Chronique d’un suicide collectif
Jean Pierre Riou
Quand le sage montre la
lune, l’idiot regarde le doigt
L’équilibre
mondial est sous tendu par une guerre sans merci, celle de l’accès à l’énergie.
C’est d’elle que
dépend la mainmise sur tout le reste.
En ruinant son
système électrique, l’occident ne semble pas avoir pris la mesure des
conséquences.
Le billard à 3
bandes
Le billard à 3 bandes est un sport de précision qui
consiste à viser une direction totalement étrangère à l’objectif recherché et
demande d’intégrer le savant calcul de la trajectoire qui permettra d’atteindre
la cible après 3 changements de direction du projectile, en l’occurrence, une
boule de billard.
Il s’agit du sport de référence des maîtres ès
géostratégie qui peuvent ainsi se permettre de faire appel à l’opinion pour
cautionner la direction du tir.
Voire à l’idiot
utile pour servir ses desseins.
La guerre du gaz
Dans l’actualité récente, un tyran devait quitter la
Syrie.
Les plus perspicaces auront compris que l’acheminement de
la production du plus gros gisement de gaz au monde, le gisement iranien de
South Pars, n’y était
pas
totalement étranger.
L’entreprise TOTAL, qui avait pu en négocier, en 1999 et 2000,
la majorité de l’exploitation, a été attaquée pour corruption par la justice.
Elle a pu clore la procédure américaine
en versant la somme de
398
millions de dollars.
Les conditions suspectes de l’accident d’avion de Christophe
de Margerie, PDG de TOTAL, ont d’ailleurs fait
couler beaucoup d’encre.
L’axe germano
russe
En butte aux pressions américaines, le projet de gazoduc
Nord Stream 2, qui évite l’Ukraine, assurerait à l’Allemagne un partenariat privilégié
avec la Russie.
On se souvient que celui-ci avait surpris tout le monde
en se reconvertissant dans le gaz russe, avec son vice chancelier J. Fischer,
dès
le lendemain de sa défaite politique, après que ses réformes aient d’ailleurs
embelli
l’avenir gaz, à travers le plan
de sortie du nucléaire allemand et la promotion d’énergies intermittentes dont
le faible taux de charge assure la dépendance aux centrales d’appoint.
G. Schroeder fut l’une des
3
seules personnes qui ont été honorées d’une poignée de main, lors de la
dernière investiture de V. Poutine, indiquant en même temps l’importance de son
rôle.
Nord stream 2, la
cristallisation de toutes les tensions
Ce projet de gazoduc
entraîne l’unanimité contre lui, aussi bien de la part de la Commission
européenne, qui déplore la
dépendance
ainsi renforcée de l’Europe à la politique de V. Poutine, que des
États-Unis, qui souhaiteraient à la fois nous vendre leur gaz de schiste et
éviter un rapprochement avec Moscou. Il est également combattu par des pays tels
que l’Ukraine ou la Pologne que ce projet évincerait et qui appellent les
États-Unis à appliquer des
sanctions
contre lui.
L’institut polonais PISM vient tout juste de
reprocher
à la Commission européenne de céder aux prétentions allemandes et au
renforcement de l’axe Moscou Berlin qui menace l’indépendance énergétique. Ce reproche
a même entraîné un
incident
diplomatique après que le directeur de PISM, Sławomir Dębski, se soit vu
signifier un refus d’entrer en Russie.
(Source rapport
EWI « Options for Gas Supply Diversification for the EU
and Germany in the next Two Decades”)
Selon ce rapport EWI, la construction de Nord Stream
2 permettrait à l’Allemagne de devenir exportateur net de gaz vers la
République tchèque, l’Autriche, la Suisse, la France, la Belgique et les Pays-Bas.
