La roulette russe
Jean Pierre Riou
La vague de froid s'éloigne sans que le système électrique français n'ait failli!
D'autres viendront, plus rigoureuses encore, auxquelles le pays devra impérativement faire face, tant les
conséquences d'une rupture d'approvisionnement ne seraient pas acceptables.
Quelques chiffres sont nécessaires pour confronter la résistance des politiques énergétiques à cette récente épreuve des faits.
Rétrospective de l'efficacité de chaque filière
Le parc nucléaire français a donc été pointé du doigt pour avoir dû subir des contrôles en série concernant
12 réacteurs sur les 58.
Cinq réacteurs ont même dû être arrêtés au moment où on avait le plus besoin d'eux.
Cette vague de froid
"Moscou Paris" s'est installé sur l'Europe le 12 janvier.
Alors que 7
réacteurs nucléaires étaient arrêtés pour maintenance ou contrôles. (Paluel 2, Fessenheim 2, Gravelines 5, Bugey 5, Civaux 2, Tricastin 4, et Bugey 4).
Le parc nucléaire fonctionnait pourtant ce même jour avec un
taux de charge supérieur à 86% lors des 2 pointes de consommation du matin et du soir. Soit un taux d'efficacité proche de 100% des réacteurs disponibles.
Ce 12 janvier, l'éolien français était encore au beau fixe avec ponctuellement plus de 8000 MW de puissance, soit un
taux de charge de plus de 66% lors de la pointe de consommation du soir, mais cependant moins de 2500 MW lors de la pointe du matin.
L'Allemagne en difficulté
Le froid anticyclonique n'étant pas encore installé sur le pays, la consommation de ce 12 janvier est restée inférieure à 80 000MW.
Ce qui a même permis à l'Allemagne d'être secourue par nos exportations.
Source https://transparency.entsoe.eu/
Les éoliennes allemandes à l'arrêt
Le froid anticyclonique s'était en effet déjà installé outre Rhin et avait pratiquement supprimé toute efficacité aux éoliennes allemandes, leur
taux de charge étant tombé à 3%, avec 1,49 GW pour 49 GW installés.
Source https://www.energy-charts.de/power.htm
Ce qui l'a forcée, toute la journée, à dépendre des disponibilités de ses voisins pour en
importer son alimentation.
(Alors que sa colossale puissance éolienne/photovoltaïque, bien supérieure à celle de notre parc nucléaire mais ne fournissant plus rien dès la tombée de la nuit, ne lui avait même pas permis, depuis 2002 de fermer le moindre MW de centrale pilotable.)
Cette situation menaçait la France, qui devait, quelques jours plus tard, connaître des pics de
consommation supérieur à 90 000MW.
Report du contrôle la centrale de Civaux
C'est pourquoi l'autorité de sûreté nucléaire a notamment
autorisé la prorogation des délais relatifs au contrôle du réacteur de la centrale de Civaux prévu en raison d'un taux de carbone jugé excessif dans les fonds de ses générateurs de vapeur, fournis par les aciéries japonaises (JCFC).
Cette
décision responsable de l'ASN a aidé le réseau européen à terminer la 3ème semaine de janvier sans encombres, malgré un
parc éolien français chutant à moins de 5% de sa puissance installée, avec 524 MW disponibles pour un parc de 12 000MW et, au même moment, un
parc éolien allemand ne dépassant pas 1,5% de sa puissance installée, avec 0,77GW disponibles pour 49 GW installés. Fort heureusement, en fin de semaine, avec une demande de la consommation réduite.
Pendant toute cette période, le parc nucléaire n'est jamais tombé à un taux inférieur à 82% de sa puissance installée, malgré ses réacteurs arrêtés pour contrôle.
L'hydraulique, énergie pilotable
Le stock hydraulique du système électrique français, bien que considéré "renouvelable" ne l'est pas indéfiniment à l'échelle d'une saison et, avant de crier victoire contre cette vague de froid, un regard sur son état est nécessaire.
