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lundi 28 octobre 2024

Production d’électricité : Pourquoi il est nécessaire de dégraisser le mammouth

 

Production d’électricité :

Pourquoi il est urgent de dégraisser le mammouth


Jean Pierre Riou

Seconde partie

Aller à la première partie  http://lemontchampot.blogspot.com/2024/10/production-delectricite-pourquoi-il-est.html

Rappel : Le parc de production d’électricité d’EDF a représenté un modèle mondial et constitué l’atout majeur de la France en termes de compétitivité et de souveraineté énergétique. La mise en place par l’Europe de la libéralisation du marché de l’électricité et de l’obligation de parvenir à une part croissante de production renouvelable intermittente, lui ont porté un coup mortel en entraînant un invraisemblable engraissement des structures de notre sécurité d’approvisionnement, ainsi qu’un formidable enchérissement de leurs coûts.

Cet article vise à les détailler. La complexité du sujet est la raison des 2 parties de son analyse

Première partie

-          Le marché

-          L’écrêtage des EnR

-          Les charges du service public

Seconde partie

-          Le raccordement des EnR

-          La restructuration du réseau

-          Le stockage

-      L'inutilité du doublon intermittent

-          Les risques induits par ce doublon intermittent

Seconde partie

Raccordement

La CRE a rédigé un dossier sur le financement du raccordement des EnR. Leur quasi-totalité est raccordée au réseau Enedis (lignes HTA) qui doit créer des postes sources pour pouvoir en refouler la production sur le réseau de transport de RTE (lignes HTB), qui doit lui-même procéder au renforcement de ces lignes HTB dont le TURPE assure le remboursement des frais engagés, tandis que les producteurs s’inscrivant dans le Schéma de raccordement (S3REnR), se répartissent une quote-part, validée par le préfet, des coûts induits pour Enedis, notamment la création du poste source. La CRE illustre cette répartition ci-dessous



Les premiers appels d’offre d’éolien en mer avaient été conclus à un tarif jugé ensuite excessif, pour être 5 fois supérieurs au prix du marché. Selon Challenges, Olivier Dussopt, secrétaire d’État aux comptes publics, avait calculé que les six parcs éoliens en mer allaient ainsi coûter 41 milliards d’euros aux contribuables, pour seulement 3 GW. Ces contrats avaient été ensuite renégociés grâce à un nouveau cadre législatif qui a élargi la responsabilité de RTE en matière de raccordement des parcs en mer en lui demandant de prendre désormais en charge l’ensemble des dépenses de raccordement via le TURPE, et d’être maître d’ouvrage sur l’ensemble du raccordement, y compris le poste en mer. Pour raccorder les 10 GW prévus en mer d’ici 2035, RTE prévoit un coût compris entre 7 Md€ et 8 Md€.

Avant la modification du cadre législatif, ces coûts étaient donc à la charge du producteur.

Un rapport du gestionnaire européen de réseau Entsoe fait état de 400 Md€ pour le seul raccordement de l'éolien en mer européen prévu pour 2050, dont un minimum de 144,5 Md€ de convertisseurs en mer et 115,4 Md€ de câbles.

Dans ses « Éléments de prospective à 2050 », Enedis expose clairement le fait que « Le coût d’adaptation du réseau à ces transformations dépend du taux de pénétration des énergies renouvelables dans le mix de production». Et prévoit « entre 1,5 et 2 milliards par an pour le raccordement de nouvelles installations selon le scénario de « continuité » et entre 6 et 8 milliards sur la période 2020 2050 « suivant les hypothèses d’une transition écologique très exigeante pour le réseau de distribution », c'est-à-dire 240 milliard d’euros dans un scénario de développement ambitieux en termes d’EnR contre « seulement » 60 milliards dans le scénario prévu actuellement pour les seuls raccordements des installations d’EnR.

Restructuration du réseau

La décentralisation des moyens de production a demandé au réseau de distribution d’Enedis de marcher sur la tête pour permettre d’en refouler les 2/3 sur le réseau de transport ainsi que c’est illustré dans l’article L’éolien : une énergie locale ?

Dans son schéma décennal de développement du réseau 2024 (SDDR2024), actuellement en consultation, RTE considère que « En première analyse, les perspectives d’investissements d’ici 2040 sont de l’ordre de 100 milliards d’euros, en intégrant le renouvellement des infrastructures qui devra être mené même en l’absence d’un agenda de transition énergétique et qui constitue aujourd’hui le premier poste d’investissements de RTE ». Le retard qui compromet la sûreté du réseau semble en effet progresser plus vite que les moyens mis en œuvre pour le combler, à l'instar des loop flows évoqués ci-après.

Car l’indispensable mutualisation des moyens de production aléatoires a imposé à RTE de multiplier les interconnexions avec nos voisins pour refouler toujours plus loin des quantités toujours plus grandes de surplus aléatoires. Le cas des flux de bouclage allemands qui engorgent ces interconnexions illustre la dégradation des conditions de sécurité malgré les centaines de milliards investis dans la flexibilité du réseau européen, ainsi que c’est décrit dans l’article « Focus sur les loop flows ».

