L’Europe dans le gaz
Jean Pierre Riou
En forme de mise à jour de la tribune publiée dans :
« Le maillon faible du monde occidental »
Où il est confirmé que l’Hiver est le meilleur allié de la stratégie militaire Russe
Quand la Russie coupe le gaz
Selon Reuters, Gazprom n’a prévu aucune livraison de gaz vers l’Europe en février par le gazoduc Yamal qui transite par le Belarus et la Pologne. Ce flux d’Est en Ouest s’était interrompu le 21 décembre à 6 heures du matin et les compteurs de Mallnow, à la frontière germano-polonaise, indiquent une inversion du flux. Car l’Allemagne utilise depuis le gazoduc en sens inverse pour livrer la Pologne grâce à son alimentation par Nord Stream 1 qui se trouve relié à la frontière polonaise par le tronçon OPAL, ainsi que le suppose la presse polonaise. Celle-ci se désole de devoir importer son gaz d’Allemagne sans même tirer de bénéfice de son « puissant atout géographique » du transit historique par Yamal.
C’est ainsi que, selon ce même article, les négociants en gaz misent sur les stocks, pourtant au plus bas, pour éviter de nouveaux contrats à des prix historiquement hauts. Moscou se défendant de jouer sur les cours au prétexte que rien ne l’oblige à livrer ses contrats par le gazoduc Yamal, ainsi que l’a déclaré le vice-ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, Alexander Pankin, à RIA Novosti.
Nord Stream 2
Le gazoduc Nord Stream 2, aujourd’hui achevé et opérationnel, est au cœur d’une bataille juridique qui concerne sa certification, à laquelle l’Ukraine et la Pologne doivent être associés, et plus particulièrement la dérogation que Nord Stream 2 AG tente d’obtenir au sujet de la séparation entre production et transport imposée par la Directive européenne.
Selon cette analyse juridique qu’en fait « Grand Continent », Gazprom se contenterait actuellement de vider ses réservoirs européens pour honorer ses contrats que rien n’oblige à transiter par Yamal.
Dans la mesure où ces réservoirs, historiquement bas, sont déjà à moitié vides, quantité d’observateurs y voient une pression sur l’Union européenne pour accélérer le démarrage de Nord Stream 2, bien entendu.
L’exacerbation de la question ukrainienne
Ces tensions sur le gaz sont exacerbées par la détérioration des relations diplomatiques avec la Russie au lendemain de l’échec des négociations sur la situation en Ukraine.
Ces négociations entre la Russie, d’une part, et les États-Unis et l’Otan et, d’autre part, se sont en effet soldées par un échec tant à Genève qu’à Bruxelles et à Vienne, où l’OSCE s’est inquiétée de «l’urgence" à rétablir des canaux de dialogue, Moscou ne voyant plus l'utilité de nouveaux pourparlers avec les Occidentaux dans les prochains jours, tant les divergences sont profondes.
La délégation russe avait en effet fixé le préalable de la ligne rouge de l’extension de l’Otan vers l’Est considérée inacceptable par le Kremlin en raison du déploiement de missiles déjà pointés sur Moscou dans les nouveaux pays membres de l’Otan, tels que les lanceurs Mk 41 adaptés à l'utilisation des systèmes de frappe Tomahawk situés en Roumanie et dont le déploiement est prévu en Pologne.
Et le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Ryabkov, arrivé à Genève pour ces négociations, a déclaré à l’Agence Tass que l’Otan devait revenir à ses frontières de 1997 et éliminer l’infrastructure militaire existante, de manière unilatérale et sans contrepartie.
Ajoutant que la Russie qui s’était retirée du pacte de Varsovie lors de sa dissolution en 1991 après la réunification de l’Allemagne, il dénonce aujourd’hui la mauvaise foi occidentale à prétendre n’avoir jamais promis de ne pas en profiter pour y étendre l’influence de l’Otan, alors que « cela faisait partie intégrante du paquet politique, qui a été discuté au stade de la réunification allemande, de la dissolution du pacte de Varsovie, du retrait de l'Union soviétique des pays de l'ex - militairement - Pacte de Varsovie »
Et Sergueï Ryabkov considère qu’il est temps aujourd’hui de mettre un terme à cette situation en raison des « dommages directs à notre sécurité ».
Selon Zone Militaire, ces revendications sont restées « aussi primordiales pour Moscou qu’elles sont inacceptables pour les Occidentaux ». Le représentant russe auprès de l’OSCE aurait déclaré « Si nous n’entendons pas de réponse constructive à nos propositions dans un délai raisonnable et si le comportement agressif envers [la Russie] se poursuit, alors nous devrons prendre les mesures nécessaires pour assurer l’équilibre stratégique et éliminer les menaces inacceptables pour notre sécurité nationale ».
Les entraves stratégiques d’une Europe ambigüe
Pour autant, malgré les menaces de sanctions évoquées à l’égard de la Russie, pour la ministre allemande de la Défense, Christine Lambrecht, le gazoduc NordStream 2 devait « rester à l’écart » de cette affaire.
A l’inverse, et dans le droit fil des nouvelles sanctions américaines du 22 novembre contre Nord Stream 2, le PDG du géant ukrainien Naftogaz, a considéré absurde que ce gazoduc n’ait pas été au centre de ces négociations, ajoutant même que des menaces sur Nord Stream 1 devraient utilement être évoquées en réponse à de nouvelle agression.
Tandis que ces sanctions américaines contre Nord Stream 2 entrent dans le cadre du « Protecting Europe’s Energy Security Act » de 2019 destiné à protéger la sécurité énergétique de l’Europe de toute coercition russe excessive, on peut s’étonner de l’ambigüité de la politique occidentale qui appelle l’intégration de l’Ukraine dans l’Otan depuis le sommet de Bucarest en 2008, tout en la dépossédant de ses atouts stratégiques face à la Russie en facilitant son contournement pour alimenter l’Europe en gaz.
Et plus encore, sur celle de l’Allemagne dont l’Energiewende mise gros sur le gaz, notamment avec sa filiale GazpromGermania.
Les importations françaises ne proviennent que pour 16,8% de la Russie, grâce notamment à la diversification permise par ses 4 terminaux méthaniers de Montoir-de-Bretagne, Fos-Tonkin, Fos-Cavaou et Dunkerque.
Pour autant, l’Europe ne semble pas en situation de se passer aujourd’hui du gaz russe.
Avec les compromissions qu’il implique.
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