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vendredi 30 mai 2025

L'Allemagne écartelée

 

L'Allemagne écartelée

Jean Pierre Riou

 

 

Le 28 avril 2025, l’écroulement du système électrique ibérique occultait un événement majeur du marché de l’électricité : la publication par l’ENTSO-E d’une proposition de réforme des zones d’enchères du marché couplé de l’électricité.

Ce couplage signifie que pour une meilleure exploitation des interconnexions, les enchères concernant les MWh sont implicitement couplées avec les capacités de transport concernées, en fonction de la disponibilité de chaque point du réseau calculée par le centre Coreso.

Mais les engorgements structurels du réseau amènent les MWh à transiter par les réseaux des pays voisins sans que ceux-ci aient été sollicités pour en être rétribués. Mais les lois de Kirchhoff n’ont que faire des programmes d’enchères et font transiter les électrons par le chemin de moindre résistance sur la plaque de cuivre européenne. C’est ainsi que l’Allemagne, qui a fait l’économie du développement de son réseau pour faire transiter la production de ses éoliennes de la mer du Nord vers le sud industriel où elle sera consommée, emprunte des chemins non négociés par les réseaux frontaliers sans avoir à en faire la demande.

La violation du règlement européen

Cette situation soulève une brûlante question de conformité avec l’article 14 du RÈGLEMENT (UE) 2019/943 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL  du 5 juin 2019 qui prévoit la révision des zones d’enchères à la suite de l’examen tous les 3 ans d’éventuelles congestions structurelles pour éviter que les « flux de boucle » ainsi générés ne soient de nature à réduire les capacités d’échange des zones voisines et indique : « Une zone de dépôt des offres est délimitée selon les congestions structurelles et à long terme du réseau de transport. Les zones de dépôt des offres ne contiennent pas de telles congestions structurelles, à moins […] que leur incidence sur les zones de dépôt des offres voisines soit atténuée par des actions correctives et que ces congestions structurelles ne débouchent pas sur des réductions de la capacité d'échange entre zones, conformément aux exigences prévues à l'article 16. »

Or les flux de boucles générés par ces congestions réduisent significativement les capacités d’échanges entre zones des pays traversés, comme l’illustre la situation dramatique qu’ils ont engendré en France le 4 avril 2022. Ces flux ont également pour effet de fausser le marché en orientant à la hausse le cours des pays traversés. La congestion des réseaux bride déjà l'énergie solaire et éolienne dont il faut de plus en plus payer les producteurs pour ne pas produire.

Mais l’Allemagne s’oppose vigoureusement à la séparation de son territoire en plusieurs zones qui feraient grimper le cours du MWh pour son industrie.

L’Allemagne écartelée

Ce 28 avril, l’ENTSO-E rendait donc avec retard son rapport prévu pour 2023.

Ce rapport chiffre les bénéfices attendus par chaque scénario de révision des zones d’enchères.

Sans surprise, c’est la séparation de l’Allemagne en plusieurs zones d’enchères qui arrive en tête des économies permises à la collectivité par la fin d’une zone de prix unique. La solution optimale parmi les solutions validées étant la séparation de l’Allemagne en 5 zones différentes, tandis que la séparation de la France, véritable plaque tournante des échanges au sein du marché couplé, n’apporterait que des surcoûts qui expliquent le rejet de cette option.

L’illustration ci-dessous récapitule les avantages économiques, notamment par la réduction de l’écrêtement des EnR et la réduction des coûts (de redispatching) engendrés par chaque option.



Et l’illustration ci-dessous précise l’impact sur les prix nationaux du MWh de chaque scénario. Il montre clairement que l’Europe du nord-ouest serait la grande bénéficiaire de la scission de l’Allemagne en plusieurs zones d’enchères, tandis que l’impact serait à la hausse dans l’Europe du sud est.


 

Dans tous les cas de figure, la France disputerait le MWh le moins cher d’Europe avec le Danemark. Notons que ces prix ne sont pas des prix observés, mais modélisés pour chaque région en fonction de la réalité du marché mais aussi des coûts de rééquilibrage de réseau pour éviter les congestions et des flux d'électricité.

L’Allemagne se prépare depuis plusieurs années à se battre contre cette réforme qui ne lui permettrait plus de retarder le développement de son réseau grâce à ceux de ses voisins et verrait le coût de ce transport se répercuter sur le prix du MWh dans le sud industriel.