Un parc nucléaire
qui fait de l’ombre
Mais la France dispose encore d’un double avantage sur
ses voisins grâce à son parc nucléaire :
-
Une
moindre dépendance énergétique, avec 46%
contre 61,9% en Allemagne
selon la Commission européenne , car
les coûts des importations d’uranium sont suffisamment marginaux
(1,14€/MWh)
pour ne pas devoir entrer dans son calcul,
-
une absence d’émission de CO2 qui place notre
économie à l’abri de l’évolution de la taxe carbone.
L’enjeu de cette
taxe carbone
Un relèvement significatif de celle-ci est inacceptable pour l’Allemagne, du moins tant
que la production électrique française reste à 75 % nucléaire, en raison de l’avantage
considérable que celle-ci lui confèrerait.
« L’évolution du parc de production nucléaire en France
influera sur la rentabilité du parc à charbon en Allemagne. Le nucléaire a un
coût marginal plus faible que le charbon, si bien que sa production peut se
substituer à celle des centrales à charbon lorsque qu’il reste des capacités
d’interconnexion disponibles. À
l’inverse, si des capacités nucléaires sont retirées du mix français, la
compétitivité des centrales à charbon maintenues dans le système en Allemagne
est améliorée ».
Ce rapport confirme plus loin :
« Dans le cas d’une baisse de capacités nucléaires
à 40 GW, le surplus producteur des capacités charbon et lignite résiduelles est
augmenté de respectivement 18 et 23 €/kW par an par rapport au scénario haut
nucléaire. »
Quand on veut
tuer son chien …
La réduction de notre production nucléaire sera
immanquablement compensée par une augmentation de celle du gaz.
Les mirages d’un providentiel stockage de l’énergie non
pilotable des éoliennes notamment sous forme de gaz (P2G) nous masquent d’autant
plus efficacement les enjeux du rapport de force avec l’Allemagne que l’Office
franco allemand pour la transition énergétique (OFATE) tient ses bureaux
dans les locaux même de notre ministère de l’écologie solidaire.
Et que des organismes allemands, tels que la fondation
H.
Böll financent des sondages permettant de montrer aux français qu’ils sont opposés
au nucléaire.
La maxime reste donc pertinente quand il s’agit de tuer
le chien des autres.
La dépendance de
demain
C’est de la maîtrise de l’énergie que dépendra
l’échiquier politique de demain.
L’axe germano-russe y a déjà placé ses pièces maitresses.
La récente mondialisation
du marché du gaz, permise par les progrès de son transport maritime sous sa
forme liquéfiée (GNL), bouleverse
la donne de l’énergie, et permet notamment aux États-Unis,
désormais
exportateurs nets, non seulement de déboucher sur des marchés lointains,
mais d’asseoir leur influence, notamment vers l’Europe.
Cette facilité de transport vers les besoins colossaux
des pays émergents laisse également augurer de grandes tensions sur le marché
du gaz, exacerbées par les prévisions d’épuisement de ses réserves.
Les idiots utiles
On se doute que l’enjeu géostratégique est tel dans le
domaine de l’énergie que tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins. L’infiltration
des oppositions locales fait naturellement partie de l’arsenal.
Et les candidats sont nombreux pour la mission d’idiot
utile.
On se rappelle les
confessions
du député écologiste suisse qui avait tiré au lance roquettes sur la
centrale de Superphénix grâce à une arme aimablement fournie par les services
secrets du bloc de l’Est : «
En
fait, eux, nous et les services secrets du bloc de l’Est qui les finançaient et
les entraînaient, nous avions un objectif commun: affaiblir le complexe
militaro-industriel auquel Malville appartenait. Ils nous ont donc finalement
fait ce cadeau ».
Lequel
« cadeau »
a contribué à tuer dans l’œuf les velléités d’indépendance énergétique de la France
que la surgénération aurait permise, tandis que c’est désormais la Russie qui
domine cette technologie, ayant récemment obtenu le prix de la
meilleure
centrale au monde pour son BN 800 qui reprend celle de Superphénix.
