L’entêtement : une exception
française
Jean Pierre Riou
Mis à jour le 11/11/2024
L’évolution de la
production électrique européenne a amené son gestionnaire de réseau Entsoe à
en identifier les 2 risques majeurs pour la sécurité de l’approvisionnement
électrique :-
-
- L’augmentation de la part d’énergies
renouvelables qui augmente
les risques d’écroulement du réseau par manque d’inertie.
--- -
La diminution de la production renouvelable qui empêche
alors de « couvrir
la demande pendant les périodes de pénurie prolongées avec une très faible
production d’énergie renouvelable variable (VRE), comme les semaines d’hiver
sans vent ».
L’Allemagne vient de faire l’expérience de ce second paramètre avec le Dunkelflaute
de novembre, ou période sombre et sans vent, qui fait grimper les prix de
l’électricité dès que le froid arrive. La prudence allemande, développée dans
cet article, y sera confrontée à l’exception européenne de l'entêtement français qui préfère s’appuyer
sur les caprices du vent.
La prudence allemande
Le 6 novembre 2024, les éoliennes allemandes n’ont quasiment
rien produit de la journée, tombant même à 44,2 MW, dont rien du tout pour
l’éolien en mer à 14 heures, soit un facteur
de charge de 0,06% pour les 71 720 MW éoliens installés en
Allemagne.
Source : production
électrique (éoliennes) institut Fraunhofer
Sa mise en route de moyens de pointe a porté le prix du MWh allemand à 820 €
lors du pic de consommation, contre 128 €/MWh en
France au même moment, la saturation des interconnexions leur interdisant
alors d’importer davantage. Malgré le prix à payer ponctuellement, l’électricité
a été fournie. Pour mémoire, le coût de l'énergie non distribuée mentionné à l'article L. 141-7 du
code de l'énergie est fixé à 33 000
€/MWh.
Et le critère de sécurité d'approvisionnement du système électrique mentionné à
l'article D. 141-12-6
du code de l'énergie est tel que :
- la durée moyenne de défaillance annuelle est inférieure à trois heures ; et
- la durée moyenne de recours au délestage pour des raisons d'équilibre offre-demande
est inférieure à deux heures.
Pour répondre au défi de telles pannes de vent, l’Allemagne
a fait le choix d’entretenir un doublon pilotable de centrales thermiques,
essentiellement à gaz, dont les scénarios à long terme n’ont pas prévu de se
passer, pour faire face à l’électrification programmée des usages. L’illustration
de l’évolution du parc thermique envisagée dans le scénario de référence de
l’institut Fraunhofer, ci-dessous, est édifiante sur ce point, malgré
l’augmentation prévue, dans ce même scénario de 525% du parc renouvelable.
Source : scénario
de référence institut Fraunhofer
L’entêtement français
Pour éviter
des coupures, voire des blackouts lors de telles périodes critiques, la
France a mis en place, en janvier 2017, un mécanisme unique en Europe en
créant un marché de capacités. En octobre 2021, la CRE
constatait cependant que les bénéfices de ce mécanisme pour la collectivité, mis en évidence par le retour
d’expérience, se fait « au prix d’un
transfert financier important des consommateurs vers les exploitants de
capacités ».
Ce mécanisme donne obligation à tous les fournisseurs de
disposer de certificats de capacité établissant leur aptitude à répondre aux
besoins de leurs clients.
RTE tient le registre du niveau de capacité certifié (NCC).
En toute logique, on y trouve 1614,3 MW de charbon sur les 1800 installés,
valorisant ainsi une capacité de secours dont le facteur de charge n’était que
de 5% sur l’année 2023 avec une
production de 0,8
TWh, mais dont la disponibilité quasi intégrale est garantie toute l’année,
ainsi que l’illustre ci-dessous le site
RTE de ces données en temps réel.
.On trouve également dans le registre de certification celle de 3560,9 MW
d’effacement, de 713,5 MW de batteries, ainsi que la quasi-totalité de celle des
turbines à combustion, soit 1799,6 MW sur les 2 GW installés, dont 1,4 au
fioul, selon
le bilan RTE 2023, qui précise que ces dernières, dont le recours
d’« extrême pointe » est indispensable pour passer les périodes
critiques, ne seront pas autorisées à produire davantage que l’équivalent de
400 heures par an pleine puissance dès 2025. D’où la nécessité de leur
valorisation par le mécanisme de capacité dont le coût est répercuté sur le
consommateur.
L’invité surprise
Mais il est plus étonnant d’y trouver la certification de capacité de 3833,7 MW
éoliens terrestre et 159,2 MW en mer, soit 3992,9 MW certifiés sur un total
de 23273 MW installés, qui représentent 17,1 % de leur puissance totale, ainsi que
l’illustre le
registre de RTE reproduit ci-dessous.
L’usine à gaz
RTE a participé à l’élaboration d’une fiche
pédagogique expliquant le mécanisme financier de certification, qui fait
obligation au portefeuille de tout fournisseur de détenir autant de MWh de
capacité à la pointe qu’il ne consomme de MWh à la pointe. De plus, le
gestionnaire de réseau de distribution (GRD) a l’obligation de conclure un
contrat avec chaque entité de certification (EDC), c'est-à-dire notamment tout
parc éolien raccordé à son réseau.