Source https://clients.rte-france.com/lang/fr/visiteurs/vie/prod/stock_hydraulique.jsp
Car même pour l'hydroélectricité, pourtant considérée "pilotable", les aléas météorologiques ne permettent pas la même production d'une année sur l'autre, et le passage de cette première vague semble en avoir creusé le déficit.
Et
c'est bien de ce paramètre que risque de dépendre la sécurité de notre approvisionnement dans les semaines à venir si le froid devait revenir.
Car ce n'est pas sur nos voisins qu'il nous faudra compter, sachant que c'est la France, 1° exportateur mondial grâce à son parc nucléaire, qui
régule d'ordinaire le réseau européen.
Et non l'inverse.
Pour assurer la nécessaire sécurité d'approvisionnement,
même en cas de froid centennal, c'est bien d'une marge supplémentaire
de nos moyens pilotables que nous avons besoin et non de moyens de secours de type "roulette russe", c'est à dire laissant au seul hasard le soin de cette sécurité.
Et dès lors que nous disposerons de ces moyens pilotables, quelle valeur ajoutée pouvons nous attendre d'intermittents de la profession, dont le principal effet est de ruiner la rentabilité de ceux dont nous ne pouvons nous passer?
Des analyses pour le moins contrastées
La filière industrielle en a tiré la conclusion que
l'éolien est un remède énergique face aux froids anticycloniques.
Affirmation qui peut surprendre lorsqu'on sait que les situations de froid anticycloniques correspondent généralement à une période sans vent.
Et il serait tentant de répondre que c'est une affirmation qui n'engage qu'elle...si elle n'engageait pas en même temps notre sécurité d'approvisionnement.
Il a aussi été répété que l'éolien avait désormais fait la preuve de sa compétitivité.
Mais compare-t-on le prix d'un parachute qui s'ouvre lorsqu'on tire sur la poignée avec celui d'un parachute qui s'ouvre une fois sur 4?
Au prétexte que les kWh intermittents sont mélangés avec les kWh pilotables dans le même réseau électrique, est il raisonnable de comparer la valeur de ces 2 produits?
Les progrès technologiques sont exponentiels et surprennent chaque jour.
Le soutien financier des politiques publiques est susceptible d'en orienter l'évolution, comme dans la conquête spatiale, un temps délaissée et qui repart aujourd'hui de plus belle.
Le domaine de l'énergie ne fait pas exception. Et c'est la seule volonté politique qui a décidé d'
interrompre le programme déjà opérationnel d'une énergie entièrement pilotable, sûre, propre et quasiment illimitée.
Cette technologie, condamnée politiquement en 1994 aux USA comme en France, vient déjà d'
entrer en phase commerciale en Russie.
Sans que d'ailleurs cela semble intéresser quiconque dans l'Union européenne.
John Kerry, un des ses ardents détracteurs en 1994, vient de
faire son mea culpa et considérer que
le monde n'avait pas d'autre alternative.
Mais une doxa irrationnelle continue de promouvoir une
technologie du 19ème siècle dont on ne parvient toujours pas à gérer l'injection
toxique de l'intermittence dans un réseau dont l'équilibre est la condition première de notre sécurité.
Le péché d'efficacité nucléaire
Car ce n'est pas la puissance de notre parc nucléaire qui semble heurter ces apôtres inavoués de la décroissance, puisqu'il représente déjà moins de la moitié de la puissance totale.
(Avec 63,130 GW sur un ensemble de 129,310 GW dans le dernier bilan annuel de RTE.)
Mais c'est bien son taux d'efficacité,
chaque fois supérieur, en cas de besoin, à 85% qui semble poser problème.
Tandis qu'on prend pour modèle les énergies intermittentes allemandes qui viennent de faire entièrement défaut,
avec 0,8% d'efficacité, au plus froid de l'hiver en
faisant dépendre la sécurité de l'Allemagne de ses importations:
malgré le doublon d'une
puissance installée bien supérieure à celle de la totalité de notre parc nucléaire, et dont le graphique d'évolution, ci dessous, tiendra lieu de conclusion.
Source https://www.energy-charts.de/power_inst.htm
Article suivi d'un
Épilogue
http://lemontchampot.blogspot.fr/2017/01/epilogue.html