Pages

lundi 7 mars 2016

Les apprentis sorciers



Pourquoi nous payons de plus en plus cher pour la perte de notre indépendance énergétique, la menace d’un blackout généralisé et l'aggravation du risque d’un incident nucléaire.

L’échec de la politique énergétique européenne est patent en regard des 3 objectifs qu’elle s’était assignés : "maîtrise des coûts, sécurité d’approvisionnement et réduction de l'impact environnemental".
Bien loin d’en formuler tout bilan chiffré et remise en question stratégique, la France en accélère la marche forcée.
Avec la promesse de lendemains qui déchantent.

Le leurre renouvelable

La distinction renouvelable/ fossile masque sournoisement la différence essentielle entre les moyens de production d’électricité: ceux qui sont pilotables à la demande et ceux qui sont susceptibles d’interrompre leur production à tout moment, de façon quasi totale.
Si ces moyens intermittents sont généralement renouvelables, tous les moyens dit "renouvelables", tels que l’hydraulique de barrage la géothermie, l’énergie des marées ou celle de la houle, ne sont pas intermittents.
Et si on sait que la nuit, il n’y a pas de soleil, on ne réalise pas toujours que le taux garanti de couverture de la consommation par la production éolienne est également de 0%

Des moyens supplémentaires de stockage sont alors indispensables pour conférer le moindre intérêt à une part significative de production aléatoire.
Or, le rapport sur le stockage à partir duquel l’ADEME avait échafaudé une projection visionnaire « 100% renouvelable » révèle ses limites, à partir de la page 150, et fait comprendre l’impossibilité actuelle d’en réunir les conditions minimales nécessaires.
Malgré d’incontestables avancées, il est encore trop tôt pour énoncer les possibilités réelles de stockage à grande échelle pour un surcoût acceptable par la collectivité.
L’accélération de la course chimérique visant à développer la puissance intermittente installée sans maîtriser ces pré-requis est responsable du gâchis considérable d’une politique européenne qui risque d’être ridiculisée par l’avènement d’une forme ou d’une autre des énergies propres de demain avant d’avoir compris comment rendre durable ce qui est intermittent.

Plus grave encore, si on en croit la Cour des Comptes, personne n’a la moindre idée des réelles conséquences économiques et sociales de la loi sur la transition énergétique qui encadre cette politique.
Pas même le ministère des finances, celui de l’économie ou le secrétariat d’État au budget, qui n’ont pas daigné répondre.

Retour sur un quart de siècle de gâchis

En l’état actuel des interconnexions et des possibilités de stockage, ces énergies intermittentes (éolien/photovoltaïque) n'ont toujours pas permis la suppression de la moindre centrale pilotable.
Quand le vent et la nuit tombent, leur production étant quasi nulle, la régulation hydroélectrique (barrages et stations de transfert d’énergie par pompage : STEP) ne laisse pas de marge de sécurité suffisante pour tenter de ne pas disposer de la totalité de la couverture des besoins en centrales pilotables.
La simulation de la  période de froid anticyclonique de février 2012 du Rapport ADEME  100% renouvelables, qui prétendait y résister par des importations, semblait perdre de vue, qu’au même moment, les éoliennes allemandes étaient encore moins efficaces que les nôtres avec moins de 1% de taux de charge (0.29GW le 05/02/2012, pour 30.56GW installés)  et n’auraient été d’aucun secours. 
Lors de ces périodes tendues, chaque pays ne pouvant pas compter sur le pays voisin.

Cette nécessité est d’ailleurs confirmée par l’évolution du parc installé en Allemagne, pour lequel il est facile de constater que la puissance pilotable, sous le trait rouge, est strictement inchangée depuis 2002. La conversion de centrales à charbon en biomasse (en vert) ayant compensée à elle seule la très faible diminution du reste, nucléaire compris (en rouge).

Tandis qu’il apparait clairement que les 83.48GW, éolien et photovoltaïque, au dessus du même trait rouge, viennent en surplus.
Alors que la consommation allemande n’a strictement pas évolué pendant cette période.  