Un régime dérogatoire
fait exception au régime générique, qui se fait certifier par la « méthode de calcul sur le réalisé », tandis que les capacités
soumises au régime dérogatoire sont « les capacités des filières solaire ou éolien (OA ou non), dont la source d’énergie
primaire est soumise à un aléa météorologique
conférant un caractère fatal à la production. »
Leur capacité est évaluée par la méthode normative, c'est-à-dire : qui se dispense de toute collecte de données sur la capacité
effectivement réalisée. Des coefficients
spécifiques aux filières étant utilisés pour l’évaluation du Niveau de Capacité
Certifié (NCC), en méthode normative.
L’illustration
ci-dessous n’est destinée qu’à montrer le parcours du combattant destiné
notamment à valoriser le développement des capacités certifiées des éoliennes lors
des prochaines périodes critiques, qui seront structurellement sans vent.
Prime unitaire de
gestion
Cette usine à gaz a pourtant un coût, porté par le
consommateur, dont le prix à payer à chaque étape de cette certification.
Laquelle est compensée pour le producteur par une
prime unitaire de gestion , qui est « représentative
des coûts supportés par le producteur pour valoriser sa production sur les
marchés de l'énergie et de capacité ». L’arrêté tarifaire du 6 mai
2017 pour l’éolien prévoit une prime
unitaire de gestion de 2,8 €/MWh.
Cette usine à gaz, vient s’ajouter aux différents autres mécanismes
décrits dans l’article « Pourquoi
il est urgent de dégraisser le mammouth ».
Et fait regretter la grande époque du quasi-monopole d’État
de EDF, libre d’opter pour les solutions qui lui semblaient les plus efficaces.
L’excédent français
La France est premier
exportateur mondial d’électricité quasiment chaque année depuis 1990,
tandis que sa consommation affiche une baisse structurelle qui accuse, en 2023,
la plus
basse consommation brute jamais enregistrée depuis 2004. Même en corrigeant
ces chiffres pour en supprimer les effets du réchauffement des températures sur
la baisse de la consommation, ainsi que l’illustre ci-dessous le bilan 2023 de
RTE.
Ce n’est pas pour autant que le parc de production est
capable d’affronter une vague de grand froid sans devoir recourir aux
importations, dont la disponibilité est elle-même tributaire de celle des
interconnexions. Mais cela ne justifie alors que le soutien public de la
disponibilité des moyens de production pilotables d’extrême pointe.
Car ce mécanisme a un
coût.
La CRE évalue régulièrement le prix plafond de négociation
de ces capacités certifiées. En 2021, elle le
fixait à 60 000 €/MWh pour 2023 et 2024.
EDF a publié un éclairage
sur leurs enchères. Celles-ci connaissent une baisse tendancielle des cours
et un maximum de 35,37 €/kW pour les livraisons en 2024. (35 379 €/MW). On peut se demander la raison d’une telle
valorisation des MW éoliens installés dont les parcs ainsi rémunérés sont susceptibles
de ne rien produire du tout au moment des pointes de consommation.
Annus horribilis
L'année 2022 fait exception dans l'histoire de notre parc de production qui, pour
la première fois depuis 1990, a connu un solde import net d'électricité. Le 4
avril, le marché français atteignait le plafond autorisé de 3000 €/MWh,
entraînant ainsi automatiquement son relèvement à 4000 €. Ce nouveau plafond de
4000 euros a d’ailleurs été atteint dans les pays baltes, faisant déjà annoncer
son relèvement automatique à 5000 euros le 20 septembre 2022.
Mais ce 4 avril, les interconnexions étaient saturées par les loop flows
allemands qui transitaient sur notre réseau, selon le rapport
de la CRE qui expliquait « Les capacités d’import de la la France sont
plus limitées en cas de forte production éolienne en Allemagne » et
relevait seulement 3597 MW de capacité d’import disponible depuis la
Belgique et l’Allemagne, le 4 avril à 8 heures, contre une capacité moyenne disponible de 8364 MW.
Dès lors, RTE avait dû faire appel au coûteux mécanisme d’ajustement,
avec des offres
d’activation jusqu’à 3512 €/MWh
qui dépassaient ainsi le plafond du marché.
Notons que l'offre la moins chère correspond en toute logique au cours exact du marché et que la plus chère le dépasse largement, mais sans se répercuter sur le marché qui était alors plafonné à 3000 €/MWh.
Malgré son coût, ce dispositif a permis d’éviter des délestages dont le prix
de l’électricité non distribuée est évalué à 33 000
€/MWh, celui-ci correspondant, selon la définition
de la CRE, à « la valeur des
pertes économiques subies par les consommateurs lors des coupures d’électricité ».
La question n’est d’ailleurs même plus de savoir ce qu’on
aurait pu faire de plus rationnel avec cet argent des
contribuables-consommateurs que subventionner à l'avance les éoliennes pour le secours qu'elles seront supposées rendre en pareil cas, mais de chiffrer les coûts que l’entêtement dans
cette fuite en avant induit sur les réseaux, ainsi que sur la rentabilité
des moyens pilotables décarbonés tels que le nucléaire ou l'hydraulique.