L’indépendance
énergétique, cible de tous les coups
Malgré l’évocation
d’un monde enfin solidaire autour de causes communes que sont le bien être de
tous et de l’écologie, ce combat pour la maîtrise du secteur de l’énergie est violent,
c’est celui pour le pouvoir.
Mais dans ce jeu de dupes, le gagnant reste celui qui a
un coup d’avance sur l’échiquier, celui qui a anticipé la trajectoire de la boule
de billard jusqu’à la fin de sa
course.
La dernière bande
On pouvait deviner qu’une réduction de l’énergie
nucléaire et l’essor des énergies
intermittentes feraient la place belle au gaz.
Il était également facile de prévoir que l’injection
croissante d’électricité intermittente subventionnée ruinerait les producteurs
d’électricité non subventionnés. C’était annoncé, c’est désormais une
dramatique réalité européenne, EDF s’en tirant d’ailleurs plutôt mieux que
certains tentent de le faire croire en abusant du syllogisme :
EDF est nucléaire, EDF est malade, DONC
le nucléaire rend malade.
La situation, plus
grave encore, des autres énergéticiens européens confirme une tout autre
réalité
(Source Colombus
Consulting)
Le coup de grâce venu d’ailleurs
Ce que tout le monde n’avait peut-être pas perçu, c’était
le risque inhérent à la ruine d’un secteur stratégique mais désormais
libéralisé.
L’offre publique d’achat
(OPA)
de Energias de Portugal par la Chine doit ouvrir les yeux sur la direction
que prend désormais la boule après avoir touché la 3
ème bande.
Car ce n'est rien moins que la prise de
contrôle de la politique européenne, par le biais de son secteur de l’énergie,
qui se trouve désormais dans l’axe de sa course, et son énergie en est
suffisante pour pulvériser les défenses.
L’arroseur arrosé
La Chine a bénéficié du transfert de technologie et du
financement des pays dits « développés » (annexe B du protocole de
Kyoto) en captant la majorité des projets de « développement propre »
(Clean Development mechanism
ou CDM),
avec notamment plus de
300
projets éoliens financés pour la seule Mongolie intérieure.
Les
unités de
réduction d’émission (URE) générées par ces projets permettant en fait aux
occidentaux de continuer à polluer chez eux à moindre coût, comme le constate
avec cynisme le China Institute, dans
son
rapport sur le sujet, p 7.
Mais ces projets ont permis à la Chine de devenir le 1
er
constructeur mondial d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques dont elle inonde
désormais le monde entier. Avec les
mêmes
conséquences délétères sur tous les systèmes électriques sous perfusion d’intermittence
subventionnée.
L’OPA chinoise sur Energias de Portugal fait craindre qu’il
ne reste plus désormais à la Chine qu’à en ramasser les morceaux. Et d’en faire
le bras armé de ses
nouvelles routes
de la soie si elle prenait le contrôle du secteur de l’énergie occidental.
Rendez vous en
terre inconnue
Les énergies renouvelables, qui étaient un moyen pour
parvenir au triple objectif de réduire l’impact environnemental, renforcer la
sécurité d’approvisionnement tout en maîtrisant les coûts, se sont révélées
parfaitement inefficaces dans chacun des objectifs qui leur étaient assignés.
Mais plutôt que de scruter dans la direction de ses
objectifs, afin d’en anticiper les effets, la politique énergétique européenne,
confondant objectifs et moyens, se focalise désormais sur le seul niveau de développement
des énergies renouvelables, se contentant ainsi de contempler le doigt qui
devait montrer le chemin.
Mais comme il est désormais difficile d’évoquer l’un ou
l’autre des objectifs originels, dans lesquels elles ont échoué, on se fie aux
nécessaires ruptures technologiques qui permettraient de trouver un intérêt aux
énergies électriques intermittentes que sont éolien et photovoltaïque.
Nul doute que
d’autres le connaissent déjà pour nous