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vendredi 25 octobre 2024

Production d’électricité : Pourquoi il est nécessaire de dégraisser le mammouth

 

Production d’électricité :

Pourquoi il est nécessaire de dégraisser le mammouth

 

Jean Pierre Riou

 Mis à jour le 27/10/2024

Le parc de production d’électricité d’EDF a représenté un modèle mondial et constitué l’atout majeur de la France en termes de compétitivité et de souveraineté énergétique. La mise en place par l’Europe de la libéralisation du marché de l’électricité et de l’obligation de parvenir à une part croissante de production renouvelable intermittente, lui ont porté un coup mortel en entraînant un invraisemblable engraissement des structures de notre sécurité d’approvisionnement, ainsi qu’un formidable enchérissement de leurs coûts.

Cet article vise à les détailler, la complexité du sujet est la raison des 2 parties de son analyse

Première partie

-          Le marché

-          L’écrêtage des EnR

-          Les charges du service public

Seconde partie

-          Le raccordement des EnR

-          La restructuration du réseau

-          Le stockage

-          Le doublon intermittent

 

Première partie 

Le marché

La Commission européenne a misé sur les bienfaits de la concurrence dans tous les domaines, avec l’idée directrice qu’en évitant les monopoles, cette concurrence profitera au consommateur.

Deux raisons majeures plaident pour l’exclusion de l’électricité de ce marché :

1)      Son approvisionnement semble dépendre davantage du même domaine régalien que la sécurité intérieure (police justice) et extérieure (défense diplomatie) et ne pas être livrée aux aléas et à la cupidité du marché.

2)      L’électricité est une fourniture particulière qui ne se stocke pas, du moins pas à grande échelle pour un coût acceptable par la collectivité, et dont la valeur d’un MWh pilotable ne  saurait être comparée aux services rendus par un MWh intermittent. Pour Marcel Boiteux, elle « cumule pratiquement toutes les exceptions aux heureux effets de l’économie de marché » qui continuait  : « D’où suit qu’on peut militer avec conviction pour la régulation par le marché, et en exclure l’électricité. »

 

Pour permettre cette libéralisation, la Directive européenne 2009/72/CE du 13 juillet 2009 a mis en place des dispositions « visant à assurer une «séparation effective des activités d’approvisionnement et de production, d’une part, et de la gestion des réseaux, d’autre part », démantelant ainsi le quasi-monopole d’EDF pour inviter sur ce marché quantité de nouveaux acteurs : producteurs, fournisseurs, négociants, opérateurs d’effacement ou responsables d’équilibre, dont la CRE décrit le rôle.

La facture du consommateur est composé de 3 parties : l’électricité proprement dite (38%), son transport (30%) et les taxes et contributions (32%). Ce qui interroge déjà sur l’intérêt d’encourager l’essor de fournisseurs qui ne produisent rien, de traders qui profitent de la volatilité des cours, tandis que les coûts d’acheminement explosent pour permettre l’intégration des énergies renouvelable qui exige la restructuration du réseau.

Écrêtage

 

Selon la CRE, les responsables d'équilibre « sont des opérateurs qui se sont engagés contractuellement auprès de RTE à financer le coût des écarts constatés a posteriori entre l'électricité injectée et l'électricité consommée (injections < soutirages) au sein de leur périmètre d'équilibre. A contrario, en cas d’écarts positifs (injections > soutirages), ils reçoivent une compensation financière de RTE. Ils peuvent être fournisseurs d'électricité (français ou étrangers), consommateurs (site d'un groupe, entreprise désignée par un groupe d'entreprises) ou n'importe quel tiers (banque, courtier, etc».

C’est ainsi que 264 responsables d’équilibre sont chargés d’équilibrer l’adéquation du périmètre dont ils sont responsables. EDF trading est l’un d’eux, on y trouve également des gestionnaires de réseau de transport étrangers comme National Grid, des exploitants d’énergies renouvelables comme Iberdrola, ou SEFE market, branche de SEFE energy, qui est lenouveau nom de Gazprom Germania depuis 2022, ou des banques étrangères comme Morgan Stanley.

Ce rôle implique des « flux financiers » entre ces responsables d’équilibre et RTE ou Enedis (GRD) dont la complexité a suscité l’évolution des règles concernant l’écrêtage des EnRi sous obligation d’achat (OA), dont les coûts induits sont affectés au « Compte ajustement écarts » (CAE) par RTE.

En janvier 2024, RTE proposait le schéma ci-dessous pour les flux financiers concernant la flexibilité du réseau de transport (RPT) lors de l’écrêtage nécessaire des EnR sous obligations d’achat.

 


Dans sa délibération du 5 janvier 2023 modifiant le TURPE 6, la CRE incluait « la possibilité de prendre en charge par le TURPE au CRCP*, au cas par cas et sous réserve que RTE ait fait preuve de toutes les diligences requises, les créances irrécouvrables des responsables d’équilibre. »

(*CRCP : compte de régularisation des charges et des produits).

