucléaires.
Pas plus que de vouloir les comparer à ceux d'une rupture de barrage hydraulique, telle que celle qui menace les habitants de Mossoul.
La volonté de réduire un risque est louable.
Mais implique d'analyser attentivement tous les enjeux.
Toute décision dans ce domaine doit rester indépendante des effets d'annonce, ou de valorisation indue des énergies fatales.

*On appelle officiellement « fatales » les énergies intermittentes dont la production est liée au hasard (du latin fatum), par opposition aux énergies « pilotables », c'est-à-dire disponibles à la demande. L’énergie photovoltaïque et éolienne sont appelées « fatales ».

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