L’Allemagne n’a d’ailleurs pas prévu de se passer de ces moyens fossiles puisqu’elle a programmé, d’ici 2025, 1760MW de nouvelles centrales au lignite, 4555MW au charbon et 12960MW au gaz, selon les chiffres officiels BDEW.
Sans que l’augmentation de la consommation en soit la cause, puisqu’elle s’est engagée devant l’Europe à la réduire par l’amélioration de 27% de l’efficacité énergétique d’ici 2030.
Est il utile de rappeler que la pollution de l’air est responsable de plus de 2 fois plus de morts, chaque année en Allemagne championne du charbon pour sa production d'électricité, qu’en France, avec notamment 42 578 décès en 2010 contre 17 389 en France, selon les calculs de l’OCDE .

Mais en Allemagne, du moins, les moyens intermittents sont ainsi chargés de prendre la place des centrales polluantes quand il y a du soleil ou du vent.
Pourtant, le bilan de 25 ans de cette politique n’ait fait évoluer les émissions allemandes que de 600kg CO2/MWh en 1990 à 540 kg CO2/MWh en 2015, et encore, à la condition de ne pas tenir compte du fait que l’intermittence de fonctionnement et les régimes partiels augmentent les facteurs de pollution des centrales pour une même quantité d’électricité produite.
(Chiffres http://www.ag-energiebilanzen.de/ et critères du bilan RTE 2015)
Bien pitoyable évolution en regard des émissions de 40kg CO2/MWh pour le parc français.
La réduction de ces émissions n’était elle pourtant pas la priorité absolue de la COP 21?

La chute du cours du MWh et ses dramatiques conséquence

Comme on aurait pu s’y attendre, l’ajout de ces énormes capacités de production subventionnée intermittente à une situation déjà surcapacitaire en Europe est responsable de l’écroulement du cours du MWh.
Et prive de toute rentabilité aussi bien les recherches dans des alternatives pérennes que les centrales conventionnelles qui ne sont pas perfusées par l'argent public, mais dont il n’est malheureusement pas possible de se passer.
Au point que l’électricien allemand E.on en en est même arrivé à menacer d’aller en justice pour avoir le droit de fermer sa centrale à gaz d’Irshing, ultramoderne et non polluante, malgré les subventions destinées à l’inciter à la laisser prête à démarrer en fonction des  caprices du vent.

Malheureusement, plus le cours du MWh baisse et plus la compensation en argent public est importante pour garantir le tarif préférentiel aux énergies renouvelables, alors qu’on imaginait qu’en raison d’une augmentation inéluctable des prix, à partir de 2015  « Les producteurs éoliens génèrent alors une rente pour la collectivité ».
C’est ainsi exactement l’inverse qui s’est produit faisant s’envoler les coûts pour la collectivité et les factures des consommateurs.

La France, dindon de la farce

Le problème est plus sensible encore en France, où la question n’est pas celle du CO2 puisque plus de 95% de son parc de production n’en émet pas et que les énergies aléatoires, incapables de remplacer le moindre des réacteurs, ne parviennent qu’à leur imposer leur régime chaotique, au lieu du régime optimum pour lequel ceux-ci sont conçus. 
Ils sont en effet « capables de faire varier leur puissance de 80 % à la hausse ou à la baisse en l’espace de trente minutes » en fonction de la production des énergies renouvelables.
Hélas, « il va de soi que de telles oscillations vont à l’encontre d’un des principes de base de la gestion des cœurs qui est de produire la puissance de la façon la plus homogène possible dans le cœur ». (Anne Nicolas, Direction de l’énergie nucléaire CEA/Saclay)
Cette obligation de modulation, d’autre part, sollicite d’avantage les équipements et en provoque une usure prématurée.
Mais surtout, en réduisant leur rentabilité, les fonctionnements en régimes partiels privent EDF des moyens d’en assurer la maintenance, particulièrement dans le cadre du « grand carénage » prévu.

S’il est louable de chercher à supprimer tout risque nucléaire, il est irresponsable d’imaginer qu’on puisse y parvenir en ruinant son exploitant.