En Allemagne, dont le développement des EnR nous montre la voie, les coûts du maintien de la stabilité du réseau se sont élevés à environ 1,4 milliards d´Euros en 2020, dont plus de la moitié pour l´écrêtement de la production par l´indemnisation des producteurs d´énergies renouvelables, selon Allemagne Energies.

Prix négatifs

A ces écrêtages pour les impératifs du réseau, s’ajoutent les contrats d’EnR établis après 2017 sur la base d’un complément de rémunération fixé par appel d’offre, qui prévoient la rémunération de l’éolien sur la base de 35% de facteur de charge et 70% pour l’éolien en mer, ainsi que 50% pour le photovoltaïque, pour les installations qui s’arrêtent de produire dès que les prix sont négatifs. (Voir les sources dans Le Mont Champot au § Rémunération lors des prix négatifs). La CRE publie chaque mois le bilan des heures négatives. (faire défiler les onglets avec la flèche en bas à gauche, puis sélectionner "Heures de prix > 0.)

Ces données font état de 4 heures de prix négatifs en 2017, et une augmentation progressive jusqu'à 338 heures entre le 1 janvier et le 30 septembre 2024, soit 325 heures pendant lesquelles les éoliennes ont été rémunérées sur la base d'un facteur de charge de 35% ou 70% (en mer) pour ne pas produire

Charges du service public de l’électricité (CSPE)

Lors de la crise de 2022, la presse a largement relayé la contribution des EnRi au contrôle des prix du MWh. La délibération du 3 novembre 2022 prévoyait en effet 16,5 Md€ de contribution positive des énergies renouvelables électriques pour la seule année. Pour la 1ère fois de son histoire la France était devenue importatrice nette d’électricité en 2022 et le cours du MWh atteignit ponctuellement le plafond de 3000 €. Pour calculer les charges liées aux contrats accordés aux EnRi, la CRE retranche le coût évité, dont les prévisions, lui étaient alors supérieures. C’est d’ailleurs la raison des résiliations anticipées de contrats d’obligation d’achat et de complément de rémunération, qui se sont multipliées en 2022, avec un pic de plus de 1000 MW résiliés en septembre, le marché devenant plus rentable que ces contrats. (Voir annexe 3)

Dans sa délibération de 2023, la CRE revoyait ce chiffre à la baisse avec 1,5 Md€ pour 2023 au lieu de 16,5 Md€ en raison du retour du marché au taux d’avant la crise.

Et dans sa délibération de juillet 2024, la CRE prévoyait le retour d’une charge pour la collectivité en 2024 et 2025.

Cette baisse des charges positives par rapport aux prévisions « s’explique essentiellement par la baisse des prix de gros de l’électricité. Ainsi, s’agissant des contrats d’achat au périmètre d’EDF, le coût évité « énergie » unitaire moyen passe de 235,9 €/MWh à 218,9 €/MWh ». Tandis que dans son l’annexe 1, la CRE confirme cette valeur de 218,91€/MWh pour le coût évité par chaque MWh d’EnRi produit en 2023 en écrivant pour la prévision 2025  « le coût évité unitaire moyen diminue de 218,91 €/MWh en 2023 à 85,72 €/MWh en 2025. »

Cette valorisation du coût évité à 218,9€/MWh pour 2023 ne manque pas de surprendre dans la mesure où le 1° de l’article L. 121-7 du code de l’énergie dispose que les coûts évités à EDF par les contrats d’achat en métropole continentale sont évalués « par référence aux prix de marché de l’électricité » et que selon RTE les prix de l’électricité ont affiché une baisse bien plus significative : « de 276 €/MWh en 2022 à 97 €/MWh en 2023 en moyenne annuelle en ce qui concerne les prix « spot » » et que les données des douanes françaises indiquent que 75,2 TWh ont  même été exportés en 2023 au cours moyen de 90,2€/MWh.

Le calcul de ce coût évité qui permet à une production pourtant aléatoire d’être valorisée avec un tel écart avec son service réellement rendu est précisé en annexe.

Les charges sont déclarées par EDF Obligation d’achat (EDF OA) (annexe 3 page 1)

Dans sa méthodologie, la CRE rappelle en effet que « EDF OA est actuellement le cocontractant unique des contrats de complément de rémunération portant sur des installations de production d’électricité. » Lequel EDF OA est une filiale 100% EDF qui, à l’instar de RTE ou ENEDIS, ont un fonctionnement autonome et n’a pas à prendre en compte la perte financière liée à la modulation à la baisse, pour absence de débouché économique et qui n’est plus à démontrer, de son parc nucléaire (ci-dessous en rouge) lors de chaque pic de production solaire (en jaune) ou éolienne (en gris). 