Stockage

Dans son rapport sur « Les solutions flexibles », RTE illustre ci-dessous le fait que le stockage par batteries est infiniment plus coûteux encore que le renforcement du réseau. Celui-ci ne permettant d’ailleurs que de refouler de plus en plus loin les surplus indésirables pour tenter de les valoriser, tandis que l’écrêtage de la production EnR ne mène qu'à l'obligation d'un soutien financier de surplus indésirables croissants.



L'inutilité du doublon intermittent

Les énergies intermittentes n’ont permis aucune réduction du parc pilotable européen depuis 2000, et l’Allemagne finance notamment des centrales thermiques pour qu’elles restent, hors marché, à la disposition du réseau en cas de période prolongée sans vent ni soleil. Ce qui est supposé permettre d’éviter de brûler des combustibles fossiles. Tandis que la France a décidé de relancer sa filière nucléaire et utilise moins de 10% de combustibles fossiles depuis 1990.

Les flexibilités mises en place auraient permis d’optimiser le fonctionnement de son parc nucléaire/hydraulique et de se passer complètement de fossile depuis longtemps si elle n’avait pas opté pour des énergies intermittentes, en délaissant le renouvellement de son parc pilotable comme l’avait demandé l’ASN en 2007.

Malgré l‘exception catastrophique de 2022, qui n’est pas étrangère aux conséquences de ce choix, la France est le plus gros exportateur d’électricité mondial pratiquement chaque année depuis 1990 (Enerdata ; electricity ; trade), notamment en 2023, dont elle vient encore de pulvériser l’excédent sur les 12 derniers mois, selon les douanes françaises.

La consommation, pourtant appelée à augmenter, ne cesse de diminuer depuis 2011 et a atteint son niveau le plus bas depuis 2005 en 2023.

Le parc de production, décarboné à plus de 90% depuis 1990, doit voir ses réacteurs prolongés à 60 ans voire davantage et de nouveaux EPR sont programmés.

Mais le coût marginal nul de l’éolien et du solaire entraine des modulations à la baisse du nucléaire (voir première partie), qui émet pourtant respectivement 4 fois et 10 fois moins de CO2 qu’eux sur l’ensemble de son cycle de vie (ACV), et voit son modèle économique compromis par ce type de fonctionnement.

Il faut se demander l’intérêt de lui adjoindre un doublon intermittent, et ne pas s'imaginer que ce doublon permette de se passer de quelque puissance pilotable installée que ce soit. Le scénario de référence de l’Institut Fraunhofer pour le parc allemand est édifiant sur ce point.



Source Institut Fraunhofer

L’Allemagne a donc fait le choix d’entretenir des centrales à gaz pour pallier les absences durables de vent et de soleil, malgré l’augmentation parallèle de 500% de son parc éolien/solaire intermittent.

Sa fuite en avant doit cesser d’être un modèle pour la France.

Les risques induits par ce doublon et leurs coûts

L’effondrement du réseau

A ces coûts de restructuration vient se greffer l’inconnue de la baisse de stabilité dynamique du réseau liée à l’augmentation des EnR, en raison la diminution du nombre de turboalternateurs tournant de façon synchrone à 50 Hz. Ce qui réduit le temps disponible pour remédier à tout incident.  Dans une étude prospective du 6 décembre 2021, le gestionnaire du réseau européen Entsoe alertait sur la dégradation de la stabilité dynamique du réseau et évaluait son manque d’inertie à combler, en termes d’hypothétiques centrales conventionnelles, à 100 GW supplémentaires avant 2025 et 500 GW en 2040. Ce qui correspond par exemple à 2000 unités de 250 MW supposées disposer chacune d’une constante d’inertie de 5 secondes.

Pour comparaison, ces 500 GW supplémentaires représentent la moitié de la puissance de production  électrique de l’Union européenne en 2017, renouvelables compris. Le risque identifié étant l'éventualité d'un blackout  sur la totalité de l’Europe continentale. L'Entsoe précisait que dans un tel cas, l’absence de tout réseau voisin « vivant » capable de restaurer le système compliquerait alors grandement la tâche.

La leçon britannique

Quatre ans après le blackout britannique, survenu au moment précis où la Grande Bretagne battait son record éolien en titrant malencontreusement "It's wind o'clock", EDF avait publié une édifiante analyse dans laquelle il rappelle que « Si les réacteurs ont été conçus pour être résilients face à des événements survenant sur le réseau, le lien entre sûreté du système électrique et sûreté nucléaire ne doit pas être sous-estimé. » et terminait « En conclusion, j’incite Nuclear Operations à mieux se prémunir des perturbations du réseau britannique et les Français à tirer les enseignements de tout incident Outre-Manche, précurseur de ce que l’arrivée massive des ENR provoquera sur le continent. »

Or cette sûreté se dégrade selon la mise en garde de l’Entsoe qui cible clairement le développement des EnR sur le réseau. Il convient de prendre la mesure de son préambule :

« Il est important de souligner qu’une définition claire du « risque acceptable », lié à une scission du système et à ses conséquences, est toujours en attente. Ce rapport ne vise pas à proposer une telle définition car il s’agirait d’une décision politique autant que technique ».

On aimerait savoir quelle autorité politico-technique aurait considéré que le coût d'un tel risque serait acceptable pour la collectivité.

 

 

 

 

 

 

 

 

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