Voilà à peine plus de 2 ans, la « rente nucléaire » d’EDF était jugée tellement conséquente qu’il était envisagé de l’affecter au financement de la transition énergétique, plutôt qu’en profiter pour améliorer la sécurisation de ses réacteurs.
Depuis 2016, EDF ne parvient même plus à vendre la moindre de sa production au prix ARENH, et se voit condamné par la loi à ne plus exploiter ses réacteurs qu’à 50% de leur taux de charge à horizon 2025, au gré du vent, désormais capable de faire tomber les cours du MWh jusqu’à des prix négatifs.

Le rapport de la Cour des Comptes laisse désormais augurer un choix entre une rupture d’approvisionnement susceptible d’entraîner un blackout en chaine sur le réseau européen, ou des compromis inacceptables sur la maintenance du parc nucléaire.
La situation financière d’EDF laisse difficilement entrevoir d’autre alternative à court terme.

L’arbre qui va cacher la forêt

Une particularité doit toutefois être relevée, afin d’éviter une méprise sur les raisons qui permettront de fermer aisément l’équivalent de 2 à 3 centrales et ne pas comprendre que le développement des énergies intermittentes n’y est strictement pour rien.
Depuis 2013, la nouvelle unité d’enrichissement d’uranium « Georges Besse 2 » a complètement libéré pour la consommation 2 réacteurs nucléaires du Tricastin qui étaient jusqu’alors entièrement dédiés à « Georges Besse 1 », 50 fois plus gourmand en électricité.
Cette puissance désormais supplémentaire n’apparaît pourtant nulle part dans les Bilans RTE puisque la consommation est donnée en chiffres bruts puis « corrigés de l’aléa météorologique hors soutirage du secteur énergie ».
Mais c’est à l’évidence la principale raison de la baisse, depuis 2013, de la consommation brute, qui devient même inférieure à la consommation corrigée, pour la première fois en 2014, puis en 2015 et permet à la France de dépasser, ces 2 années, son solde d’exportation de 2013 qui la place déjà au 2° rang mondial. (AIE 2015, p 27 data 2013)
La dizaine de TWh supplémentaires, libérés grâce à la faible consommation de « Georges Besse 2 », risque de tromper un observateur non averti sur les raisons qui permettront à la France de figurer vraisemblablement à la 1° place AIE 2016 et 2017 (chiffres 2014 et 2015) et d’être effectivement en mesure de fermer l’équivalent d’un peu plus de 2 réacteurs sans que les énergies intermittentes y soient pour quoi que ce soit. Tandis qu’elles ne font actuellement que participer aux exportations à perte.
(achetées au prix moyen 2015 de 90€/MWh selon la CRE et exportées au prix moyen 2015 de 37.5€/MWh selon les douanes françaises )

Interconnexions, la fausse solution d’une mutualisation des problèmes

A défaut de stockage, la fuite en avant vers une mutualisation des problèmes dans l’espoir d’y trouver une solution, semble plus dramatique encore. La restructuration du réseau de transport et de distribution avec des interconnexions supposées résister à la pénétration d'une plus grande part d' intermittence est estimée à 700 milliards d’euros en 10 ans par le rapport Derdevet.
Sans que personne, d’ailleurs, ne semble  encore en mesure d’en estimer le taux d’efficacité en regard de cette intermittence.
Ce réseau est manifestement indispensable à l’Allemagne, mais promet de coûter à la France bien plus cher qu’on imagine.
En effet, force est de constater l’évidente corrélation entre la production intermittente des éoliennes, qui est par nature sans rapport avec les besoins de la consommation, et le cours du MWh.





Cette instabilité du marché qui interdit toute rentabilité aux centrales de production non subventionnées fait le bonheur des traders en électricité qui voient s’ouvrir à eux un immense terrain de jeu, avec des échanges toujours plus lointains, contrairement à l’image de production locale dont on essaye de parer les éoliennes.

France Stratégie décrivait la fragilisation du réseau français par l’Allemagne qui impose déjà le transit de son courant par nos frontières pour l’acheminer du nord vers le sud de son territoire.
Et remarquait que les effets de ces interconnexions n’étaient pas positifs pour tout le monde. Notamment pour la République tchèque ou la Pologne, contraints d’investir dans des transformateurs déphaseurs géants pour pouvoir précisément s’en déconnecter.

Cet hiver, c’est la Pologne qui risque une rupture d’approvisionnement, ses importations étant limitées par la saturation de son réseau par l’Allemagne qui l’emprunte pour traverser ses frontières !  