Malgré le caractère juridiquement contraignant du règlement européen, et le caractère structurel illégal des congestions de son réseau, dont le retard s'accroit malgré les centaines de milliards investis dans son développement, on peut imaginer le peu d’empressement de l’indispensable accord du gouvernement d’Outre Rhin pour entériner cet écartèlement de son marché qu'il combat, et qui dispose encore de nombreux leviers juridiques de contestation pour éviter la procédure d’infraction par la Commission européenne.

jeudi 29 mai 2025

EnR et minéraux critiques

 

EnR et minéraux critiques

Jean Pierre Riou

Les besoins

L'Europe ne représente plus aujourd'hui que 3 % de la production minière mondiale, contre 40 % au début du siècle dernier. La dépendance aux importations des minéraux critiques, essentiellement exploités par la Chine, est le défi des années à venir pour sécuriser un système électrique appelé à remplacer la dépendance au pétrole. La dissémination des énergies renouvelables demande des milliards d’euros pour leur raccordement, dont 37 milliards pour le seul raccordement de 22 GW d’éolien en mer. Mais également des dizaines de milliers de tonnes de cuivre et plus encore d’aluminium pour restructurer et développer le 1,6 million actuel de kilomètres de lignes électriques qui maillent la France afin de leur permettre d’accueillir davantage d’énergies renouvelables. C'est ainsi que l'Allemagne a pris un retard de presque 6000 km de lignes électriques en 8 ans, par rapport au développement qui était jugé nécessaire pour accueillir le développement des EnR.

Le Ministère de la Transition énergétique a publié une comparaison des besoins en minéraux de différentes technologies.


A noter que dans sa version de 2021, l’AIE a revu significativement à la baisse les besoins en silicium du PV, et revu à la hausse ceux de l’éolien terrestre.

Or ces besoins sont calculés par MW installé alors que le facteur de charge des EnR est notoirement inférieur à celui du nucléaire. Et l’illustration ci-dessous est plus parlante à ce sujet dès lors qu’on place sur 100% le curseur du calculateur du Global Energy Footprint pour les besoins en minéraux par unité d’énergie produite, et à 0% pour les autres indicateurs, qui permettent d’ailleurs de mesurer les avantages du nucléaire pour chacun d’eux.



Or c’est bien de MWh que la transition énergétique a besoin, et non de puissance installée, si celle-ci ne produit pas.

L'indispensable relocalisation

Le gisement de 753380 tonnes de cuivre est répertorié en France métropolitaine par l’inventaire du BRGM. Mais pour des raisons sociales et environnementales la France n’exploite plus de mine de cuivre sur son sol et l’importe majoritairement du Chili, avec des conséquences environnementales bien supérieures. Un nouveau permis d’exploitation aurait été accordé près de Lyon afin de répondre à la crise qui se profile, de même que la question ne devrait même pas se poser quant à la pertinence de l’exploitation minière de l’incontournable lithium en France.

Mais sachant que le kWh le plus vertueux est celui qu’on ne consomme pas, il ne faut pas voir la voracité des EnR en minéraux critiques à travers le seul prisme de leur coût, mais également de celui des conséquences environnementales qu’il faudra bien relocaliser sur notre sol. 

Pour ne pas pleurer ensuite sur les effets d'une cause qu'on a appelée de nos vœux.

mercredi 28 mai 2025

Le maillon faible de la défense européenne

 

EnR électriques intermittentes :

Le maillon faible de la défense européenne

Jean Pierre Riou

En multipliant les accès à distance aux unités de production renouvelable, le développement des EnR compromet significativement la sécurité de l’Europe.

Le cheval de Troie

La stratégie militaire en général, et la guerre hybride en particulier focalisent depuis longtemps leurs attaques sur les infrastructures énergétiques. La Russie l’illustre à nouveau dans ses représailles contre Kiev, et notamment par les impacts ciblés de plus de 40 missiles et 70 drones en janvier dernier. Kiev étant d’ailleurs accusé de privilégier ces mêmes cibles en Russie.

A l’occasion de ces affrontements, la centrale de Zaporijia a démontré la résilience du nucléaire en supportant l’impact de pas moins de 12 missiles dans le seul weekend du 19-20 novembre 2023 sans la moindre répercussion sur sa sûreté. A l’inverse, les énergies renouvelables électriques sont particulièrement vulnérables aux cyberattaques, en raison de leur dissémination et des variations aléatoires de leur production qui réclament la multiplication des contrôles à distance.