Source Institut Fraunhofer

En tout état de cause, l’envolée ponctuelle du cours en 2022 explique la parenthèse alors ouverte dans l’accroissement régulier des charges liées aux EnRi, qui s’est refermée en 2024 ainsi que l’illustre la CRE ci-dessous. 

 

 



 

EDF résume la dénomination des taxes de recouvrement de ces coûts au 1 février 2024, ainsi que leur évolution prévue.

  • L’accise sur l’électricité, anciennement nommée CSPE (Contribution au Service Public de l’Electricité) ou TICFE (Taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité)
  • La CTA (Contribution Tarifaire d’Acheminement)
  • La TVA (Taxe sur la Valeur Ajoutée)

Le projet de loi de finance 2025, prévoit une augmentation de 4,6 Md€ du budget « en lien avec la croissance du nombre de projets soutenus et les baisses de prix de marché », à travers le programme 345 du budget général de l’État.

Lors de la crise de 2022, la presse a largement relayé la contribution des EnRi au contrôle des prix du MWh. La délibération du 3 novembre 2022 prévoyait en effet 16,5 Md€ de contribution positive des énergies renouvelables électriques pour la seule année. Pour la 1ère fois de son histoire la France était devenue importatrice nette d’électricité en 2022 et le cours du MWh atteignit ponctuellement le plafond de 3000 €. Pour calculer les charges liées aux contrats accordés aux EnRi, la CRE retranche le coût évité, dont les prévisions, lui étaient alors supérieures. C’est d’ailleurs la raison des résiliations anticipées de contrats d’obligation d’achat et de complément de rémunération, qui se sont multipliées en 2022, avec un pic de plus de 1000 MW résiliés en septembre, le marché devenant plus rentable que ces contrats. (Voir annexe 3)

Dans sa délibération de 2023, la CRE revoyait ce chiffre à la baisse avec 1,5 Md€ pour 2023 au lieu de 16,5 Md€ en raison du retour du marché au taux d’avant la crise.

Et dans sa délibération de juillet 2024, la CRE prévoyait le retour d’une charge pour la collectivité en 2024 et 2025.

« en lien avec la croissance du nombre de projets soutenus et les baisses de prix de marché », à travers le programme 345 du budget général de l’État.

Annexe

Pour calculer le coût évité par les productions renouvelables, la CRE distingue, dans son annexe 3, le coût évité par la production dite quasi certaine et celui évité par la production dite aléatoire. Cette production quasi certaine est composée d’un ruban de base, et de trois blocs supplémentaires, nommés « surplus de production », répartis sur le premier trimestre (Q1) et des mois de novembre (M11) et décembre (M12). Les références de coût évité retenues pour chaque bloc de puissance quasi certaine correspondent aux résultats des ventes à terme organisées par EDF OA. Pour le ruban de base, ces ventes de la production 2023 ont été réalisées en 2021 et 2022, les ventes Q1 en 2022, et les ventes de M11 et M12, ont été réalisées courant 2023.

Pour la première fois en 2022, la nouvelle méthodologie mise en œuvre permet de calculer cette puissance quasi certaine de l’ensemble du parc EnR soutenu sans détailler la puissance de production garantie pour chaque filière et permettant notamment de prendre en compte une puissance garantie par l’éolien au prétexte que la cogénération au gaz comblera l’absence de vent. Ce qui explique le passage de 1400 MW quasi certains en 2021 à 2700 MW en 2022.

Une puissance totale de 34,9 GW renouvelable a été soutenue (TOA + compléments de rémunération) dont 30 GW éolien + photovoltaïque, qui en représentent donc la quasi-totalité (annexe 3 p 10). Le tableau 5 de la p 14 fait état d’une puissance « quasi-certaine » de 7600 GW, soit 22% de la puissance totale installée. Quand, selon RTE, le facteur de charge moyen du solaire a été de 14,2% en 2023 et de 26,2% pour l’éolien terrestre. Avec l’obscure explication que cette puissance quasi-certaine est « désormais calculée avec une cible de dépassement de la puissance produite par l’ensemble du parc soutenu sur 10 % des pas de temps ».  

Le parc éolien à terre soutenu représente 14 GW (p 10), sa production quasi-certaine retenue est de 14 006 GWh, soit un facteur de charge de 11,5% pour un coût ainsi évité de 288 €/MWh (4045M€/14006GWh p 15). 

D’autre part, sa production considérée aléatoire est de 7287 GW et a « capturé » un prix de référence de 49,87 €/MWh sur les marchés court terme, permettant à EDF OA le même coût évité.

Pour calculer les charges imputables à l’éolien en 2023, la CRE a ainsi considéré que les 2/3 de sa production ont été vendus 1 ou 2 ans en amont, profitant du même coût de la fébrilité du marché à terme d’alors qui anticipait un MWh 3 fois plus cher qu’il l’a été.

Notons que la CRE organise une consultation sur une méthode visant répartir la prise en compte du prix de ce marché à terme sur 3 ans au lieu de 2 pour limiter ce genre d'incohérence. 


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