Nucléaire & Éolien
Jean Pierre Riou
Où il apparaît que
le démantèlement éolien risque de coûter plus cher que le démantèlement
nucléaire, mais pourrait surtout incomber à des personnes qui ne s’attendent
pas à devoir l’assumer
Les hypothèses du présent article pourraient être utilement
approfondies, notamment par une Mission parlementaire telle que celle qui vient
de se prononcer sur la faisabilité du démantèlement nucléaire.
Démantèlement
nucléaire
La problématique
Le démantèlement nucléaire recouvre les 58 réacteurs à eau
pressurisée (REP) actuellement en exploitation et 9 anciens réacteurs à l’arrêt.
Les difficultés techniques du démantèlement de ces anciens
réacteurs sont considérables.
Le petit réacteur expérimental à eau lourde de Brennilis
multiplie surcoûts et délais, notamment rallongés par l’annulation, par le
Conseil d’Etat, du décret qui autorisait la procédure de démantèlement, après
qu’il eut été saisi par le réseau « Sortir du nucléaire ».
De même, les difficultés concernant les 6 réacteurs à uranium
naturel graphite gaz (UNGG), ont amené EDF à changer de stratégie et accumuler
surcoûts et retards.
Ces filières des débuts de l’aventure nucléaire française ont
été abandonnées au profit des réacteurs à eau pressurisée actuels.
Ajoutons enfin le cas de Superphénix, pour lequel
l’anticipation des limites des ressources en uranium avait entrainé la volonté
politique de développer ce prototype de surgénérateur.
Il avait été exploité par le consortium européen Nersa.
Après sa meilleure année de fonctionnement, c’est à nouveau
la volonté politique qui en a décidé la fermeture.
EDF est resté seul actionnaire de Superphénix à l’annonce de
son arrêt définitif et assume, depuis, la charge de son démantèlement dans des
conditions
jugées satisfaisantes par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
La versatilité politique a transformé l’aventure en gouffre
financier.
Son financement
Après 40 ans de fonctionnement, le parc actuel de REP aura
produit un peu plus de 17000 milliards de kWh (en considérant les 77% de taux
de charge de ses 63,130 GW).
Le coût total du démantèlement, première génération
comprise, est estimé par EDF à 60 milliards d’euros et correspond ainsi à une
charge de 0,35 centimes d’euro par kWh.
Ce qui représente une quantité négligeable quand bien
même cette évaluation devrait être doublée, comme tente de le suggérer l’accusation
de Greenpeace au vu d’un audit commandé par elle au cabinet Alpha Value.
Cependant, la
question n’est pas de savoir si on doit, ou non, démanteler les premiers
réacteurs de l’épopée nucléaire française, mais de se prononcer sur la
pertinence stratégique du surcoût du démantèlement des réacteurs actuels (REP)
et futurs, en regard du service attendu de la filière nucléaire.
Or la faisabilité et les coûts du démantèlement de ceux-ci
bénéficient déjà d’un retour d’expérience, notamment américaine, qui met en
évidence la maîtrise technologique et financière du problème.
Une Mission parlementaire a rendu ses conclusions sur ce
sujet en février 2017
Il y apparait que
les coûts de référence pour le démantèlement des réacteurs à eau pressurisée se
situent, selon les exemples retenus, entre 439,7 €/kW, 537,8 €/kW
et 550 €/kW.
Quel coût par unité d’énergie produite ?
Un REP d’1 GW peut,
au minimum, fonctionner 40 ans et être prolongé à 50 ou 60 ans.
Le parc nucléaire français, qui représente d’ailleurs
moins de la moitié de la puissance de
production électrique totale,
(63,130GW
pour un total de 130,818GW) ne fonctionne qu’avec le taux de charge moyen
de 77%.
Malgré cette restriction de puissance et une durée de vie
abrégée à 40 ans, un réacteur de 1 GW produira ainsi 77% de 1GW pendant les 8760
heures de chacune des 40 années de son fonctionnement, soit 269 808 GWh.
En retenant la fourchette haute de 500 millions d’€, son
démantèlement reviendra ainsi à 1853€
par GWh produit, c'est-à-dire un surcoût de 1,85€ par MWh (ou 0,185
centimes d’euro par kWh)
Tandis que la fourchette basse (350 millions), pour un
réacteur fonctionnant 50 ans avec 87% de taux de charge, comme la plupart des
réacteurs au monde, diviserait ce coût par 2 avec 0,09 centime d’euro de
surcoût pour chacun des 381 milliards de kWh produits.
Remarque importante
L’exception
française : une trentaine de réacteurs sur les 58 du parc nucléaire sont
engagés dans la participation au « service système » du réglage
primaire et secondaire du réseau et aux mécanismes d’ajustement.
A cet effet, ils fonctionnent de façon réduite afin de
conserver une marge de manœuvre pour la modulation de puissance, grâce à leur
possibilité de la faire varier jusqu’à
80%
en plus ou en moins en moins d’une demi heure.
C’est ainsi que, pour suivre les besoins de la consommation,
notre parc nucléaire a effectué en 2015 plus de 140 variations d’amplitude
supérieures à 5000 MW, contre moins de 60 en 2008.
(Source SFEN : « Introduction
accrue d’énergie renouvelable dans le système électrique : quelles
conséquences sur le parc nucléaire ? »)
Ce qui permet au parc nucléaire français de suivre au
plus près les besoins de la consommation, contrairement à une idée bien ancrée.
(Source Analyse Jean
Paul Hulot d’après données consolidées RTE)
Le service rendu par un tel fonctionnement, qui semble constituer
une exception mondiale, demande une juste rémunération.
On peut également considérer le manque à gagner, pour EDF,
par rapport au taux de charge de 10% supérieur de la plupart des parcs
nucléaires, notamment de son voisin allemand.
La
délibération
de la CRE du 2 mars 2017 portant sur
la rémunération du surdimensionnement des installations nécessaire à ce « service
système » ne semble pas répondre à l’importance de l’enjeu.
Le manque à gagner pour EDF d’un tel fonctionnement qui
représente une baisse de 10% de taux de charge moyen, entraîne en effet une
moindre production d’environ 55 TWh chaque année, soit une moindre recette annuelle de 2,3 milliards d’euros (en retenant
le seul prix Arenh de 42€/MWh)
Si cette exception
française trouvait toute sa justification dans le cadre d’un monopole,
l’ouverture du marché de l’électricité exige le respect des lois de la
concurrence qui s’accommodent mal d’une rivalité entre un tel service et des
producteurs intermittents subventionnés qui, de surcroit, cassent les prix du
marché lorsque le vent souffle ou que le soleil brille.
Démantèlement
éolien
Il est régi par l’arrêté du 26 août 2011 qui en prévoit le
provisionnement à hauteur de
50 000 euros par machine.
Les développeurs de projet évoquent généralement eux même
des sommes entre 2 et 3 fois supérieures, tandis que le retour d’expérience
semble indiquer un coût réel 8 fois plus important, dépassant
400 000
€ pour une machine (hors enlèvement du massif en béton !)
Quel coût par unité d’énergie produite ?
Avec un taux de charge moyen de 23% pendant les 20 ans de sa
durée de vie, une éolienne de 2,3MW aura produit 92,680 GWh.
La seule somme officiellement provisionnée pour son
démantèlement correspond donc déjà à un minimum de 539,49€ par GWh produit,
tandis que le retour d’expérience (400 000€) évoque un coût de 4315 € par GWh (ou 4,3€ par MWh
produit).
Le démantèlement d’un réacteur à eau pressurisée ne
représentant, rappelons le que 1853€ par
GWh produit, (1,8€/MWh) en considérant la fourchette haute, et la moitié
pour la fourchette basse.
Cette comparaison ne prend pas en considération la
différence de service rendu entre un MWh disponible à la demande et un MWh
intermittent
qui
implique d’importants surcoûts.
Mise en perspective
La Mission
parlementaire dénonçait l’insuffisance du provisionnement nucléaire avec encore
seulement 36 milliards d’euros de provisions constituées par EDF au 31
décembre.
En tout état de cause, le taux de charge des réacteurs et
leur durée d’exploitation en conditionneront la rentabilité et le poids relatif
du démantèlement pour EDF.
Une partie considérable de cette charge provenant des débuts
de l’aventure du nucléaire français et de l’évolution des volontés politiques
qui l’ont accompagnée.
A l’occasion d’une décision politique sonnant le glas des
moyens de production intermittents, notamment en raison de leur
incapacité
à remplacer quelque moyen pilotable que ce soit, peut être s’apercevrait on
alors que le véritable problème du démantèlement n’est pas celui qu’on croit,
mais celui des milliers de « Jurassic Parks éoliens» qui défigurent
les campagnes et en bétonnent les sols.
Il semble
nécessaire que d’ici là, les coûts en soient provisionnés dans la plus grande
transparence.
Faute de quoi les propriétaires des terrains sur lesquelles
les éoliennes sont implantées risqueraient d’en faire les frais, puisque la
forme des baux emphytéotiques, comme la législation concernant la nomenclature
ICPE des machines, semblent en faire les propriétaires des machines et seuls
responsables de leur démantèlement et de la dépollution des sols en cas de
disparition de l’exploitant.
Ce problème concerne également les collectivités
territoriales, mais aussi les acteurs des projets participatifs, destinés à en faire
accepter les nuisances aux futurs riverains en leur faisant miroiter l’espoir
de retombées financière mais ne dédouanant pas pour autant du
principe
pollueur payeur.