En 2018, l’institut français des relations internationales (IFRI) alertait sur cette vulnérabilité des énergies renouvelables qui en faisaient la cible privilégiée des hackers de tout poil. L’étude montrait comment en 2013, le groupe Dragonfly avait pris le contrôle de nombreuses éoliennes aux États-Unis et en en Europe, notamment en Allemagne.

A l’occasion de la guerre en Ukraine, pas moins de 5800 éoliennes allemandes ont notamment été paralysées par une cyberattaque. Et aujourd’hui, l’agence Reuters nous apprend que les Américains viennent de découvrir des logiciels espions de communication avec la Chine dans leurs parcs de production photovoltaïque.

Même si la piste cybercriminelle semble écartée du blackout qui vient de frapper la péninsule ibérique, il est urgent de faire la part de la vanité de nos dépenses d’armement en regard d’une telle brèche dans le système de défense européen qui repose sur la communication.

Et de comprendre que particulièrement en temps de tension géopolitique, la robustesse du système électrique ne saurait être une variable d’ajustement.

mardi 27 mai 2025

Le prix d’une usine à gaz

 

Le prix d’une usine à gaz

Jean Pierre Riou

Manquement aux obligations dans le trading de l’électricité

 La puissante banque d’affaire JP Morgan SE, vient d’être condamnée à 500 000 € d’amende par le gendarme des transactions sur l’électricité qu’est le CoRDiS. Cette condamnation est l’épilogue d’une longue enquête sur les causes des niveaux de prix atteints par le MWh lors de l’hiver 2022-2023. 

Le CoRDiS prononce en effet des condamnations en cas de violation du règlement REMIT, notamment pour manipulation des cours, ainsi qu’il venait de le faire à l’encontre de 2 société gazières en janvier 2025.

En l’occurrence, JPMorgan SE agit sur le marché de l’électricité en tant qu’intermédiaire ou fournisseur de services d’exécution et de compensation pour des transactions sur les marchés organisés principalement sur l’European Energy Exchange (EEX) en Allemagne. Le groupe financier permet à ses clients d’accéder à ces marchés grâce à une passerelle appelée « Accès Direct au Marché » (DMA), où les clients saisissent directement leurs ordres, ainsi qu’il se définit lui-même dans sa réponse au CoRDiS. JPMSE n’agit pas directement dans les stratégies de négoce de ce marché destinées à équilibrer le réseau, contrairement à ses clients qui sont notamment rémunérés pour assurer l’équilibre entre l’offre et la demande dans les périmètres pour lesquels ils ont conclu un contrat avec RTE. En effet, 278 responsables d’équilibres (RE) se répartissent la charge d’équilibrer  le réseau RTE, et 87 se répartissent le réseau de distribution Enedis.

On trouve parmi eux aussi bien les branches trading d’énergéticiens comme SEFE Market (nouveau nom de Gazprom Germania) ou EDF Trading, que des groupes financiers comme Morgan Stanley, à ne pas confondre avec JP Morgan SE malgré leur histoire commune.

Libéralisation du marché

Cette situation est la conséquence de la volonté européenne de libéraliser le marché de l’électricité en imposant réglementairement la séparation du métier de producteur de celui de distributeur afin d’ouvrir à la concurrence le métier de fournisseur, là où EDF assurait la quasi-totalité du service public de l’électricité, à l’exception de rares entreprises locales de distribution (ELD) et d’une concurrence anecdotique de production, essentiellement assurée par GDF. Les règlements européens ont donc séparé la filiale RTE de la maison EDF, afin de permettre l’utilisation du réseau à tous les nouveaux « fournisseurs alternatifs » auxquels EDF a dû vendre le tiers de sa production nucléaire à prix cassés depuis 15 ans pour leur permettre de lui prendre des parts de marché.

Cette libéralisation ne saurait avoir eu d’effet bénéfique pour le consommateur dans le domaine de la production où la stimulation de la concurrence s’est révélée vaine, en dehors de la niche lucrative des EnR subventionnées, ni dans le domaine du transport qui reste l’exclusivité des 2 filiales d’EDF, RTE et Enedis. L’avantage espéré dans le tiers restant de la facture d’électricité qu’est le métier de fournisseur montre ses limites à travers le caractère lucratif des nouveaux métiers que cette concurrence a induit, celui de trader en électricité et celui de fournisseur de services.