 En décembre 2013, Pierre Audigier annonçait  dans ParisTech Review que la France ne sera pas épargnée par ces « déversements considérables d’électricité fatale en provenance d’Allemagne ».

Désormais, l’Europe cofinance la connexion et la synchronisation de son réseau « ENTSO E » avec la Roumanie, l’Ukraine et la République Moldave (ro-ua-md.net), ainsi qu’avec la Turquie.
Pour mémoire, le 31 mars dernier, celle-ci subissait un blackout historique qui touchait les 76 millions de turcs. Une des explications les plus plausibles semblant en être (E structural problems) la baisse du cours du MWh, dans ce marché libéralisé, qui dissuadait les producteurs de vendre leur courant lorsque les cours sont trop bas. Une marge de sécurité suffisante n’ayant pas été prévue pour le temps de redémarrage après une chute brutale des productions aléatoires.
A cette occasion, l’ENTSO E s’était déconnecté en urgence du réseau turc pour éviter la propagation en chaine du blackout sur toute l’Europe.

L’Ukraine, de son côté, prévoit de se couper du réseau russe et se prépare déjà à être concurrentielle sur le réseau européen avec un kWh à 42 kopeks, soit, environ 2 centimes d’euro, tout en investissant prioritairement dans les énergies renouvelables (37.8%) avec l’instabilité de production que cela implique.
Cette surcapacité de production électrique aléatoire touche désormais la totalité de l’Europe et déstabilise la bourse du MWh. 
Depuis début février, les traders vendent à perte les surproductions tchèques à l’Allemagne sur le marché de gré à gré, (OTC) et achètent des capacités d’interconnexion sans les utiliser afin d’être plus réactifs sur le marché en cas de besoin.
Quel peut être l’avenir d’EDF, déjà éjecté sans ménagement du Cac 40 et condamné avec la même certitude quels que soient ses choix sur les EPR d’Hinkley Point, ou le nombre de réacteurs qu’il sera contraint de fermer ?

La fin de notre sécurité énergétique

L’abandon aux traders du marché de l’énergie, dont le contribuable paye chaque rouage : du tarif préférentiel subventionné pour l’intermittence, aux lignes de transport, ou de distribution et aux mécanismes d’effacement et de capacité, permet des marges considérables à chacun de ces nouveaux acteurs. 
Et explique que le consommateur voie sa facture enfler tandis que la surproduction aléatoire fait effondrer les cours, ruine EDF dont l'état des finances l'amène à céder ses principaux outils tels que son réseau RTE et que la libéralisation du secteur de l’énergie le contraint à céder les concessions de ses barrages.

L’échec de cette libéralisation du secteur de l’énergie en Angleterre s’était pourtant soldée, ironie de l’histoire, par sa prise de contrôle par EDF, détenu, rappelons le, par l’État français à 84.6% et la « perte de capacité de contrôle et en définitive de souveraineté pour le gouvernement, et a fortiori pour les citoyens britanniques », ainsi que par l’enrichissement de grands groupes privés.
L’exemple n’aura pas permis d’anticiper le désastre qui se profile.

Bien sûr, les intérêts d'un marché toujours plus mondialisé feront probablement en sorte que le système reste viable. Mais comme dans les autres domaines c’est eux qui désormais dicteront leurs lois.

Depuis le « scandale d’Etat » de la vente d’Alstom à General electric « C'est lui aussi qui aura le dernier mot sur la maintenance de nos centrales sur le sol français... Nous avons donc délibérément confié à un groupe américain l'avenir de l'ensemble de notre filière nucléaire ».

Or, qu’on le veuille ou non, toute doctrine de gestion de la sécurité a un coût.
Ce coût demande d'en avoir les moyens.
Le dilemme d’EDF, qui doit désormais choisir entre chuter encore pour avoir accepté la construction de l’EPR anglais d’Hinkley Point ou pour l’avoir refusée, vient d’être illustré par la  démission de son directeur financier.

Cette descente aux enfers n’augure pas d’avenir serein.
Ni pour notre sécurité d’approvisionnement.
Ni pour celle de nos réacteurs nucléaires.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire