Effets sanitaires des éoliennes
Ce que dit le rapport ANSES, et ce qu’il ne dit pas
Le rapport ANSES vient enfin de rendre ses conclusions sur les possibles effets
sanitaires des basses fréquences (moins de 500 Hz) et infrasons (moins de 20
Hz) dus aux parcs éoliens.
Certains médias ont cru y voir l'affirmation de l’innocuité d'une exposition chronique à ces machines.
C'était faire preuve d'un regard bien mal éclairée et de conclusions hâtives.
Un niveau significatif
d’infrasons
En premier lieu, le rapport ANSES constate que "les éoliennes sont des sources de bruit dont la part des infrasons et basses fréquences sonores prédominent dans le spectre d’émission sonore."
Et relève la présence des infrasons
éoliens loin de leurs sources d'émission, comme, ci-dessous, à 2,5 km.
A la distance réglementaire de 500m, le rapport considère, p 152, que leur niveau dépasse le seuil de l’audition, plus de 5% du temps au dessus de 5 Hz, moins de 5 % en dessous.
Ce
qui n’est pas anodin, notamment pour la législation danoise, ainsi décrite p 78 : « Pour
les infrasons environnementaux, la Danish Environmental Protection Agency (DEPA)recommande que les niveaux d’exposition
des citoyens soient inférieurs de 10 dB au seuil d’audibilité des infrasons. »
Ce qui doit rappeler,
au passage, qu’il n'est guère plus judicieux de supposer que les infrasons ne seraient pas
dangereux, pour la seule raison qu’on ne les entend pas, que de prétendre que les
radiations ne le seraient pas pour la raison qu’on ne les voit pas.
L'absence de toute prise en compte en
France
Comparant les différentes législations, le rapport indique
que quantité de pays imposent une réglementation des infrasons, notamment pour
les éoliennes, tels la
Grande Bretagne, le Japon, la Pologne, l’Allemagne, la Finlande. Le rapport oublie
d’ailleurs de mentionner le Danemark, où ceux-ci sont pourtant réglementés dès
10 Hz depuis 2011 quand l’ANSES n’y évoque pourtant que le contrôle des seules basses fréquences à partir de
20 Hz.
La suppression du simple contrôle des
émergences spectrales à partir de 125 Hz
Pour
les textes régissant les éoliennes françaises, le rapport indique curieusement :
« Ces textes considèrent les bandes
d’octave de 125 à 4 000 Hz. Les très basses fréquences et les infrasons, plus
difficiles à mesurer, ne sont actuellement pas pris en compte. »
Alors que depuis l’arrêté du 26 aout 2011, pourtant évoqué, le
contrôle des émergences spectrales de 125 Hz à 4000 Hz, actuellement obligatoire
dans le code de la santé publique, a été supprimé de la réglementation concernant
les éolienne, et remplacé par une simple recherche de tonalité marquée,
beaucoup moins contraignante.
Une pondération G trompeuse et obsolète
De
façon étonnante, le rapport n’utilise ensuite que la pondération G (dBG),
d’ailleurs obsolète en France, pour étudier les infrasons, alors que cette pondération
minore considérablement les valeurs des fréquences inférieures à 10 Hz, au lieu
d’utiliser les décibels non pondérés (dB) également appelés linéaires (dBlin),
généralement affectés à cet usage et qui rendent strictement compte de la valeur de chaque fréquence infrasonique.
Et de
façon plus étonnante encore, parvient à la conclusion que les seuls dBA sont suffisants dans la réglementation et permettent d'en déduire la valeur des infrasons.
Ce
qui est tout sauf exact, la distance, la topographie, les conditions
météorologiques et même les matériaux de construction, ayant des effets très
différents sur la propagation de chaque fréquence, ne permettent en rien de
présumer de la valeur des infrasons à partir de la seule valeur du bruit global
des éoliennes mesuré en dBA qui atténuent considérablement les basses fréquences et ne tiennent
quasiment aucun compte de la valeur des infrasons.
"Cependant, le profil particulier du spectre sonore éolien implique une proportionnalité
entre le contenu spectral mesuré en dBA et le contenu spectral de la partie infrasons et basses
fréquences sonores. Ainsi, des informations pertinentes concernant l’exposition aux infrasons et
basses fréquences peuvent être obtenues à partir de données d’exposition mesurées en dBA.
Cette constatation rejoint celles dressées par des études récentes".
Il est d'ailleurs dommage que l'ANSES ne précise pas auxquelles études récentes il fait allusion.
Le recentrage sur le bruit en général :
Les éoliennes perturbent le sommeil
Considérant
une carence d’études épidémiologiques s’attachant spécifiquement aux infrasons,
l'ANSES retient 10 des principales études épidémiologiques transversales sur
les effets sanitaires du bruit éolien, en général.
Et conclut p 173 « Toutes les études épidémiologiques
transversales qui ont recherché une association entre l’exposition au bruit des
éoliennes et la qualité du sommeil (sauf une) ont montré une relation
significative. »
Des effets biologiques mesurés
L’étude
transversale considérée la plus complète par l’ANSES est celle de Santé Canada, menée sous
la direction de D.Michaud, d’ailleurs membre du groupe ANSES.
Cette
étude a clairement mis en évidence le lien entre les déclarations des participants sur
leur état de stress et leur taux de cortisol capillaire.
Ce
lien établit ainsi que les plaintes des riverains correspondent à un
préjudice sanitaire réel, puisque le cortisol capillaire est un marqueur
biologique objectif du stress.
L’absence, sans surprise, d'un autre lien
Les
études retenues, par contre, ne constatent pas le lien des symptômes
déclarés avec la distance aux éoliennes, ou avec le niveau de bruit global, mesuré
en décibel A.
Ce qui ne saurait surprendre puisqu’on sait parfaitement que ce n’est pas
du niveau du bruit ambiant global que dépend la gène provoquée par les
éoliennes, mais de l’émergence de leur bruit particulier et que cette émergence est
d’autant plus importante et dérangeante que le bruit de fond est faible.
Et
que d’autre part, la quasi-totalité des études s’accordent pour considérer que
la pondération A est incapable de rendre compte de la gène provoquée par les
éoliennes qui est notamment caractérisée par l’importance de leurs basses
fréquences.
A.Salt,
abondamment cité par l’ANSES, a notamment montré qu’une fréquence supérieure
(500 Hz) diminue la perception des fréquences les plus basses (5 Hz).
Confirmant
ainsi que ce n’est pas au pied de l’éolienne que les basses fréquences sont les
mieux intrusives, mais lorsque elles sont débarrassées des fréquences les plus hautes,
notamment par l’éloignement, leurs conditions de propagation étant bien supérieures à celles des fréquences plus élevées.
Bruit global : la fin du confort acoustique pour les riverains d'éoliennes
La page 96 du rapport présente un tableau évocateur qui aide à comprendre l’irritation et la gène de riverains habituées au silence
nocturne des zones rurales
Le LAeq (ou équivalent moyen en décibels A) du trafic routier y est considéré sur 24h, le LAeq éolien, calculé sur 10 minutes, est autorisé
en France jusqu’à 35 dBA devant les fenêtres (éventuellement ouvertes) des riverains,
déclassant ainsi considérablement le confort acoustique de leur chambre à
coucher.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) considérant d'ailleurs que les seuils doivent être abaissés lorsque les bruits incriminés sont riches en basses fréquences.
Le retour de l’"effet
nocebo"
Et pour expliquer les innombrables troubles sanitaires décrits dans la littérature sur le sujet, le rapport ANSES évoque alors le possible rôle du véritable poncif éculé cherchant à masquer tout
scandale sanitaire : l'effet nocebo, selon lequel, lorsqu’on
est malade, il ne faut s’en prendre qu’à soi-même et à ceux qui ont véhiculé
l’idée que nous allions l’être.
Si personne ne songe à contester l'évidence que l’attitude individuelle
face à un risque sanitaire est déterminante, dans un sens comme dans l'autre, dans toute pathologie, la commission sénatoriale australienne,
notamment, avait mis à mal cette tentative d’explication pour les symptômes liés aux éoliennes, et dénoncée par de
nombreux scientifiques qualifiés tels que Dr Malcolm Swinbanks, en raison de la
gravité des symptômes constatés et du fait que ceux-ci affectaient tout aussi
bien des populations qui percevaient auparavant les éoliennes de façon
favorable et se réjouissaient de leur arrivée.
Cette Commission sénatoriale avait également longuement critiqué l’absence de qualification professionnelle de Simon Chapman qui évoquait le rôle de cet effet nocebo et dénoncé le fait qu’il n’avait même jamais eu le moindre contact avec des victime d'éoliennes.
Des références
douteuses
Et c’est pourtant ce même S.Chapman qui est cité par l’ANSES
pour contester les 30 années de travaux scientifiques de l’équipe portugaise
Alves Pereira/Castelo Branco sur les pathologies induites par les infrasons,
basses fréquences et vibration sous le nom de maladie vibro acoustique (Vibro
acoustic disease, ou VAD) et tenter de mettre en doute leurs recherches en laboratoire qui ont amené le Portugal à reconnaitre le VAD en tant que maladie
professionnelle du personnel naviguant.
L’ANSES appuie son scepticisme en citant les études de Kasin
et al qui n’en confirment pas les résultats, pour avoir notamment recherché d’autres
effets, à partir d’autres modes d'expositions, et se sont efforcés de réfuter les pathologies décrites
pour les pilotes d’hélicoptères…pour le « Norwegian Defence Medical Services,
Institute of Aviation Medicine, Oslo, Norway ».
Quand l’ANSES se
prend les pieds dans le tapis
L’ANSES appuie également sa contestation du VAD sur les
travaux de Fonseca et al et de Silva et al qui attribuent certains des
symptômes du VAD aux seules vibrations.
Alors que ces études contredisent d’autant moins les travaux sur le
VAD de l’équipe Alves Pereira/Castelo Branco, que ces derniers travaux émanent
précisément de leur propre équipe, (Silva MJ,
Carothers A, Castelo Branco NA, Dias A, Boavida MG. (Ricardo Jorge
National Institute of Public Health, Lisbon, Portugal), qui considère que
ces études renforcent encore leurs précédentes publications sur le VAD. (2)
L’absence de tout
contrôle des vibrations en France
Ces
effets des vibrations donnent d’ailleurs toute son importance au constat de la
page 74 du rapport ANSES qui dénonce la « singularité française et le vide
réglementaire concernant la protection des personnes contre les vibrations
environnementales et les bruits solidiens émis dans l’environnement »
et cite le rapport : «
Protection contre les vibrations environnementales : le cas français »
(Elias et al. 2007)
De nombreux critères spécifiques de gène
Le
rapport mentionne la gène provoquée par l’amplitude de modulation du bruit
éolien, les flashs lumineux, l’effet stroboscopique….
Ce
qui évoque le constat de carence concernant la prise en compte des critères de
gène spécifiques aux éoliennes du précédent rapport (AFSSET mars 2008) qui
indiquait : « En particulier le
domaine de validité des critères d'émergence (en termes de niveaux et de
dynamique des bruits) n'a pas été vraiment exploré, et la plus totale ignorance est de règle quant à l'existence d'effets de
seuil, de validité spectrale, d'application aux bruits impulsionnels, de
validité en fonction de la durée d'exposition, et de limitations diverses,
ceci en dépit des souhaits déjà manifestés dans le passé par la commission
Afnor S 30 J (bruits de l'environnement) ou plus récemment par le Conseil
National du Bruit. »(p93)
Face auxquels il est urgent de ne rien
faire
Et
contre toute attente, alors que depuis cet avis, le seuil autorisé pour les
éoliennes est passé de 30 dBA à 35 dBA et que celles-ci sont désormais
dispensées de tout contrôle des émergences spectrales, le rapport ANSES
considère que la réglementation française est parfaitement adaptée à la
problématique de la protection sanitaire des riverains !
Pire,
elle préconise le renforcement d’une mesure jugée trompeuse et nuisible par le
Conseil national du bruit : celle du bruit en limite de propriété. (1)
Un bilan lacunaire
Le
rapport ANSES compare les distances d’éloignement retenues chez nos voisins en
semblant ignorer que la
Bavière
et la
Pologne
ont établi une distance bien supérieure à celles qu'elle évoque, en l’occurrence 10
fois la hauteur des machines, pales comprises, entre éoliennes et habitations.
Le
cas bavarois rappelant d’ailleurs la difficulté de protéger les riverains,
puisque cette règle d’éloignement était attaquée en justice par la filière
professionnelle, avant que la
Cour constitutionnelle ait confirmé cette mesure le 10 mai
2016.
On
peut enfin regretter les nombreuses études non retenues par l’ANSES pour ne pas
avoir été considérées « articles sources », ou complètement ignorées comme celles de
J.Mikolajczack et al montrant les effets de la proximité des éoliennes sur le taux de cortisol des
oies ou de
M. Karwowska sur la qualité de la viande des porcs, ou encore des rapports tels
que celui de l’Institut
de santé publique polonais qui, après l’étude de 487 publications de ce
genre considère qu’il est nécessaire de protéger les riverains des basses fréquences
et infrasons des éoliennes par une distance d’éloignement de 2 km par rapport aux habitations.
Le précédent rapport (AFSSET mars 2008) avait considéré que Les
avantages de la mise en œuvre d’une telle mesure (1500m) d’application simple
doivent être mis en balance avec le frein au développement qu’elle constitue
». (p 91)
Il concluait « Les
acteurs du développement de l’énergie éolienne devraient comprendre qu’aucun
objectif économique ou politique ne doit prévaloir sur le bien-être et la santé
des individus »
Cette conception de la protection sanitaire l’honore.
La problématique des
infrasons ne se limite pourtant pas à cette seule distance.
Un rapport franco français
Le rapport sénatorial australien, évoqué ci dessus, avait été rédigé après des centaines d'auditions de scientifiques, de victimes et d'acteurs de la filière.
Son chapitre 2, concernant les effets sanitaires, était introduit de façon éloquente en ces termes: "L'impact des éoliennes sur la santé a fait l'objet d'un nombre considérable de spéculations et a suscité de sérieuses controverses dans le monde entier.
L'Australie n'a pas été épargnée. Ici, comme dans beaucoup d'autres pays, il existe un hiatus évident entre la position officielle selon laquelle les éoliennes ne présentent aucun danger pour la santé humaine et l'apparition continue de fortes preuves empiriques, biologiques et provenant de témoignages de nombreuses personnes vivant à proximité des éoliennes et souffrant des mêmes symptômes physiologiques et de détresse."
La position nationale officielle n'y fait donc pas exception. En se contentant d'une version française de son "édition scientifique", l'ANSES ne permet pas à la communauté scientifique internationale de bénéficier des éventuelles avancées de ses 3 années de recherche, la langue anglaise étant de rigueur pour pour y prétendre.
Du même coup, l'ANSES en évite son regard critique.
On ne peut que le déplorer.
Annexe
1 Le
Conseil national du bruit, dans son avis du 29 juin 2011 sur le texte de
l’arrêté, avait donné un avis favorable au projet d’arrêté, « toutefois assorti d’une réserve de
fond
.
Les réticences portent sur l’introduction, en complément du critère d’émergence
actuellement en vigueur, d’un critère de niveau de bruit maximal (70 dB(A) le
jour, 60 dB(A) la nuit) à respecter à une certaine distance du parc. Selon
toute vraisemblance, la distance retenue devrait être égale à : 1,2 x (hauteur
de moyeu + longueur d’un demi-rotor). La commission technique, dans son avis,
considère qu’à une telle distance, le
critère de niveau de bruit maximal sera facile à respecter. Ce critère
supplémentaire s’inspire de la réglementation du 23 janvier 1997 sur les
installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), à cette différence
près que, dans le projet d’arrêté, les limites admissibles sont fixes, et ne
sont pas précisées par un arrêté préfectoral, sur la base des résultats d’une
étude d’impact acoustique. A première vue, ce critère supplémentaire renforce
la protection des riverains, mais il est perçu par la commission technique du
CNB comme risquant « d’avoir un effet contraire à celui recherché ». Le risque ? Véhiculer l’idée que l’impact
sonore du parc respecte la réglementation dès lors que ces seuils de 60 et 70
dB(A) – faciles à respecter, on l’a dit – ne sont pas atteints, dévalorisant
ainsi les limites nettement plus strictes fixées en matière d’émergence.
Pour la commission technique, cette distorsion pourrait se traduire par des
contentieux. »
Comment ne pas s’interroger sur la
préconisation de l’ANSES de « La nomination d’un interlocuteur privilégié,
chargé du suivi de ce contrôle systématique des expositions et de la réponse
aux sollicitations des riverains devra être envisagée »
2